La chanson de Bernardo Mk Smith Despres, Hyewon Yum, Didier jeunesse 14€ 2024
Chaque matin, il y a un petit miracle qui se produit dans la forêt. Le chant des oiseaux perce l’air frais et fait se lever le soleil. Sur son nénuphar, Bernardo écoute et savoure ce moment. Il observe les fleurs s’ouvrir, la rosée s’évaporer, il s’émerveille. Il aimerait tant participer à ce chant qui éveille la nature quotidiennement. Mais il n’a pas la voix des oiseaux, son chant de grenouille est plus caverneux, il sonne creux, comme le bois et la nuit. Il tente bien de se fondre dans le petit monde des oiseaux, mais personne n’est dupe. Pourtant, la chanson de Bernardo est belle elle aussi, et tout comme celle des grives, fauvettes et autres stirelles, elle a son utilité dans la forêt. Bernardo est une petite grenouille très attachante et on est soulagés avec lu quand il finit par trouver sa place dans la musique de la nature.
Les images montrent une nature très délicatement représentée, les teintes chaudes de la journée nous plongent dans une ambiance accueillante tout comme les coloris sombres de la nuit nous entraînent vers le calme et la sérénité. Les expressions de Bernardo apportent une petite touche d’humour. Finalement dans une journée autour de l’étang il y a deux chansons pour accompagner deux moments qui ont autant d’importance l’un que l’autre. Un très joli album qui souligne à quel point la différence est une richesse.
Loup gris et le gang des petits, Gilles Bizouerne, Ronan badel, Didier jeunesse, 2024, 13€50
J’avoue que quand une nouvelle aventure de Loup Gris sort, je ne boude pas mon plaisir. La collection atteint avec ce nouvel opus la dizaine d’albums, et l’auteur Gilles Bizouerne nous régale toujours de nouvelles trouvailles. Dans « loup gris et le gang des petits », notre beautiful loser préféré est aux prises avec une bande de marmots au caractère bien trempé. Et pourtant, il n’a même pas essayé de les croquer ni rien, ce sont eux, les bougres, qui l’agressent ! Faut dire que pour les petiots c’est pas marrant, leurs parents inquiets ne cessent de les entraver : « Reste dans le pré… Ne t’éloigne pas… Reviens vite dans le poulailler », qu’est-ce que c’est casse-pieds ! Alors, cette fois, c’est décidé, ce problème, ils vont le régler, le loup, ils n’en veulent plus du tout.
Loup Gris, bien entendu, ignore tout de leur projet, il est d’ailleurs particulièrement bien luné. Il doit avoir tourné végétarien, je ne vois que cela comme explication à sa bonne humeur, vu le peu de succès qu’il rencontre comme prédateur dans les épisodes précédents. Quoi qu’il en soit, il est pleinement détendu quand il tombe dans le premier des pièges tendu par les loustics. Il s’en tire avec quelques bosses et tente très vite de retrouver sa sérénité. Je pense qu’il a dû prendre des cours de développement personnel ou un truc comme ça, il fait tout bien ses exercices de respiration, mais le pauvre n’est pas au bout de ses peines. Je dois avoir un petit fond sadique, parce que j’adore le voir maltraité alors qu’il a pourtant toute ma sympathie. Je crois que c’est justement ce paradoxe qui fait le succès de la série, on est sans cesse partagé entre notre empathie pour le personnage et nos pulsions cruelles qui nous font savourer ses déboires. Comme toujours c’est très drôle, le rythme vif nous embarque, on apprécie de le lire à voix haute parce qu’il est vraiment écrit pour cela, et les expressions des personnages sont désopilantes.
L’autrice poursuit sa série d’albums poétiques et délicats autour des grands phénomènes naturels, cette fois elle réussi le tour de force de m’enchanter avec un album sur la pluie.
Je déteste la pluie. Mais la première double page montre de magnifiques lupins en fleurs et il n’en faut pas plus pour me ravir. Comme dans les autres titres, elle met en scène des enfants épanouis et joyeux, qui se passent fort bien de la présence d’adulte, et jouent à l’extérieur. Il s’en dégage un profond sentiment de liberté, surtout quand les gouttes en tombant transforment le potager en gadoue, plaisir sensoriel suprême.
On retrouve comme dans les autres opus le vernis sélectif sur certains éléments de l’image, qui convient particulièrement pour mettre l’eau en valeur. Le texte qui est un véritable poème à hauteur de tout petit. Les pages cartonnées aux bords arrondis. Et en prime plein d’animaux adorables.
Ce sont vraiment des albums qui se sont imposés dans mon travail auprès des bébés, ils sont faciles à utiliser et séduisent autant parents et professionnels que les enfants eux-même.
Au point que j’espère qu’Anaïs Brunet va poursuivre la série (ce qui, a priori n’est pas dans ses projets). Je verrais bien un titre sur la brume. C’est joli aussi la brume, et ça permet d’amusants jeux de cache-cache. Oui, un titre sur la brume, ce serait bien.
De l’autre côté, Alfredo Soderguit, Didier jeunesse, 2024, 14€
Sur la page de titre, un dessin au trait montre une vue plongeante sur deux maisons, et le contraste est saisissant.
L’une emplit la plus grande partie de la page, elle attire immédiatement le regard, pièces ont l’air immenses et éclairées par de grandes baies vitrées.
De l’autre côté de la haie, une maison modeste se tient dans un jardin arboré.
D’un côté, il y avait la maison de Francisca, de l’autre, celle d’Antonina. L’une vivait en ville, et ne venait que pour les vacances, l’autre habitait là.
Un jour, par le portillon resté ouvert, les deux fillettes se sont rencontrées. Elles ont joué ensemble et immédiatement se sont appréciées.
Si la différence de milieux sociaux entre les deux enfants saute aux yeux du lecteur, les deux protagonistes y sont totalement indifférentes.
Elles passent du jardin de l’une à celui de l’autre, jouent au bord de la piscine ou de la rivière, leur amitié est la chose la plus naturelle du monde, elle les occupe le temps d’un été. Elles sont toujours montrées sur un pied d’égalité, partagent exactement le même bonheur, la même insouciance enfantine, chacune à quelque chose à apporter à l’autre.
Puis le temps passe et leurs chemins s’éloignent. Pas parce que l’une est riche et l’autre pas, simplement parce que la vie est comme ça parfois. Ce n’est pas triste, elles passent simplement à autre chose, sans regret, chacune poursuit son chemin sereinement.
Le temps passe, elles grandissent et leurs vies sont montrées en parallèle. Aucune n’est supérieure à l’autre, elles sont différentes mais elles se valent. Rien, jamais, ne les met en opposition.
Il y a peu d’albums qui célèbrent l’amitié, encore moins qui abordent la question de la classe sociale, et à ma connaissance aucun qui le fasse avec tant de douceur, en montrant tout simplement cette évidence: la différence sociale ne fait pas la valeur, et n’empêche pas la rencontre ni l’amitié.
Au delà de leur complicité le temps d’un été il y a aussi la vie qui s’écoule, on les voit grandir jusqu’à l’âge adulte, elles ont chacune une fille, et l’histoire va se reproduire.
De l’autre côté est le troisième album d’Alfredo Soderguit édité par Didier jeunesse et à chaque fois son style graphique est radicalement différent du précédent. Il a publié une cinquantaine d’albums qui ne sont pas encore traduits, j’espère avoir l’occasion de les lire en Français un jour, il explore des thème rares en littérature enfantine.
Les mamies et les papis, Georgette, Didier jeunesse, 2024, 11€90
Revoilà l’autrice Georgette, et ses petits personnages illustrés façon gommette.
Elle poursuit son exploration du monde réel et nous en renvoie une image juste à travers ses albums.
Car si la littérature jeunesse représente souvent les mamies et les papis stéréotypés, lui fumant une pipe, elle faisant des gâteaux, dans les familles la réalité est tout autre.
Il ne s’agit pas de gommer les traces de la vieillesse, au contraire. Les rides sont bien là, tout comme les coups de fatigues et la mémoire hasardeuse. Mais les stigmates de l’âge sont valorisés, si papi a un visage tout plissé c’est qu’il a beaucoup rigolé et mamie est douce et moelleuse comme un oreiller, pratique pour la câliner.
Ici nous voyons des mamies amoureuses ou qui vont en manif, des papis pirates ou qui aiment danser.
Ils sont nombreux, ils sont joyeux, ils sont tous différents, ils ont la saveur des grands-parents réels.
Comme dans l’album qu’elle consacre aux familles et celui sur l’amour, Georgette permet à chacun de se reconnaitre, et pour s’adresser à des petits son texte est court et ses images très lisibles. Je le lis avec plaisir aux enfants de moins de trois ans comme à ceux de maternelle.
Loin de moi l’idée qu’il faut absolument des albums cartonnés pour lire avec les bébés. Je dis même régulièrement en formation qu’il y a plein de livres en papier adaptés avec les nourrissons, qui ont un temps d’attention parfois long et qui n’abîment pas tellement les livres.
Ça se complique avec les enfants qui commencent à se déplacer, mettent les livres dans la bouche et veulent tourner les pages eux-mêmes!
Cependant, parce que c’est pratique, parce que c’est un peu moins cher et parce que ça permet de garder les mêmes livres quand les enfants grandissent, on me demande très régulièrement des albums aux pages cartonnées.
Les éditeurs connaissent bien cette demande et rééditent souvent des livres à succès dans ce format (citons par exemple ceux de Chris Haughton ou encore le très réussi Bébé au marché).
Dans les sorties récentes j’ai repéré entre autre ces quatres petits albums que j’aime bien lire avec les bébés, qui sont agréables en bouche, et qui plaisent aussi aux adultes qui accompagnent les enfants (ce qui, vous le savez, est un critère important dans mon travail)
C’est le troisième album de ce format proposé par l’atelier SAJE et, comme les deux précédents, il se reconnaît à son style épuré, ses couleurs vives, ses lignes simples. Les pages sont animées (on peut faire tourner le petit hérisson ou le cacher dans le feuillage) mais tout de même solides. Et ici, petit intérêt supplémentaire, le texte est une comptine (Qu’est-ce qui pique pique pique, qu’est-ce qui pique quand on le prend? C’est mon hérisson mesdames, c’est mon hérisson. Ceux qui la connaissent l’ont désormais dans la tête pour la journée. De rien.)
Un livre accroche idéal, qui attirera l’oreille comme le regard.
C’est parti, petite souris, Emmanuelle Halgand, Motus, 12€
C’est parti petite souris joue également sur des lignes pures, et des images très lisibles. Pas de comptine ici mais un texte très court, celui prononcé par une petite souris malicieuse qui n’hésite pas à aller voir les animaux les plus imposants. Mais elle file si vite de pages en pages qu’ils n’ont même pas le temps de réagir, hop, la voilà partie.
L’histoire de cette petite souris qui n’a pas froid aux yeux ravit les petits, tout comme la diversité des animaux représentés.
Hi! Colette, Catherine Louis, HongFei, 10,90
Hue, Oh, Eh, Ah, Hi, voilà le tout dernier de la série de Catherine Louis!
Comme les autres, il est illustré par des gravures où le noir et blanc domine. Ici le rouge surgit en fil d’album.
Bien qu’il n’apparaisse pas sur la couverture le héros de ce petit album est le chat noir, qui va retrouver la petite Colette pour des jeux pleins d’imagination. C’est simple et joli, le contraste noir, blanc et rouge est toujours très efficace pour lire avec les bébés, il attire leur regard immanquablement. D’ailleurs, cette petite collection a déjà montré ses qualités puisque ce sont des livres qui sont très souvent choisis par les petits.
L’escapade, Marine Schneider, Cambourakis, 10€
Du noir et blanc ici encore (nous savons combien les bébés sont sensibles aux contrastes) à l’exception de la couverture et d’un mot sur chaque page écrit en orange.
Bravant la pluie, un narrateur invisible décide de faire une petite promenade. Il enfile ses bottes et hop, dehors. Il voit des animaux, observe la nature. L’image montre un focus sur un élément important, montré en noir sur fond blanc. C’est très joli et efficace.
Dans l’univers, il y a mon papa, Gigi Bigot, Julia Spiers, Didier jeunesse, 2023, 14€
« Dans l’univers, il y a la terre. Sur la terre, il y a un pays. »
Cette structure narrative issue du poème Dans Paris il y a, d’Eluard, on la retrouve dans de nombreux albums.
Sans doute parce qu’elle permet de faire un focus sur un sujet qui préoccupe l’enfant.
J’aime voir la façon dont auteurs et illustrateurs s’en emparent pour en faire une œuvre singulière, qui reflète leur univers.
Ici, il y a les gouaches de Julia Spiers, qui attirent immanquablement le regard.
Au texte, Gigi Bigot joue sur l’effet de zoom et dé-zoom pour évoquer l’éloignement des êtres et du rapprochement des cœurs.
Car dans les rêves d’un enfant qui est ici, il y a un père qui est là-bas. Et dans ceux de ce papa qui est loin en mer, il y a son p’tit gars.
Les illustrations, qui mêlent l’étrangeté du rêve et le réalisme du quotidien abolissent les distances. Père et fils, réunis sur la couverture, sont ensemble grâce aux rêves qu’ils font l’un de l’autre.
Le thème de la séparation et de l’amour père enfant, mais aussi la douceur poudrée des illustrations et le rythme du texte rendent cet album très accessible aux tout petits. L’universalité du sujet attirera également les plus grands. Et le charme infini des images en font également un régal pour les adultes.
Dans l’univers il y a mon papa aurait donc toute sa place dans la sélection des cadeaux de naissance!
Ah, le sommeil des enfants, c’est souvent toute une histoire et nombreux sont les albums qui se préoccupent de faire dormir nos chers bambins (avec un succès relatif d’ailleurs)
Mais pour certains mouflets, le plus dur n’est pas de s’endormir mais bien de se lever.
C’est le cas de fillette. Bien pelotonnée sous la couette elle n’entend même pas maman qui tente de la réveiller. Les chatouillis, le soleil qui rentre par la fenêtre, rien n’y fait.
Alors maman demande de l’aide à chat. Nouvel échec, non seulement il ne parviens pas à la réveiller mais il s’endort à ses côtés.
Maman fulmine, elle est en retard au travail, il faut que fillette se lève!
À son tour, le chien est appelé à l’aide, puis le coq. Mais bientôt les voilà tous endormis. Il faut reconnaître que le lit semble tellement confortable, avec ses oreillers moelleux et colorés, difficile de résister.
Quand à maman, elle devient chèvre, littéralement.
C’est pas tout ça mais elle doit vraiment aller au boulot, ça commence à durer cette histoire!
Quand enfin notre héroïne se réveille (je vous laisse découvrir ce qui aura finalement raison de son sommeil), elle aussi est pressée. Pourtant c’est samedi, il n’y a pas école aujourd’hui.
On comprend en fin d’album quelle solution cette maman (visiblement célibataire) a trouvé pour faire garder sa fillette le samedi. Une fin qui joue sur un double registre, celui des contes et celui du quotidien très réaliste, et le mélange fonctionne assez bien.
Je suis assez sensible à cette mère qui perd patience tout en tentant de rester assez cool avec sa môme, sans arriver en retard au boulot. J’ai un sentiment de familiarité qui me touche…
La chute nous incite à changer de regard sur un personnage emblématique de la littérature enfantine. C’est peut-être bien là le véritable propos de l’album: nous défaire de nos représentations toute faites.
En cette fin d’été, brutalement, le soleil vient à manquer. Alors je suis ravie de le retrouver sous la forme de ce chouette album aux pages cartonnées, destiné aux tout petits mais avec un texte qui n’a rien à envier à la poésie des adultes.
Après un livre célébrant la neige puis un autre sur les orages, l’autrice Anaïs Brunet nous propose un ciel plus clément dans un ouvrage aux couleurs éclatantes.
Beaucoup de jaune bien sûr, mais aussi du rose fluo, du bleu, du vert, qui se mêlent dans un feu d’artifice pétillant. Un peu de noir aussi pour le contraste et des touches de vernis pour le brillant. Les bambins vont en avoir plein des mirettes! Chacun s’attardera sur les éléments de l’image qui les intéresse le plus, les animaux pour les uns, les enfants qui jouent pour les autres, ou encore le détail des motifs.
Le texte est un poème en six strophes, dont chaque vers a cinq syllabes. Son rythme fluide s’impose très naturellement lorsqu’on le lit à voix haute.
Les jeunes enfants y découvriront probablement des mots encore jamais entendus. Ce sont souvent ceux-là qu’ils trouvent les plus savoureux. Et comme les petits aiment la répétition, je ne doute pas que rapidement, ils connaîtront l’album par cœur.
Une journée extraordinaire, Philip Waechter, Didier jeunesse, 2023, 13€50
En littérature enfantine, l’ennuie est souvent le point de départ de jolies aventures, ou source de créativité.
Pour Raton laveur, c’est ainsi que l’histoire commence. Se trouvant désœuvré, il décide de faire un gâteau aux pommes.
Comme il n’a pas d’œuf, il va en demander à son amie renarde. Celle-ci, occupée à réparer sa gouttière à grand besoin d’une échelle. Blaireau en aura sûrement une à leur prêter. Mais celui-ci a besoin d’aide à son tour pour faire ses mots croisés, les voilà donc tous en route vers la maison d’ours.
Depuis Les bons amis, de très nombreux albums mettent en scène des chaînes de solidarités entre animaux. La structure peut donc sembler attendue pour les adultes habitués aux albums. Mais les enfants, eux, posent un œil neuf sur ce type d’histoire, et ils apprécient d’autant plus les valeurs qu’ils y trouvent.
Ici, l’histoire dévie du cours attendue en milieu d’album.
Laissant un temps les quêtes de chacun de côté, les animaux se baignent dans la rivière tous ensemble, dans une petite parenthèse hors du temps.
Quand le soleil commence à décliner, il n’est pas trop tard pour se mettre à l’ouvrage et chaque problème est résolu avant la fin de journée.
Enfin, les amis peuvent partager le fameux gâteau aux pommes, dans la lumière d’un coucher de soleil, mettant fin à une journée extraordinaire, faite de solidarité, de jeu, de spontanéité, de plaisirs… Et de travail accompli, sans sentiment d’effort.