Franchement, je vous pose la question, est-ce bien sérieux de rigoler avec la mort? D’en faire un jeu?
Probablement pas, mais pour penser les grandes questions du monde, on ne peut pas toujours être sérieux. Je dirais même qu’un peu de légèreté peut être tout à fait salutaire pour mieux aborder les sujets difficiles.
Suzy, Joséphine et Barnabé, trois petits canards, jouent dehors. C’est Joséphine qui propose de jouer à faire maîtrisent pas les règles de
C’est pourtant grattouille ça peut être un peu difficile, mais au moins, quand on est mort, on n’a pas besoin de manger des brocolis, amis discutent tout en jouant. Quand Barnabé évoque une connaissance qui est morte pour de vrai, l’émotion s’invite dans le jeu. Avec leur logique enfantine, ils évoquent en vrac le fait d’être enterré “comme un trésor”, s’interrogent sur morts, etpoursuivent leur jeu, dans lequel Joséphine est imbattable!
C’est un album étonnamment serin et joyeux, avec ses couleurs chaudes et lumineuses, certaines pages sont plus émouvantes, ce sont celles où un des protagonistes, en gros plan, est en pleine réflexion montrant à travers les jeux, dans la lignée d’Anton et avant lui de cette bande de mouflets qui s’amusent à faire des enterrements comme des grands. Outre les couleurs et la délicatesse du trait, le format à l’italienne incite à penser le fil de la vie comme une continuité, les trois petits canards ont encore un bon bout de chemin à faire avant d’en voir la fin!
La petite mémé futée, Eric Battut, Didier jeunesse, 2022, 13€90
C’est une petite mémé à l’ancienne que nous rencontrons dans ce joli album. Bouille ronde, joues roses, fichu sur la tête, elle porte un tablier et semble vivre (presque) seule. Mais il n’est pas question ici d’une solitude triste, elle affiche un air très serin.
Un matin, alors qu’elle admire son jardin, la Grande Mort pour l’emmener loin loin loin.
Mais la petite mémé ne peut pas partir tout de suite, elle doit nourrir ses poules avant le départ.
Et il y a les légumes du potager à récolter. De quoi préparer un bon repas, à partager avec la Grande Mort.
Celle-ci a une forme fantomatique mais affiche un sourire doux et elle finit par poser sa faux, qui semble l’encombrer plus qu’autre chose, pour savourer les mets préparés par la petite mémé futée.
Je l’ignorais mais manifestement, la mort est une bonne vivante. Et elle semble de bonne compagnie. Il faut les voir toutes les deux à table, têtes tournées vers le lecteur, comme posant pour une photo souvenir, le chat à leur pied, le balais de la mémé posé contre un mur tout comme la faux. On dirait qu’elles passent un bon moment.
Passée la pause déjeuner, la petite mémé se remet à s’affairer, au point que quand le jour décline la Grande Mort préfère remettre son projet à plus tard, c’est seule qu’elle repart loin loin loin, elle reviendra plus tard… Sans doute. Mais l’album ne le montre pas.
Cette histoire est très tendre et résolument optimiste. La petite mémé semble sortie d’un autre temps mais pleine d’énergie, elle respire l’éternité.
Le chat noir qui la suit partout ne semble pas lui porter malheur, il lui tient discrètement compagnie.
Malgré la grande sérénité qui se dégage de cet album, il recèle quelque chose d’étrange, qui semble échapper au lecteur.
La grande maison totalement isolée, dont le mur d’enceinte change d’une page à l’autre, la treille de fleurs noires qui semble vivante à l’arrière plan, jamais tout à fait au même endroit, les poissons rouges dans le bocal mis en valeur à l’avant plan de l’image, alors que plus loin le chat renifle dans sa gamelle une arrête. De très nombreux éléments de l’image semblent avoir un peu plus à raconter que ce que dit le texte.
J’aime assez qu’un livre résiste un peu à la compréhension, qu’on se demande ce que l’auteur a bien voulu dire ou montrer à demi mots.
Je pense que ce sont des éléments qui enrichissent la lecture, et qui ne perturbent pas du tout les enfants. Ils sont habitués à essayer d’échafauder du sens en fonction de ce qu’ils voient ou entendent, à faire des hypothèses, à tâtonner. C’est même comme ça qu’ils apprennent. Et ce qu’ils apprécient d’un livre c’est l’impression générale qui s’en dégage autant que ce qu’ils en comprennent.
Moi j’attends, Davide Cali, Serge Bloch, sarbacane, 2005, 15€
Est-ce que la vie est faite d’attente? De promesses que l’on espère, de moments plus douloureux que l’on redoute?
Cette impatience qui nous donne envie de tourner la page, pour savoir de quoi demain sera fait est le prisme choisi par les auteurs pour nous offrir un récit de vie.
Il y a d’abord l’attente joyeuse de l’enfant, cette pulsion vitale qui le pousse vers l’avenir: Il attend de grandir. Puis le bisou du soir, puis que Noël arrive, puis une rencontre…
Avec un long format à l’italienne, l’album évoque un traveling cinématographique, dans lequel le personnage grandit au fil des pages.
Il est esquissé d’un trait de plume noir, dans un décor minimaliste mais fortement évocateur.
Un fil de laine rouge offre une continuité à l’ensemble. Il est doudou, gilet, écharpe. Il créé du lien quand il est cordon ombilical ou qu’il relie le protagoniste à sa bien aimée. Il s’effiloche parfois, mettant la fragilité du personnage en avant mais devient au contraire solide et épais quand il le rattache fermement à la vie, par exemple quand l’image s’accompagne du texte J’attends… Un bébé.
L’histoire ne nous épargne pas les moments sombres, les disputes, le deuil, la solitude. Car ainsi va la vie. Et quand soudain les mots manquent, l’image seule, porte l’histoire. Mais les mots reviennent, et le cycle de la vie continue.
Moi j’attends est un livre d’une grande justesse, très subtil et chargé en émotion. Comme pour compenser cette pesanteur, l’image et le texte se font tout légers, laissant une large place au blanc de la page. Dans cette légèreté se niche de la tendresse et de l’humour.
C’est ce que l’on appelle dans le jargon des libraires ou bibliothécaires un “livre de fonds”. C’est à dire un livre que l’on va garder en rayon au delà des modes et des périodes, que l’on ne va cesser de faire connaitre, qui correspondra très souvent aux demandes des lecteurs.
Pourquoi certains albums comme celui là vont ainsi résister au temps? Sans doute en partie en raison de l’universalité de l’histoire, et d’une illustration intemporelle. Depuis sa création, il a été réédité plusieurs fois (avec des modifications de couvertures) et il rencontre toujours son public.
Des enfants mais aussi beaucoup des adultes. C’est un album que l’on apprécie à tout âge.
Moi j’attends est est également une application et un film d’animation, réalisé par Claire Sichez, avec la voix d’André Dussolier.
C’est l’histoire, Corinne Dreyfuss, Charlotte des Ligneris, Seuil jeunesse, 2021, 13€90
C’est une histoire qui touche à sa fin, on s’en rend compte dès le début de l’album. Le texte donne des indices: “C’est l’histoire d’une petite vieille. Une petite vieille très très vieille et tout usée.” Sur l’image, les couleurs évoquent le soleil couchant. Le ciel occupe la partie supérieure de la page, donnant une impression d’immensité et de liberté, accentué par les oiseaux qui le parcourent. En bas de pages, les immeubles sont massifs.
Zoom sur l’un d’entre eux, celui où vit la vieille dame qui, à présent, tire les rideaux. C’est celui qui occupait le centre de la page précédente, d’un beau jaune soleil, avec une ombre grandissante qui lui mangeait une partie de la façade. Chaque détail à son importance et participe à sa façon au récit, chaque élément permet d’anticiper sur la fin de l’histoire.
Chez les voisins de la vieille dame, la vie bat son plein.
Ici c’est un couple qui s’installe, un bébé naîtra bientôt. Là, il règne une joyeuse agitation, on danse, on fait du skate, on joue de la guitare. Une colocation de jeunes sans doute, ou une bande d’amis réunis pour la journée. En dessous, c’est la vie de famille qui est représentée. De tout cela, le texte ne dit rien.
Il s’attache à décrire les actions de la vieille dame, qui a décidé de se coucher. Le rideau est désormais clos, il faut soulever un cache pour voir ce qui se passe derrière. Mais aucune action n’est représentée, seulement son résultat: La chaise, le lit, et les vêtements qui d’une page à l’autre vont s’entasser sur la chaise. C’est la vieille dame qui se déshabille, dans l’ellipse entre chaque page.
Des gestes précis et organisés d’abord, puis un peu moins, comme si même pour cette action toute simple de se mettre au lit, l’énergie l’avait quittée.
La façade de l’immeuble s’efface sous les nuages, comme si petit à petit la vie s’éloignait.
Puis dans trois très belles doubles pages qui se déplient l’image montre les flash-bac de la vie de la vieille dame, alors que le texte reste centré sur son coucher. Son dernier souffle est évoqué tout en douceur. Et son histoire est finie.
Quelle beauté, quelle tendresse, quelle justesse dans cet album. Le lien entre le texte et l’image est si finement travaillée, l’évocation de la mort tellement bien amenée.
C’est un livre apaisant, que l’on relit avec plaisir. C’est d’ailleurs souvent à la deuxième lecture seulement que l’on voit vraiment la couverture. Car lire une couverture d’album, ce n’est pas seulement en déchiffrer le titre ou le nom des auteurs, c’est aussi en comprendre l’image.
Le chien, le lapin et la moto, Kate Hoefler, Sarah Jacoby, éditions des éléphants, 2021, 14€
On ne sait pas pourquoi Lapin n’a jamais quitté son champ, en bordure de route. Pourtant, toutes les nuits, il en rêve.
Chien, lui, est un aventurier. Sur sa moto, il a parcouru le monde. Maintenant qu’il est trop vieux pour cela, il raconte à Lapin ses multiples voyages. Des récits si vivants que Lapin à vraiment l’impression d ‘y être.
Tous les jours, il fait vivre à Lapin des histoires imaginaires.
Jusqu’au jour de la mauvaise histoire, qui laisse Lapin seul et triste.
Chien ne viendra plus, mais il a légué sa moto à Lapin.
Le temps s’écoule dans le champ de Lapin. Les saisons se succèdent. Lapin a besoin de temps pour faire son deuil. Il a peur de l’inconnu. Il faut du temps avant que finalement, la route, celle là même qui borde son champ, l’appelle.
Quand il enfourche la moto de son ami disparu, il souhaite seulement aller au bout de la route. Il ne sait pas alors que certaines routes sont longues, très longues.
Quelle belle histoire d’amitié, de voyages et de réalisation de soi!
C’est avec énormément de douceur que la mort de Chien est évoquée, et que l’appel de la vie se fait sentir pour Lapin. Il y a ce qu’il faut de tristesse, pas trop bien sûr, mais elle est là quand-même. Comme la vieillesse, évoquée en début d’album.
Mais finalement, ce qui domine, c’est cette incroyable liberté que Lapin va découvrir. La grandeur et la beauté du monde, sa variété aussi.
Le format à l’italienne et les images pleine page permettent aux très belles illustrations de se déployer. Les paysages ont des couleurs chatoyantes, ils semblent immenses et irrésistiblement attractifs.
A l’inverse, les pages qui évoquent le deuil et le chagrin de Lapin sont sombres et froides. Même les fleurs penchent la tête.
Chaque sentiment est évoque avec finesse, jamais trop appuyé. Vraiment un bel album.
Ils marchent, la tête basse, le regard sombre. Ils se dirigent vers un ailleurs qui n’est pas visible. Ils sont tous différents, lièvres, éléphant, girafe. Mais ils empruntent la même route, réunis par l’exil. Parmi eux des enfants, des vieillards. Et la mort qui les accompagne.
Elle porte une jolie cape fleurie, elle n’a pas l’air cruelle. Mais elle est là. Nul ne peut l’ignorer.
Le groupe fait parfois halte. Un peu de répit pour dormir, pour manger. Puis il faut repartir, les corps usés doivent se mettre en mouvement.
Autour d’eux le décor est très hostile, le noir est partout, les arbres nus semblent menaçants. Malgré l’épuisement palpable, on prends soin les uns des autres. Mais la route est fastidieuse.
Soudain, le rythme s’accélère, le groupe a vu la mer, une fragile embarcation les attends. Et la mort est toujours là.
De l’autre côté de la mer, l’un des leurs est inanimé. La mort fait ce qu’elle a à faire.
C’est incroyable à quel point les images de cet album sont fortes. Il y a quelque chose de paradoxal entre la beauté du trait et la dureté de l’histoire. Sans aucune parole, avec une implacable sobriété, les faits sont là. Des gens fuient, ils ont froid, ils risquent leur vie. Ils savent la mort parmi eux, ils savent que le but est miséreux. Mais ils avancent. Parce qu’ils ne peuvent rien faire d’autre.
Quand on partage la lecture de Migrants avec un enfant, les émotions qui le traversent sont palpables. C’est le genre de livre avec lesquels je ne peux travailler que les jours où je sais que je suis solide, les jours où je suis disponible pour accompagner avec des mots si nécessaire.
J’ai encore peu eu l’occasion de le lire (beaucoup de lieux où je travaille habituellement sont fermés actuellement) mais chaque enfant qui l’a choisi a semblé véritablement touché par ces images. Avec ma cadette de 10 ans, il donne lieu à de grandes conversations à chaque lecture. Quant à moi, je suis toujours aussi touchée par cet album, qui dit en image tout ce que je n’arrive pas à exprimer ici par mes mots.
Les top trois de Théo, Wendy Meddour, Daniel Egnéus, little urban 14€
Théo est un garçonnet enjoué, plein de vie et… Bavard. Il jacte sans cesse, mais quand il est avec son grand-père, son babillage reste sans réponse. Selon maman, le vieux monsieur a besoin de temps. Alors Théo lui laisse du temps.
Six minutes exactement.
Puis il lui propose une tartine et au passage, il lui fait son top trois des tartines: Chocolat, confiture de framboise et fromage fondu (mais pas en même temps j’imagine). Papy à l’air à peine moins accablé quand il murmure son propre palmarès (rillettes de saumon, caramel au beurre salé, omelette et salade).
C’est donc en dégustant une tartine que le jeu se poursuite “papy, c’est quoi ton top trois des méduses?”
Petit à petit, papy reprend du poil de la bête, l’énergie joyeuse de son petit fils est contagieuse. Sur l’image, il ne garde plus le regard baissé, il se prend à sourire.
Dès le début de l’album, la tristesse du vieil homme est aussi palpable que l’insouciance de l’enfant. Mélancolie? Dépression? Le doute est levé quand Théo demande à son papy quel est son top trois des mamies.
L’homme évoque alors celle qui, semble-t-il, est récemment disparue. “Mamie qui dansait au clair de lune, qui arrosait ses rosiers… Et Mamie quand elle t’a pris dans ses bras pour la première fois”. On ressent le soulagement emprunt de tristesse quand le chagrin peut enfin s’exprimer.
Autant que le deuil, c’est le lien intergénérationnel qui est évoqué ici.
C’est sans grand discours que Théo parvient à aider son grand-père, juste en étant lui même, un enfant guilleret, qui garde le cœur léger.
J’apprécie les histoires qui traitent des thèmes difficiles avec légèreté, ou délicatesse, qui n’en font pas le point de mire unique du récit.
Les images, comme l’histoire, sont touchantes et sensibles, le grand-père est particulièrement expressif. Dans cet album, on effleure le chagrin, sans s’y complaire.
Au moment d’écrire mon billet sur cet album, je repense aux dix droits du lecteur, dont je vous parlais la semaine dernière.
Et plus particulièrement au dernier, le droit de se taire. Ce livre, je l’ai depuis plusieurs semaines, je le lis beaucoup et, foncièrement, je n’ai pas envie de le commenter.
Quand je lis un livre à un enfant, souvent je rêve de savoir ce qu’il en pense, j’ai envie de savoir comment cette histoire à raisonné en lui, comment il l’interprète. J’ai envie de savoir si cette lecture fera de lui un enfant un peu différent de ce qu’il était avant.
Parfois, les bambins me font un beau cadeau, ils me disent ce qu’il en est. Mais, la plupart du temps, ils restent silencieux. Et je ne les interroge pas, je respecte bien trop le droit de se taire. La lecture est une expérience de l’intime, l’effet que produit le livre sur les enfants leur appartient, ça ne me regarde pas, je n’ai plus qu’à gérer cette frustration, ça fait partie du boulot.
Alors pourquoi moi je suis obligée d’en parler, hein? Moi aussi j’ai fait une expérience intime à la lecture de cet album, il a suscité en moi des émotions, des réflexions que j’ai bien envie de garder pour moi.
Mais voilà, en tant que blogueuse, comme en tant que formatrice en littérature enfantine, il faut bien que je le commente un minimum. Je ne peux pas me contenter de dire il est super, achetez-le, lisez-le, et voilà.
C’est qu’on attend de moi un minimum d’analyse, se contenter de dire qu’on l’a aimé c’est bien gentil mais ce n’est pas digne d’une critique qui se veut un peu professionnelle. Bon. Alors c’est parti, je me prête au jeu du commentaire de texte, de l’analyse de l’image, du décorticage de l’œuvre. Mais, autant vous le dire tout de suite, tout cela ne reflétera en rien les qualités de l’album, cette chronique est vouée à être décevante. Pour moi au moins.
Cavale est un étrange petit être, tout en jambes (dix au moins!). En permanence, il court. Il ne court pas derrière le bonheur, ni la fortune, ni un objectif quelconque. Il court devant. Il fuit. Il sait que Fin est à ses trousses, et cela depuis toujours.
Il a déjà fait maintes fois le tour de la terre, sans jamais vraiment la voir.
Un jour, dans sa course folle, il se heurte à Montagne. Elle est d’une immobilité de marbre. Elle ne reste pas ainsi immobile par paraisse, ni par gout pour la contemplation. Elle se cache. Elle sait que Fin la recherche. Et cela depuis toujours.
Tout les oppose, tout les rassemble, il faudra deux fois mille ans à ces deux là pour trouver le rythme commun. Enfin à l’unisson, ils découvrent ensemble le bonheur d’être dans le monde, sans fuir ni se cacher. Alors l’amour s’invite et un petit être arrive. Cavale et Montagne décident de le baptiser Maintenant. C’est ce petit bonhomme de la couverture. Il est aveuglé par le chapeau de son père, il semble partager l’immobilité de sa mère, mais y a une grande force dans sa posture, on devine en lui un petit quelque chose de Kirikou.
Plus que de la peur ou de la mort, tout das cet album nous parle de notre rapport au temps.
Le séquençage même du livre, avec parfois une alternance entre les pages de texte et celles d’image, qui nous incitent à prendre le temps pour regarder, décrypter, ce qui est montré.
La mise en page aussi avec des vignettes, des images cadrées et d’autres à fond perdu, qui nous incitent à modifier notre rythme de lecture.
Les illustrations de Rebecca Dautremer se situent volontairement hors du temps, intemporelles, entre autre grâce à l’utilisation de tons sépias qui évoquent de vieilles photographies.
Elles se situent volontairement du coté du symbolique plutôt que du démonstratif, tout comme le texte.
L’ensemble peut donc rester mystérieux pour les enfants, j’en ai vu plusieurs écouter en silence, parfois à plusieurs reprises, cet album qui est pourtant long. Qu’en ont-ils pensé? Que va-t-il en rester? Ah, fichu droit du lecteur, ils ne m’ont pas livré leurs impressions. Mais je ne doute pas qu’ils en soient sortis grandis, et qu’ils y aient puisé des éléments de réflexion.
Raoul, T’aurais pu prévenir avant de partir, Michel Van Zeveren, Pastel, 13€50
Il y a des livres qu’on attend avec une légère appréhension.
Ok, le premier était parfait, le second pas décevant, mais y a-t-il vraiment un filon pour en faire un troisième opus?
Là en plus, j’avoue que j’étais un peu sceptique sur le thème central de l’album.
Dans cet épisode, Raoul perd son grand-père. Son papipa avec le quel il avait une relation amicale et pleine de tendresse dans Mais c’est une fille.
J’étais pas trop chaude pour le voir mourir moi, ce personnage là, je m’y étais attachée. Et puis, disons le, j’avais peur du côté pathos qu’il n’est pas facile de tenir à distance quand on aborde le deuil avec les enfants.
Mais comme le titre prêtait à sourire, j’ai tout de même voulu le voir.
Première bonne surprise, la mort du grand-père n’est pas le seul sujet de l’album. De même que la naissance de Louna n’est pas prépondérante dans l’opus précédent d’ailleurs.
Nous retrouvons donc toute la famille, dans des petits moments de la vie quotidienne et nous découvrons que la petite dernière à bien grandit. Raoul à toujours un sens certain de la répartie et ses parents sont toujours aussi bienveillants.
Et puis, dans cette vie tout à fait normale, survient la mort, tout aussi banale. Voilà, papipa est parti alors qu’on pensait justement à lui hier, c’est con, la mort, hein.
Il y a le temps du deuil et les larmes qui restent en dedans, il y a l’enterrement, à peine évoqué, et puis il y a l’imagination de Raoul qui fait revenir ce papi parti trop vite pour l’engueuler. Parce-que, voilà, quoi, il était pas prêt à perdre son grand-père notre loupiot préféré.
Il y a la délicatesse du trait et l’humour des situations qui donnent une grande légèreté à ce sujet si lourd.
Et puis il y a tout le reste de la vie, papa qui ronfle, le gâteau au chocolat mangé trop vite, la neige dans le jardin.
J’ai déjà déploré ici que les livres qui abordent la mort ne soit généralement proposés aux enfants que lorsqu’ils sont concernés.
J’espère qu’avec ce livre-là on évitera cet écueil, qu’il trouvera sa place dans les bibliothèques des bambins juste parce que c’est un chouette livre et qu’ils auront plaisir à le lire. Et je ne doute pas que le jour où ils seront confrontés à la mort, pouvoir se référer à ce livre les aidera, au moins un peu.
Lettres à mon cher grand-père qui n’est plus de ce monde, Frédéric Kessler, Alain Pilon, grasset jeunesse 13€90
Nous retrouvons dans cet album Thomas, dont nous avions déjà partagé les interrogations et inquiétudes lorsqu’il écrivait à son futur petit frère.
Cette fois encore nous avons affaire à un album épistolaire. Mais ici les courriers de Thomas restent sans réponse.
C’est avec toute la candeur de l’enfance qu’il va petit à petit comprendre ce qu’est véritablement la mort et nous le donner à voir à travers sa prose, toujours juste et touchante.
Il y a d’abord un sentiment d’agacement. Ce grand-père qui décède quelques jours avant Noël, quelle idée! Et en plus, les lettres qu’on lui écrit reviennent à l’expéditeur. Alors Thomas se renseigne, il comprend que son grand-père repose désormais au cimetière. Qu’à cela ne tienne, il déposera donc ses lettres directement là-bas. Mais il n’obtient pas plus de réponse d’ailleurs son grand-père n’a même pas pris la peine d’arroser les plantes. On dirait bien que depuis qu’il est mort, on ne peut plus vraiment compter sur lui!
Entre deux missives, Thomas cherche à comprendre. C’est que cette histoire de mort, ce n’est pas très clair.
On ne voit jamais d’adulte pour accompagner l’enfant dans son deuil. Mais on comprend qu’ils sont tout de même présents et qu’ils répondent aux multiples questions qu’il se pose entre deux missives.
Ainsi, petit à petit, Thomas expérimente et comprend l’absence, le chagrin, le souvenir. Au fil des lettres il assimile tout le champ lexical qui entoure généralement la mort (Oui, il faut employer les vrais mots et ne surtout pas bannir celui de mort avec les enfants. Mais un concept aussi complexe que celui là mérite bien qu’on le nomme de plusieurs façons, comme c’est le cas dans cet album).
Du rire aux chagrin, de la naïveté à la compréhension, Thomas fait son chemin avec subtilité.
Comme dans le premier album, toutes les notions clés sont abordées ici. Les rituels qui entourent le décès, l’importance du souvenir, le droit d’être triste mais aussi celui d’oublier, le cycle de la vie de génération en génération. Mais, là encore, point de discourt indigeste ou prescriptif. Juste le regard que l’enfant-lui même porte, avec émotion mais sans pathos, sur la disparition de son grand-père.