Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
De l’autre côté, Alfredo Soderguit, Didier jeunesse, 2024, 14€
Sur la page de titre, un dessin au trait montre une vue plongeante sur deux maisons, et le contraste est saisissant.
L’une emplit la plus grande partie de la page, elle attire immédiatement le regard, pièces ont l’air immenses et éclairées par de grandes baies vitrées.
De l’autre côté de la haie, une maison modeste se tient dans un jardin arboré.
D’un côté, il y avait la maison de Francisca, de l’autre, celle d’Antonina. L’une vivait en ville, et ne venait que pour les vacances, l’autre habitait là.
Un jour, par le portillon resté ouvert, les deux fillettes se sont rencontrées. Elles ont joué ensemble et immédiatement se sont appréciées.
Si la différence de milieux sociaux entre les deux enfants saute aux yeux du lecteur, les deux protagonistes y sont totalement indifférentes.
Elles passent du jardin de l’une à celui de l’autre, jouent au bord de la piscine ou de la rivière, leur amitié est la chose la plus naturelle du monde, elle les occupe le temps d’un été. Elles sont toujours montrées sur un pied d’égalité, partagent exactement le même bonheur, la même insouciance enfantine, chacune à quelque chose à apporter à l’autre.
Puis le temps passe et leurs chemins s’éloignent. Pas parce que l’une est riche et l’autre pas, simplement parce que la vie est comme ça parfois. Ce n’est pas triste, elles passent simplement à autre chose, sans regret, chacune poursuit son chemin sereinement.
Le temps passe, elles grandissent et leurs vies sont montrées en parallèle. Aucune n’est supérieure à l’autre, elles sont différentes mais elles se valent. Rien, jamais, ne les met en opposition.
Il y a peu d’albums qui célèbrent l’amitié, encore moins qui abordent la question de la classe sociale, et à ma connaissance aucun qui le fasse avec tant de douceur, en montrant tout simplement cette évidence: la différence sociale ne fait pas la valeur, et n’empêche pas la rencontre ni l’amitié.
Au delà de leur complicité le temps d’un été il y a aussi la vie qui s’écoule, on les voit grandir jusqu’à l’âge adulte, elles ont chacune une fille, et l’histoire va se reproduire.
De l’autre côté est le troisième album d’Alfredo Soderguit édité par Didier jeunesse et à chaque fois son style graphique est radicalement différent du précédent. Il a publié une cinquantaine d’albums qui ne sont pas encore traduits, j’espère avoir l’occasion de les lire en Français un jour, il explore des thème rares en littérature enfantine.
Milo s’imagine le monde, Matt de la Pena, Christian Robinson, éditions d’eux, 2024, 20€ Quand Milo et sa grande sœur empruntent le métro pour leur trajet hebdomadaire, le petit garçon est tendu. Le trajet est fastidieux et les émotions qui traversent l’enfant le rendent fébrile. Excitation, inquiétude, embarras et amour nous dit-on. Voilà de quoi susciter notre curiosité, mais où peuvent-ils bien se rendre?
Pour mieux supporter le trajet, Milo s’imagine le monde, en observant les autres passagers. Dans son carnet de croquis il dessine une vie pour chacun. Ce petit garçon endimanché, il le voit en petit roi dans un château fort. Pour la dame en robe blanche il imagine une somptueuse cérémonie de mariage. Tout en poursuivant son jeu, Milo se demande ce que les autres pensent de son visage. Que peuvent-ils saisir de lui, le temps d’un trajet en métro? Cette question de l’image que l’on renvoie, de ce que l’on est vraiment, il se la pose encore alors qu’il est arrivé à destination et qu’à sa grande surprise le petit garçon endimanché va au même endroit que lui. Il réalise que pour chaque visage croisé il aurait pu imaginer une vie totalement différente.
Mais les voilà arrivés, sa grande sœur a enfin lâché le portable qui semblait greffé à sa main pendant tout le trajet. Ils passent les portiques de sécurité à la suite de l’enfant en costume, et retrouvent chacun leur mère. Elles portent des tenues orange, identiques, et serrent leurs enfants contre elles. Je suis vraiment impressionnée par la finesse dont font preuve ces auteurs, Christian Robinson et Matt de la Pena . Sans jamais être excessivement démonstratifs, sans faire de leçon, au fil des albums ils parlent du monde, de ses inégalités sociales, de l’universalité de certains sentiments, de la place de chacun. On pense inévitablement à un autre album qu’ils ont créé ensemble, dans lequel un enfant et sa grand-mère font un trajet en bus pour se rendre à la soupe populaire, où ils sont bénévoles. L’un comme l’autre, livre après livre, s’attachent à montrer ceux qu’on ne voit pas, à valoriser ceux qui sont habituellement dénigrés. Et ils le font avec humour, poésie, tendresse, toujours à hauteur d’enfant. Leurs livres sont à la fois nécessaires et divertissants.
En route, Atinuke, Angela Brooksbank, éditions des éléphants, 2024, 15€
C’est rare que je chronique tous les livres d’une même série, je crois même que c’est la première fois que ça m’arrive.
Mais il est rare aussi que j’ai un tel coup de cœur et que la série se renouvelle sans s’épuiser, sans que les albums ne soient redondants les uns des autres.
Voilà donc le quatrième opus de ce duo d’autrices, les autres sont là.
Cette fois, nous allons quitter le village, pour nous rendre avec les protagonistes dans la ville de Lagos. En route nous allons marcher dans la nuit, monter dans un bus, traverser des paysages de savane, croiser des animaux impressionnants, et tout cela avant même que la journée ne commence.
Les illustrations qui se déploient sous le ciel nocturne sont tout aussi jolies que celles des livres précédent.
Quand l’Afrique est représentée dans des albums pour enfant, c’est très souvent le milieu rural qui est montré. Pourtant, au Nigeria par exemple, où se passe cette histoire, 70% de la population vit en ville. Alors c’est chouette de voir cette famille arriver dans la métropole, de montrer l’ambiance qui y règne (Angela Brooksbank est très douée pour les scènes d’ensemble qui fourmillent de détails, on se plonge avec bonheur dans leur contemplation). Le texte fonctionne à l’économie: peu de mots, mais l’essentiel est là, on devine la chaleur des relations entre les protagonistes, et on partage les sensations qui les traverse pendant cette longue journée.
Panorama, Fanette Mellier, éditions du livre, 2022
En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars (programme complet ici) , je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont on peut les utiliser et la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Panorama est de ceux-là.
Après le livre magique, encore un livre étonnant signé Fanette Mellier. Cette fois-ci la couverture joue sa sobriété.
Notre regard est attiré par le chat au centre, le reste ne fait pas immédiatement sens, si ce n’est peut-être la forme qui évoque un œil en bas à gauche et la lune, que le regard identifie immédiatement, en haut à droite.
L’album s’ouvre en hauteur, format calendrier, il n’égraine pas les mois mais les heures.
Dans la première image on repère le fameux chat, juste à l’emplacement qui lui était réservé sur la couverture, un grand soleil brille en lieu et place de la lune et ce qui ressemblait à un œil est un reflet dans l’eau d’un puits.
La scène est statique, elle représente une maison et le paysage qui l’entoure.
On va retrouver exactement chaque élément, à la même place dans chaque page, seules les couleurs changent, et ce sont elles qui matérialisent le temps qui passe.
Les tonalités s’assombrissent de façon presque imperceptibles d’abord.
Selon les choix chromatiques, l’œil du lecteur est attiré par différents éléments de la page.
Et puis, bien sûr, il y a les aspirations de chacun.
Le petit K, 2 ans et demis, vadrouille dans la salle d’attente de la PMI depuis un moment. Je lui ai proposé de lui lire des histoires, il a décliné. Mais, me voyant feuilleter le livre seule, il vient voir. Il pointe immédiatement la forme ronde et s’exclame « Ballon, ballon! »
Ah, ça y est, j’ai mon accroche. Je lui propose de tourner les pages pour voir ce qu’il y a d’autre dans le livre. À chaque page il répète joyeusement « Ballon ». Je reconnais que c’est sans doute en ballon en effet (à vrai dire ma première hypothèse était plutôt une balle de paille, ce qui me semblait plus attendu dans un champ, mais peu importe, s’il voit un ballon c’est un ballon, s’il avait vu autre chose il aurait raison aussi).
Le même jour, S, (âgée de 6 ans trois quart m’a-t-elle dit) me demande des livres avec du texte parce que « je sais lire maintenant ». Je lui en propose plusieurs qui me semblent adaptés, puis pendant que je lis à un autre enfant je vois qu’elle explore les différents albums que j’ai laissés à disposition.
Je vois qu’elle feuillette Panorama puis s’y arrête.
Elle regarde longuement la première page, puis la suivante, et revient à la première.
Elle dit à voix haute « je trouve pas ». Puis « c’est bizarre… »
Je lui demande ce qu’elle ne trouve pas, elle me répond, comme s’il s’agissait d’une évidence « ben, les différences ». Puis elle ajoute « là c’est pas la même couleur mais c’est partout pas la même couleur ».
Finalement, nous avons regardé cet album ensemble assez longuement, en nous demandant ce qui changeait au fil des pages. Elle a rapidement compris que la nuit tombait, elle a également remarqué que le chat était toujours dans la même position mais elle lui prêtait des humeurs différentes selon les pages (« il a peur? » « Il est content! » « Là, il attend juste »).
Chaque enfant à sa façon de s’approprier Panorama, en fonction de ses habitudes (jeu des sept erreurs) ou de ses appétences (ballon).
J’ai un seul petit regret, je l’ai amené beaucoup sur les différents lieux où je travaille et j’ai finalement assez peu d’observations avec cet album, il est peu choisi. À mon avis cela ne tient pas à son contenu mais à sa couverture, qui n’attire pas beaucoup les enfants. C’est généralement quand je le présente ouvert qu’il va capter le regard.
Je suis toujours très heureuse qu’il soit choisi car il me semble qu’il offre aux enfants de nombreuses pistes de réflexion et qu’il aiguise leur sens de l’observation.
Quant à moi je mesure sa richesse au fait que je ne m’en lasse pas, chaque lecture me plonge dans un plaisir contemplatif.
C’est bien mon chéri, Julien Couty, la joie de lire, 2024, 14€90
Vous avez remarqué, on fustige toujours les écrans dans les mains des enfants mais on s’interroge encore assez peu sur l’effet délétère des écrans sur les enfants quand ce sont les adultes qui s’y adonnent. Dans cet album, les parents sont manifestement très absorbés par le smartphone qu’ils ont chacun greffé à la main. C’est pas des mauvais parents, hein. Ils font à manger, ils encouragent leur môme, ils ont l’air plutôt sympa/normaux. Mais, il faut l’avouer, ils sont peu attentifs. Aucun problème pour le gamin, lui aussi est occupé, il a des projets de construction. Aidé du chat (enfin, il aide comme les chats savent aider, quoi, c’est à dire qu’il se lâche la patte en regardant d’un œil), il se lance dans la construction d’une tour de dominos. Puis y ajoute les coussins du canapé pour plus de hauteur. Et la table basse. Hop, quelques portes de placard, et un échafaudage tant qu’à y être. Il commente chaque étape et obtient immanquablement le même commentaire parental « C’est bien mon chéri » prononcé mécaniquement par un adulte qui n’a toujours pas levé les yeux de son smartphone.
L’imagination du petit s’emballe et son pouvoir d’agir semble sans limite. Des ouvriers viennent lui prêter main forte, une serre tropicale est bâtie, puis un toboggan géant! L’absurdité de la situation contraste avec le réalisme du comportement parental, qui est à peine exagéré. Je n’aime pas trop que la littérature enfantine fasse la morale aux gamins, ici elle ne la fait pas non plus aux parents, puisque rien ne vient sanctionner leur comportement. Ils en sont même presque récompensés, puisqu’ils finissent par retrouver leur salon impeccable. La chute m’a réjouie, elle m’a fait penser à celle de Au lit dans dix minutes, ici aussi il faut tout remettre en ordre en un temps réduit, mais heureusement dans les livres il se produit souvent des miracles!
Pon pan, Katsumi Komagata, les grandes personnes, 2024, 10€50 En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Pon Pan est de ceux-là.
Des points orange sur la page blanche, parfois des trous, une onomatopée qui se répète de pages en pages. Voilà les éléments qui composent cet album. On ne peut pas faire plus simple.
D’abord un point orange dans l’exact centre de la page. En lettres noires il y a juste écrit « pon ». Ok. Puis à la page suivante il y a deux points et le mot est répété deux fois. Logique. Quand ils sont trois deux d’entre eux sont en réalité des trous qui laissent apparaitre les ronds de la plage suivante. Tiens, ça surprend. Puis il y a des variations de taille des ronds qui correspondent à un changement de taille de police. Logiquement, quand c’est écrit plus gros, on lit plus fort.
L’auteur, Katsumi Komagata, adresse ses livres aux enfants très jeunes, il cherche à créer chez eux surprise et émerveillement.
Quand je montre Pon Pan à un bébé, je mesure que l’effet est réussi. Les yeux s’ouvrent en grand, la bouche aussi souvent, je vois l’amusement sur les petits visages.
Je ne sais pas ce qu’ils en comprennent. Je ne suis pas sûre que la question soit pertinente. C’est un livre qui s’éprouve, se ressent plus qu’il ne se comprend.
Sur le site de l’éditeur, on peut lire « Un petit rond, nommé PON, se transforme et se multiplie au gré des pages et des découpes, faisant naître un jeu malicieux sur les sonorités ! »
C’est marrant, ce n’est pas du tout comme ça que j’avais interprété ce livre.
Pour moi le rond n’est pas un personnage, il est l’incarnation d’un bruit qui se multiplie, se répercute, explose pour devenir pan.
Pour moi ce livre est la représentation d’un feu d’artifice à portée de bébé.
Et mon interprétation est tout à fait valable. Je ne prétends pas qu’elle est « juste » et encore moins qu’elle est préférable à celle de l’éditeur.
Mais en tant que lectrice de ce livre, j’ai le droit de l’interpréter comme je l’entends (c’est même la seule chose que je peux en faire).
Et les enfants ont ce droit aussi, comme toute personne qui ouvre cet album.
Au relais d’assistantes maternelles, je l’ai lu à un petit garçon de 2 ans et demis. Je tournais les pages rapidement, ma lecture était très rythmée, presque chantante, avec des accélérations et des moments plus calmes, qui me semblent induits par l’image elle même. Mais lors de la lecture suivante, il a prit le livre en main et a tourné les pages lui même. Le rythme était beaucoup plus lent, il prenait le temps de passer les doigts sur les ronds, dans les trous, faisait parfois des allers retours entre les pages. Parfois, pointant un des ronds il disait « il est là ». Puis, quand les points forment un cercle il m’a dit « c’est la ronde ». Visiblement il a lui aussi sa propre interprétation de cet album, et c’est très bien comme ça!
Et vous, vous le comprenez comment ce livre? N’hésitez pas à me raconter, ça m’intéresse beaucoup.
Les animaux, Bastien Contraire, La partie, 2022, 18€
En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars (programme complet ici) , je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont on peut les utiliser et la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Les animaux est de ceux-là.
Bastien Contraire est un adepte des livres concept, de ceux avec lesquels les enfants peuvent jouer et qui laissent parfois les adultes perplexes.
Dans les animaux, il nous trompe dès le titre, à moins qu’il ne s’agisse là d’un indice pour nous guider dans la lecture qui va suivre.
Chaque page montre un rond de couleur unie sur fond blanc. Ne cherchez pas un jeu d’échelle, tous les ronds ont exactement la même taille, et ils sont tous précisément positionnés de la même façon sur la page. Il n’y a donc que la couleur pour évoquer chaque animal, ainsi que son nom écrit en cursive en dessous.
On peut instaurer un jeu de devinette avec les enfants mais c’est quand-même un peu vache: certains sont quasiment impossibles à deviner. Car après le jaune du poussin ou le gris de la souris, nous avons l’autre gris, celui de l’éléphant, et l’orange peut aussi bien être celui du crabe que celui, moins soutenu, du renard.
On peut aussi, et c’est généralement ce que je fais, se contenter de tourner les pages en lisant le texte, et voir comment les mouflets vont se débrouiller avec ça.
Et là, les réactions sont très variées. Certains nous regardent d’un air indécis, se demandant manifestement si on ne se moquerait pas tout de même un peu d’eux.
D’autres entrent immédiatement dans le jeu, et cherchent alors à deviner la suite (dans ce cas bien entendu je respecte leur jeu et je ne donne pas le nom de l’animal, je ne suis pas sadique non plus)
Nombreux sont ceux qui après quelques lectures retiennent le nom et l’ordre d’apparition de chaque animal, avec un taux d’erreur étonnamment faible.
Quand on a affaire à un petit groupe, les discussions vont bon train, et ceux qui connaissent déjà le livre n’hésitent pas à se positionner en expert, présentant eux-mêmes l’ouvrage à leurs copains, faisant des commentaires ou détrompant fièrement ceux qui n’auraient pas identifié la bonne bestiole.
La dernière page offre une surprise qui accentue le côté ludique du livre et incite généralement les enfants à le prendre en main eux-même, pour mieux jouer avec. Je ne saurais trop vous inciter à les laisser faire autant que possible: c’est toujours chouette que les enfants souhaitent s’approprier un livre.
Livre magique 4: Le bonbon, Fanette Mellier, MéMo, 2023, 16€ En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Un livre magique est de ceux-là.
Quand je l’ai amené au relais d’assistantes maternelles, j’ai annoncé que j’étais curieuse de la réception de cet album, autant par les adultes que par les enfants.
D’emblée, la couverture est attractive, avec cette forme de bonbon qui brille. Mais l’intérieur, une simple forme verte qui prend d’abord toute la page, disparait petit à petit dans le pli central du livre puis revient en différentes couleurs, peut déstabiliser.
Le livre est d’abord passé de mains en mains auprès des assistantes maternelles présentes. Elles ont fait des suppositions (« c’est un poisson? Ah non, un bonbon plutôt »), ont feuilleté, ont noté la surprise quand les pages au centre de l’album deviennent vides, puis le contraste entre la couleur un peu terne du début et celles, très vives, de la seconde partie du livre.
Puis, une première petite fille, qui avait un peu moins de deux ans, s’est approchée pour voir. Debout aux côtés de son assistante maternelle, elle a observé la forme changer au fil des pages, puis, pointant l’image, a prononcé « petit ? » Voyant la forme rétrécir encore à la page suivante elle a répété : « Petit, Petit ! » et quand soudain la page est toute vide elle a pointé le centre, là où la forme a disparue, comme engloutie par le pli du livre elle l’a montré en s’exclamant « Oh ! Oh ! », son regard allait du livre au visage de son assistante maternelle, elle manifestait une vive surprise en sautillant sur place d’excitation.
On se demande parfois si les enfants vont comprendre le propos du livre. Ici la fillette a parfaitement saisi le jeu d’apparition/disparition, et visiblement l’aspect tour de magie recherché par l’autrice est parfaitement passé. Contrairement à nous adultes, elle n’a pas eu besoin de lire les indices (se fier au titre ou à l’image du chapeau haut de forme présent sur la couverture) pour ressentir plus que comprendre ce qu’on lui proposait dans ce livre.
Au cours de la même séance j’ai également montré ce livre à un bébé de 6 mois qui l’a observé avec une grande attention, les sourcils froncés comme en proie à une réflexion intense. Puis à un autre presque du même âge qui l’a regardé en riant qui a tapé de ces petites mains sur les pages puis a voulu l’attraper pour le porter à la bouche, histoire de voir s’il est savoureux sans doute.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans la tête de chacun d’eux. Est-ce que cette expérience de lecture a participé à leur compréhension de la permanence de l’objet ? Est-ce qu’ils ont reconnu la forme du bonbon dans des couleurs différentes ? Mais je ne doute pas que ce moment leur a apporté quelque chose. Quelque chose qui leur appartient et qu’il n’est pas nécessaire d’analyser.
Ma mère est une panthère, Malika Doray, MéMo, 2023, 16€ Selon les tâches à accomplir, les humeurs et les nécessités, les mères s’adaptent. Au point parfois de sembler polymorphes. Le narrateur qui nous raconte sa mère observe les transformations dont elle est capable: « ma mère est une panthère, surtout quand elle est en colère. Et lorsqu’on est en retard, ma mère est un jaguar. (…) Mais le soir quand elle me couve, ma mère est une louve »Le texte est tout en rondeur, comme les illustrations. C’est doux et moelleux comme un édredon, l’image de la mère est enveloppante, rassurante, parfois même marrante. Une mère à laquelle on peut s’identifier (ben oui, les livres pour enfant, c’est bien connu, sont lu par les parents), que je mettrais dans la catégorie « suffisamment bonne et même au-delà ». Le seul sentiment négatif qui la traverse est justement la colère, évoqué en tout début d’album mais qui reste très douce, l’image ne montrant aucun affrontement entre l’enfant et la panthère. Au fil des pages on suppose avoir affaire à un hymne à la maternité. Mais la chute montre que prendre soin n’est pas l’apanage des mères: Le narrateur deviendra un jour père et lui aussi pourra être à la fois crabe, orang-outan ou panthère.
Je crois que c’est la première fois que Malika Doray met en scène un personnage humain, d’ailleurs elle adopte ici un style un peu différent de son habituel: pas de gros cerne noir qui entoure habituellement ses personnages et des couleurs plus texturées. Mais on reconnait toujours son style rond et chaleureux, qui sera apprécié des bébés, tout comme le texte très musical.
C’est l’un des contes populaires très adaptés pour les jeunes enfants.
La trame est la même, une moufle perdue dans la neige et des animaux qui s’y réfugient. La chute varie selon les versions.
Ici l’autrice a pris le parti de l’épure: des images sobres avec le rouge de la moufle pour seule couleur et la silhouette des animaux qui se détache en noir sur la neige et très peu de texte sous forme de livre à compter. Les traces de pas des animaux sont représentées en relief sur le blanc de l’image. D’abord celles délicates de la souris, qui traversent la page pour s’arrêter dans la moufle rouge. Puis celles de l’écureuil (tiens, les pattes arrières ne laissent pas la même trace que celles de l’avant) et du lapin. Les animaux, de plus en plus nombreux, viennent grossir la forme de la moufle pendant que la neige se couvre de traces de pattes.
Mais… 1, 2, 3, 4, 5, on arrive finalement à 6 animaux. 6? C’est beaucoup trop pour une moufle, qui est faite pour seulement 5 doigts c’est bien connu!
Hop, avec cette chute on peut faire le lien avec un jeu de doigt, qui peut accompagner l’histoire.
Un petit livre tout simple, très joli, qui plaira aux bambins et résistera à leur manipulation même si elle est parfois un peu maladroite: les pages cartonnées sont particulièrement solides.