Ça suffit Mammouth! Micaela Chirif, Issa Watanabe, Père fouettard 16€
Un mammouth comme animal de compagnie, quelle bonne idée. Un peu encombrant, certes, mais fort sympathique. Sauf que les mammouths sont apparemment des animaux récalcitrants. Et comme, en plus, ils sont assez imposants, forcément, il n’est pas évident de les éduquer.
Ici, le narrateur aux prises avec ce drôle de compagnon est en petit garçon. Et tout de suite, la mère que je suis jubile: Gniark gniark, pour une fois c’est un enfant qui galère pour se faire obéir, tous les parents du monde sont enfin vengés!
Chaque fois que le garçon demande quelque chose à son mammouth, la réponse est NON! Il refuse de ranger, de cuisiner, de se laver. Alors forcément, il faut monter le ton (ah ah, il n’y a donc pas que les parents exaspérés qui se mettent à hurler? Comme il est bon de le lire). Mais, bien entendu, ça ne marche pas (oui, bon, ça va, il fallait bien essayer)
On s’en doute, la relation entre l’enfant et son mammouth n’est pas faite que de conflit. D’ailleurs, dès le début de l’album, on voit l’enfant faire de la balançoire sur la trompe de l’animal, ce qui dément immédiatement le texte qui vient d’affirmer « les mammouths sont énormes et féroces ».
Pour faire le portrait d’un tel animal, il fallait bien une taille d’album hors du commun. Avec un format à l’italienne qui s’ouvre dans le sens de la hauteur, l’image se déploie sur la page du bas alors que le texte occupe celle du haut (seule exception, la double page sans texte, quand l’enfant s’est endormi et que c’est au tour du mammouth de prendre soin de lui).
Et il est bon de donner de la place à l’image qui est très belle et travaillée. Mélange de matières, de dessins, de collages, elle charme par sa précision et ses petits détails.
Terminus, Matt De La Pena, Christian Robinson, éditions des éléphants 13€50
Tous les dimanches, après la messe, Tom et sa grand-mère prennent le bus, jusqu’à son terminus.
Le trajet est, pour le petit garçon, l’occasion d’échanger avec sa grand-mère sur son environnement.
On ne sait pas trop quel âge il a, à vue de nez je dirais entre 6 et8 ans. En tout cas il a le franc parler de l’enfance: il ne s’embarrasse pas de politesse ou de pudeur pour interroger sa grand-mère sur ce qu’il voit.
Pourquoi doivent-ils attendre le bus sous la pluie alors que l’ami de Tom, lui, est raccompagné en voiture? Pourquoi le monsieur ne voit-il pas? Et pourquoi arrivés place du marché, tout est si sale dans les rues, si triste, si moche?
Les inégalités sociales sont mises en évidence par le regard du petit garçon. Mais sa grand-mère porte un regard joyeux et optimiste sur le monde qui l’entoure. Elle répond à son petit fils avec poésie et un brin de fantaisie (Il pleut parce que les arbres ont soif, d’ailleurs il y en a un qui boit à la paille, on prend le bus pour profiter des tours de
magie de Denis, le chauffeur, la saleté des rues met en valeur la beauté du ciel). Et elle ne rate pas une occasion de ponctuer ses réponses d’un éclat de rire, dont la fraîcheur est communicative.
On comprend que le bus s’éloigne des quartiers chics du centre-ville pour desservir les quartiers populaires de la périphérie. Et finalement Tom et sa grand mère se rendent à « leur » soupe populaire, et la dernière image nous montre qu’ils y sont bénévoles et non bénéficiaires. Il y a un cousinage évident entre le travail du grand EzraJeak Keats et ce très bel album, joyeux comme un air de gospel.
Le joyeux abécédaire de Maria Jalibert, Didier jeunesse, 15€90
Souvenez vous, Maria Jalibert avait déjà parlé directement à l’enfant qui est en moi avec Bric-à-brac. Elle explore à nouveau les bacs de jouets de pacotilles pour un nouvel album tout aussi formidable. Cette fois c’est l’alphabet qui servira de fil conducteur.
Chaque double page illustre une ou plusieurs lettre mais ici les jouets sont mis en scène et des petites saynètes mettent en valeur les sonorités de chaque lettre. Ainsi, des fourmis fascinées par des frites côtoient un improbable fuyard sur fer à friser.
On peut longuement explorer cet album, s’amuser beaucoup (voire rire franchement) de situations cocasses, s’interroger aussi, comme à la page de la lettre V où « Tout est vert sauf le ver et le verre », ce qui a laissé perplexe plus d’un enfant à qui je l’ai lu.
On peut bien sûr passer des pages, se promener là dedans sans respecter l’ordre des lettres. Peu importe, quelle que soit la façon dont l’enfant va s’approprier le livre, il en tirera matière à penser. Certains vont même faire le lien avec les objets qui l’entourent, aller chercher aux aussi le bébé en plastique et peut être même le poser sur un bateau ou une brouette, à défaut de lui trouver une bouée. On les entendra parfois reprendre des bouts du texte, répété comme une comptine, juste pour le plaisir des sons (« six sangliers superposés », ça vaut bien les six scies sciant six cyprès des cours de récré).
Bref, chacun y trouvera son compte y compris les adultes qui auront peut être une bouffée de nostalgie en retrouvant des jouets de leur passé.
Le bain est presque prêt. L’enfant qui va sans doute le prendre a laissé la porte entrouverte, on peut apercevoir ses jouets sur le rebord de la baignoire. A coté du flacon de savon, l’eau coule. Mais c’est quand on s’approche qu’on se rend compte qu’on frôle la catastrophe: Berk le doudou est en équilibre instable au bord de l’eau. En une seconde, c’est le drame. Plouf, le voilà dans l’eau. Panique chez les jouets de bain. Penchés au-dessus de l’eau, ils s’affolent: « Berk se noie! »
Drago le dragon va se jeter à l’eau pour sauver Berk mais elle est trop chaude pour lui. C’est au tour d’Aspiro, l’éléphant, de jouer les héros. Quel maladroit, il flanque le shampoing sous le jet, la mousse envahit tout, pauvre Berk, il disparaît sous un océan de bulles.
Les péripéties s’enchaînent, les jouets de bain ne manquent pas de bonne volonté mais ils rivalisent de malchance. Pendant ce temps, Berk essaye désespérément de dire quelque chose. Dans l’urgence, personne ne le comprend (il faut dire que ce canard à bien du mal à parler la bouche pleine d’eau).
Quel formidable terrain d’aventure que cette salle de bain, dessinée tantôt en gros plan, tantôt en contre-plongées vertigineuses, quel dynamisme dans ces tourbillons d’eau et ces volutes de mousse. Les petits personnages de plastiques sont attachants et terriblement expressifs, j’ai un faible pour trouillette, la tortue qui, au comble de la panique nous fait une remarquable imitation du cri de Munch.
A noter: Il existe une suite tout aussi irrésistible: La nuit de Berk.
Mamie coton compte les moutons, Liao Xiaoquin, Zhu Chengliang, HongFei
Elle a l’air bien douillette la maison de Mamie coton, on sent qu’il y fait bien chaud, malgré le vent qui souffle dehors. Mais Mamie coton ne parvient pas à s’endormir. Sur le bord de la fenêtre le chat repose paisiblement, le poêle est éteint, la pièce est plongée dans la pénombre. Un mouton, deux moutons, trois moutons… Rien à faire, le sommeil ne vient pas. C’est qu’avec le vent le loquet de la porte n’arrête pas de grincer, il faut arranger ça.
Lumière, la pièce est maintenant baignée de jaunes ocres. Mamie coton arrange la porte, en profite pour graisser les gonds, et allume le feu du poêle.
Retour au lit et aux tons bleus gris. Un mouton, deux moutons… Il fait froid dehors, il faut rajouter de la paille dans la niche de Petit Jaune. Mamie coton se relève, nouveau changement de palette chromatique.
Dans son lit, elle compte, inlassablement, les petits moutons qui envahissent la page. Mais il y a toujours une nouvelle raison de se lever, pour prendre soin des plantes ou pour une petite promenade au clair de lune. On ne la sent pas inquiète, même assez sereine mais décidément, il y a quelque chose qui l’empêche de dormir.
Et quand, finalement, Papi coton rentre, on comprend que c’était pour lui faire du thé que l’eau chauffait sur le poêle. Et quand il lui suggère de compter les moutons pour s’endormir, elle répond que c’est une bonne idée et se couche, cette fois pour toute la nuit.
Quelle tendresse dans cette réponse, quel amour serein que celui qui est montré là. C’est beau, c’est doux, c’est rassurant, cette histoire où une vieille dame attend pour s’endormir de savoir son vieux de retour.
C’est rare un album qui présente des adultes qui ne soient pas des parents. Encore plus rare quand ce sont des personnes âgées. J’ai eu un vrai coup de cœur pour la tendresse de cet album, qui incite les enfants à s’identifier à une personne si éloignée d’eux. Mamie coton compte les moutons est un vrai feel good book.
Message important, Gabriel Gay, école des loisirs, 12€20
« Wou Wou », un chien hurle à la lune. Pin pon, pin pon, l’ambulance file à vive allure. L’image, en contre-plongée, nous montre un plan d’ensemble. On voit l’ambulance s’éloigner du chien. Il la suit d’ailleurs jusqu’à l’hôpital, mais les grilles sont fermées, il ne peut pas transmettre son message important à son jeune maître.
Heureusement, un chat passe par là et propose de faire le messager. Alors que la tension est à son comble la teneur du message détend tout de suite les jeunes lecteurs: « Ouaf! Viens jouer avec moi! » implore le chien.
Nous suivons ensuite le trajet du chat qui est investi de la mission. Mais il atteint rapidement ses limites: il ne peut passer le mur d’enceinte. Une souris passe par là, c’est donc à elle que le chat va confier le message important: « Ouaf, viens jouer avec miaou ». Généralement, à ce stade là, les enfants ne remarquent pas que le message est déformé. Mais quand le rongeur, à son tour bloqué par une grille, transmet à une fourmi le message suivant « Ouaf, viens chouii avec miaou », ils commencent à se douter de quelque chose.
La chaîne se poursuit et grâce à la solidarité d’animaux de plus en plus petits (et de plus en plus improbables), le message finit par pénétrer… Directement dans le corps de l’enfant. Où il aura un effet tout à fait inattendu et salutaire.
L’enfant finit par ressortir guéri et bien sur, il retrouve son chien.
J’aime assez l’idée que l’enjeu ici n’est pas la guérison. Rare sont les albums qui prennent pour décor un hôpital sans que ce soit le sujet principal de l’histoire. En faisant passer cet aspect au second plan, ce livre réussit à dédramatiser le thème de la maladie avec humour et légèreté.
Sur le blog collectif à l’ombre du grand arbre (que vous connaissez j’espère) nous ne chômons pas l’été. Nous publions tous les lundis des mois de juillet et août des billets sur un thème commun. L’an dernier, nous avons ainsi proposé des billets épistolaires, chaque carte postale étant l’occasion de parler d’un ou plusieurs livres.
Cette année, nous avons décidé d’explorer un sujet oh combien casse gueule mais qui se doit d’être posé. Quand l’idée a surgit, avouons le, on n’en menait pas large. Avons nous la légitimité pour répondre à cette question? En serions nous capable?
Et puis, nous nous sommes lancées. Parce que, après tout, on se la pose quotidiennement cette question, pour écrire nos billets et pour choisir les livres qui seront chroniqués. Qu’est-ce qu’un bon livre pour enfant?
Si, bien entendu, nos choix sont avant tout intuitifs et dictés par le plaisir que nous avons avec un livre, il faut avouer qu’avec le temps nous finissons par savoir ce que nous cherchons dans un livre, ce qui nous accroche.
Alors, chacun avec notre sensibilité et notre personnalité nous avons développé un aspect de cette question.
J’ai beaucoup aimé rédiger mon billet sur ce sujet. J’ai encore plus aimé découvrir les billets des autres membres du collectif.
Je pense que c’est la pluralité des points de vue, qui se complètent et s’enrichissent, qui fait la qualité de cette série de billets.
Nous n’avons évidemment pas la prétention d’être exhaustives et nous savons qu’il y a encore bien des critères à explorer. N’hésitez pas d’ailleurs à nous faire part des vôtres en commentaires.
Voilà donc la liste des billets publiés cet été:
Des livres qui font penser les enfants (celui que j’ai écrit): Il y a des livres qui divertissent et il y a ceux qui font cogiter. Parce que le texte et l’image ne disent pas tout à fait la même chose, parce que tout n’est pas dit, parce que l’auteur laisse une place à l’interprétation.
Des livres qu’on a envie de relire (Par Pépita, du blog mélimelo de livres) C’est un des droits des lecteurs, selon Daniel Pennac, et c’est une nécessité pour les plus jeunes lecteurs. Mais certains livres se prêtent particulièrement à la relecture, parce qu’ils sont tellement riches qu’on a besoin de temps pour tout découvrir, parce qu’ils permettent une identification rassurante ou… Juste pour le plaisir.
Des livres aux personnages forts (Par Bouma, du blog un petit bout de bib) Que serait un livre sans personnage? Ils sont la voie d’entrée, la clef du livre, ce sont eux qui permettent l’identification du lecteur.
Des livres qui ont un titre alléchant (Par Carole, du blog 3 étoiles) avec le point de vue de Gilles Bachelet, Cécile Roumiguière, Alice Brière-Haquet, Maryvonne Rippert, côté écrivain, et Tibo Bérard et Brune Bottero, côté édition.
J’espère que ces billets vont vous intéresser autant qu’il m’ont plut, en tout cas je suis vraiment heureuse et fière de faire partie de cette bande de passionnées qui font vivre le grand arbre.
Manifestement, Petit Ours n’est pas rassuré. Couché en boule dans les fougères, il ne veut pas se lever.
Grand(e) Ours(e) qui l’accompagne (son père? Sa mère? L’histoire ne le dit pas, à chacun d’imaginer ce qui lui convient) l’enveloppe et le câline tendrement en lui demandant ce qui se passe.
Petit ours, tout penaud, annonce: « Je ne veux pas aller à la rentrée des classes ». Et comme Grand(e) Ours(e) le laisse poursuivre, il exprime toutes ses craintes.
A ses angoisses, Grand(e) Ours(e) répond par des gestes rassurants. Il lui tend son cartable, lui cueille des baies, lui donne la main.
Pas de morale ni d’injonction dans le discourt de l’adulte, il est à l’écoute et en empathie.
Mais c’est surtout son attitude physique qui est rassurante. Les deux ours font le chemin vers l’école en jouant, en mangeant (miam, le saumon fraîchement pêché) et ils sont peu à peu rejoints par d’autres écoliers: Renards, cerfs, lapins et souris font le même trajet qu’eux.
Ce premier album de Fleur Oury est une réussite totale. Les illustrations au feutre sont belles et touchantes, elles fourmillent de détails qui font le bonheur des enfants. Elles sont d’une grande fraîcheur et d’une grande tendresse. Sans appuyer son propos l’autrice parvient à rassurer le jeune lecteur et à émerveiller les parents.
onte Le grand méchant Graou, Ingrid Chabbert, Guridi, samir éditions 12€
Qu’est ce qui fait qu’on est méchant? A part Kirikou, personne ne se pose la question, généralement on est méchant parce qu’on est né comme ça, point. Le grand méchant Graou, lui, il est méchant parce que c’est ainsi que tout le monde l’imagine.
Certes, personne n’aurait l’idée d’aller vérifier ça de près, on évite même de prononcer son nom alors aller le voir, vous n’y pensez pas!
Mais se réputation le précède, et même si de lui on n’aperçoit qu’un bout de pelage noir ou des traces de pattes, on comprend tout de suite qu’il ne faut pas s’y frotter.
Mais dès qu’il est montré le lecteur comprend que ce pauvre Graou n’est pas aussi belliqueux que sa réputation le laisse entendre. Son regard fixe vers nous suscite immédiatement l’attachement (il est fort Guridi, pour faire passer tant d’émotions dans deux simples ronds blancs sur la silhouette noire).
Les humains d’un coté, la bête dite « sauvage » de l’autre, chacun campe sur sa position tout en évitant la confrontation. Comme il est confortable parfois de s’installer dans la peur de l’autre, de se replier sur soi même.
Heureusement, il y a les enfants. Eux peuvent s’extirper des préjugés. La fillette qui va à la rencontre de Graou veut se faire sa propre idée. Gentil, méchant? c’est difficile à affirmer avec certitude, il faut dire qu’il a adopté certains réflexes à force d’être ostracisé.
Mais la fillette a apporté quelque chose avec elle. Un cadeau pour Graou. Un objet de nature à révéler ce qu’il y a de civilisé en lui. A faire fuir la sauvagerie. Un livre.
Une jolie histoire d’amitié, sur trame de petit chaperon rouge, servie par des illustrations minimalistes et touchantes et un texte qui marche, lui aussi, à l’économie.
L’ascenseur de petit paresseux, Tomoko Ohmura, école des loisirs, 12€20
Il n’est pas bien rapide, petit paresseux, il est même carrément du genre à aller doucement le matin et pas trop vite l’après-midi.
Mais il a de bonnes idées. Aujourd’hui, il fait très chaud. Et son idée c’est de prendre un bon bain pour se rafraîchir. C’est rare qu’il quitte le haut de l’arbre qu’il habite. Il commence sa descente, doucement doucement, et en chemin il rencontre ses amis les autres habitants de l’arbre.
Aigles, écureuils volants, singes et autres koalas sont également partants pour une bonne baignade. Ils filent vers le bas de l’arbre alors que petit paresseux poursuit son chemin tranquillement mais sûrement.
En chemin il aperçoit des fruits. C’est que le chemin a été long, il a une petite faim. Oups, le voilà qui glisse et le rythme s’accélère soudain, ses amis le voient chuter avec inquiétude. Ouf, en bas la mare amortit le choc, il peut enfin profiter du bain avec ses amis. Mais en fin de journée, comment remonter? La solidarité entre animaux va lui permettre d’arriver avant la nuit. Je vous laisse découvrir vous même comment (non, la réponse n’est pas vraiment contenue dans la couverture)
Les animaux tout en rondeur de Tomoko Ohamura ont toujours un grand succès avec les enfants, ils sont attachants et sympathiques.
Le format en hauteur, avec une page qui se déplie en fin d’album et créé la surprise fonctionne très bien en lecture en petit groupe comme en lecture individuelle.