Sur la route, Florent Chamiot-Poncet, l’agrume, 2019, 14€90
Parfois, en voiture, les enfants s’ennuient. Et d’autres fois, ils en profitent pour observer leurs contemporains dans les autres véhicules. Toutes sortes de personnes, au volant de toutes sortes d’engins. C’est un défilé coloré de gens plus ou moins pressés.
De page en page, les engins croisés et leurs passagers sont de plus en plus étonnants: au camionneur au look de hipster succède un garçon un peu crâneur au volant d’une décapotable (les enfants se réjouissent de le voir recevoir une fiente d’oiseau sur son abondante chevelure), des animaux de la savane, une véritable fanfare, et ce n’est pas fini.
Lignes pures, couleurs franches, les illustrations sont modernes et jolies.
Le texte concis joue sur les sonorités.
Un album simple et efficace, les engins, les nombreux animaux, les couleurs vives, l’humour qui s’en dégagent font mouche avec les mouflets et plaisent également aux parents.
Et s’il peut faire passer le temps plus vite quand on est nous même sur la route, on ne peut que s’en féliciter!
Jabari est un enfant plein d’idées et Alors quand il décide de fabriquer un engin volant, il y met les moyens. Énergie, créativité et ténacité sont au rendez-vous. Et surtout, il veut le faire tout seul.
Vis, plan et outils envahissent la table du jardin. Pendant ce temps papa vaque à ses occupations. Nina, la petite sœur de Jabari, aimerait bien participer, elle ne cesse de solliciter l’attention de son frère “moi, moi!” Dit elle.
Il finit par l’associer à la Jabari, mais là c’est la colère qui s’installe, fichu engin qui ne veut pas voler!
Rassurez-vous,
Il y a vraiment beaucoup de choses intéressantes dans cet album, dont la trame narrative est par ailleurs assez simple.
Le texte n’est pas bavard et il sonne juste, à hauteur d’enfant. Les changements d’humeur des protagonistes sont amenés avec naturel, on n’a pas le sentiment d’être face à un livre “pour parler des émotions”, mais il permet bien évidemment de les comprendre.
J’aime aussi la façon dont il montre la fratrie, avec un brin de
Le père accompagne Jabari s’inspire de grands chercheurs ou ingénieurs tels que Lewis Howard Latimer, Roy Alleta ou encore Flossie Wong-Staal, qui sont cités dans l’et je trouve important qu’un album contribue à leur donner la célébrité qu’ils méritent.
Vas-y Jabari fait suite à Jabari plonge, sorti en France en 2021.
Une journée d’apicultrice, Arnaud Nebbache, Kilowatt 14€50
La tournée de Gaspard, Arnaud Nebbache, l’étagère du bas 14€50
Une fois n’est pas coutume, je fais aujourd’hui un article commun pour deux albums tant ils sont proches dans leur conception.
L’un comme l’autre présentent un corps de métier avec des pages qui s’apparentent à un imagier documentaire en alternance avec des pages qui racontent une journée du travailleur concerné.
Ils sont tout deux illustrés par Arnaud Nebbache qui utilise des aplats de couleurs et des tampons pour un résultat très graphique et original que j’apprécie beaucoup (j’avais déjà parlé de l’un de ses albums ici)
Et ils sont tous les deux pleins d’humour tout en étant véritablement informatifs.
dans Une journée d’apicultrice, les abeilles ont mystérieusement disparues. Il faut retrouver l’essaim de toute urgence, d’autant que dans le grand champ, le tracteur qui arrose de pesticide est déjà à l’œuvre.
Quant à Gaspard, il est éboueur et dans sa tournée quotidienne il croise souvent les même visages. Mais ce matin, le petit garçon en trottinette est à pied, et sa trottinette gise au sol, cassée. Gaspard en a le cœur lourd, mais au milieu des déchets se cachent bien des trésors, et notre héros trouvera le moyen de réparer l’engin de l’enfant.
Je suis toujours étonnée qu’on ne trouve pas plus de camions poubelle dans les albums pour enfant, tant cet engin est chéri des tout petits.
Je ne doute pas qu’ils vont adorer La tournée de Gaspard qui montre la réalité du métiers mais aussi un fort sympathique éboueur concerné par le recyclage.
On trouve également un message à caractère écologique dans Une journée d’apicultrice et c’est l’occasion de découvrir un métier souvent méconnu.
Tut-tut Yuichi Kasano, école des loisirs, 2021, 8€
Il y a des auteurs qui sont vraiment forts pour capter l’attention des enfants en quelques pages, trois mots et quatre dessins.
Yuichi Kasano est de ceux-là. Il excelle dans les albums complexes, qui transmettent beaucoup d’informations, à la limite du documentaire par exemple dans “Cueillons les feuilles de thé” mais il est également remarquable quand il fait des petits albums aux pages cartonnées destinés aux tout petits.
Ici, un bus, rouge, qu’un simple point noir sur le pare-brise suffit à personnifier. À son bord, trois petits cochons, museau au vent, tout contents. Voilà une moto. Tut-tut, le bus rouge la double. Puis un taxi. Et même un (gros) camion.
Le bus rouge double tout le monde, les petits pourceaux en sont ravis.
Les voilà arrivés à destination, maman les attends. Dès demain, ils remonteront dans le bus rouge.
Mais les enfants à qui vous lirez cet album n’attendront certainement pas le lendemain pour vous demander de recommencer!
C’est un petit album d’une remarquable efficacité, qu’on relit en boucle avec toujours le même plaisir.
Sorti d’abord en 2018 cette nouvelle édition propose un format légèrement plus petit, idéal pour les petites menottes des mouflets, qui apprécient également de le feuilleter tout seuls.
Les camions, les bateaux, les trains, Byron Barton, l’école des loisirs, 2021, 12€70
Depuis la première des boîtes des papas, on ne cesse de le constater : les enfants adorent les petits formats colorés que l’on peut regrouper dans un même contenant. Ce nouveau coffret, signé Byron Barton ne manquera pas de susciter l’intérêt des petits, autant grâce à sa forme que par son contenu. Ce sont trois petits albums qui mettent en avant trois types d’engins chers aux mouflets. Ils ont la même structure très simple: d’abord le cadre où évoluent les camions, les bateaux, les trains (la route, les rails, l’eau). Puis les différents engins en situation, avec leurs passagers ou leurs conducteurs. On reconnaît le trait stylisé et les aplats de couleurs vives que l’illustrateur affectionne, on note qu’il prend toujours soin de représenter une grande variété de couleurs de peau chez ses personnages, et comme toujours le texte, minimaliste, va droit à l’essentiel. Ce qui n’empêche pas une certaine précision et du vocabulaire technique, dont les enfants sont friands.
C’est une première traduction en français d’albums qui sont d’abord sortis en 1986 avec des pages en papier, puis réédités en plus petit format cartonné. Je suis surprise que l’école des loisirs ait tant tardé à les éditer tant je ne doute pas qu’ils vont rencontrer leur public, ils vont rapidement s’imposer dans les lieux d’accueil de la petite enfance. Et dans ma valise, ils seront des livres accroches précieux pour aller vers des enfants que je ne connais pas encore (quand je travaille par exemple en salle d’attente de PMI, dans le cadre de mon travail pour LIRE)
Je m’étonne également du choix de ne pas avoir traduit l’opus consacré aux avions, pourtant assez semblable (d’autant que le remarquable “Aéroport”, du même auteur, est actuellement indisponible en grand format).
Quoi qu’il en soit c’est une excellente idée de les avoir réunis dans un coffret (probablement un choix de l’éditeur français) et cela contribuera au succès de cette trilogie.
Tous sur le chantier, Tomoko Ohmura, l’école des loisirs, 12€20
C’est monsieur souris le chef de chantier. Son équipe est composée de six engins qui doivent aujourd’hui mener à bien un chantier particulièrement délicat.
Mais heureusement, chacun connaît parfaitement son rôle et s’y attelle joyeusement.
D’abord, la pelleteuse doit creuser, scroutch scroutch, puis il faut charger les gravats dans le camion benne, clong, clong et ce sera le tour de la bétonneuse de rentrer en piste.
Toujours souriants et de bonne humeur, chaque engin fait son boulot tour à tour, ne s’arrêtant même pas quand la nuit, étrangement, tombe brutalement. (Nous offrant au passage une très jolie image dans la quelle les faisceaux des phares se croisent)
Comme toujours dans les albums de cette autrice, la fin nous réserve une surprise plutôt inattendue (même si les lecteurs habitués à ses livres se doutent de quelque chose).
Après les insectes et les animaux, Tomoko Ohmura revient aux engins, avec un album qui cette fois s’adresse aux plus jeunes.
Pas de double page à ouvrir cette fois, la manipulation est très facile (le format est plus petit d’ailleurs). La personnification des engins, qui ont des yeux à la place des phares et des petites bouilles sympathiques, convient très bien aux bébés (un genre de cars mais en plus joli) . Tout comme les onomatopées qui rythment le récit.
Un article paru dans la revue Le furet petite enfance en Mars 2019 concernant l’album Joyeux anniversaire, de Chihiro Nakagawa, Rue du monde.
Coopération, vie de groupe et travail d’équipe : le quotidien des petits bonshommes
Lassée de lire toujours les même albums, l’autrice Chihiro Nakagawa a écrit Joyeux anniversaire pour son fils, féru d’engins de chantiers.
On y rencontre pour la première fois les petits bonshommes qui aident en secret les humains (quatre autres livres leur seront consacrés, sous le titre générique « les p’tits bonzoms »). Ils sont nombreux, efficaces et, pour faire échos au thème de ce numéro, ils font du bon travail d’équipe.
Aujourd’hui, ils doivent confectionner un gâteau d’anniversaire.
La motte de beurre est découpée à la tractopelle, la juste quantité de sucre et de farine prélevée à la pelleteuse. Les engins les plus réalistes ou improbables viendront participer et le résultat sera à la hauteur des efforts. Le travail terminé, les bonhommes s’éloignent, laissant les humains ré-investir l’espace. L’anniversaire peut être célébré.
Ici, il n’y a pas de héros et les enfants ne sont pas invités à s’identifier à un personnage. Il s’agit plutôt de se reconnaitre dans un groupe dont les éléments semblent, au premier regard, indistincts. C’est l’harmonie de cette communauté qui est attractive pour le petit lecteur qui peut se penser comme un des éléments de l’ensemble.
Il est vrai qu’à regarder s’agiter la petite troupe, on peut penser à l’effervescence qui règne parfois dans un multi-accueil ou une cour d’école.
C’est au fil des lectures que les personnages vont peu à peu s’individualiser. Ainsi, un bonhomme semble particulièrement maladroit. A chaque page, on le trouve par terre ou en pleine chute. Le jeu d’observation commence alors pour l’enfant qui a repéré le malhabile. Parfois très visible, il faut sur certaines pages le chercher longuement pour le découvrir enfin, à moitié hors champ, ou tout petit, au loin, sur une passerelle.
D’autre personnages se distinguent : Là un petit groupe de 4, bottes et casques bleus, semble très occupé à ne rien faire. Ils sont munis d’un talkie-walkie et d’une carte, qu’ils scrutent avec attention, concentrés mais peu efficaces. Ici c’est un couple, l’un armé d’une pelle, l’autre d’un balai, ils ôtent inlassablement des poussières invisibles.
C’est au moment de la pause que la diversité des personnages se révèle, à travers leurs coiffures. L’uniforme se fait oublier et la personnalité de chacun s’exprime. On note qu’il y a à peu près autant de filles que de garçons, et qu’ils ne se différencient nullement par leurs fonctions dans le travail.
Les albums sur les engins sont plébiscités dans les crèches et beaucoup deviennent des incontournables. Rare sont ceux qui ont une telle richesse et offrent autant de perspectives de lectures. Celui-ci transmet des valeurs de faire ensemble, de cohésion, d’égalité des genres. Il interroge la question du réel et de l’imaginaire. Enfin, il révèle tout son potentiel au fil des lectures, ce qui permet aux professionnels de le partager avec des enfants des années durant, sans jamais s’en lasser.
Vous vous souvenez du super-camion aux super-pouvoirs qui déneige la ville en secret la nuit?
Hé bien voilà son exact contraire. Le camion Méli-mélo ne paye pas de mine, il n’a pas de tenue de super-héros, et il ne sait pas ce qu’il fait. Mais il est tout aussi attachant.
Sur le chantier, le camion-grue soulève, le camion benne verse et la pelleteuse creuse. Chacun connaît son rôle, tout roule. Mais le camion mélangeur est aussi perdu qu’un nouveau qui déboulerait à l’école un 30 septembre alors que tous ses camarades sont déjà là depuis un mois.
Les autres, sympa, lui disent que faire: “mélange la poudre de ciment blanc”
Ok, fastoche, il part chercher la poudre dans une usine à deux pas, et la mélange avec de l’eau.
On repère le mot “farine” inscrit en gros sur la façade du bâtiment. Impossible de le rater, la mise en page le met bien en valeur: il est gros, rouge et sur la page de droite, la “belle page”, celle sur la quelle notre œil se pose en premier.
Mais notre petit héro à quatre roues ne sait pas lire. Il fait son mélange et hop! Un gâteau.
Bon, tout le monde à droit à l’erreur, mais les autres sont tout de même un peu dépités.
Il faudra trois essais à camion mélangeur pour remplir sa mission, suscitant un certain agacement auprès de ses camarades. Mais il trouvera une idée pour faire plaisir à tout le monde et trouver ainsi sa place au sein du groupe. Ouf.
Parce que les personnages sont des engins et que le texte est minimaliste, on évite le côté gnian-gnian qui n’est jamais loin avec ce type de thème, pleins de bons sentiments.
L’album est plutôt rigolo et les images toujours parfaitement construites, très graphiques.
A priori, je ne suis pas fan des engins personnifiés. Ça doit trop me faire penser à cars, d’emblée, ça ne me donne pas spécialement envie d’ouvrir l’album. Mais il est avéré que les bambins, eux, adorent les histoires avec des camions et qu’ils adorent tout autant voir les objets prendre vie.
Et puis quand j’ai vu la couverture de cet album, j’ai surtout été attirée par le travail graphique et par le nom de l’auteur: de Stéphen Savage je connaissais déjà Morse, où est tu? que j’aime beaucoup.
Alors je me suis dit que ça valait le coup d’aller voir de plus près.
Et j’ai bien fait! (ne dis-je pas toujours qu’il faut rester ouverts aux albums qui ne nous séduisent pas au premier regard et s’autoriser à changer d’avis?)
L’album commence par la présentation des personnages: Les différents camions qui sillonnent une ville aux grattes ciels vertigineux. Chacun à son rôle à jouer et chacun jouit d’un certain prestige. Le camion de pompier en particulier, évidemment, est tout de suite repéré par les enfants.
Et puis, il y a le vilain petit canard des camions. Celui qui est chargé de vider les poubelles.
Bon, vous et moi nous le savons, en réalité le camion poubelle est un des préféré des enfants. Peut être parce qu’il passe à heures fixes, qu’il est impressionnant avec ses mâchoires d’acier qui broient les déchets, ou tout simplement en raison du vacarme qu’il produit. Quoi qu’il en soit, il est identifié et apprécié. Et c’est justement lui le héros de ce livre. Car, quand la neige envahit la ville, lui seul peut se convertir en SUPERCAMION, le camion qui déneige.
Nous avons donc là un anti-héros le jour qui devient un super-héros la nuit, des camions qui vivent et une histoire assez simple, tous les ingrédients sont là pour séduire les enfants.
Mais pour faire un bon livre, il fallait en plus le talent de l’auteur. On reconnaît dans cet album la pâte d’un affichiste, le graphisme à la fois soigné et épuré, qui donnent envie de s’y attarder aussi pour les adultes.
Une réussite qui fait mouche à chaque fois dans mes séances de lecture avec les moins de 3 ans.
Au feu petit Pierre Adrien Albert école des loisirs 12€70
isbn: 9782211216500
Dans cet album, Adrien Albert s’amuse à nous égarer entre jeu et réalité.
Dans la caserne, qui a des allures de chambre d’enfant, Petit Pierre, Jars et Orang-outan se détendent, quand retentit l’alarme. Aussitôt, ils se mettent en mouvement. Ils sautent dans le camion attrapent au vol la feuille de route tendue par maman et un petit bisou au passage.
Le camion n’a pas de grande échelle mais c’est un vrai camion de pompier, puisqu’il fait “pinponpin” et ça, vous pouvez le vérifier dans n’importe quelle cour de récré, c’est le vrai bruit d’une sirène de pompier.
Pendant qu’Orang-outan pompe toute l’eau nécessaire, Jars et Petit Pierre se pressent vers l’incendie, déroulant derrière eux des kilomètres de tuyau. La fumée envahit la ville, ils utilisent donc l’aspirateur pour l’avaler. Ne soyez pas surpris, n’importe quel enfant de cinq ans vous confirmera que c’est un moyen adapté pour se débarrasser d’une fumée trop envahissante. En tout cas, ceux à qui j’ai lu cet album ont trouvé ça tout naturel. C’est d’ailleurs la grande force de cet album, je ne sais pas si Adrien Albert a de très bons souvenirs de sa propre enfance ou si il a longuement observé des bambins jouer mais il est parfaitement juste dans sa représentation. Il nous entraîne dans l’aventure au point que les adultes ne s’étonnent même pas de l’absurdité de la situation.
Rien de surprenant par exemple au fait qu’ils aient un tuyau si long, sinon d’où viendrait l’eau?! Et, bien sûr c’est sur un canapé qu’on saute pour échapper aux flammes, parce qu’il n’y a quand même rien de tel qu’un canapé pour sauter dessus (vous n’avez jamais passé un dimanche pluvieux avec un bambin à la maison ou quoi?).
Au delà de l’histoire, à travers les images, nous, adultes, pouvons imaginer les jeux d’enfants qui s’y trouvent représentés: “on dirait qu’il faisait tellement chaud que l’eau de bubulle s’était évaporée!
-Oui et puis il fallait sauter de la grande tour, heureusement, on avait un canapé!” Mais on est si parfaitement invités à entrer dans l’imaginaire enfantin qu’on oublierais presque que ce n’est qu’un jeu, d’ailleurs jusqu’au bout de l’album on est dans l’histoire, rien ne nous rappelle vers la réalité de la chambre d’enfant.
Après Seigneur Lapin, Cousa et Simon sur les rails et Adrien Albert confirme une fois de plus qu’il est un auteur d’exception, tant sur le plan de l’image que sur celui de la narration.