Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
Floof le chat, Heidi McKinnon, l’élan vert, 2025, 13€90
Il est très poilu, il est doudou, mignon, c’est floof le chat.
Il a une vie de félin domestique tout ce qu’il y a de plus classique, racontée en quelques phrases et beaucoup d’images. Sa petite bouille tendre suscite la sympathie.
Mais alors que le texte raconte visiblement sa vision des choses, l’image donne un point de vue extérieur et il y a souvent un décalage assez savoureux entre les deux.
Quand le narrateur textuel nous affirme que Floof est très fort à cache-cache, l’image montre ses oreilles dépassant d’un carton. Quand on nous dit qu’il a beaucoup de travail, des vignettes le montrent plutôt occupé à saccager le travail des humains (en toute innocence, cela va sans dire, c’est un chat, pas un démon).
Avec Floof le chat, n’en doutez pas, vous aurez une nuit douce et tranquille, aussi tranquille qu’elle peut l’être en compagnie d’un chat qui a trouvé une balle…
C’est un chouette album à proposer aux petits pour éprouver leur capacité à lire l’image. Ils sont souvent étonnants et peuvent, très jeunes, nous faire remarquer que le texte raconte « n’importe quoi » (les petits sont du genre à croire ce qu’ils voient plutôt que ce qu’on leur raconte, et ils sont bien raison).
Et s’ils passent à côté de ce décalage, ne vous inquiétez pas, ils apprécieront tout de même l’histoire pour son texte court et rythmé et son personnage des plus attachants.
Les étoiles seront les mêmes, Céline Claire, Valérie Michel, Saltimbanque, 2025, 16€
Dans cet album choral, ce sont d’abord Nils, Galia et Hans qui racontent l’arrivée de Lou dans leur vie. Il était un peu ridicule, et puis différent, avec ses yeux si bleus, et il avait l’air perdu, il avait froid.
Il manquait de mots, c’était difficile de le comprendre.
C’est quand il a la possibilité de s’exprimer par le dessin que Lou devient à son tour narrateur de l’album.
Alors, il peut raconter.
La fuite avec son grand-père, parce qu’il était devenu impossible de rester. L’adresse griffonnée sur un bout de papier, les bateaux, la séparation forcée, le vent et le bout de papier qui s’envole.
Après avoir rencontré ses trois nouveaux camarades, il est à l’abri, mais il n’a qu’un souhait, rejoindre son grand-père.
« Là où nous allons, les étoiles seront les mêmes », lui avait-il dit, mais l’indice est trop maigre. Ailleurs, le vieil homme désespère de retrouver un jour son petit-fils.
C’est un album très émouvant, des premières lignes jusqu’aux retrouvailles finales.
L’histoire qui résonne avec l’actualité est juste assez transposée pour laisser une place à l’imaginaire, et permettre une fin heureuse.
Les grandes illustrations pleines page sont magnifiques, elles ont une très grande force évocatrice. Elles sont tour à tour poignantes et apaisantes.
C’est un album qui pique un peu les yeux (j’y vois une qualité), mais qui suscitera des discussions nécessaires, de nature à favoriser le vivre-ensemble.
Une aventure de Basile, un cachalot dans la baignoire, François Colette, Seuil jeunesse, 2025, 13€90
Dans le grand livre des cétacés, Basile découvre tout un tas de noms rigolos, comme le globicéphale. Et puis des mots compliqués, comme profondeurs. Il poursuivrait bien la lecture avec papa, mais voilà, c’est l’heure du bain. Pour le convaincre, papa propose à Basile de jouer avec son dauphin. L’argument est accepté et voilà Basile dans l’eau.
Mais alors qu’il plonge son jouet dans les profondeurs de la baignoire, voilà qu’en surgit un vrai marsouin. Ça ne dérange pas tellement Basile mais ça éclabousse drôlement, papa va pas apprécier.
Des animaux marins de plus ne plus gros déboulent dans la salle de bain et décidément, le rideau de douche ne suffira pas à éviter l’eau partout.
Basile, pourtant, sait très bien que ce n’est pas bien de tout mouiller, mais impossible de discipliner une orque ou un cachalot.
La salle de bain devient un véritable décor dans lequel la place vient à manquer, pour représenter la carrure des cétacés l’illustrateur joue avec les cadrages et les points de vue. La rondeur des animaux contraste avec le motif géométrique du carrelage, on passe de plongées vertigineuses à des contre-plongées qui mettent la focale sur les abysses sous la baignoire.
Ça fonctionne très bien, souhaitons que cette première aventure de Basile soit suivie de nombreuses autres.
Dans tes bras, Marion Traoré, Cépages, 2023, 13€90
Dans la tradition de la littérature enfantine qui accompagne les petits vers le sommeil Dans tes bras est un album aux pages cartonnées, à la narration simple et aux images contrastées, tout à fait adapté aux plus jeunes des mouflets.
Il commence par le sommeil qui ne vient pas, situation bien trop connue des petits et des grands.
Mais la petite narratrice ne subit pas ce temps entre veille et sommeil, elle l’utilise pour se remémorer ses plus jolis souvenirs.
Ils sont doux, joyeux, peuplés de personnes aimantes. Membres de sa familles pour beaucoup mais aussi amis, voisins.
Tous les souvenirs mettent en avant les liens qui unissent les protagonistes entre eux ou à la fillette.
Les enfants ont besoin d’être ancrés dans un tissus de relation sociale, sans doute est-ce la conscience de ce fort attachement aux autres qui permet à la fillette de trouver le sommeil. Elle est sereine, reliée en pensée à ses proche et serrant son doudou dans ses bras, sur la dernière page. Le bleu qui l’entoure est un peu plus sombre qu’en début d’album, il est temps de dormir.
A la première lecture j’ai été gênée par l’absence d’yeux et de bouche des personnages, d’autant que je connais l’attrait des bébés pour les représentations de visages.
Mais c’est un livre avec lequel je travaille depuis des mois et les bébés à qui je le lis le regardent avec la même intensité que d’autres, ils l’apprécient visiblement.
Les parents, quant à eux, sont (comme moi d’ailleurs) sensibles à la diversité des la famille représentée.
Mon grand-père, Anthony Browne, kaléidoscope, 2024, 13€50
Anthony Browne poursuit son exploration des liens familiaux, amorcée en 2000 avec l’album Mon papa.
Cette fois il ne s’agit pas d’un seul grand-père vu à travers les yeux de son petit fils, l’album, au contraire, met la diversité à l’honneur.
C’est ainsi une dizaine de portraits montrant des grands-pères des quatre coins du monde ayant chacun son style qui sont offerts aux yeux des jeunes enfants.
il y a celui qui a l’air très jeune et celui qui possède un chat, le très câlin et le très souriant, celui qui raconte des histoires et celui qui aime les voitures.
On les voit sur la page de droite alors qu’en vis-à-vis l’enfant qui le présente est montré en pied. On peut s’amuser à chercher des points communs, la posture souvent.
Si l’œil est d’abord attiré par les visages des protagonistes, chaque image est riche de détails, sur les vêtements ou à l’arrière plan. On se plait à les explorer au fil des relectures.
En fin d’album, plusieurs portraits de grands-pères, dont certains semblent s’être échappés de peintures célèbres (une des spécialités de l’auteur). Parmi eux, le papa du premier album de la série, reconnaissable à son visage jovial mais aussi à son emblématique robe de chambre. Il a désormais les cheveux grisonnants, le voilà grand-père à présent, la succession des générations est en marche.
La collectionneuse, Emmanuelle Pétry-Sirvin, Lucile Placin, l’étagère du bas, 2024, 18€
Le goût des collections est chose répandue chez les jeunes enfants. Il suffit de vider leurs poches après une promenade pour s’en convaincre, en découvrant des séries de cailloux, petits bâtons et autres coquillages.
Tamaquil ne fait pas exception et, petite, elle collectionne les doudous.
Mais en grandissant, elle ne perd pas cette habitude, elle l’adapte à ses goûts qui évoluent avec l’âge.
Ado, elle collectionne les guitares, jeune adulte les théières, issues de ses différents voyages.
Puis ce sont carrément les voitures, les maisons et même… Les amoureux. Vide à combler? Besoin de posséder? L’histoire ne dit pas d’où lui vient cette étrange manie.
Quand son ventre grossit, elle s’imagine volontiers enceinte de triplets, voire de quadruplets, pourquoi pas. Mais c’est un unique bébé qui vient au monde, et son arrivée met fin à la vie de collectionneuse de sa maman. C’est que ça en prend de la place, un tout petit!
Tamaquil est pétillante du début à la fin de l’album. Toujours en mouvement, souvent pieds nus, elle dégage une impression de grande liberté et une confiance en elle qui semble inébranlable.
La collectionneuse est autant un portrait d’une femme joyeusement libre qu’une ode à la maternité.
Les grandes illustrations, qui laissent une grande place aux représentations de la nature, conviennent parfaitement au dynamisme de l’héroïne. Faut que ça fuse, faut que ça pulse, c’est pas une histoire pour s’endormir mais une pour se réveiller. L’orange fluo y côtoie harmonieusement le rose poudré dans des compositions pleines d’énergie.
Nous les humains, Dieter Bäge, Bernd Mölck-Tassel, la joie de lire, 2024, 18€90
On commente souvent la diversité des humains, pour souligner la richesse qui en découle.
Mais il peut également être intéressant de s’attarder sur ce qui nous réunit, ce qui nous permet de nous reconnaitre dans l’autre, aussi différent de nous soient-ils. Et sur le sujet il y a beaucoup à dire.
Dans cet épais volume (160 pages tout de même) les auteurs font une liste, non exhaustive mais très riche, de tout ce qui forge notre humanité, au delà des particularités de lieux ou de temps.
Si le livre est dense, sa lecture n’est pour autant jamais fastidieuse, le texte est court, à peine plus d’une phrase par page, et les illustrations propices à réflexion.
C’est un album très agréable à partager avec un ou plusieurs enfants. On peut alors s’interroger ensemble, et s’autoriser quelques désaccords avec les auteurs si besoin. Eux-mêmes d’ailleurs introduisent de la nuance, avec des termes qui reviennent comme « parfois » « certains d’entre nous » « la plupart du temps » etc
Et puis il y a les phrases tellement universelles qu’elles se passent de ces précautions.
« Nous les humains, nous aimons parler de ce que nous aimons, de ce que nous cuisinons, de ce que nous voulons devenir… »
Ce sont les images qui leur donnent toute leur saveur, montrant des femmes, des hommes, des enfants, dans différents contextes, racontant l’ici ou l’ailleurs, le familier ou l’exotique.
Un album que j’aurais certainement beaucoup de plaisir à partager aussi avec des adultes. Qui dépasse les âges et réunit les générations.
Gruffalo, édition anniversaire 25 ans, Julia Donaldson, Axel Scheffler, Gallimard jeunesse, 2024, 14€90
Ah bon, il a déjà 25 ans le Gruffalo? Mazette, comme le temps passe! Pourtant, il n’a pas une ride sous ses yeux oranges!
Vous ne le connaissez pas encore, Alors il est temps de faire les présentations.
D’abord, il y a une petite souris. Frêle, mais drôlement futée.
Pour elle, la forêt est plein de prédateurs, mais grâce à sa langue bien pendue, elle s’en sort fort bien.
Quand elle est menacée elle prétend avoir rendez-vous avec une créature redoutable, qu’elle décrit à grand renfort de qualificatifs effrayants.
Le Gruffalo a des défenses terribles, des dents redoutables, des mâchoires terrifiantes. Face à ces propos, les prédateurs (Renard, Chouette, Serpent) préfèrent détaler.
Mais quand un Gruffalo, un vrai, débarque devant notre petite souris, on s’inquiète pour le rongeur. Va-t-elle être prise au piège de son propre mensonge?
Pas le moins du monde, les auteurs n’ont visiblement pas pour but de faire la morale aux mouflets en leur expliquant que c’est mal de mentir mais plutôt de les divertir.
J’avoue que je partage ce parti-pris. La mode des livres très normatifs, qui ne cessent de dure aux enfants comment bien se comporter me désole.
Je préfère l’humour et la fantaisie du Grufallo qui montre que l’imagination (et une bonne dose d’audace) peut compenser quand on n’est pas le plus fort.
Dans cette édition spéciale une jaquette décor et des personnages à découper complètent l’album pour que les enfants jouent avec. Il y a aussi quelques activités en fin d’ouvrage que je ne trouve pas très utiles mais qui ne mangent pas de pain.
Pour compléter on peut aussi offrir le cherche-et-trouve qui est sorti en même temps. Les images foisonnantes d’Axel Scheffler se prêtent parfaitement à ce jeu. Avec ses 14 grandes scènes et ses 120 éléments à trouver, il y a là de quoi occuper les mouflets un moment.
Boucle d’or en chemin, Caroline Gamon, hélium, 2024, 18€90
Parmi les très nombreux contes revisités chaque année, Boucle est l’un des plus adapté. En version très graphique, en transformant la fillette en renard ou en bouleversant le genre du personnage, les auteurs s’emparent de cette histoire qui semble être pour eux un formidable terrain de jeu.
Cette histoire maintes fois racontée permet à chacun de déployer son univers, d’affirmer son style propre.
Il n’est pas facile de se distinguer dans cette production pléthorique et seuls les auteurs les plus talentueux sortent du lot, en offrant aux lecteurs une œuvre singulière, basée sur cette histoire devenue ordinaire.
La version de Caroline Gamon émerge pour plusieurs raisons.
Dont la grande attention apportée à l’objet lui-même. Cette couverture entièrement toilée offre un très bel écrin aux images qui mêlent habilement style rétro et moderne. A l’intérieur, un jeu de découpe sert le récit en donnant de la continuité entre les images.
Côté histoire, c’est l’aspect initiatique qui est mis en avant. Bravant l’interdit maternel sans l’avoir réellement souhaité, la toute petite boucle d’or va vivre une aventure initiatique ont le propre, on le sait, est de ressortir grandit.
Les éléments emblématiques du conte traditionnel (les différentes tailles de bols et de chaises, mais aussi l’intrusion dont fait preuve boucle d’or) sont mis en avant par la seule image, le texte, faisant confiance à son lecteur, s’abstient d’insister inutilement.
Une très jolie façon de redécouvrir l’histoire de boucle d’or ou de la découvrir s’agissant des jeunes lecteurs.
Je vous laisse en compagnie de l’autrice qui en parle bien mieux que moi.
Couleur, David A. Carter, Gallimard jeunesse, 2024, 26€90
Je l’attends désormais avec une impatience non dissimulée, le pop-up de noël créé par David A Carter, maître incontesté du genre.
Il nous surprend toujours par des mécanismes nouveaux, des volumes atypiques, des formes sans cesse plus impressionnantes.
Si celui sorti en 2022 reste un de mes préférés parce qu’il invite le lecteur à jouer avec les mécanismes, le cru 2024 est également excellent.
Une double page par couleur et du carton teinté dans la masse pour montrer les différentes nuances.
Ainsi le rouge va du rose au cramoisi, en passant par l’écarlate, le rubis, cerise ou coquelicot.
La page suivante est également appétissante. Pêche, curry ou safran illustrent la couleur orange, viennent ensuite les jaunes, les verts etc.
Comme souvent avec les albums de cet auteur (ingénieur papier lui convient sans doute mieux), la précision des découpes nous ferait presque oublier qu’il y a aussi un texte, il a pourtant son importance et offre aux enfants de nombreux adjectifs pour qualifier les couleurs, en plus de leur noms respectif.
Bien entendu, ce genre de livre ça a un coût de fabrication que l’on retrouve dans le prix de vente.
À manipuler avec précaution et accompagné d’un adulte, donc, mais il émerveille les petits et les grands, c’est un des livres qui peut réunir des enfants de 4 ans et d’autres de 8 avec le même plaisir.