Des albums de littérature enfantine à proposer aux bébés dès 2 ans, parce qu’ils aiment déjà les histoires, chansons, imagiers. Il n’est jamais trop tôt pour leur proposer un éveil au livre.
Viens! Ramona Badescu, les grandes personnes, 20€ 2024
Avec cet album l’autrice et photographe Ramona Badescu nous invite à partager avec pudeur et délicatesse l’intimité de trois familles. Trois familles qui accueillent un nouveau-né, qu’elle a rencontrées tous les mois pendant un an.
C’est à l’occasion d’une résidence d’auteur à Manosque, proposée par l’association éclat de lire, qu’elle a pu mener ce travail. Les photos des bébés, de leurs aînés et de leur environnement sont mises en relation avec celles de la région.
Viens! L’invitation est répétée à intervalle régulier dans le texte et c’est bien volontiers que nous nous laissons prendre par la main, pour visiter le monde. Grâce à la focale de la photo nous posons un regard émerveillé sur les beautés, même les plus minuscules, qui nous entourent. L’arc-en-ciel éphémère, la fragilité d’une fleur sauvage, la texture granuleuse du lichen nous sont offerts en gros plan, on se surprend à caresser le papier, on voudrait éprouver chaque sensation.
Au fil des pages, les saisons se succèdent et les enfants grandissent. Leurs gestes sont plus sûrs, leur sourire plus affirmé. Bientôt sans doute, ils feront leurs premiers pas.
Les photos sont très maîtrisées, elles disent l’intime et l’universel et ancrent chaque bébé dans le monde qui l’entoure.
Le texte ne décrit pas les images, les photos ne montrent pas ce qui est écrit. L’un et l’autre se répondent avec un décalage juste suffisant pour laisser de la place à l’imagination du petit lecteur.
Un album coup de cœur, qui peut aussi bien être lu avec des bébés qu’offert en cadeau de naissance.
Petit à petit, Amanda Gorman, Christian Robinson, Hélium, 2024, 14€90
Un enfant, pas bien grand, observe son environnement avec dépit: partout les détritus envahissent les rues. Cela l’attriste et l’inquiète, mais il ne se sent pas démuni, il se met à agir. Il ramasse, il trie, il organise et construit. Bientôt il n’est plus seul à agir, à deux puis trois, c’est plus facile. Quelques moments de découragement s’invitent dans leur entreprise mais finalement la réalisation est là, un petit potager urbain a pris place au sein du quartier, là où auparavant s’entassaient des poubelles.
Cette histoire là, c’est l’image seule qui la raconte. Le texte qui l’accompagne célèbre le pouvoir d’agir de l’enfant, l’encourage et le soutient. Il est rédigé à la deuxième personne et peut s’adresser aussi bien au protagoniste qu’au lecteur.
« On te dit qu’il n’y a pas de remède.
Mais tu sais que tu peux apporter ton aide.
On te dit que c’est trop gros pour toi.
Mais tu as vu les plus petites choses
Déplacer des montagnes.
On te dit que tu n’y arriveras pas comme ça,
Mais comment le savoir si tu n’essaies pas? »
La forme poétique s’accorde parfaitement au sourire confiant du mouflet. Le texte d’Amanda Gorman et les images de Christian Robinson forment un tout très harmonieux, ils rassurent pleinement le lecteur, petit à petit, nous pouvons faire de grandes choses, à l’échelle de chacun les problèmes les plus insurmontables peuvent être affrontés.
Il ne s’agit pas seulement d’écologie, il me semble que d’autres sujets de société sont évoqués ici, grâce au texte volontairement très ouvert et à des illustrations qui ouvrent sur d’autres champs de réflexion: la lutte contre le racisme, l’accessibilité pour les personnes handicapées ou plus largement la question du vivre ensemble.
L’autrice poursuit sa série d’albums poétiques et délicats autour des grands phénomènes naturels, cette fois elle réussi le tour de force de m’enchanter avec un album sur la pluie.
Je déteste la pluie. Mais la première double page montre de magnifiques lupins en fleurs et il n’en faut pas plus pour me ravir. Comme dans les autres titres, elle met en scène des enfants épanouis et joyeux, qui se passent fort bien de la présence d’adulte, et jouent à l’extérieur. Il s’en dégage un profond sentiment de liberté, surtout quand les gouttes en tombant transforment le potager en gadoue, plaisir sensoriel suprême.
On retrouve comme dans les autres opus le vernis sélectif sur certains éléments de l’image, qui convient particulièrement pour mettre l’eau en valeur. Le texte qui est un véritable poème à hauteur de tout petit. Les pages cartonnées aux bords arrondis. Et en prime plein d’animaux adorables.
Ce sont vraiment des albums qui se sont imposés dans mon travail auprès des bébés, ils sont faciles à utiliser et séduisent autant parents et professionnels que les enfants eux-même.
Au point que j’espère qu’Anaïs Brunet va poursuivre la série (ce qui, a priori n’est pas dans ses projets). Je verrais bien un titre sur la brume. C’est joli aussi la brume, et ça permet d’amusants jeux de cache-cache. Oui, un titre sur la brume, ce serait bien.
En route, Atinuke, Angela Brooksbank, éditions des éléphants, 2024, 15€
C’est rare que je chronique tous les livres d’une même série, je crois même que c’est la première fois que ça m’arrive.
Mais il est rare aussi que j’ai un tel coup de cœur et que la série se renouvelle sans s’épuiser, sans que les albums ne soient redondants les uns des autres.
Voilà donc le quatrième opus de ce duo d’autrices, les autres sont là.
Cette fois, nous allons quitter le village, pour nous rendre avec les protagonistes dans la ville de Lagos. En route nous allons marcher dans la nuit, monter dans un bus, traverser des paysages de savane, croiser des animaux impressionnants, et tout cela avant même que la journée ne commence.
Les illustrations qui se déploient sous le ciel nocturne sont tout aussi jolies que celles des livres précédent.
Quand l’Afrique est représentée dans des albums pour enfant, c’est très souvent le milieu rural qui est montré. Pourtant, au Nigeria par exemple, où se passe cette histoire, 70% de la population vit en ville. Alors c’est chouette de voir cette famille arriver dans la métropole, de montrer l’ambiance qui y règne (Angela Brooksbank est très douée pour les scènes d’ensemble qui fourmillent de détails, on se plonge avec bonheur dans leur contemplation). Le texte fonctionne à l’économie: peu de mots, mais l’essentiel est là, on devine la chaleur des relations entre les protagonistes, et on partage les sensations qui les traverse pendant cette longue journée.
Pon pan, Katsumi Komagata, les grandes personnes, 2024, 10€50 En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Pon Pan est de ceux-là.
Des points orange sur la page blanche, parfois des trous, une onomatopée qui se répète de pages en pages. Voilà les éléments qui composent cet album. On ne peut pas faire plus simple.
D’abord un point orange dans l’exact centre de la page. En lettres noires il y a juste écrit « pon ». Ok. Puis à la page suivante il y a deux points et le mot est répété deux fois. Logique. Quand ils sont trois deux d’entre eux sont en réalité des trous qui laissent apparaitre les ronds de la plage suivante. Tiens, ça surprend. Puis il y a des variations de taille des ronds qui correspondent à un changement de taille de police. Logiquement, quand c’est écrit plus gros, on lit plus fort.
L’auteur, Katsumi Komagata, adresse ses livres aux enfants très jeunes, il cherche à créer chez eux surprise et émerveillement.
Quand je montre Pon Pan à un bébé, je mesure que l’effet est réussi. Les yeux s’ouvrent en grand, la bouche aussi souvent, je vois l’amusement sur les petits visages.
Je ne sais pas ce qu’ils en comprennent. Je ne suis pas sûre que la question soit pertinente. C’est un livre qui s’éprouve, se ressent plus qu’il ne se comprend.
Sur le site de l’éditeur, on peut lire « Un petit rond, nommé PON, se transforme et se multiplie au gré des pages et des découpes, faisant naître un jeu malicieux sur les sonorités ! »
C’est marrant, ce n’est pas du tout comme ça que j’avais interprété ce livre.
Pour moi le rond n’est pas un personnage, il est l’incarnation d’un bruit qui se multiplie, se répercute, explose pour devenir pan.
Pour moi ce livre est la représentation d’un feu d’artifice à portée de bébé.
Et mon interprétation est tout à fait valable. Je ne prétends pas qu’elle est « juste » et encore moins qu’elle est préférable à celle de l’éditeur.
Mais en tant que lectrice de ce livre, j’ai le droit de l’interpréter comme je l’entends (c’est même la seule chose que je peux en faire).
Et les enfants ont ce droit aussi, comme toute personne qui ouvre cet album.
Au relais d’assistantes maternelles, je l’ai lu à un petit garçon de 2 ans et demis. Je tournais les pages rapidement, ma lecture était très rythmée, presque chantante, avec des accélérations et des moments plus calmes, qui me semblent induits par l’image elle même. Mais lors de la lecture suivante, il a prit le livre en main et a tourné les pages lui même. Le rythme était beaucoup plus lent, il prenait le temps de passer les doigts sur les ronds, dans les trous, faisait parfois des allers retours entre les pages. Parfois, pointant un des ronds il disait « il est là ». Puis, quand les points forment un cercle il m’a dit « c’est la ronde ». Visiblement il a lui aussi sa propre interprétation de cet album, et c’est très bien comme ça!
Et vous, vous le comprenez comment ce livre? N’hésitez pas à me raconter, ça m’intéresse beaucoup.
Livre magique 4: Le bonbon, Fanette Mellier, MéMo, 2023, 16€ En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Un livre magique est de ceux-là.
Quand je l’ai amené au relais d’assistantes maternelles, j’ai annoncé que j’étais curieuse de la réception de cet album, autant par les adultes que par les enfants.
D’emblée, la couverture est attractive, avec cette forme de bonbon qui brille. Mais l’intérieur, une simple forme verte qui prend d’abord toute la page, disparait petit à petit dans le pli central du livre puis revient en différentes couleurs, peut déstabiliser.
Le livre est d’abord passé de mains en mains auprès des assistantes maternelles présentes. Elles ont fait des suppositions (« c’est un poisson? Ah non, un bonbon plutôt »), ont feuilleté, ont noté la surprise quand les pages au centre de l’album deviennent vides, puis le contraste entre la couleur un peu terne du début et celles, très vives, de la seconde partie du livre.
Puis, une première petite fille, qui avait un peu moins de deux ans, s’est approchée pour voir. Debout aux côtés de son assistante maternelle, elle a observé la forme changer au fil des pages, puis, pointant l’image, a prononcé « petit ? » Voyant la forme rétrécir encore à la page suivante elle a répété : « Petit, Petit ! » et quand soudain la page est toute vide elle a pointé le centre, là où la forme a disparue, comme engloutie par le pli du livre elle l’a montré en s’exclamant « Oh ! Oh ! », son regard allait du livre au visage de son assistante maternelle, elle manifestait une vive surprise en sautillant sur place d’excitation.
On se demande parfois si les enfants vont comprendre le propos du livre. Ici la fillette a parfaitement saisi le jeu d’apparition/disparition, et visiblement l’aspect tour de magie recherché par l’autrice est parfaitement passé. Contrairement à nous adultes, elle n’a pas eu besoin de lire les indices (se fier au titre ou à l’image du chapeau haut de forme présent sur la couverture) pour ressentir plus que comprendre ce qu’on lui proposait dans ce livre.
Au cours de la même séance j’ai également montré ce livre à un bébé de 6 mois qui l’a observé avec une grande attention, les sourcils froncés comme en proie à une réflexion intense. Puis à un autre presque du même âge qui l’a regardé en riant qui a tapé de ces petites mains sur les pages puis a voulu l’attraper pour le porter à la bouche, histoire de voir s’il est savoureux sans doute.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans la tête de chacun d’eux. Est-ce que cette expérience de lecture a participé à leur compréhension de la permanence de l’objet ? Est-ce qu’ils ont reconnu la forme du bonbon dans des couleurs différentes ? Mais je ne doute pas que ce moment leur a apporté quelque chose. Quelque chose qui leur appartient et qu’il n’est pas nécessaire d’analyser.
Ma mère est une panthère, Malika Doray, MéMo, 2023, 16€ Selon les tâches à accomplir, les humeurs et les nécessités, les mères s’adaptent. Au point parfois de sembler polymorphes. Le narrateur qui nous raconte sa mère observe les transformations dont elle est capable: « ma mère est une panthère, surtout quand elle est en colère. Et lorsqu’on est en retard, ma mère est un jaguar. (…) Mais le soir quand elle me couve, ma mère est une louve »Le texte est tout en rondeur, comme les illustrations. C’est doux et moelleux comme un édredon, l’image de la mère est enveloppante, rassurante, parfois même marrante. Une mère à laquelle on peut s’identifier (ben oui, les livres pour enfant, c’est bien connu, sont lu par les parents), que je mettrais dans la catégorie « suffisamment bonne et même au-delà ». Le seul sentiment négatif qui la traverse est justement la colère, évoqué en tout début d’album mais qui reste très douce, l’image ne montrant aucun affrontement entre l’enfant et la panthère. Au fil des pages on suppose avoir affaire à un hymne à la maternité. Mais la chute montre que prendre soin n’est pas l’apanage des mères: Le narrateur deviendra un jour père et lui aussi pourra être à la fois crabe, orang-outan ou panthère.
Je crois que c’est la première fois que Malika Doray met en scène un personnage humain, d’ailleurs elle adopte ici un style un peu différent de son habituel: pas de gros cerne noir qui entoure habituellement ses personnages et des couleurs plus texturées. Mais on reconnait toujours son style rond et chaleureux, qui sera apprécié des bébés, tout comme le texte très musical.
C’est l’un des contes populaires très adaptés pour les jeunes enfants.
La trame est la même, une moufle perdue dans la neige et des animaux qui s’y réfugient. La chute varie selon les versions.
Ici l’autrice a pris le parti de l’épure: des images sobres avec le rouge de la moufle pour seule couleur et la silhouette des animaux qui se détache en noir sur la neige et très peu de texte sous forme de livre à compter. Les traces de pas des animaux sont représentées en relief sur le blanc de l’image. D’abord celles délicates de la souris, qui traversent la page pour s’arrêter dans la moufle rouge. Puis celles de l’écureuil (tiens, les pattes arrières ne laissent pas la même trace que celles de l’avant) et du lapin. Les animaux, de plus en plus nombreux, viennent grossir la forme de la moufle pendant que la neige se couvre de traces de pattes.
Mais… 1, 2, 3, 4, 5, on arrive finalement à 6 animaux. 6? C’est beaucoup trop pour une moufle, qui est faite pour seulement 5 doigts c’est bien connu!
Hop, avec cette chute on peut faire le lien avec un jeu de doigt, qui peut accompagner l’histoire.
Un petit livre tout simple, très joli, qui plaira aux bambins et résistera à leur manipulation même si elle est parfois un peu maladroite: les pages cartonnées sont particulièrement solides.
Nous retrouvons ici les protagonistes déjà rencontrés lors de leur vacances estivales. Pour leurs vacances d’hiver ils sont partis loin de chez eux, il sont montés dans un avion direction Paris puis visité la France.
Ils ont gardé cette habitude de prendre la pause pour immortaliser les meilleurs instants de leur séjour ici. Et quand ils rentrent au Japon, c’est chargés de souvenirs, les photos bien sûr mais aussi des objets qui trouveront leur place dans leur maison, typiquement japonaise. En observateurs attentifs, nous reconnaîtrons les lieux emblématiques, dans la partie qui se déroule en France comme au Japon, et également deux références en hommage à la littérature enfantine française (je vous laisse le plaisir de chercher, mais si vous ne les repérez pas une note en fin d’ouvrage vous donnera la réponse)
Je suis toujours sensible à la bouille de ces deux personnages, les yeux ronds du chat qui affiche un air sage dont on n’est pas totalement dupes en particulier. Et la couverture qui scintille comme la neige au soleil ne manque pas d’attirer les regards des petits. Une façon sympathique d’aborder l’hiver qui change un peu des représentations habituelles de cette saison.
Comme le précédent, cet album est sans texte, si vous voulez des pistes pour exploiter ce types d’ouvrages, rendez-vous ici.
Les mamies et les papis, Georgette, Didier jeunesse, 2024, 11€90
Revoilà l’autrice Georgette, et ses petits personnages illustrés façon gommette.
Elle poursuit son exploration du monde réel et nous en renvoie une image juste à travers ses albums.
Car si la littérature jeunesse représente souvent les mamies et les papis stéréotypés, lui fumant une pipe, elle faisant des gâteaux, dans les familles la réalité est tout autre.
Il ne s’agit pas de gommer les traces de la vieillesse, au contraire. Les rides sont bien là, tout comme les coups de fatigues et la mémoire hasardeuse. Mais les stigmates de l’âge sont valorisés, si papi a un visage tout plissé c’est qu’il a beaucoup rigolé et mamie est douce et moelleuse comme un oreiller, pratique pour la câliner.
Ici nous voyons des mamies amoureuses ou qui vont en manif, des papis pirates ou qui aiment danser.
Ils sont nombreux, ils sont joyeux, ils sont tous différents, ils ont la saveur des grands-parents réels.
Comme dans l’album qu’elle consacre aux familles et celui sur l’amour, Georgette permet à chacun de se reconnaitre, et pour s’adresser à des petits son texte est court et ses images très lisibles. Je le lis avec plaisir aux enfants de moins de trois ans comme à ceux de maternelle.