Jim, Marion Bataille, les grandes personnes, 2024, 20€
Sincèrement, je crois que c’est la première fois que j’apprécie un cours de sport!
Non, sérieusement, faire le chien tête en bas ou la posture de l’enfant, ça m’a jamais éclatée.
Mais regarder le petit bonhomme de papier de Marion Bataille faire ses exercices, ça m’enchante!
Alors bien sûr, on peut essayer de le suivre (j’ai vu des enfants tenter de reproduire les postures de chaque pages et ça m’a bien fait marrer) mais on peut aussi se contenter de l’admirer, ça marche aussi (pas pour le gainage mais pour passer un bon moment).
J’aime beaucoup la précision avec laquelle l’illustratrice créé le mouvement, la page où Jim bouge ses jambes alternativement quand on plie plus ou moins l’album est une petite merveille. Une mécanique parfaitement huilée se met en place. La lecture est rapide, elle invite au mouvement (pour vraiment apprécier l’album il faut le bouger dans tous les sens selon les pages), on s’amuse et hop, c’est déjà terminé. Encore! s’écriront les mouflets avant de nous le prendre des mains pour le manipuler eux-même (accompagnez-les tout de même s’ils sont encore un peu patauds, c’est fragile un pop-up)
les grandes personnes
Paris de toutes les couleurs
Paris de toutes les couleurs, Jean-Baptiste Pellerin, les grandes personnes, 2024, 29€50
« Il n’y a pas d’art pour l’enfant, il y a l’art.
Il n’y a pas de graphisme pour enfants, il y a le graphisme.
Il n’y a pas de couleurs pour enfants, il y a les couleurs.
Il n’y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature. »
Cette citation de François Ruy-Vidal pourrait convenir pour à peu près tout le catalogue des éditions des grandes personnes mais ce recueil de photo l’illustre plus encore que tous les autres titres.
Pendant une dizaine d’année, le photographe Jean-Baptiste Pellerin a photographié les gens. Ceux qu’il connaissait parfois mais ceux qui passaient par là surtout. Des jeunes gens au pied alerte, ou des vieux monsieur à l’œil rieur. Des gens tout seuls, à deux, plus rarement en groupe ou en famille. Il a pris la ville de Paris pour studio puis pour galerie, exposant ses tirages sur les murs de la capitale.
Chaque portrait est très travaillé mais au delà de la recherche esthétique l’ensemble représente aussi une ville, une époque.
Le livre fait partie de ces ouvrages, précieux dans mon travail, que les parents et les enfants peuvent regarder ensemble sans sans avoir l’impression que l’un se met à la hauteur de l’autre. Ce n’est pas un livre pour enfant que les adultes peuvent apprécier aussi. Ni un livre pour adulte qui peut également plaire aux enfants. C’est un livre.
En fin d’ouvrage, on retrouve pour chaque cliché une petite contextualisation qui rend les photos encore plus touchante parce qu’on mesure qu’il ne s’est pas agit seulement de faire une photo mais de faire une rencontre.
Animonstres
Animonstres, Henri Galeron, les grandes personnes, 2024, 14€50
Les bestiaires ont toujours beaucoup de succès auprès des mouflets, mais les chimères et autres créatures imaginaires ont une dimension ludique supplémentaire qui les ravit plus encore.
Dans cet album pêle-mêle l’illustrateur s’amuse à créer des bestioles étranges et loufoques que l’on peut mélanger entre elles, façon cadavre exquis, pour multiplier les possibilités.
Tête et pattes avant sur le livret de gauche, fesses et pattes arrière sur celui de droite, avec quelques variations quand même. Des yeux du mauvais côté, une queue qui a des allures de gueule toute dentue, des nageoires ou des ailes qui côtoient des mains à l’apparence très humaine, tout est hors norme, étonnant et presque parfois dérangeant.
Pour rendre les choses plus divertissantes, Henri Galeron ajoute un texte qui reprend les improbables juxtapositions du dessin, avec une forme rimée chère aux enfants.
De nombreux animaux un peu plus… heu, conventionnels dirons nous, sont également présents sur l’illustration, passant parfois d’un côté du livre à l’autre. Ils sont représentés de façon réaliste et leur étrangeté naît des postures invraisemblables ou de leur environnement tellement inhabituel.
J’ai eu l’occasion de tester cet album cet été lors de bibliothèques de rue et j’ai adoré travailler avec. Il est à la fois très amusant et très artistiques, plaît aussi bien aux parents qui y reconnaissent un cousinage avec Queneau et ses cent mille milliards de poèmes qu’à ceux qui ignorent tout du mouvement surréaliste.
Les enfants se régalent à le manipuler (en plus, il est solide, ce qui est rare pour un pêle-mêle) et s’amusent particulièrement quand ils peuvent le regarder en petit groupe. Ils soulignent alors l’aspect pustuleux/poilu/gluant de certains animonstres tout en soulignant qu’ils sont “mignons quand même” pour certains.
Bref, un beau mélange d’artistique et de ludique tout comme j’aime.
À Paris
À Paris, Ramona Badescu, Joelle Jolivet, les grandes personnes, 22€50
Je vis à Paris depuis mon enfance et c’est une ville que j’aime et dans laquelle je me sens bien.
Mais parfois j’ai la nostalgie des premières fois. Quand je suis arrivée gamine dans la capitale j’ai été saisie par la diversité des paysages qu’on y trouvait. D’un quartier à l’autre les immeubles, les commerces, la végétation étaient différents. En grandissant, j’ai été plus sensible à cette variété, qui ne se limite pas à ce qu’on voit. Les odeurs, les accents, les vêtements des passants changent du tout au tout au détour d’une rue.
J’adore les moments où je pose un regard neuf sur cette ville, c’est le cas quand je la visite avec des amis de passages, que je la fais découvrir.
C’est aussi le cas quand je la retrouve dans ce grand album, sublimée par les gravures de Joelle Jolivet.
Avec un texte de Ramona Badescu qui nous prends par la main pour initier la visite, nous découvrons la ville sous toutes ses coutures, des quartiers les plus touristiques aux plus confidentiels.
C’est le Paris métissé, où se mêlent les différentes classes sociales qui est mis en avant.
Depuis que le beau temps est (presque) de retour, je lis cet album en bibliothèque de rue. Les enfants de l’école du coin viennent le regarder avec moi et s’exclament qu’ils ne connaissent pas tel ou tel coin de la ville dans la quelle ils vivent. Ils s’émerveillent de voir la tour Eiffel surgir hors du livre en pop up ou de la grandeur du paysage qui s’ouvre dans une double page à rabat et montre la continuité entre le Louvre et la défense.
J’ai l’impression qu’en leur lisant cet album je leur permet de prendre un peu plus possession de cette ville qui est la leur, et que cela contribuera à leur donner envie de l’arpenter, de s’y sentir chez eux. Il me semble que c’est un peu le propos des autrices. Offrir la ville tout entière à leurs lecteurs, qu’ils la connaissent ou pas.
Viens!
Viens! Ramona Badescu, les grandes personnes, 20€ 2024
Avec cet album l’autrice et photographe Ramona Badescu nous invite à partager avec pudeur et délicatesse l’intimité de trois familles. Trois familles qui accueillent un nouveau-né, qu’elle a rencontrées tous les mois pendant un an.
C’est à l’occasion d’une résidence d’auteur à Manosque, proposée par l’association éclat de lire, qu’elle a pu mener ce travail. Les photos des bébés, de leurs aînés et de leur environnement sont mises en relation avec celles de la région.
Viens! L’invitation est répétée à intervalle régulier dans le texte et c’est bien volontiers que nous nous laissons prendre par la main, pour visiter le monde. Grâce à la focale de la photo nous posons un regard émerveillé sur les beautés, même les plus minuscules, qui nous entourent. L’arc-en-ciel éphémère, la fragilité d’une fleur sauvage, la texture granuleuse du lichen nous sont offerts en gros plan, on se surprend à caresser le papier, on voudrait éprouver chaque sensation.
Au fil des pages, les saisons se succèdent et les enfants grandissent. Leurs gestes sont plus sûrs, leur sourire plus affirmé. Bientôt sans doute, ils feront leurs premiers pas.
Les photos sont très maîtrisées, elles disent l’intime et l’universel et ancrent chaque bébé dans le monde qui l’entoure.
Le texte ne décrit pas les images, les photos ne montrent pas ce qui est écrit. L’un et l’autre se répondent avec un décalage juste suffisant pour laisser de la place à l’imagination du petit lecteur.
Un album coup de cœur, qui peut aussi bien être lu avec des bébés qu’offert en cadeau de naissance.
Pon pan
Pon pan, Katsumi Komagata, les grandes personnes, 2024, 10€50
En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Pon Pan est de ceux-là.
Des points orange sur la page blanche, parfois des trous, une onomatopée qui se répète de pages en pages. Voilà les éléments qui composent cet album. On ne peut pas faire plus simple.
D’abord un point orange dans l’exact centre de la page. En lettres noires il y a juste écrit “pon”. Ok. Puis à la page suivante il y a deux points et le mot est répété deux fois. Logique. Quand ils sont trois deux d’entre eux sont en réalité des trous qui laissent apparaitre les ronds de la plage suivante. Tiens, ça surprend. Puis il y a des variations de taille des ronds qui correspondent à un changement de taille de police. Logiquement, quand c’est écrit plus gros, on lit plus fort.
L’auteur, Katsumi Komagata, adresse ses livres aux enfants très jeunes, il cherche à créer chez eux surprise et émerveillement.
Quand je montre Pon Pan à un bébé, je mesure que l’effet est réussi. Les yeux s’ouvrent en grand, la bouche aussi souvent, je vois l’amusement sur les petits visages.
Je ne sais pas ce qu’ils en comprennent. Je ne suis pas sûre que la question soit pertinente. C’est un livre qui s’éprouve, se ressent plus qu’il ne se comprend.
Sur le site de l’éditeur, on peut lire “Un petit rond, nommé PON, se transforme et se multiplie au gré des pages et des découpes, faisant naître un jeu malicieux sur les sonorités !”
C’est marrant, ce n’est pas du tout comme ça que j’avais interprété ce livre.
Pour moi le rond n’est pas un personnage, il est l’incarnation d’un bruit qui se multiplie, se répercute, explose pour devenir pan.
Pour moi ce livre est la représentation d’un feu d’artifice à portée de bébé.
Et mon interprétation est tout à fait valable. Je ne prétends pas qu’elle est “juste” et encore moins qu’elle est préférable à celle de l’éditeur.
Mais en tant que lectrice de ce livre, j’ai le droit de l’interpréter comme je l’entends (c’est même la seule chose que je peux en faire).
Et les enfants ont ce droit aussi, comme toute personne qui ouvre cet album.
Au relais d’assistantes maternelles, je l’ai lu à un petit garçon de 2 ans et demis.
Je tournais les pages rapidement, ma lecture était très rythmée, presque chantante, avec des accélérations et des moments plus calmes, qui me semblent induits par l’image elle même.
Mais lors de la lecture suivante, il a prit le livre en main et a tourné les pages lui même. Le rythme était beaucoup plus lent, il prenait le temps de passer les doigts sur les ronds, dans les trous, faisait parfois des allers retours entre les pages. Parfois, pointant un des ronds il disait “il est là”. Puis, quand les points forment un cercle il m’a dit “c’est la ronde”. Visiblement il a lui aussi sa propre interprétation de cet album, et c’est très bien comme ça!
Et vous, vous le comprenez comment ce livre? N’hésitez pas à me raconter, ça m’intéresse beaucoup.
Comment poussent les pastèques
Comment poussent les pastèques, Eizô Hirayama, les grandes personnes, 2023, 18€
Il n’y a pas à dire, le noir et blanc donne toujours une certaine classe aux illustrations.
On peut s’étonner de ce choix pour un album sur la pastèque, tant ce fruit se caractérise graphiquement par le contraste du vert de l’extérieur et du rouge de l’intérieur, rehaussé par les graines noires.
Et pourtant, cela fonctionne bien et l’ouvrage est très beau.
Il raconte avec précision le cycle de vie de la pastèque.
Les insectes ont bien sûr leur rôle à jouer. On peut les repérer dans l’image, à condition d’en faire une lecture attentive (ce que font les enfants, ils sont très doués pour voir le détail qui nous avait échappé)
Après la naissance et la croissance du fruit il est cueillit et dégusté par un gourmand invisible. Une nouvelle graine promet une prochaine pousse. Le texte, concis et descriptif fait de Comment poussent les pastèques le plus poétique des documentaires.
Publié pour la première fois au Japon en 1974, cet album frappe par la force de ses illustrations, qui n’ont rien de désuets et la qualité de son texte, épuré et agréable à lire à voix haute.
Imagier des outils
Imagier des outils, François Delebecque, les grandes personnes, 2023, 11€50
Je ne me lasse définitivement pas du travail de François Delebecque.
Ses imagiers où des caches en noir et blanc recouvrent une photo ont toujours un succès fou auprès des enfants.
Il a déjà exploré plusieurs thématiques, les engins d’abord, puis les animaux, et les objets.
Les formats aussi ont variés, aux albums format moyen du début ont succédé des petits cartonnés.
Mais la patte de l’auteur est toujours là, et les enfants reconnaissent sans peine la série.
Dans Imagier des outils, il y a des instruments très connus et d’autres un peu moins. Une petite phrase explique la fonction de chacun.
Je ne sais pas si tous les enfants retiendront que la grelinette sert à aérer la terre, mais je suis convaincue qu’il seront, comme moi, séduit par le mot lui-même.
Pour les tout-petits, il y a le plaisir du contraste et du noir et blanc, pour ceux qui maîtrisent tout juste leurs mains le jeu de soulever les caches, pour les plus grands le plaisir de connaitre la fonction de chaque objet. Et les adultes apprécieront la qualité des photos.
Moi j’ai bien aimé y voir une fillette qui répare son vélo.
Bref, chacun y trouvera ce qu’il cherche et tout le monde appréciera ce petit album.
A noter la sortie en même temps que celui-là de l’Imagier qui roule, qui glisse et qui vole.
Tous au parc, tous à la plage
Tous au parc! Tous à la plage! Martine Perrin, les grandes personnes, 2023, 10€50
Depuis de nombreuses années les images très graphiques, aux couleurs franches et aux forts contrastes, de Martine Perrin font le bonheur des tout petits.
Ces deux nouveaux albums reprennent un format qu’elle avait déjà exploré avec Chat, et qui plaît beaucoup: des petits carrés, même pas dix centimètres de côté, aux pages nombreuses et cartonnées ce qui leur donne des allures de cubes, dont on ferait bien des constructions.
Les bambins adorent les trimbaler partout, les cacher dans le four de la dînette ou dans le coffre du camion trotteur.
Ce petit format et la simplicité des images les rendent particulièrement adaptés aux bébés, mais il faut toute la capacité de lecture de l’image des enfants pour vraiment les savourer.
Chaque histoire est racontée à la première personne par un narrateur invisible, et illustré par des plans subjectifs sur ce qu’il regarde, procédé particulièrement immersif puisque nous sommes les yeux du protagoniste.
Si le texte se suffit à lui même pour raconter une journée assez classique d’un jeune enfant, c’est l’image qui nous donne plus d’information sur ce qu’il se passe réellement. Ainsi par exemple quand le texte dit “Je suis héroïque”, l’image d’un grand toboggan en plan éloigné nous indique que cet héroïsme consiste à surmonter sa peur pour jouer sur la structure de jeu.
De même quand le texte dit “j’explore la faune… courageusement” et que l’image montre une petite araignée, un oiseau et un chien, la faune habituelle des squares pour enfant. Ce que vit le protagoniste et ce qu’il ressent sont donc présentés simultanément par le texte et l’image, à charge pour le lecteur de faire le lien entre les deux.
Et les enfants excellent dans cette double lecture de l’image vue et du texte entendu.
Ce sont donc des albums très intéressants pour les enfants dans leurs premières années et comme ils sont bien jolis et peu bavards ils sont agréables à lire pour les adultes.
Éclore
Éclore, Gaby Bazin, les grandes personnes, 2023, 10€
On le répète depuis que Tana Hoban a fait ses albums en noir et blanc, les tout-petits aiment les contrastes. Ils cherchent aussi les images complexes et apprécient la diversité des images.
Surtout, très tôt, ils sont capables de mettre en relation deux images et de trouver le fil conducteur qui les relient.
Éclore propose sur chaque double page une histoire en deux temps, un changement d’état.
L’œuf puis le poussin, la graine puis la plante, la larve qui devient chenille.
Des images composées en deux couleurs, alternativement vert sur fond blanc et vice-versa.
Une alternance qui créé un rythme, et nous savons également combien les enfants y sont sensibles.
On peut ouvrir cet album devant un tout-petit, lui montrer les images, accompagner avec nos mots ou non, les laisser toucher. Le livre est en beau carton mat et très légèrement granuleux, assez différent au toucher des pages pelliculées qu’on trouve souvent en jeunesse.
Les enfants découvriront avec plaisir ces images en sérigraphie, et petit à petit ils en comprendront le propos (le changement d’état), surtout à la lumière de la dernière page, qui montre en vis-à-vis la rondeur d’un ventre et un bébé.