Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
Paris de toutes les couleurs, Jean-Baptiste Pellerin, les grandes personnes, 2024, 29€50
« Il n’y a pas d’art pour l’enfant, il y a l’art. Il n’y a pas de graphisme pour enfants, il y a le graphisme. Il n’y a pas de couleurs pour enfants, il y a les couleurs. Il n’y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature. »
Cette citation de François Ruy-Vidal pourrait convenir pour à peu près tout le catalogue des éditions des grandes personnes mais ce recueil de photo l’illustre plus encore que tous les autres titres.
Pendant une dizaine d’année, le photographe Jean-Baptiste Pellerin a photographié les gens. Ceux qu’il connaissait parfois mais ceux qui passaient par là surtout. Des jeunes gens au pied alerte, ou des vieux monsieur à l’œil rieur. Des gens tout seuls, à deux, plus rarement en groupe ou en famille. Il a pris la ville de Paris pour studio puis pour galerie, exposant ses tirages sur les murs de la capitale.
Chaque portrait est très travaillé mais au delà de la recherche esthétique l’ensemble représente aussi une ville, une époque.
Le livre fait partie de ces ouvrages, précieux dans mon travail, que les parents et les enfants peuvent regarder ensemble sans sans avoir l’impression que l’un se met à la hauteur de l’autre. Ce n’est pas un livre pour enfant que les adultes peuvent apprécier aussi. Ni un livre pour adulte qui peut également plaire aux enfants. C’est un livre.
En fin d’ouvrage, on retrouve pour chaque cliché une petite contextualisation qui rend les photos encore plus touchante parce qu’on mesure qu’il ne s’est pas agit seulement de faire une photo mais de faire une rencontre.
Un ours un vrai, Stéphane Servant, Laetitia Le Saux, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Revoilà la famille Ours déjà rencontrée sous la plume de ce duo auteur illustrateurs dans le génial album Boucle d’Ours. Et, si Petit Ours a probablement grandi depuis, Papa Ours, lui, n’a pas tellement changé. Inquiet peut-être quant à la virilité de son rejeton, il est très occupé à expliquer à lui expliquer ce que c’est d’être un ours, un vrai. Exemple à l’appui.
Maman Ours, quant à elle est très occupée à porter tout le matos dont la famille a besoin pour leur promenade en forêt.
Et Petit Ours? Bah, il fait sa vie, manifestement plus enclin à lire tranquillement qu’à faire sans cesse la preuve de son courage ou de sa force.
On repère très vite que Papa Ours égraine sans même s’en rendre compte à peu près tous les clichés sur la masculinité, et que Petit Ours n’est pas dans les canons habituels des stéréotypes de genre.
On devine aussi assez bien que le père n’est pas aussi puissant qu’il le raconte et que les anecdotes sur ses prétendus exploits sont sujet à caution. C’est sans doute ce qui nous permet d’avoir tout de même de la sympathie pour lui, ça et l’amour manifeste qui existe entre lui et Petit Ours.
Il va sans dire que la valeureux papa va, en fin d’album, perdre un peu de sa superbe et ne devra son salut qu’à Maman Ours. Nous voilà rassurés, son personnage ne sert pas uniquement à porter sur son mari un regard mi indifférent mi amusé.
Mais c’est Petit Ours qui a le mot de la fin et permet de définitivement déconstruire les stéréotypes de genre par l’humour.
C’est vraiment chouette d’avoir des albums qui portent ce type de message avec tant de fraîcheur et de fantaisie. Et c’est un vrai régal à lire à voix haute grâce au rythme enlevé du texte et aux images pleines de pep’s.
Bienvenue à notre table, Laura Mucha, Ed Smith, Harriet Lynas, Gallimard jeunesse, 2024, 15€50
Dans mon travail de terrain je suis souvent à la recherche de documentaires qui vont réunir parents et enfants et favoriser les échanges entre différentes familles qui ne se connaissent pas toujours. Bienvenue à notre table répond à ces deux exigences. La nourriture, sujet universel par excellence, est propice à l’intérêt de tous. Petits et grands salivent à l’évocation des pains du monde, ils découvrent ou reconnaissent des plats au goût d’ailleurs et se plaisent à apprendre termes et techniques culinaires. Pour évoquer les différentes gastronomie les auteurs nous font découvrir les mots qui y sont associés, en version originale. Le plurilinguisme est une jolie façon de rentrer dans les cultures des autres. On apprend ainsi qu’en Éthiopie l’injera (prononcer inne-djé-ra) est une grande crêpe qui sert à la fois d’assiettes et de cuillère. À Mexico, les tortillas, des galettes de maïs, accompagnent la plupart des repas, tout comme les rotis en Indonésie.
À l’image, les personnages sont tous des enfants. On les voit manger mais aussi cuisiner, faire les courses ou jardiner. Ils représentent la diversité du monde et il est plaisant de les voir réunis autour d’une même table sur la couverture. On note un véritable souci de représenter tout le monde sur un pied d’égalité sans oublier personne. Ils ont tous des petites frimousses souriantes, joyeux d’être ensembles. Car quoi de mieux que de partager un repas pour mettre en œuvre le vivre-ensemble ?
L’album met en scène une bande d’animaux sauvages qui tour à tour se repentent de leur choix. Il faut avouer qu’ils se sont mis dans de drôles de situations, mais qu’à t-il bien pu se passer?
Pour le savoir les jeunes lecteurs vont devoir faire des hypothèses et se fier à leur capacité de lecture de l’image. Quand ils voient par exemple un petit lapin blanc, l’air renfrogné, qui dit “Si j’avais su, je n’aurais pas été aussi mignon” certains peuvent deviner ce qui va suivre. La page suivante confirme alors leur intuition, on y voit une fillette couverte de boutons câliner l’animal.
L’énigme est parfois plus difficile à percer, et la réponse en image n’est pas toujours compréhensible immédiatement. Les enfants réfléchissent, s’ils sont plusieurs ils confrontent leurs points de vue et aiment faire marcher leurs méninges.
Les situations sont parfois improbables, souvent loufoques, toujours drôles.
Les bouilles très expressives des personnages sont un petit récit à elles seules, on a beaucoup de tendresse pour ces bestioles, aussi inconséquentes fussent-elles.
Je ne crois pas d’ailleurs que les enfants s’arrêtent beaucoup sur la question centrale de l’album à savoir qu’il est préférable de réfléchir avant d’agir. Ce qui les intéresse c’est plutôt de comprendre ce qui a bien pu se passer. Et de s’amuser des situations!
Est-ce que vous aussi, à peine rentrés de vacances vous ressentez un profond manque de nature? Si c’est le cas, ne vous désespérez pas, il nous reste toujours la littérature!
Et la littérature enfantine est particulièrement propice à nous ramener en vacances le temps d’une lecture, puisque l’image porte l’histoire tout autant que le texte.
Dans mère nature nous suivons une petite troupe qui n’a pas besoin de grand chose. Sans argent, ne faisant pas preuve d’une intelligence particulière ni de force inhabituelle, ils savent comment se divertir. Pour cela ils s’éloignent des hauts immeubles, le plus petit en tête, se glissent sous un grillage et atteignent un endroit où ils peuvent faire des ricochets, grimper aux arbres, cueillir des fleurs ou des fruits, faire des châteaux de sable.
C’est avec beaucoup de plaisir qu’on les suit dans leurs jeux les plus intemporels, faire la planche ou souffler sur un pissenlit.
L’ambiance entre eux semble sereine et amicale. On ne sait pas s’il s’agit d’une fratrie ou d’une bande de potes, peu importe d’ailleurs, mais on voit bien qu’ils passent du bon temps, en toute simplicité.
C’est un album rafraichissant et vraiment réconfortant, on est avec eux, on partage leur détente. Le tout avec très peu de mots mais de grandes illustrations colorées et très immersives.
Animonstres, Henri Galeron, les grandes personnes, 2024, 14€50 Les bestiaires ont toujours beaucoup de succès auprès des mouflets, mais les chimères et autres créatures imaginaires ont une dimension ludique supplémentaire qui les ravit plus encore.
Dans cet album pêle-mêle l’illustrateur s’amuse à créer des bestioles étranges et loufoques que l’on peut mélanger entre elles, façon cadavre exquis, pour multiplier les possibilités.
Tête et pattes avant sur le livret de gauche, fesses et pattes arrière sur celui de droite, avec quelques variations quand même. Des yeux du mauvais côté, une queue qui a des allures de gueule toute dentue, des nageoires ou des ailes qui côtoient des mains à l’apparence très humaine, tout est hors norme, étonnant et presque parfois dérangeant.
Pour rendre les choses plus divertissantes, Henri Galeron ajoute un texte qui reprend les improbables juxtapositions du dessin, avec une forme rimée chère aux enfants.
De nombreux animaux un peu plus… heu, conventionnels dirons nous, sont également présents sur l’illustration, passant parfois d’un côté du livre à l’autre. Ils sont représentés de façon réaliste et leur étrangeté naît des postures invraisemblables ou de leur environnement tellement inhabituel. J’ai eu l’occasion de tester cet album cet été lors de bibliothèques de rue et j’ai adoré travailler avec. Il est à la fois très amusant et très artistiques, plaît aussi bien aux parents qui y reconnaissent un cousinage avec Queneau et ses cent mille milliards de poèmes qu’à ceux qui ignorent tout du mouvement surréaliste. Les enfants se régalent à le manipuler (en plus, il est solide, ce qui est rare pour un pêle-mêle) et s’amusent particulièrement quand ils peuvent le regarder en petit groupe. Ils soulignent alors l’aspect pustuleux/poilu/gluant de certains animonstres tout en soulignant qu’ils sont “mignons quand même” pour certains. Bref, un beau mélange d’artistique et de ludique tout comme j’aime.
Grande, Aurore petit, les fourmis rouges, 2024, 15€90
Vous vous souvenez de la naissance de cette petite sœur qui prenait décidément beaucoup de place dans la famille au point que son ainé la comparait à un diplodocus?
Hé bien, elle a grandi et à présent c’est elle qui se présente à nous. Avec sa force de caractère, son sens de l’humour et sa vision des choses qui est parfois en léger décalage avec la réalité, en témoigne certaines illustrations.
Elle est vive et pétillante, comme les images du livre. Mais surtout, elle est grande. C’est à dire grande comme une mouflette de deux ans, qui n’est certes plus un bébé mais qui doit encore lutter un peu pour faire entendre ce nouveau statut. Alors elle s’affirme, revendique SA place, assume ses choix et valorise ses compétences (c’est le fameux âge “moi tout seuuuullll” bien connu des parents, qui précède généralement de peu celui, tout aussi éprouvant des pourquoi)
J’aime cette série parce qu’elle respire le vécu, Aurore Petit porte un regard tendre et réaliste sur la vie quotidienne en famille, et nous la montre à hauteur d’enfant. Les parents sont suffisamment présents pour qu’il se dégage une impression de sécurité de l’album mais ils restent au second plan, qu’on ne s’y trompe pas, c’est vraiment l’enfant qui est au centre, pour la plus grande joie des petits lecteurs.
Un album survitaminé, comme les mouflets de cet âge là, qui plaira autant aux parents qu’aux enfants (et très agréable à lire à voix haute, pour les gens comme moi qui ne jouent dans aucune de ces deux catégories mais qui lisent des albums quand-même)
Mon ballon, Mario Ramos, Pastel, l’école des loisirs, 2012
Pour une intervention que je prépare dans le cadre de la journée Mario Ramos (dont vous trouverez le programme ici), je me plonge ces derniers temps avec bonheur dans l’œuvre de cet auteur.
J’ai un grand plaisir à partager ses albums avec les enfants sur le terrain, ils sont souvent choisis et toujours appréciés. Comme souvent dans mon ballon, il emprunte son personnage principal à un conte traditionnel, ici le petit chaperon rouge.
Elle n’est pas chargée d’apporter à sa grand-mère un petit pot de beurre et une galette, mais de lui montrer le joli ballon rouge que lui a offert sa mère. Mère dont on ne voit que la silhouette quand elle lui fait signe avec insouciance en la laissant se diriger vers la forêt.
De la fillette on ne voit pas grand-chose non plus. Une petite bouille ronde en début d’album qui disparait rapidement hors-champ, pour ne plus laisser à l’image que le ballon qui se fraye un chemin entre les arbres. Notre petit chaperon s’éloigne en chantant “promenons nous dans les bois” mais rapidement son regard (que nous ne voyons pas, donc) s’arrête sur un personnage, que nous ne voyons pas plus. “Qui se promène aussi par là? Un renard? Un autobus? une locomotive?”.
A ce stade il n’est pas rare que le bambin qui écoute l’histoire lève un sourcil interrogateur? Quel peut donc être ce personnage si difficile à identifier? Pour le savoir il tourne la page et découvre… Un lion pressé chaussé de baskets.
Ah?
Oui.
Inlassablement le petit chaperon va reprendre sa chanson et n’aura le temps d’y ajouter qu’un vers à chaque fois avant qu’un nouveau personnage n’apparaisse, toujours aussi improbable.
Les albums de Mario Ramos reposent sur la complicité qu’il établit avec le petit lecteur. Il lui donne des indices et le laisse tirer les conclusions. Ainsi quand la chanson touche à sa fin l’enfant se doute que la rencontre fatidique va avoir lieux. Mais il nous ménage encore quelques surprises pour donner plus de sel à son histoire, avant même d’en arriver à la chute (elle aussi très savoureuse et inattendue).
Les jeux de hors-champ, de non dit, d’allusions et de références sont toujours très habilement menées dans l’œuvre de cet auteur, parfaitement accessibles aux enfants mais juste assez résistants pour qu’ils aient le plaisir de s’exclamer “ah, j’ai compris!”
Car il est tout de même plus satisfaisant pour les enfants (pour nous aussi d’ailleurs) de comprendre un sens caché plutôt qu’une chose qui nous est donnée immédiatement. C’est là le signe d’une belle littérature enfantine.
Encore un plouf, Isabelle Ricq, seuil jeunesse, 2024, 9€90
Il y a un truc que j’aime bien chez les enfants, c’est le peu de frontière qu’ils mettent entre le monde réel et leur imagination.
Quand on les observe jouer, ils passent de l’un à l’autre avec un naturel parfois déconcertant. Quand ils nous racontent une anecdote, il est parfois très difficile de savoir ce qui a vraiment eu lieux (remarquez, c’est pareil avec la plupart des adultes). L’album Encore un plouf joue avec cette porosité et la met en scène dans sa forme même. Un enfant dessiné se baigne au milieu de créatures qui semblent bien réelles puisque ce sont des photographies.
Visiblement l’eau est bonne, bien qu’on y croise un ours polaire. Tiens, c’est étrange d’ailleurs toute cette faune alors qu’il a sauté dans une piscine. Peu importe, le rythme de l’album nous entraine sans qu’on se pose trop de question. Mais en milieu d’histoire voilà qu’une voix venue d’un personnage hors champ interpelle l’enfant. Faudrait voir à se savonner!
Retournement de situation et hop, retournement d’album, habillement l’illustratrice nous incite à prendre le livre dans l’autre sens pour poursuivre la lecture. On a plongé vers les profondeurs, on remonte à présent, vers un environnement plus familier.
On sort la tête de l’eau et la situation achève sa mutation, ce sont à présent les humains qui sont fait de photos alors que les animaux sont dessinés sur le bord de la baignoire. Isabelle Ricq exploite toutes les possibilités de l’album, avec un sens d’ouverture inhabituel (format calendrier) elle utilise le pli central comme ligne d’horizon, qui sépare l’espace du dessous de celui du dessus, la forme même du livre ressemble à une piscine ou à une baignoire, elle mélange différents types d’illustrations.
L’imagier pas si sage, Aude Morel, Richard Magnier, Frimousse, 2024, 13€50
Tout commence comme un imagier classique, avec des représentations réalistes: Une paire de bottes rouges en vis-à-vis d’une banane. Mais dès la page suivante, cela dérape. Les bottes ont manifestement piétiné la banane qui se retrouve toute écrasée. Un narrateur commente la scène en appuyant bien sur sa désapprobation: “Oh, c’est pas vrai, une banane écrasée, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?” Quand, page suivante, un feutre bleu est mis en regard d’un t-shirt jaune (bien repassé précise le texte), nous (c’est à dire à la fois le narrateur, l’enfant avec qui on partage l’histoire et nous mêmes) sentons que ça va encore mal se passer. Ainsi, à chaque page, le petit lecteur est incité à mettre deux objets en relation pour anticiper sur ce qu’il découvrira sur la double page suivante.
Et, croyez-moi, à ce jeu-là ils sont super forts. Ils se doutent que les ciseaux vont servir à couper les cheveux de la poupée, et que les bonbons vont être mangés et ils ont beaucoup de plaisir à montrer qu’ils ont compris le procédé. Généralement, ils se marrent bien à cette lecture, et je doute qu’ils aient conscience de travailler des notions telles que la relation de cause à effet ou l’ordre des actions. Tout ce qu’ils voient, c’est des “bêtises” se dérouler sous leurs yeux envieux. Un (tout) petit brin d’impertinence n’a jamais fait de mal à personne, en tout cas pas aux enfants. Car voyez-vous, les bambins sont très tôt capables de repérer que certaines choses sont interdites, ils arrivent même généralement assez bien à se retenir de passer à l’acte mais, il faut bien le reconnaître, ils ont souvent plaisir à imaginer toutes les petites bêtises qu’ils pourraient faire. Ça doit être la raison pour laquelle quand un livre les montre, ils ne boudent pas leur plaisir. L’imagier pas si sage leur permet à la fois de montrer qu’ils savent bien ce qui est interdit (certains vont l’affirmer avec véhémence) et de s’y adonner par procuration.