Cavale, Stéphane Servant, Rebecca Dautremer, Didier jeunesse, 20€
Au moment d’écrire mon billet sur cet album, je repense aux dix droits du lecteur, dont je vous parlais la semaine dernière.
Et plus particulièrement au dernier, le droit de se taire. Ce livre, je l’ai depuis plusieurs semaines, je le lis beaucoup et, foncièrement, je n’ai pas envie de le commenter.
Quand je lis un livre à un enfant, souvent je rêve de savoir ce qu’il en pense, j’ai envie de savoir comment cette histoire à raisonné en lui, comment il l’interprète. J’ai envie de savoir si cette lecture fera de lui un enfant un peu différent de ce qu’il était avant.
Parfois, les bambins me font un beau cadeau, ils me disent ce qu’il en est. Mais, la plupart du temps, ils restent silencieux. Et je ne les interroge pas, je respecte bien trop le droit de se taire. La lecture est une expérience de l’intime, l’effet que produit le livre sur les enfants leur appartient, ça ne me regarde pas, je n’ai plus qu’à gérer cette frustration, ça fait partie du boulot.
Alors pourquoi moi je suis obligée d’en parler, hein? Moi aussi j’ai fait une expérience intime à la lecture de cet album, il a suscité en moi des émotions, des réflexions que j’ai bien envie de garder pour moi.
Mais voilà, en tant que blogueuse, comme en tant que formatrice en littérature enfantine, il faut bien que je le commente un minimum. Je ne peux pas me contenter de dire il est super, achetez-le, lisez-le, et voilà.
C’est qu’on attend de moi un minimum d’analyse, se contenter de dire qu’on l’a aimé c’est bien gentil mais ce n’est pas digne d’une critique qui se veut un peu professionnelle. Bon. Alors c’est parti, je me prête au jeu du commentaire de texte, de l’analyse de l’image, du décorticage de l’œuvre. Mais, autant vous le dire tout de suite, tout cela ne reflétera en rien les qualités de l’album, cette chronique est vouée à être décevante. Pour moi au moins.
Cavale est un étrange petit être, tout en jambes (dix au moins!). En permanence, il court. Il ne court pas derrière le bonheur, ni la fortune, ni un objectif quelconque. Il court devant. Il fuit. Il sait que Fin est à ses trousses, et cela depuis toujours.
Il a déjà fait maintes fois le tour de la terre, sans jamais vraiment la voir.
Un jour, dans sa course folle, il se heurte à Montagne. Elle est d’une immobilité de marbre. Elle ne reste pas ainsi immobile par paraisse, ni par gout pour la contemplation. Elle se cache. Elle sait que Fin la recherche. Et cela depuis toujours.
Tout les oppose, tout les rassemble, il faudra deux fois mille ans à ces deux là pour trouver le rythme commun. Enfin à l’unisson, ils découvrent ensemble le bonheur d’être dans le monde, sans fuir ni se cacher. Alors l’amour s’invite et un petit être arrive. Cavale et Montagne décident de le baptiser Maintenant. C’est ce petit bonhomme de la couverture. Il est aveuglé par le chapeau de son père, il semble partager l’immobilité de sa mère, mais y a une grande force dans sa posture, on devine en lui un petit quelque chose de Kirikou.
Plus que de la peur ou de la mort, tout das cet album nous parle de notre rapport au temps.
Le séquençage même du livre, avec parfois une alternance entre les pages de texte et celles d’image, qui nous incitent à prendre le temps pour regarder, décrypter, ce qui est montré.
La mise en page aussi avec des vignettes, des images cadrées et d’autres à fond perdu, qui nous incitent à modifier notre rythme de lecture.
Les illustrations de Rebecca Dautremer se situent volontairement hors du temps, intemporelles, entre autre grâce à l’utilisation de tons sépias qui évoquent de vieilles photographies.
Elles se situent volontairement du coté du symbolique plutôt que du démonstratif, tout comme le texte.
L’ensemble peut donc rester mystérieux pour les enfants, j’en ai vu plusieurs écouter en silence, parfois à plusieurs reprises, cet album qui est pourtant long. Qu’en ont-ils pensé? Que va-t-il en rester? Ah, fichu droit du lecteur, ils ne m’ont pas livré leurs impressions. Mais je ne doute pas qu’ils en soient sortis grandis, et qu’ils y aient puisé des éléments de réflexion.
Un album qui a émerveillé aussi Pépita