Des albums de littérature enfantine, sélectionnés pour leurs qualités, qu’on peut lire aux enfants à partir de 6 ans et qu’ils peuvent aussi lire seuls, ans sans limite d’âge supérieure
S’il y a bien une tendance dont je me réjouis en ce moment en littérature jeunesse, c’est celle qui consiste à valoriser les femmes qui ont marqué leur époque ou ont permis des avancées sociales importantes.
Moi, Gisèle, s’inscrit dans ce mouvement et met à l’honneur Gisèle Halimi, avocate connue en particulier pour son combat en faveur du droit à l’avortement.
Ici on la rencontre enfant et on découvre ce qui a fait le terreau de son engagement futur.
Son sens aigu de la justice ou plutôt son ressentiment vif face à l’injustice. Qui visiblement prend racine dans son enfance, quand elle a réalisé qu’on attendait d’elle plus de tâches ménagères que de ses frères. La fillette a entamé une grève de la faim qui s’est révélée rudement efficace. Un premier engagement qui en a précédé bien d’autres.
L’album bande-dessinée se divise en chapitres qui explorent différents thèmes, les règles, le rapport à l’éducation ou à la religion, la liberté etc.
Pour souligner peut-être le caractère intemporel des combats menés quelques références modernes se mêlent aux souvenirs d’enfance réels de Gisèle Halimi. En fin d’album un petit texte de son amie Annick Cojean reprécise la réalité du personnage.
A l’instar de son héroïne l’album est plein d’énergie. Trois couleurs (le rose, l’orange et le noir) suffisent pour montrer la fillette qui se qualifie de libre, révoltée, indignée mais réfute l’idée d’être douce, qualité trop souvent attribuée aux personnages féminins.
Un chouette album, proche de la bande-dessinée, que l’on peut proposer, heu, je dirais dès 6 ans (avec toutes les réserves que j’ai sur les prescriptions d’âge, si votre enfant s’intéresse à cette histoire avant foncez bien sûr!).
Mac Pat le chat chanteur, Julia Donaldson, Axel Scheffler, Gallimard jeunesse, 2009, 14€90
A l’occasion de la sortie en salle du film éponyme, Gallimard réédite Mac Pat le chat chanteur, paru initialement en 2009, raconté par le duo autrice/illustrateur qui s’est fait connaitre pour le célèbre Gruffalo.
C’est l’histoire de Fred, un musicien des rues qui, accompagné de son chat Paddy Mac Pat rencontre un certain succès dans le voisinage, en particulier quand le félin se joint à lui pour pousser la chansonnette.
Un jour, un voleur dérobe l’argent qu’ils ont récolté, Fred le poursuit, trébuche et se retrouver à l’hôpital.
Le chat le cherche en vain, l’attend patiemment toute une semaine et finit par se suivre Soquette, la chatte du quartier qui pense qu’il y aura une place pour lui chez ses maitresses, Nella et Isa.
Les deux femmes adoptent immédiatement Mac pat qui se plait beaucoup dans ce nouveau foyer, mais régulièrement il pense à Fred et à leur vie passée…
Tout comme Fred pense à son chat qu’il désespère de retrouver un jour.
Ah, comme elle semble longue cette séparation !
Même si chacun est heureux de son côté, même si Paddy Mac Pat connait le bonheur de devenir un papa chat, on est drôlement soulagés quand ils se retrouvent enfin.
Et non, le chat ne retournera pas auprès de son ancien maitre, après tout, il a construit une nouvelle vie. Mais la résolution sera tout aussi rassurante pour le jeune lecteur et plaisante pour tous les protagonistes.
Au fond, il s’agit de maintenir les liens affectifs, pas de rester fusionnels pour toujours. Grandir, s’émanciper, faire sa vie, tout en maintenant son attachement, c’est un peu la vie des mouflets et je ne doute pas qu’ils trouveront dans cette histoires de multiples échos à leurs préoccupations du quotidien.
Derrière une apparente simplicité et un trait humoristique qui rend la lecture légère, il y a là matière à réflexion.
La vie rêvée de Barnaby, The Fan Brothers, little urban, 2024, 16€90
Ah, les Fan Brothers et leurs illustrations toujours délicieusement pelucheuses, au charme souvent rétro et pleines de personnages tous plus attachants les uns que les autres ! C’est toujours un bonheur pour moi de retrouver leurs noms sur un album, ils inventent des histoires totalement originales, hors du temps, qui nous séduisent par leur étrangeté et nous touchent par leur familiarité. Et puis, j’avais tellement aimé le projet Barnabus (je ne comprends pas que cet album ne soit pas encore adapté en long-métrage, mais que fait Hollywood ? ) que j’ai été très heureuse de voir le petit cousin de l’attachante créature ratée sur la couverture.
Ce nouvel album peut être lu de façon totalement indépendante, il y a juste deux petites allusions en début et en fin d’histoire au précédent, mais c’est une aventure à part entière qui n’a pas besoin de préalable. Cette fois le protagoniste est donc une créature parfaitement réussie, qui correspond pleinement aux critères esthétiques du moment. En plus, ses piles sont incluses !
Autant dire qu’il a tout pour trouver à son tour une famille parfaitement parfaite, à son image. Cela va se produire, quand une fillette choisit sa boite sur l’étagère de la boutique. Le voilà adopté, choyé, dorloté. Mais un jour, le tout nouveau Barnaby arc-en-ciel arrive sur le marché… L’histoire qui s’en suit est bien plus singulière qu’on pourrait le craindre, et les auteurs parviennent comme toujours à nous transporter dans un monde à part entière, donc chaque détail semble pensé.
Leurs illustrations sont toujours aussi remarquables, très cinématographiques. Les thèmes de la surconsommation, du culte de l’apparence et des effets de mode qui traversent l’album sont traités avec finesse, comme toujours. Je trouve cependant ce deuxième titre très légèrement en dessous du précédent, sans doute parce que j’ai un faible pour les anti-héros et que je ne peux pas m’empêcher d’avoir une préférence pour les petits yeux ronds et noirs de Bernabus plutôt que pour les grands yeux de Barnaby.
Une petite vidéo de l’éditeur permet d’en voir un peu plus:
Peur à peur, Chiara Mezzalama, Mariachiari Di Giorgio, éditions des éléphants, 2024, 15€
C’est un album avec deux narrateurs, qui racontent chacun à la première personne, alternativement, l’histoire qui les réunit.
D’abord elle. Une fillette qui habite Venise. Elle y va à l’école, sauf quand l’eau monte trop haut, y fréquente les vieux cafés pour boire du chocolat chaud quand la brume envahit la ville, se promène sur les passerelles et regarde les poissons.
Puis lui. C’est un pigeon, il vit à Venise, vole au-dessus des palais et se fait nourrir par les touristes.
Mais la vie n’est simple ni pour lui ni pour elle.
Parce qu’elle a peur des pigeons. Parce qu’il a peur des enfants.
Venise est pleine de pigeons. Venise est pleine d’enfants.
Et l’un comme l’autre ne subissent pas une simple inquiétude ou une peur enfantine comme celle du noir ou du grand méchant loup. Non, ils sont sujets à une véritable phobie, et c’est très compliqué pour eux d’y faire face au quotidien.
Jusqu’au face-à-face inévitable entre l’un et l’autre, où, chacun étant pétrifié par sa propre peur, ils sont obligés de s’observer. Rien ne bouge. Et ils reconnaissent chacun dans le regard de l’autre quelque chose de trop familier. Cette terreur qui les envahit, elle est aussi en face.
L’un à droite de la page, l’autre à gauche, le temps est suspendu alors que leurs regards se confrontent, puis un petit élément perturbateur tout à fait inattendu vient détendre l’atmosphère, et le tour est joué, la rencontre peut avoir lieu. On est toujours moins effrayé par de ce que l’on connaît, n’est-ce pas ?
J’ai beaucoup aimé cet album pour son histoire très originale et parce qu’elle permet d’aborder très clairement la différence entre une peur et une phobie (sujet bien moins traité en littérature enfantine).
Et puis, les images! Oh, comme elles sont belles les rues de Venise, comme ils sont beaux les canaux! Avec un traitement assez cinématographique, de jolis travellings au fil de l’eau jusqu’à la vue plongeante finale, les illustrations nous font superbement visiter la ville.
Le livre extraordinaire des bébés animaux, Simon Treadwell, little urban, 24€
Ha ha, ça y est, je l’ai, LE livre qui va faire de moi la star des bibliothèques hors les murs, la vedette des lectures dans les écoles, la dealeuse officielle de livres documentaires pour les mouflets, bref, j’ai le livre accroche ultime pour les enfants de maternelle et au-delà. Car s’il est difficile de résister aux images d’animaux de cette collection, il est carrément impossible de ne pas craquer devant ces bébés animaux ! Vous les avez vus les grands yeux ronds de l’ourson ? Hé bien, dedans, vous trouverez aussi des guépardeaux qui se chamaillent, un zébreau qui fait ses premiers pas, un blanchon qui nous regarde dans les yeux, et un suricate qui fait la commère, comme il se doit. Et encore plein d’autres animaux, une quarantaine en tout, avec leurs caractéristiques, une fiche d’informations précise, leurs lieux de vie. Car nous avons bien affaire à un vrai documentaire, et non à un simple imagier, qui présente donc des espèces variées (oui, bon, j’ai choisi les plus racoleuses, mais il y en a aussi qui ressemblent moins à des peluches, comme la tortue plate ou la salamandre tachetée) et des précisions de qualité. Je suis persuadée que plus on connaît et comprend les animaux et mieux on les respecte donc je suis toujours très heureuse quand les enfants me demandent de lire le texte. Mais ça n’est pas toujours le cas et je ne m’en formalise pas. Ils piochent selon leurs centres d’intérêt ou leur capacité d’attention, et pourront continuer d’apprécier cet album en grandissant (la collection a toujours beaucoup de succès quand je travaille en école élémentaire, et je l’imagine aussi assez bien dans un CDI de collège). Comme toujours dans cette collection, les images sont impressionnantes de réalisme au point que certains peinent à croire qu’il ne s’agit pas de photos, mais bien de dessins. Et le grand format bien sûr attire immanquablement le regard. Bref, voilà qui va remplacer dans mes séances de lecture le tout aussi joli livre extraordinaire des chats, qui a mystérieusement disparu de mon fonds (un enfant a dû l’aimer tellement qu’il n’a pas pu s’empêcher de partir avec, je ne vois que ça comme explication.)
Le roi est occupé, Mario Ramos, Pastel, 1998, 16 €.
Je poursuis mon exploration de l’œuvre de Mario Ramos, toujours en vue de cette intervention (que vous pouvez suivre en visio si ça vous branche). À vrai dire, mon texte est prêt, mais, étant contrainte par le temps, il y a plein de livres dont je ne vais pas parler. Dont celui-là, pour lequel j’ai pourtant de chouettes observations de terrain avec les enfants.
C’est un livre jeu interactif, l’enfant est invité à chercher sous des rabats les passages secrets qui mènent vers le roi. L’objectif est de trouver le souverain pour lui expliquer “tout ce qui ne va pas dans le royaume”.
On en profite pour visiter cet archétype de château-fort, avec son vocabulaire spécifique. Partout sont cachées des créatures vertes plutôt joviales.
En fin d’album, on découvre enfin le roi, qui a délaissé son trône pour s’asseoir sur… Les toilettes ! Désolée pour le spoil, mais les réactions des enfants tournent quand même beaucoup autour de cette page. Ils sont ravis de voir que les puissants aussi font caca, et une des réactions qui revient souvent c’est “même la maîtresse va aux toilettes !” (mes observations proviennent pour beaucoup d’une bibliothèque de rue qui se tient devant une école, le contexte explique sans doute la récurrence de cette remarque.)
On se rapproche de l’album Chhht, lui aussi basé sur des caches à soulever dans un château mais avec beaucoup moins de tension narrative, ici c’est plus doux, on peut s’adresser à des enfants plus jeunes ou plus craintifs. Le roi est occupé nécessite aussi moins de théâtralisation, et quand je le lis les enfants prennent volontiers la parole. Ils me racontent qu’ils n’ont pas peur des monstres (ou alors juste un tout petit peu), ils mémorisent les caches qui mènent au passage secret sur chaque page et sont fiers de me montrer qu’ils l’ouvrent du premier coup, ils commentent les actions des sujets. Aucun enfant n’a relevé que le roi était un chat alors que tous les autres personnages sont des souris. Pour ce que j’en ai vu les enfants sont assez peu inquiets de la salle des tortures où le bourreau chauffe ses instruments. Par contre, ils manifestent un vif intérêt pour la salle du trésor, et certains préféreraient faire main-basse sur les coffres que poursuivre le chemin en direction du roi. Un enfant m’a dit “hop, je prends ce coffre, hop, je remonte l’escalier, hop, je ressors comme je suis venu.” Il a tourné les pages en sens inverse pour revenir à la première et s’est ravisé “en fait, j’y retourne et je prends tous les coffres, sur mon dos !”
Il a tout de même accepté qu’on aille jusqu’au bout du livre “pour voir”. À la dernière page, découvrant le roi sous le cache, je lui dis “alors, qu’est-ce qu’on lui dit maintenant qu’on l’a trouvé ?” Il m’a répondu “moi c’est bon, j’ai les coffres maintenant, j’ai plus de problème à lui dire”.
Mais quand un petit groupe d’enfant se constitue autour de cet album, en général les discussions vont bon train quant à ce qu’il faut dire au roi. C’est assez marrant de voir comment les gamins de maternelle ont des idées de ce qui ne va pas dans leur royaume personnel. Les revendications tournent beaucoup autour du menu de la cantine ! J’aime bien la façon dont Mario Ramos prend l’enfant par la main pour le rendre acteur et lui donner un pouvoir d’agir. En lui faisant ouvrir les caches, il l’invite à agir, et en lui proposant cette histoire, il l’invite à réfléchir. D’une façon générale, les livres de cet auteur se veulent émancipateurs, ils font confiance à l’enfant, le reconnaissent dans sa capacité à comprendre et à penser le monde. C’est tout simple, c’est ludique, c’est accessible, et en même temps c’est futé et juste assez subversif. Et en plus, c’est drôle, que demander de plus?
Les gens de la plage, Maële Vincensini, Cédric Abt, Thierry Magnier, 2024, 18€50
Sur la plage de Ty Anquer, une baleine est échouée. Les habitants du village veulent spontanément lui venir en aide, ils s’arment de pelles et de seaux. Mais déjà une barrière est dressée devant la baleine, un policier s’interpose entre elle et les gens de la plage. Personne ne passe, c’est interdit.
Seuls les pompiers peuvent tenter quelque chose. Consternation et impuissance du côté des villageois, qui regardent avec inquiétude les pompiers tenter maladroitement des soins peu appropriés.
Voilà qu’arrive une pirate. Elle fait figure d’autorité, sait sauver les baleines et l’a déjà prouvé. Elle fait jouer ses relations et obtient le droit de passer, mais se rend rapidement compte que seule elle n’y suffira pas.
Face à l’urgence, les gens de la plage décident finalement de passer outre les consignes et forcent le passage. Ils aident la pirate juste à temps, avant que la marée ne redescende.
Il y a quelque chose de très apaisant dans les grandes illustrations en pleine page, en particulier dans celle, en fin d’album, qui montre la baleine libre dans les eaux. On trouve aussi du réconfort dans la solidarité dont font preuve les villageois, le naturel avec lequel ils choisissent ce qui est juste plutôt que ce qui est légal.
Mais c’est tout de même la peine et la colère dominent tout au long de la lecture de cet album. Colère à l’idée des règles, aussi réelles qu’absurdes, qui imposent des barrière meurtrières. Peine à la pensée des naufragés qui ne reçoivent aucun secours.
Heureusement, les gens de la plage ont su s’unir, dépasser leur sentiment d’impuissance, se rebeller et agir. Car c’est bien de notre pouvoir d’agir que parle cet album. Heureusement, la littérature enfantine nous offre une vision de l’humanité plus optimiste que les nouvelles du monde. Heureusement, il reste un espoir et les valeurs telles que la solidarité ne sont pas encore totalement criminalisées. Heureusement, on a encore le droit de montrer que pour sauver ceux qui échouent sur nos plages (baleines ou personnes) il faut parfois braver l’autorité.
Un brouillamini, Karen Hottois, Vincent Pianina, Albin Michel jeunesse, 2024, 18€
Chaussons nos lunettes et allons ensemble observer la petite société du jardin, bien vivante au cœur de l’hiver. Cela va nous demander de l’attention, on ne rentre pas si facilement dans l’intimité du petit peuple minuscule.
D’emblée, on comprend que ver de terre, mite ou sauterelle ont des aspirations bien humaines. Et que la communication entre eux n’est pas plus facile que la nôtre, elle a son lot de quiproquos et malentendus ! Et puis, c’est compliqué, le jardin enneigé est vaste, avec des petites pattes ce n’est pas si simple d’aller de chez l’un à chez l’autre (et sans patte du tout comme pour l’escargot, je n’en parle même pas).
C’est qu’ils n’ont pas internet, eux, ils communiquent à l’ancienne. Les lettres sont convoyées sur la neige par le facteur sans gambettes, l’escargot justement. Il fait ses allers-retours entre les protagonistes qui eux-mêmes se mettent en mouvement pour aller se rencontrer, qui cherchant l’amour, qui cherchant l’amitié. Cela fait plusieurs histoires parallèles, qui se croisent parfois, se ratent souvent, créent des opportunités des plus inattendues, parfois à la faveur d’une méprise.
La mise en page matérialise ces histoires qui se jouent dans le même temps, avec l’usage de bandes parallèles qui s’additionnent sur la page blanche comme neige. C’est comme plusieurs petites scènes qui s’allumeraient tour à tour et parfois toutes en même temps.
Quelques images pleines pages replacent les petits espaces dans le grand, les maisons de chaque personnage dans le cadre plus large du jardin.
Notre regard fait des allers-retours entre les différentes scènes et notre attention passe d’un personnage à l’autre, la narration est complexe, comme l’indique le titre.
Un brouillamini est de ces albums qui se savourent d’autant plus à la relecture. Les choses se positionnent les unes par rapport aux autres, prennent sens, l’histoire se tisse quand on a dépassé la première impression un peu déstabilisante. On s’attache de plus en plus au destin de ces minuscules personnages, leurs aspirations sont touchantes, leur maladresse émouvante.
C’est un album auquel je reviens avec plaisir mais qui nécessite de prendre le temps. Pas toujours facile à proposer dans le cadre de mon travail, il se prête par contre parfaitement à une lecture familiale, plus intime.
De l’autre côté, Jacqueline Woodson, E.B. Lewis, éditions d’eux, 2024, Jacqueline Woodson est encore (trop) peu traduite en français, c’est pourtant une autrice reconnue et qui a reçu le prix ALMA en 2018.
Dans ses livres (albums mais aussi romans) elle aborde des sujets rares et précieux en littérature jeunesse. Ici il s’agit d’une rencontre et d’une amitié naissante sur fond de ségrégation.
Clover habite à proximité d’une longue clôture, qui traverse la ville. Elle est noire et de l’autre côté vivent les blancs. Sa mère la dissuade de jouer sur la barrière “ce n’est pas prudent”. Mais de l’autre côté, il y a cette fillette. Elle a sensiblement le même âge de Clover et regarde les jeux que sa voisine partage avec ses copines avec envie. Quand elle demande si elle peut participer, Clover n’a pas le temps de répondre, qu’une de ses amies a déjà refusé.
Pourtant, les deux fillettes semblent continuer à se chercher du regard. Elles se croisent parfois en ville, s’observent de loin. Et puis un jour, la clôture qui servait de séparation va devenir trait d’union. Les deux fillettes s’y assoient pour discuter. La voisine se prénomme Annie et bientôt elle fera partie de la bande de copains de Clover.
Cet album tout en subtilité parvient à montrer comment les enfants peuvent dépasser les interdits sociaux qu’ils ont pourtant intégré.
Ni Annie ni Clover ne demandent pourquoi la barrière est là, elles savent. Dans leur ville, les blancs et les noirs ne jouent pas ensemble, point. Elles le savent, mais ne l’acceptent pas et parviennent à passer outre, en douceur mais sans naïveté. Les aquarelles d’Earl Bradley Lewis sont d’un réalisme saisissant, qui se prête parfaitement à cette histoire ancrée dans le réel.
L’immense petite maison, Marie Colot, Anaïs Brunet, Hélium, 2024, 16€90
Armande est une petite dame, avec de petites gambettes, une petite maison, un petit jardin et surtout un petit, tout petit cœur. Tellement petit que rien ni personne ne peut y rentrer. Elle a donc logiquement une petite vie dans laquelle le temps passe lentement. Jusqu’à un jour de tempête où le toit de sa maisonnette s’envole. Sans cette protection, elle ne peut plus repousser l’environnement, qui rapidement s’insinue chez elle. Sous la forme d’oiseaux, d’insectes, de végétation ou même d’une rivière, la nature s’impose à elle. Avec elle arrive quelque chose d’inattendu. Un souvenir d’enfance. Poussée dehors par la pluie, Armande semble enfin prête pour une rencontre, et c’est un enfant qui va l’aider à ouvrir son cœur, pas si petit que ça finalement.
Cette vieille dame, chez qui on ressent un grand besoin de contrôle, s’adoucit au fil des pages. Des mèches folles s’échappent du sage chignon, le visage se détend, un sourire s’esquisse.
On n’aurait pu trouver illustratrice plus adaptée pour cet album qu’Anaïs Brunet. Elle n’a pas son pareil pour représenter la luxuriance de la nature, elle associe les couleurs pour les rendre saisissantes, joue sur les contrastes, et observe avec précision le saule pleureur ou le crocus pour les sublimer dans ses compositions.
Cette nature joyeusement invasive, qui oblige Armande à dépasser les limites qu’elle s’était imposées nous entraîne, le débordement auquel fait face la protagoniste nous réjouit, il est libératoire pour elle comme pour le lecteur. C’est avec bonheur qu’on la voit s’épanouir.