Papa, Quentin Gréban, Hélène Delforge, Mijade, 25€, 2023 Le duo Hélène Delforge et Quentin Gréban nous avait déjà attendris avec leur magnifique album Maman, ils nous avaient émerveillés avec Amoureux, c’est donc naturellement avec une grande impatience que j’attendais la sortie de Papa.
Sur le terrain d’ailleurs, quand je propose la lecture d’extraits de Maman à des familles, on me demande presque toujours s’il existe le pendant masculin.
Alors disons le tout de suite, avec un tel horizon d’attente, le pari était difficile à relever.
A la première lecture, je n’ai pas retrouvé l’émotion qu’avait suscité en moi l’album Maman. Sans doute en partie parce que l’identification ne fonctionne pas autant bien sûr.
A la deuxième lecture, je mesure à quel point Hélène Delforge a du se plier à un exercice d’équilibre difficile.
Faire un livre aussi sincère que le premier, sans qu’il n’en soit le miroir. Donner une représentation des pères qui ne soit pas caricaturale, ni trop stéréotypée, sans tomber dans l’angélisme pour autant.
Ne pas représenter que des situations idéales mais ne pas tomber dans le pathos.
Et finalement, elle fait le boulot, avec sa délicatesse habituelle. On devine que chaque mot a dû être pesé, que le fil de chaque histoire a dû être tissé avec attention. Il y a le papa aimant, le papa inquiet, celui d’un week-end sur deux, le papa d’une fille alors qu’il voulait un garçon, celui qui est aussi un fils, et l’homme qui ne sera jamais papa.
Cela forme une galerie de portraits (non exhaustive bien entendu) nuancée, qui correspond à une réalité multiple.
Aux images, Quentin Gréban est toujours aussi impeccable, ses illustrations (peintures pleines pages et petits crayonnés sur la page de texte) accompagnent parfaitement le texte.
La comète, Joe Todd-Stanton, l’école des loisirs, 2023, 14€
Mila vit avec son père dans une grande maison au bord de l’eau. De la fenêtre de sa chambre, elle voit la mer, le ciel immense, les arbres. Les premières pages montrent une vie familiale pleine de douceur et de chaleur.
Son père joue avec elle, cuisine, va la chercher à l’école.
Mais lorsqu’il trouve un nouveau travail, ils doivent déménager en ville.
Le changement de vie est radical et ce n’est pas facile pour Mila de se familiariser avec ce nouveau milieu.
Il faut s’habituer à la foule, à l’absence de nature, une nouvelle école mais aussi à un père beaucoup moins disponible.
Puis survient l’évènement magique. Une comète venue du ciel fait grandir un arbre, pousser des feuillages, surgir la nature, dans cet environnement urbain.
Quand papa arrive, on découvre que sous l’impulsion de la comète, tout droit sortie de son imagination, Mila a décoré sa chambre de motifs floraux, dessinés à la peinture sur les murs, il y en a jusque sur le plancher.
Il semble que la poésie de ce geste artistique n’apparaisse pas immédiatement aux yeux du père, qui y voit surtout une grosse bêtise. Mais finalement…
L’univers graphique de Joe Todd-Stanton (très remarqué pour ses deux précédents albums: Jules et le renard et Le secret du rocher noir) s’affirme au fil des albums, de plus en plus maîtrisé: Couleurs chatoyantes, place prépondérante de la nature, mise en page impeccable.
La comète n’est pas un album prétexte, pour aborder le thème du déménagement ni celui de la famille monoparentale, ou encore celui de la solitude. C’est une histoire jolie et poétique, qui aborde, entre autre, ces questions-là.
Dépêche toi Alphonse Aubert, Gunilla Bergström, l’étagère du bas, 2022, 12€ Oh joie, oh bonheur, un nouvel opus de cette réjouissante série est sorti cette année!
Nous y retrouvons le petit garçon à tête ronde et son flegmatique papa, qui, cette fois, risque bien de perdre patience!
Parce que voilà, c’est le matin, il faut se préparer pour l’école, mais le petit garnement d’en fait qu’à sa tête et a toujours une activité plus urgente. Alors que son père insiste avec ses « Dépêche toi, Alphonse! », lui enfile un pull à sa poupée, répare une petite voiture cassée, lit un livre sur les reptiles. Que d’occupations absolument nécessaires avant de partir pour la maternelle, vous en conviendrez!
Dans la cuisine, le ton commence à monter, papa n’en peut plus d’attendre son fils et il se crispe à chaque fois qu’il entend une réponse qui commence par « Il faut juste que je… »
Évidemment, le temps passe, l’horloge représentée sur les pages de texte est implacable, alors que l’histoire a commencée à 6 heures il est presque une heure de plus quand Alphonse entame son petit déjeuner. Mais il a une surprise pour papa, et bientôt la situation va s’inverser.
Quelle fripouille cet Alphonse!
Le trait tremblant, les images décalées, l’humour et surtout la situation, tellement proche de la réalité, me plaisent toujours beaucoup dans les albums de cette série.
Celui-ci peut être un prétexte pour parler de l’école, de la routine matinale ou même pour apprendre à lire l’heure (on retrouve l’horloge et ses aiguilles presque à chaque page), si vous voulez vraiment rentabiliser chaque lecture.
Mais je vous invite plutôt à le lire juste pour passer un bon moment, ce qui est tout de même la fonction première de la littérature
Dans un jardin magnifique, où la nature est luxuriante, un petit blondinet content de lui regarde la peinture qu’il vient d’achever.
On sent toute la satisfaction du travail accompli et on mesure l’importance de son œuvre en voyant l’empressement avec lequel il veut le montrer à son père.
Il faut dire qu’il y a autour de lui matière à inspiration. Tout dans la demeure comme dans le jardin est remarquable, la beauté est partout.
L’enfant déboule en trombe dans un salon où les œuvres d’art sont légion et proclame fièrement « PAPA, regarde mon tableau! » brandissant la toile au dessus de sa tête.
Le père (que le lecteur adulte aura peut-être déjà identifié à ce stade) admire consciencieusement le dessin de son rejeton, et s’empresse de lui trouver une place de choix dans son atelier où il sera à côté de grandes œuvres, parmi lesquelles on repère de nombreux motifs floraux et aquatiques. Ne serait-ce pas des nymphéas?
Mais le mouflet n’est pas satisfait, cette petite place de rien de tout pour son joli tableau? Jamais de la vie!
Il va lui trouver un lieu à sa mesure!
Ce n’est qu’en fin d’album que l’on découvre ce que l’enfant à peinturluré. Pas sûr qu’il ait hérité du talent de son père, mais qu’importe, il bénéficie de tout l’amour qu’un père peut avoir pour son fils, et le tableau probablement sera chéri.
Les lecteurs qui ont eu la chance de fouler un jour la maison de Claude Monet à Giverny reconnaîtront sans mal la façade emblématique. Les œuvres majeures du maître sont également identifiables.
L’illustratrice joue avec des découpes dans les pages et des rabats pour rendre la beauté du lieu, et c’est très réussi.
Mais ceux qui ne connaissent pas l’univers représenté auront tout autant de plaisir à la lecture de cet album, qui met en avant la relation chaleureuse entre un père et son fils.
Et la chute est pleine d’humour et de fraîcheur.
C’est une particularité qui était là dès la naissance. Une main pas comme les autres, avec seulement trois doigts. Les médecins ont parlé de « pince de crabe ».
Le père de la fillette, qui est également le narrateur, raconte les différentes étapes. La découverte de cette singularité (qui ne vient pas éclipser le bonheur de voir naître un bébé en bonne santé), l’opération pour séparer les deux doigts collés et permettre au pouce de fonctionner correctement, l’enfant qui grandit et apprend à utiliser cette main particulière et parfois les moqueries et la colère.
La petite fille, elle, grandit avec sa particularité sans rancœur. Cherchant plutôt les bons côtés, elle remarque que cela la fait ressembler à un extraterrestre ou que sa main-oiseau est pratique pour se faufiler dans les trous de souris.
Et finalement, tant qu’elle peut mettre sa petite main bien au chaud dans celle rassurante de son père, on devine qu’elle peut tout affronter.
On sent que le texte hésite un peu entre deux genres. Il se veut tantôt poétique tantôt explicatif et le mélange de ces deux parti-pris n’est pas toujours heureux.
Cependant il est touchant car habité d’une sensibilité réelle.
Les images le complètent et l’enrichissent, offrant parfois un contrepoint. Quand le texte évoque les moqueries, elles montrent des griffes ou dents d’animaux sauvages.
Avec une dominante de tons bleus, souvent mêlé à du marron ou ocre, elles plongent le lecteur dans une ambiance plutôt froide, que les mouvements de la petite fille viennent parfois réchauffer.
La fin met en valeur la relation chaleureuse entre le père et la fille, qui est d’ailleurs centrale dans tout l’album.
Le petit camion de papa, Mori, HongFei, 2021, 14€90
De la petite narratrice, on ne voit d’abord que les souliers. Dans un plan subjectif, on découvre aussi l’habitacle, les mains grandes et rassurantes de papa, le paysage à travers le pare-brise.
La cabine du camion semble être un espace contenant, plein de petits détails amusants pour l’enfant: souris qui dépasse de la boite à gants, petite pieuvre en décoration.
Pendant que son papa conduit, la fillette chante.
Et, sous son regard, le panorama devient quelque peu étrange.
Une journée dans le camion de papa, c’est du travail pour lui et du plaisir pour elle.
Elle oscille entre réalité et fantasme, imagine des paysages farfelus, proches des jeux d’enfant. Le camion devient jouet qui se déplace sur une table, un chat géant semble vouloir en faire un jouet. Il n’est pas très menaçant cependant, d’ailleurs, ne serait-ce pas celui qui orne le tee shirt de la petite?
la route devient girafe, puis singe.
Le texte est toujours le monologue de l’enfant, qui semble s’adresser au lecteur ou à elle même autant qu’à son père.
Le camion traverse tous ces endroits sans encombres jusqu’à ce que, kling, klang, tuef, teuf, c’est la panne. En pleine forêt!
Mais avec papa, il n’y a pas à s’inquiéter, en un tournemain c’est réparé. Même le chat à l’air confiant. Et la fillette peut se remettre à chanter.
C’est un album qui instaure une ambiance, joyeuse et rassurante.
On a d’abord l’impression que c’est un livre assez simple, mais il s’y passe bien des choses qui nous échappent à la première lecture.
Et, comme dans l’album Vacances d’été, du même auteur, les images sont gaies et douces, incitant à la rêverie.
Vous pouvez vous faire votre propre avis avec cette vidéo:
Avec toi, Delphine Grenier, Didier jeunesse, 2021, 12€90
D’abord, il y a la douceur de la couverture.
Celle de l’image bien sûr mais aussi celle du carton même, recouvert d’une fine pellicule au toucher velouté. Les ours qui y sont représentés ont le regard mutin, ils sont touchants. A l’intérieur, tout est à l’avenant: doux et touchant.
Le texte de cet album s’égraine comme un poème d’amour, rythmé comme une petite comptine.
Avec toi je m’éveille
Avec toi je me sens bien
Avec toi je me régale
L’amour qui est représenté ici est celui des parents pour leurs enfants, et il est montré à travers une série d’animaux qui prennent soin de leurs petits.
Grands ou petits, à poils ou à plumes, ils se ressemblent tous par l’évidence de l’amour qu’ils portent à leurs jeunes.
Tous les moments clé d’une journée sont montrés (réveil, promenade, repas etc) puis vient la nuit, et le moment de s’endormir. L’album se termine sur la promesse d’un nouveau matin, avec une famille de lapins qui sombre doucement dans le sommeil.
C’est un livre à lire blottit l’un contre l’autre, pour être ensemble puis se dire bonne nuit, une histoire qui réunit et permet une séparation douce.
Les illustrations sont réalisées en gravures, ce qui leur donne cette belle netteté et cette grande stabilité. Elles sont colorées à la gouache, et les couleurs profondes donnent leur relief aux animaux et aux paysages.
Tout comme « Déjà » et « Un arbre merveilleux », cet album est une lecture parfaite pour les tout petits, propice aux moments de tendresse. Les petites bouilles émouvantes des animaux plaisent cependant aussi aux enfants plus grands, qui le choisissent souvent. Il faut dire que personne ne peut rester insensible aux petits yeux rieurs de l’ourson, au regard franc des renardeaux, à l’attitude câline des chats.
7 milliards de cochons et Gloria Quichon, Anaïs Vaugelade, l’école des loisirs, 2020, 8€50
Dans la cour de récré, chacun court après chacune, pour jouer mais surtout parce que les uns sont un peu amoureux des autres. Secrètement. Mais généralement pas du bon. Ainsi, Dalla Groin court après Omer Manne et Liam Warda court après Dalla Groin. Oui, une cour de récré, c’est du Tchekhov à hauteur d’enfant.
Gloria Quichon aussi court parfois mais au fond, elle trouve que ce jeu est bête.
« Hi hi a fait Dalla, c’est vrai qu’il est bête » En rougissant, comme ça, et en se tortillant, comme ça.
Ce qui intrigue Gloria Quichon, ce sont les probabilités. 7 milliards de cochons dans le monde, comment en choisir un et espérer que celui-ci la choisisse aussi? C’est pas scientifique tout ça. Pourtant, certains trouvent certaines. Tiens, Maman Quichon à bien trouvé Papa Quichon. D’ailleurs, quand elle en parle, elle rougit, comme ça, hi hi.
Comme souvent, Anaïs Vaugelade aborde les grandes questions par le prisme de la petite histoire.
L’histoire de Gloria Quichon est unique. Mais ses interrogations sont universelles.
On peut donc s’interroger avec elle, et à tout âge, sur les mystères de l’amour. Par quelle magie peut-on trouver chaussure à son pied dans tout ce monde?
Sans nous dire comment ça marche, l’histoire nous enseigne juste que souvent ça marche, et c’est déjà pas mal.
A la maison, c’est toujours un peu une fête quand un nouvel opus de la série des Quichon sort. Cette fois ci il est arrivé en librairie en même temps qu’une réédition: La vie rêvée de Papa Quichon, qui était épuisé depuis trop longtemps.
J’aime aussi beaucoup cette histoire, dans laquelle Papa Quichon prend le temps d’évaluer ses choix de vie en fumant une cigarette, et laisse l’occasion à ses 73 enfants d’en faire autant (sans fumer de cigarette).
L’attente, Stéphanie Demasse-Pottier, Eunjin Oh, éditions des éléphants,
Habituellement, Léa va pêcher avec Karl. Mais cette fois, il a dû partir seul pour faire la réserve de poisson pour l’hiver. Elle, pendant ce temps, bricole, cuisine, rentre le bois et tricote. Un tout petit pull pour le bébé qui arrondit déjà bien son ventre.
Karl lui manque et elle manque à Karl. Mais il sera de retour à temps, elle en est certaine.
Le temps s’étire, il passe en douceur. Léa attend, sereine.
Elle prépare le foyer, un nid douillet, accueillant, où le tout petit se sentira bien.
Les illustrations aux couleurs automnales sont douces, apaisantes. On ressent la confiance tranquille de Léa, ainsi que la force du lien qui l’unit à Karl et qui l’unira, sans aucun doute à leur bébé.
Il est peu montré cet avant, dans la littérature enfantine. Les parents sont généralement représentés dans la relation avec leur enfant. Ici, malgré la distance, l’amour qu’éprouvent Karl et Léa est central. Il est le terreau parfait pour accueillir un bébé.
Quand l’attente prendra fin, tout sera prêt. Il y aura du bois, de la nourriture en abondance. Et, sans doute, Karl sera de retour.
J’ai toujours pensé que les moments qui précèdent la naissance d’un bébé sont un chapitre important du roman familial. Les parents aiment le raconter et les enfants adorent l’entendre. Cet album le met en mots et en image avec énormément de douceur et de justesse.
Si l’hiver arrive, dis lui que je ne suis pas là, Simona Ciraolo, pastel, 2020, 13€
Le petit garçon qui est le narrateur de l’histoire adore l’été. Ben oui, c’est trop chouette, nager, manger des glaces… Mais sa sœur le préviens, avec peu être un brin de de sadisme, ha ha, profites en bien parce-que c’est bientôt fini et après arrive l’automne puis l’hiver et ça, c’est horrible. Adieu maillot de bain, place à la pluie incessante, aux jours qui raccourcissent. Ça à l’air franchement affreux, au point que l’enfant se dit qsi l’hivers ue ce n’est même pas vrai.
Mais si: les parents confirment. Argh.
Et puis finalement, ça se produit et en réalité ce n’est pas si mal que ça. Quand sa sœur lui disait que l’hiver on ne décolle pas du canapé il se voyait solitaire, perdu et frigorifié. Mais quand ça arrive, il est blottit aux côté de ses parents, dans la chaleur d’un plaid, tout souriant. Sous la pluie on le voit gambader gaîment. Et la neige, quel plaisir ! Il faut en profiter, l’hiver non plus ne durera pas… Une jolie histoire sur l’alternance des saisons et le fait de grandir.
Il y a beaucoup de pages dans lesquelles l’image porte une partie du récit, elle donne de la nuance au propos ou une touche d’humour.
C’est aussi elle qui met en valeur la relation de la fratrie, faite à la fois de conflits et de complicité, le rôle des parents (peu mentionnés dans le texte) et qui montre que l’enfant a avantageusement troqué la glace pour un chocolat chaud.
Un album sympathique qui montre que chaque saison à ses avantages.