Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
C’est un catalogue qui se veut inclusif (à défaut d’être exhaustif, ce qui semble compliqué sur ce sujet) des différents schémas familiaux possibles.
Ainsi nous y trouvons des familles de deux personnes et d’autres très nombreuses, parfois recomposées.
Celles avec deux papas ou deux mamans sont aussi présentes. Mais encore d’autres, plus inattendues. Les petits personnages ont tous la bouille ronde, ce qui me fait penser à certains jouets en plastiques de mon enfance. Mais ils ont différentes couleurs de peau, des caractéristiques variées. Le texte est poétique et minimaliste, il met l’accent sur la chaleur des sentiments et montre la famille dans ses aspects les plus positifs: un espace de sécurité et de tendresse. L’autrice joue parfois avec les possibilités offertes par la double page mon montrer tantôt deux familles différentes en vis-à-vis, tantôt une seule matérialisée par une rencontre au niveau du pli du livre.
Les enfants sortent toujours de cette lecture rassurés et heureux. Je l’utilise depuis quelques mois dans le cadre de mon travail pour l’association LIRE et il est très apprécié, à la fois par les parents, les enfants et les professionnels de la petite enfance. Il me semble que c’est exactement le type d’album à avoir dans un fonds professionnel, parce qu’il contribue à rendre visible une réalité, qui est la diversité des familles réelles.
Cotcotcot, Benoît Charlat, l’école des loisirs, 2022, 10€50 J’aime bien les livres qui fonctionnent à l’économie de moyen avec un ressort comique efficace, presque implacable. C’est incontestablement le cas de celui là.
D’abord, il y a un œuf, posé sur la page verte.
Sur la gauche, une poule passe la tête. Caquetant à qui mieux mieux, elle s’approche de plus en plus jusqu’à s’installer, pof le derrière sur l’œuf, ça y est, elle couve, tout en nous regardant d’un œil satisfait.
Mais voilà qu’un nouveau cotcotcot se fait entendre, sur la droite cette fois. La nouvelle poulette semble également revendiquer la propriété de l’œuf.
C’est fou tout ce qu’on peut raconter avec des caquètements, un fond uni et deux poules croquées au trait noir. Leurs postures, leur regard, leur place dans la page suffisent à porter le récit et l’histoire tient parfaitement la route. Il faut juste s’assurer qu’elle soit racontée par un adulte qui n’hésite pas à jouer un peu les cot cot et autres codec. C’est qu’autour de l’œuf, ça discute sec, d’ailleurs on en vient rapidement aux mains.
Alors ok, pour nous adultes, la fin n’est pas tout à fait inattendue.
Mais qu’importe. D’abord, pour les enfants elle l’est, et surtout, le plaisir et l’humour sont présents tout au long de l’album, qui se savoure comme une mini pièce de théâtre, dont la mise en scène impeccable ravit les petiots qui en redemandent!
Le genre d’album qu’on peut lire en boucle et qui peut également servir de livre accroche pour attirer les enfants un peu moins lecteurs.
Je peux m’asseoir au milieu? Susanne Straßer, Tourbillon, 2022, 12€50
Je me demande si, mine de rien, je ne suis pas en train de devenir fan des albums de Susanne Straßer. Après Le gâteau perché tout la haut, qui m’a fait découvrir cette autrice et plus récemment Un éléphant sur la balançoire, voilà que pour la troisième fois je suis conquise par la simplicité de son trait et l’humour qui se dégage de cet album.
C’est un enfant, plein de bonne volonté, qui propose une histoire à la cantonade. Le hamster est enthousiaste, vite, il va chercher les autres.
Le zèbre, le chat, le hamster et le lion prennent place autour de l’enfant. Pas de relation de prédateur à gibier ici, tout le monde semble pote, comme une joyeuse bande de mouflets.
D’ailleurs, rapidement, ils se chamaillent comme le feraient des mouflets en pareille situation. La cigogne venue se joindre au reste de la bande à les pattes bien trop longues pour le canapé, le chat exige un coussin (c’est bien un chat, tiens!), le hamster constate que le poisson manque à l’appel.
On s’installe, on se réinstalle, on négocie sa place, mais franchement, un bocal de poisson rouge au milieu du livre, pour la lecture, bof bof.
Bon, à ce stade, j’ai l’impression de me voir au boulot.
Quand je débarque dans un groupe d’enfant pour faire des lectures individualisées, il n’est pas rare d’entendre la question “Je peux m’asseoir au milieu?” ou “je peux tourner les pages”. Et je fais comme le môme du livre, je tente de contenter tout le monde en gardant ma bonne humeur.
Et même si je ne suis pas aussi créative que les animaux en fin d’album, je trouve toujours un moyen pour que chacun passe un bon moment de lecture.
La structure en randonnée est très simple (et convient parfaitement aux jeunes enfants, qui apprécient beaucoup la répétition)et l’image très lisible mais elle apporte des détails et des petites bribes d’histoires supplémentaire, qui enrichissent la lecture. Et mine de rien les personnages sont attentifs les uns aux autres et c’est assez sympa ça aussi.
Laurent tout seul, Anaïs Vaugelade, école des loisirs
Laurent lapin joue tout seul, sous le regard bienveillant de sa mère. Il joue au tracteur, il joue à la pomme, il joue à lapin poussette mais il s’ennuie parce que tout ça, c’est des jeux de bébé.
Il est grand maintenant, il veut jouer dehors.
Chaque jour il outrepasse un peu plus l’interdit posé par sa mère, chaque jour il s’éloigne de la maison, jusqu’à ce qu’il décide de partir en voyage.
Au cours du voyage initiatique de Laurent on le voit s’épanouir, ses oreilles donnent le ton de son humeur, vibrant à l’unisson de ses émotions. Après avoir quitté sa mère et fait son chemin tout seul, il est prêt pour fonder à son tour un foyer, comme en témoigne la dernière page.
Laurent tout seul est l’un des premiers albums que j’ai chroniqué sur ce blog, en 2009. Il était déjà à mes yeux un incontournable, il résonne parfaitement avec les préoccupations des jeunes enfants. La quête de liberté, le désir de grandir, la nécessité pour cela de l’éloigner des figures parentales, sont des thèmes très forts pour les enfants.
Je suis persuadée qu’en lisant l’histoire de Laurent les enfants comprennent qu’ils ne sont qu’au début de leur propre histoire, et que ce sont eux qui ont le pouvoir de l’écrire.
Un bel album émancipateur.
Pendant (trop) longtemps, ce livre était épuisé.
L’école des loisirs l’a enfin réédité (parait-il suite à de nombreuses demandes de libraires et bibliothécaires, ce qui ne m’étonnes guerre).
Je suis très heureuse de le retrouver enfin, mon exemplaire de l’époque était perdu depuis longtemps.
Et il me semble que la nouvelle édition est particulièrement soignée et les aquarelles d’Anaïs Vaugelade sont belles, profondes et contrastées. Et la nouvelle maquette offre une vraie dernière page au dénouement qui était jusqu’ici sur la page de garde. Un bijou.
“Allô maman”, c’est le nom du taxiphone de la rue de Belleville, à Paris.
Il est tenu par un couple et c’est leur enfant qui est le narrateur de l’album.
Il nous raconte, avec toute la candeur de son jeune âge, la petite communauté hétéroclite qui vient régulièrement.
Ici se croisent des enfants et des plus tout jeunes, des gens très censés et des un peu fous, des hommes, des femmes, des très pauvres et des pas bien riches.
Les cultures, les langues, les habitudes de chacun se rencontrent et parfois se télescopent.
En faisant le portrait des clients habituels, le garçon nous donne aussi à voir une vie de quartier, sans caricature.
C’est ainsi que nous faisons la connaissance de monsieur Wang, qui vient régulièrement pour chanter une berceuse au téléphone à sa fille restée au pays. Sa fille a 37 ans, mais il n’y a pas d’âge pour écouter les chansons de son père.
Il y a aussi la petite Simona, qui dépense tous ses centimes pour appeler la Géorgie (celle qui est au bord de la mer noire précise-t-elle, pas celle qui est en Amérique). Quand elle vient, le petit narrateur rougis facilement en la regardant.
Ou encore Frangio et ses gâteaux, Assante qui a besoin d’aide pour remplir ses papiers.
Ici on peut aussi acheter des bonbons, envoyer de l’argent à l’étranger ou faire des photocopies. Et même parfois venir juste pour se reposer, quand dehors il fait trop froid pour y dormir.
Mais l’essence de la boutique, c’est avant tout d’être un lieu d’échange de mots, et c’est cet aspect qui tient à cœur au petit garçon.
C’est aussi ce que j’ai apprécié dans Allô maman taxiphone, ces personnages réunis par les mots au delà de leurs différences de langues. Il est bon de savoir qu’on peut toujours se parler, se rencontrer, s’apprécier, grâce à nos différences plutôt que malgré elles.
Le premier rayon de soleil, Alain Millet, l’étagère du bas, 2022, 11€
C’est au terme d’un voyage à la fois long et périlleux que Lila, Lino et leur fils Léo sont arrivés au pays des oiseaux.
Ils avaient quitté leur maison suite à une sécheresse, traversé la mer sur une barque de fortune, franchit des montagnes enneigées. Et se sont finalement endormis, épuisés, dans une forêt qui leur semblait particulièrement accueillante.
Curieux, les oiseaux sont venus en nombre observer ces étranges créatures endormies. De longues oreilles, aucune plume, quels sont ces animaux qui ne ressemblent à rien de connu ici?
C’est la chouette, connue pour sa sagesse qui a proposé que l’on construise une maison et prépare à manger pour les nouveaux venus.
Et quand le premier rayon de soleil les a éveillés, ils ont été reçus dans une demeure lumineuse avec un repas tout prêt.
Il se dégage de cet album une grande douceur, renforcée par l’utilisation de lettres cursives à la rondeur rassurante. Changement climatique, exil, migration, tous ces thèmes sont présents mais le traitement à hauteur d’enfant les rend plus légers.
Dés le début de l’album l’issue heureuse est connue, puisqu’il commence par un portrait de famille présentant Léo en compagnie de ses deux parents mais aussi de sa petite sœur, pas encore née au moment de leur grand voyage.
Une jolie histoire qui présente l’accueil de l’autre comme une évidence.
La petite mémé futée, Eric Battut, Didier jeunesse, 2022, 13€90
C’est une petite mémé à l’ancienne que nous rencontrons dans ce joli album. Bouille ronde, joues roses, fichu sur la tête, elle porte un tablier et semble vivre (presque) seule. Mais il n’est pas question ici d’une solitude triste, elle affiche un air très serin.
Un matin, alors qu’elle admire son jardin, la Grande Mort pour l’emmener loin loin loin.
Mais la petite mémé ne peut pas partir tout de suite, elle doit nourrir ses poules avant le départ.
Et il y a les légumes du potager à récolter. De quoi préparer un bon repas, à partager avec la Grande Mort.
Celle-ci a une forme fantomatique mais affiche un sourire doux et elle finit par poser sa faux, qui semble l’encombrer plus qu’autre chose, pour savourer les mets préparés par la petite mémé futée.
Je l’ignorais mais manifestement, la mort est une bonne vivante. Et elle semble de bonne compagnie. Il faut les voir toutes les deux à table, têtes tournées vers le lecteur, comme posant pour une photo souvenir, le chat à leur pied, le balais de la mémé posé contre un mur tout comme la faux. On dirait qu’elles passent un bon moment.
Passée la pause déjeuner, la petite mémé se remet à s’affairer, au point que quand le jour décline la Grande Mort préfère remettre son projet à plus tard, c’est seule qu’elle repart loin loin loin, elle reviendra plus tard… Sans doute. Mais l’album ne le montre pas.
Cette histoire est très tendre et résolument optimiste. La petite mémé semble sortie d’un autre temps mais pleine d’énergie, elle respire l’éternité.
Le chat noir qui la suit partout ne semble pas lui porter malheur, il lui tient discrètement compagnie.
Malgré la grande sérénité qui se dégage de cet album, il recèle quelque chose d’étrange, qui semble échapper au lecteur.
La grande maison totalement isolée, dont le mur d’enceinte change d’une page à l’autre, la treille de fleurs noires qui semble vivante à l’arrière plan, jamais tout à fait au même endroit, les poissons rouges dans le bocal mis en valeur à l’avant plan de l’image, alors que plus loin le chat renifle dans sa gamelle une arrête. De très nombreux éléments de l’image semblent avoir un peu plus à raconter que ce que dit le texte.
J’aime assez qu’un livre résiste un peu à la compréhension, qu’on se demande ce que l’auteur a bien voulu dire ou montrer à demi mots.
Je pense que ce sont des éléments qui enrichissent la lecture, et qui ne perturbent pas du tout les enfants. Ils sont habitués à essayer d’échafauder du sens en fonction de ce qu’ils voient ou entendent, à faire des hypothèses, à tâtonner. C’est même comme ça qu’ils apprennent. Et ce qu’ils apprécient d’un livre c’est l’impression générale qui s’en dégage autant que ce qu’ils en comprennent.
Montre-toi, montagne! David Wautier, le diplodocus, 13€90
Au moment de partir en vacances, la petite Jana trépigne d’impatience. A bord de la voiture rouge, elle regarde les images d’un livre. La montagne, qu’elle n’a encore jamais vue en vrai, s’étale sur les pages. Bientôt elle verra de ses yeux ces énormes cailloux qui montent jusqu’au ciel.
La route lui semble longue et les embouteillages au péage mettent sa patience à rude épreuve (ma main au feu que c’est Saint Arnoult, vu le nombre de véhicules qui s’y pressent)
Petite pause pique-nique sur une aire de repos, ruban d’asphalte qui traverse les paysages, mouflette qui presse sa mère de doubler les camions (oui, c’est la mère qui conduit, parce que pourquoi pas), le récit respire le réel, mais les très jolies illustrations (avec beaucoup de vues en plongée) le subliment et on se surprend a apprécier le trajet, qui fait partie intégrante des vacances.
Seulement voilà, à l’arrivée la montagne est cachée, le brouillard recouvre la majeure partie de la page.
Mais enfin, montre-toi, montagne! Quand la petite Jana la découvre enfin, nous partageons son émerveillement, et nous aimerions être avec elle pour enfin la fouler du pied. La randonnée qui va suivre, montrée das un plan d’ensemble sur une double page sans texte montre une Jana gambadant joyeusement dans l’herbe en compagnie du chie, on sent l’air frais de la liberté qui souffle sur elle. les vacances sont vraiment commencées.
J’ai trouvé cet album plein de fraîcheur, très agréable à lire à voix haute et tout à fait réalistes. Et les images sont vraiment jolies et nous plongent dans une ambiance agréable.
Sous la mer, Natasha Durley, amaterra, 2022, 13€90
J’apprécie beaucoup cette série d’imagiers, toujours très colorés, qui se caractérisent par leur forme en accordéon et leur couverture qui forme une boite au rabat aimanté.
J’ai déjà parlé de ceux qui ont un continent pour thématique ici.
Sous la mer a les mêmes qualités formelles: c’est un livre solide et ludique, qui attire le regard des petits (et résiste à leur manipulation)
Les objets réunis ici ont donc pour point commun la thématique marine.
On trouve sur certaines pages des choses que les enfants peuvent voir à la plage: l’algue, la bouée, le crabe ou la vague par exemple, d’autres choses plus rares et qu’ils ne verront probablement jamais en vrai (l’épave de bateau, le message dans sa bouteille) et d’autres encore qui n’existent pas ou plus (la sirène ou le plésiosaure)
Les images sont jolies, colorées et lisibles et chacune d’elle peut rappeler une histoire ou inspirer une rêverie.
Si avec certains mouflets la lecture peut être rapide, d’autres vont s’attarder longuement sur chaque page, faire des commentaires, imaginer des liens entre elles.
Et puis il y a ceux qui jouent avec la forme paravent, en faisant par exemple un chemin, et ceux, très nombreux, qui ne se lassent pas de faire claquer l’aimant qui le maintient fermé.
En jouant dans la cour de récré, un enfant trouve une couronne. Il ne lui en faut pas plus pour se proclamer roi. Après avoir adressé quelques compliments au petit peuple qui s’affaire dans le bac à sable, le voilà qui se met à donner des ordres.
Pas trop contrariants les mouflets acceptent assez facilement de se prêter au jeu.
On fabrique un château de sable, c’est plutôt sympa. Rapidement quelques personnalités se détachent, il y a ceux qui se comportent spontanément en soldats, ne reculant devant aucun zèle, ceux qui rechignent un peu, et les sujets dociles qui ne se posent pas beaucoup de question. Bon, il y a aussi celui qui est resté bloqué sur le compliment fait par le roi et répète à l’envie qu’il est le plus beau.
Quand Jacadi a dit de donner son goûter alors qu’il n’a même pas l’appétit suffisant pour tout ingurgiter, ça rechigne tout de même un peu.
Tiens tiens, le vaniteux endosse le rôle de délateur assez spontanément.
Le jeu se poursuit et, sans surprise, le pouvoir monte à la tête du roi qui devient assez rapidement tyrannique et fini par envoyer tout le monde en prison. Suite à quoi le jeu n’est plus tellement intéressant, même pour lui.
Heureusement, les enfants sont tout de même bien plus censés que les adultes, s’ils peuvent reproduire dans leurs jeux les travers des grands ils savent aussi y mettre fin et ne feront pas deux fois les mêmes erreurs.
Le texte court, qui va a l’essentiel, et les enfants croqués sur le vif, très expressifs mettent en valeur la spontanéité des relations.
On retrouve dans cette petite bande de mouflets en liberté un petit air d’Anton, et ici aussi la régulation de leur jeu se fait par le groupe, avec des moments où les enfants peuvent se montrer durs les uns avec les autres mais ce n’est pas bien grave parce que tout ça, au fond, c’est rien que pour jouer.