Chonchon le fée cochon, Stéphane Servant, Laetitia Le Saux, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Je vous le disais il n’y a pas si longtemps, Laetitia Le Saux et Stéphane Servant sont passés maîtres pour égratigner les stéréotypes de genre avec humour, tout en offrant aux mouflets des histoires savoureuses et aux adultes des récits forts plaisant à lire à voix haute. Ils en font une fois encore la preuve ici.
Depuis qu’il est un petit porcelet, Chonchon le sait, un jour, il sera fée. Qu’importe si dans la famille Cochon on est tous des maçons. Qu’importe aussi qu’on lui affirme depuis toujours que fée, c’est un poste pour les filles. Il garde son idée même quand il subit les quolibets des autres dans la cour de récré. Il est doué et motivé et quand il passe le concours d’entrée pour l’école des fées, c’est un succès. Le voilà diplômé, mais à présent, qui le fera travailler ? Personne ne veut se lancer, le voilà bien attrapé.
Jusqu’au jour où… Le plus improbable des clients frappe à sa porte, un peu par malentendu d’ailleurs. Abracadagrouik, la chute, vous ne pouvez pas l’imaginer, mais croyez moi, elle est sympa.
Le ton vif et enlevé du texte est merveilleusement porté par les images où le rose cochon le dispute au rose fluo. Ça fuse, ça décoiffe et ça fait rire autant que réfléchir. Plus largement que le genre, c’est l’identité et l’affirmation de soi qui sont interrogées ici. Quelques références aux contes traditionnels viennent pimenter le tout, sous un jour résolument moderne et farfelu.
On s’attache si bien à ce petit Chonchon qu’on verrai bien une suite à ses aventures.
Un ours un vrai, Stéphane Servant, Laetitia Le Saux, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Revoilà la famille Ours déjà rencontrée sous la plume de ce duo auteur illustrateurs dans le génial album Boucle d’Ours. Et, si Petit Ours a probablement grandi depuis, Papa Ours, lui, n’a pas tellement changé. Inquiet peut-être quant à la virilité de son rejeton, il est très occupé à expliquer à lui expliquer ce que c’est d’être un ours, un vrai. Exemple à l’appui.
Maman Ours, quant à elle est très occupée à porter tout le matos dont la famille a besoin pour leur promenade en forêt.
Et Petit Ours? Bah, il fait sa vie, manifestement plus enclin à lire tranquillement qu’à faire sans cesse la preuve de son courage ou de sa force.
On repère très vite que Papa Ours égraine sans même s’en rendre compte à peu près tous les clichés sur la masculinité, et que Petit Ours n’est pas dans les canons habituels des stéréotypes de genre.
On devine aussi assez bien que le père n’est pas aussi puissant qu’il le raconte et que les anecdotes sur ses prétendus exploits sont sujet à caution. C’est sans doute ce qui nous permet d’avoir tout de même de la sympathie pour lui, ça et l’amour manifeste qui existe entre lui et Petit Ours.
Il va sans dire que la valeureux papa va, en fin d’album, perdre un peu de sa superbe et ne devra son salut qu’à Maman Ours. Nous voilà rassurés, son personnage ne sert pas uniquement à porter sur son mari un regard mi indifférent mi amusé.
Mais c’est Petit Ours qui a le mot de la fin et permet de définitivement déconstruire les stéréotypes de genre par l’humour.
C’est vraiment chouette d’avoir des albums qui portent ce type de message avec tant de fraîcheur et de fantaisie. Et c’est un vrai régal à lire à voix haute grâce au rythme enlevé du texte et aux images pleines de pep’s.
C’est qui les méchants? Stéphane Servant, Lætitia Le Seau, Didier jeunesse, 2023
Dans la petite société des animaux, un drame est survenu. Le chat de la mère Michel a disparu.
Sans perdre une minute les trois petits cochons décident de prendre les choses en main.
Puisque le chat a disparu, c’est donc qu’il a été volé. Et si quelqu’un l’a volé, c’est certainement pour le manger. Imparable. Il faut trouver le coupable et le punir. Voilà.
Évidemment, après un raisonnement aussi simpliste, on ne s’attend pas à ce que les trois cochons agissent de façon très subtile.
Et en effet, ils vont s’appuyer sur des critères douteux pour désigner comme coupable le premier venu.
En l’occurrence, la grenouille à grande bouche. Pourquoi? Ben, parce qu’elle a une grande bouche déjà. Et puis la couleur de sa peau, hein, pardon mais peut-on faire confiance à une personne qui est toute verte? Et qui sent la vase?
Bim bam, boum, la voilà punie. Juste avant d’être disculpée.
Ça ne perturbe pas tellement les trois pourceaux d’avoir rossé une innocente, et ils se remettent immédiatement au boulot… Pour commettre une nouvelle injustice.
Droits dans leurs bottes, contents d’eux (parce que, hé, ils sont du côté du bien eux, du côté de l’ordre et de la sécurité) ils prêtent l’oreille à n’importe quel passant qui leur désigne un coupable idéal.
Benêts comme ils sont, ils mettent un moment à comprendre qu’il n’y a pas de coupable parce qu’il n’y a pas eu de crime. Mais alors, c’est qui les méchants?
comme souvent chez Stéphane Servant l’histoire se présente comme une blague mais met en exergue les travers de notre société.
Ici la tendance à suivre les rumeurs et à se laisser guider par ses préjugés.
C’est très réussi, c’est drôle comme tout et pas moralisateur pour deux sous.
Une grande partie de l’humour repose sur la rencontre avec des personnages connus (la grenouille à grande bouche, le corbeau et le renard, le loup) qui amusera les adultes et les enfants qui connaissent déjà les personnages.
En jouant dans la cour de récré, un enfant trouve une couronne. Il ne lui en faut pas plus pour se proclamer roi. Après avoir adressé quelques compliments au petit peuple qui s’affaire dans le bac à sable, le voilà qui se met à donner des ordres. Pas trop contrariants les mouflets acceptent assez facilement de se prêter au jeu. On fabrique un château de sable, c’est plutôt sympa. Rapidement quelques personnalités se détachent, il y a ceux qui se comportent spontanément en soldats, ne reculant devant aucun zèle, ceux qui rechignent un peu, et les sujets dociles qui ne se posent pas beaucoup de question. Bon, il y a aussi celui qui est resté bloqué sur le compliment fait par le roi et répète à l’envie qu’il est le plus beau. Quand Jacadi a dit de donner son goûter alors qu’il n’a même pas l’appétit suffisant pour tout ingurgiter, ça rechigne tout de même un peu.
Tiens tiens, le vaniteux endosse le rôle de délateur assez spontanément.
Le jeu se poursuit et, sans surprise, le pouvoir monte à la tête du roi qui devient assez rapidement tyrannique et fini par envoyer tout le monde en prison. Suite à quoi le jeu n’est plus tellement intéressant, même pour lui.
Heureusement, les enfants sont tout de même bien plus censés que les adultes, s’ils peuvent reproduire dans leurs jeux les travers des grands ils savent aussi y mettre fin et ne feront pas deux fois les mêmes erreurs.
Le texte court, qui va a l’essentiel, et les enfants croqués sur le vif, très expressifs mettent en valeur la spontanéité des relations.
On retrouve dans cette petite bande de mouflets en liberté un petit air d’Anton, et ici aussi la régulation de leur jeu se fait par le groupe, avec des moments où les enfants peuvent se montrer durs les uns avec les autres mais ce n’est pas bien grave parce que tout ça, au fond, c’est rien que pour jouer.
Le nid, Stephane Servant, Laetitia Le Seau, Didier jeunesse, 12€90
Une petite bourrasque de vent, de celles qu’aurait pu chanter Brassens et hop, voilà le chapeau envolé. Légèrement, il se pose sur une branche dans les cheveux de l’arbre.
Une mésange, puis une autre, s’y intéressent. Ensemble, elles transforment le couvre-chef en nid, un nid plein de douceur et de chaleur, fait de dentelle et de bouts de laine.
Le temps passe, les saisons se succèdent, et un œuf apparait dans le nid.
Sur la page de gauche, juste le texte, minimaliste, presque un haïku à chaque page.
A droite, l’image met les oiseaux en valeur, mais on y voit aussi une foule d’animaux qui accompagnent, au pied de l’arbre, les jolies mésanges.
Textes et images sont également légers, aériens, délicats.
Et puis la naissance survient, le feuillage se déploie alors sur la double page, l’image emplit l’espace. C’est un nouvel équilibre qui se construit, à trois désormais.
Un bel album, qui a été apprécié aussi par Pépita.
Il est tout à fait adorable, ce petit bébé, que son père fait sauter dans ses bras. Il a une drôle de tête, c’est indéniable, toute verte, avec une grande bouche, mais n’empêche, il est adorable. D’ailleurs, il grandit dans une famille aimante, même s’il ne leur ressemble en rien.
C’est à travers la vision des autres que les choses se compliquent. N’avoir ni oreille ni queue, dans une famille de lapin, ça dénote. Dans la rue, les regards se font tantôt fuyants tantôt un peu trop insistants.
Et à l’école, c’est pire encore. Le pauvre petit ne sait prononcer que son prénom, ce qui laisse sa maitresse désemparée et les autres enfants moqueurs.
Gronouyot finit par en être peiné “il avait compris que même si on riait avec lui, on riait surtout de lui”.
Heureusement, l’histoire revient régulièrement sur l’amour qui lui porte sa famille, dans des pages très rassurantes qui le montrent entouré des siens. Le lecteur y puise le courage pour aborder la suite du récit sereinement. Les images d’ailleurs sont colorées, plutôt joyeuses, elles soutiennent remarquablement l’histoire.
Monsieur et madame Lapin cherchent tous les moyens d’aider leur fils. Mais c’est finalement gronouyot lui même qui saura s’affranchir de ses stigmates. Il ne s’agit pas de devenir comme les autres, ni de tendre à leur ressembler le plus possible. Mais bien de s’accepter tel qu’il est. Et c’est la joie de vivre qui triomphe.
Au moment d’écrire mon billet sur cet album, je repense aux dix droits du lecteur, dont je vous parlais la semaine dernière.
Et plus particulièrement au dernier, le droit de se taire. Ce livre, je l’ai depuis plusieurs semaines, je le lis beaucoup et, foncièrement, je n’ai pas envie de le commenter.
Quand je lis un livre à un enfant, souvent je rêve de savoir ce qu’il en pense, j’ai envie de savoir comment cette histoire à raisonné en lui, comment il l’interprète. J’ai envie de savoir si cette lecture fera de lui un enfant un peu différent de ce qu’il était avant.
Parfois, les bambins me font un beau cadeau, ils me disent ce qu’il en est. Mais, la plupart du temps, ils restent silencieux. Et je ne les interroge pas, je respecte bien trop le droit de se taire. La lecture est une expérience de l’intime, l’effet que produit le livre sur les enfants leur appartient, ça ne me regarde pas, je n’ai plus qu’à gérer cette frustration, ça fait partie du boulot.
Alors pourquoi moi je suis obligée d’en parler, hein? Moi aussi j’ai fait une expérience intime à la lecture de cet album, il a suscité en moi des émotions, des réflexions que j’ai bien envie de garder pour moi.
Mais voilà, en tant que blogueuse, comme en tant que formatrice en littérature enfantine, il faut bien que je le commente un minimum. Je ne peux pas me contenter de dire il est super, achetez-le, lisez-le, et voilà.
C’est qu’on attend de moi un minimum d’analyse, se contenter de dire qu’on l’a aimé c’est bien gentil mais ce n’est pas digne d’une critique qui se veut un peu professionnelle. Bon. Alors c’est parti, je me prête au jeu du commentaire de texte, de l’analyse de l’image, du décorticage de l’œuvre. Mais, autant vous le dire tout de suite, tout cela ne reflétera en rien les qualités de l’album, cette chronique est vouée à être décevante. Pour moi au moins.
Cavale est un étrange petit être, tout en jambes (dix au moins!). En permanence, il court. Il ne court pas derrière le bonheur, ni la fortune, ni un objectif quelconque. Il court devant. Il fuit. Il sait que Fin est à ses trousses, et cela depuis toujours.
Il a déjà fait maintes fois le tour de la terre, sans jamais vraiment la voir.
Un jour, dans sa course folle, il se heurte à Montagne. Elle est d’une immobilité de marbre. Elle ne reste pas ainsi immobile par paraisse, ni par gout pour la contemplation. Elle se cache. Elle sait que Fin la recherche. Et cela depuis toujours.
Tout les oppose, tout les rassemble, il faudra deux fois mille ans à ces deux là pour trouver le rythme commun. Enfin à l’unisson, ils découvrent ensemble le bonheur d’être dans le monde, sans fuir ni se cacher. Alors l’amour s’invite et un petit être arrive. Cavale et Montagne décident de le baptiser Maintenant. C’est ce petit bonhomme de la couverture. Il est aveuglé par le chapeau de son père, il semble partager l’immobilité de sa mère, mais y a une grande force dans sa posture, on devine en lui un petit quelque chose de Kirikou.
Plus que de la peur ou de la mort, tout das cet album nous parle de notre rapport au temps.
Le séquençage même du livre, avec parfois une alternance entre les pages de texte et celles d’image, qui nous incitent à prendre le temps pour regarder, décrypter, ce qui est montré.
La mise en page aussi avec des vignettes, des images cadrées et d’autres à fond perdu, qui nous incitent à modifier notre rythme de lecture.
Les illustrations de Rebecca Dautremer se situent volontairement hors du temps, intemporelles, entre autre grâce à l’utilisation de tons sépias qui évoquent de vieilles photographies.
Elles se situent volontairement du coté du symbolique plutôt que du démonstratif, tout comme le texte.
L’ensemble peut donc rester mystérieux pour les enfants, j’en ai vu plusieurs écouter en silence, parfois à plusieurs reprises, cet album qui est pourtant long. Qu’en ont-ils pensé? Que va-t-il en rester? Ah, fichu droit du lecteur, ils ne m’ont pas livré leurs impressions. Mais je ne doute pas qu’ils en soient sortis grandis, et qu’ils y aient puisé des éléments de réflexion.
Cinq minutes et des sablés Stéphane Servant, Irène Bonacina, Didier jeunesse
Pour la petite vieille, l’expression s’ennuyer à mourir prend tout son sens. Dans le silence de sa cuisine, troublée seulement par le tic-tac de la pendule, elle attend. Et, comme elle pense que la vie n’a plus rien à lui offrir, elle attend la mort.
La grande dame noire justement passe par là dans sa belle voiture rouge. Elle arrive dans la cuisine presque comme on rend un service. La petite vieille sait recevoir. Elle a préparé un bon thé de Chine. Et pour aller avec, pourquoi pas des sablés au gingembres? Après tout, “Cinq minutes de plus ou cinq minutes de moins, quelle importance?”
Cette petite phrase, mise en valeur par la typographie, sera la ritournelle qui va rythmer l’album.
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les albums en randonnée, rythmés, ceux qui ont un refrain ont pour point commun d’être faciles à mémoriser pour les enfants mais aussi d’être très rassurants. Ils permettent d’anticiper sur le récit donc de le maîtriser. C’est ainsi que les auteurs peuvent aborder des sujets angoissants pour les enfants tout en leur offrants les moyens de surmonter cette angoisse (citons par exemple l’excellent Bébés chouettes)
Ici, la ritournelle participe au tourbillon de vie qui va investir la cuisine de la petite vieille. A voir madame la mort et la petite vieille attablées, occupées à déguster les sablés, on pense à l’expression “bon vivant”. Voilà.
L’odeur des sablés attire le chat des voisins. La petite vieille va prendre cinq minutes de plus pour le faire jouer avec une pelote de laine. Puis c’est au tour de Kenza, la fillette qui habite à coté, de faire irruption dans la cuisine. Pour elle, on dessine une marelle (Oui, ce jeu où on fait des allers retours entre ciel et terre, à mon avis ce n’est pas un hasard). Vient ensuite le très élégant Monsieur Igor avec son violon.
En faisant de madame la mort un personnage principal de cet album, Stéphane Servant nous offre un livre sur la vie.
Les jeux, les rires, la relation aux autres et la bonne chère en sont ici le sel. La vieille en oublie son âge, la mort la raison de sa venue.
De cinq minutes en cinq minutes, quand minuit finit par sonner, madame la mort, qu’on fréquente depuis le début de l’album, fait figure d’amie plus que de menace. Accomplira-t-elle sa besogne? Si sur certaines pages son ombre peut sembler légèrement inquiétante, son sourire et son regard malicieux compensent cette impression.
D’ailleurs, les illustrations d’Irène Bonacina sont pleines de gaieté et de mouvement. Et la recette des sablés qui est donnée sur la troisième de couverture nous ramène définitivement aux plaisirs de la vie.
Comme il est agréable de voir le thème de la mort traité avec légèreté et humour.