Océanomania, Arnaud Roi, Joanna Prime, Charlotte Molat, Milan 2022, 24€90 Il faut bien un format cinérama pour évoquer les merveilles des profondeurs marines.
Ce documentaire s’ouvre comme un calendrier, dans le sens de la hauteur, et se présente d’abord sous une forme assez classique: Une image pleine page en haut, en format horizontal (note pour mes étudiants: rappelez le vous, on l’a vu en cours, c’est ce qu’on nomme un format à l’italienne), avec le nom de chaque animal écrit en lettre discrètes pour s’insérer dans l’image sans la gêner. Sur la page en dessous, le texte typiquement documentaire, nous donne des informations sur chaque animal et un encadré plus général sur l’environnement (océan Atlantique, mer Méditerranée, barrière de corail etc)
C’est quand on déplie cette page qu’apparaît le pop-up et que la curiosité laisse place à l’émerveillement. Le décor se déploie en trois dimensions, plus immersif encore, avec parfois des caches à soulever ou des détails cachés au dos des images. On soulève, on tourne l’album dans tous les sens et on découvre avec joie les trésors dissimulés.
Les couleurs dominantes changent au fil des pages pour arriver à un bleu profond à la dernière page, celle consacrée aux abysses et à ses créatures particulièrement étranges.
Océanomania est une bonne idée de cadeau de noël pour les enfants passionnés par les poissons ou l’environnement, dans lequel nous, adultes, avons aussi beaucoup à découvrir.
Le premier rayon de soleil, Alain Millet, l’étagère du bas, 2022, 11€
C’est au terme d’un voyage à la fois long et périlleux que Lila, Lino et leur fils Léo sont arrivés au pays des oiseaux.
Ils avaient quitté leur maison suite à une sécheresse, traversé la mer sur une barque de fortune, franchit des montagnes enneigées. Et se sont finalement endormis, épuisés, dans une forêt qui leur semblait particulièrement accueillante.
Curieux, les oiseaux sont venus en nombre observer ces étranges créatures endormies. De longues oreilles, aucune plume, quels sont ces animaux qui ne ressemblent à rien de connu ici?
C’est la chouette, connue pour sa sagesse qui a proposé que l’on construise une maison et prépare à manger pour les nouveaux venus.
Et quand le premier rayon de soleil les a éveillés, ils ont été reçus dans une demeure lumineuse avec un repas tout prêt.
Il se dégage de cet album une grande douceur, renforcée par l’utilisation de lettres cursives à la rondeur rassurante. Changement climatique, exil, migration, tous ces thèmes sont présents mais le traitement à hauteur d’enfant les rend plus légers.
Dés le début de l’album l’issue heureuse est connue, puisqu’il commence par un portrait de famille présentant Léo en compagnie de ses deux parents mais aussi de sa petite sœur, pas encore née au moment de leur grand voyage.
Une jolie histoire qui présente l’accueil de l’autre comme une évidence.
Vous ne le saviez peut-être pas, moi non plus d’ailleurs, mais une mouette en bonne santé, ça fait “mouet”. En tout cas, dans ce livre. Et manifestement les prénoms mouettesques commencent par la lettre M.
C’est ainsi que Muriel, Monique et Mokhtar mouettent (du verbe mouetter, donc, que je viens d’inventer car tel est mon bon plaisir) à qui mieux mieux. Mais pas ce pauvre Michel, qui ne parvient qu’à produire un lamentable pouet.
Autour de lui, l’inquiétude monte, chacun se demande ce qui lui arrive, et plus il tente de s’exprimer, moins on le comprend “Je ne suis mas palade, j’ai pangé du… Pouet!”
À l’image on le voit de plus en plus mal en point, les yeux qui se creusent, il ne tient même plus sur ses pattes. Comme toujours avec cette autrice, les illustrations sont épurées avec de grands aplats de couleur, donc très lisibles pour les enfants qui ne manquent pas d’y repérer le moindre détail. Ils pointent le bateau qui traverse l’horizon de droite à gauche, les petites choses sur le sable qui n’ont rien à faire là. Et la forme étrange du gosier du volatile qui justement s’égosille!
La fin est quelque peu attendue mais le message écolo passe très tranquillement, en même temps qu’une petite touche d’humour. Il ne s’agit pas là de faire la morale aux enfants (qui d’ailleurs n’y sont pour rien) mais de dresser un constat, très simplement.
C’est un livre intelligent, au sujet amené avec humour et finesse, porté par de belles images, un sans faute.
Blaise, Isée et le tue-planète, Claude Ponti, l’école des loisirs 2021, 22€
Rentrer dans un album de Claude Ponti n’est pas donné à tout le monde. Disons le, il y a les enfants qui adhèrent et ceux qui sont hermétiques. C’est pareil pour les adultes d’ailleurs.
Il faut dire que cela demande un certain lâcher prise et la capacité à se projeter dans un univers loufoque, peuplé de créatures singulières et où les mots eux même deviennent étranges, se déforment, s’inventent à chaque page.
Quand on a passé le pas, c’est un immense bonheur de retrouver ce monde, d’années en années, au fil des albums.
Blaise, Isée et le tue-planète s’inscrit dans une série d’albums peuplée de poussins. L’un d’entre eux, Blaise, se distingue par le masque rouge et grimaçant qu’il porte (on sait depuis Milles secrets de poussins que c’est celui qui porte le masque qui devient Blaise).
Isée est également un personnage déjà connue des fans, on la rencontre dans La venture d’Isée puis dans L’avie d’Isée.
Mais si vous ne connaissez encore ni le monde ni les personnage de Claude Ponti, pas d’inquiétude, vous n’avez besoin d’aucune connaissance préalable pour découvrir Blaise, Isée et le Tue-planète.
Prenez une grande inspiration, plongez et laissez-vous émerveiller par la richesse de l’album.
Tout commence par l’atterrissage brutal d’Isée, dont le vaisseau s’écrase pile poil sur la maison des poussins. La petite héroïne a mal contrôlé son atterrissage, il faut dire qu’il y a urgence, elle vient chercher l’aide de ses amis.
Car il se passe quelque chose d’horibilifique. Un tue-planète sévit dans la galaxie.
Partout, les habitats sont détruits, il faut absolument construire un nouveau vaisseau et tuer le monstre.
Manifestement, la construction d’ un vaisseau est pour les poussins une activité aussi ludique que la confection d’un gâteau. Ils s’attellent donc à la tâche avec leur entrain habituel et bâtissent un fabuleux vaisseau en forme de poussin géant, dont le détail ravira les enfants. Aussi fonctionnel que plein de fantaisie, il est présenté de fond en combles , intérieur et extérieur, sur deux doubles pages qui ne demandent qu’à être longuement explorées.
Enfin la troupe s’élance pour éradiquer le tue-planète mais aussi pour accueillir les survivants, sauver les naufragés, héberger les sans planètes.
La mission n’est pas sans danger et les péripéties nombreuses, chaque planète à son caractère propre mais aussi son problème spécifique: celle-ci est envahie par une forêt mortelle, telle autre devient une boule de banquise ou est couverte de poils barbiturique.
Mais ensembles, les poussins trouvent toujours la solution.
Et l’album s’achève sur un rêve commun. Les poussins de partout et leurs amis d’ailleurs se voient reconstruire des plus belles, accueillantes, heureuses, différentes les unes des autres mais incroyabilicieuses et magnifiquissimes.
Un hymne à l’hospitalité, à la diversité et à l’écologie, des thèmes chers à l’auteur.
Pas de doute, le Ponti de l’année est une belle réussite, qui porte de belles valeurs sans jamais faire la morale aux gamins, c’est pas trop le genre de l’auteur.
Meg et Ash, deux pies, construisent un nid pour leur progéniture à venir, sous le regard attendri des animaux du coin.
Herbe, boue, bâtons et, oh, tiens, les pages arrachées à cette vieille revue feront l’affaire pour compléter le tout. Est-ce sous l’influence d’un encart publicitaire aperçu au passage qu’ils se mettent en quête d’objets, toujours plus nombreux, pour garnir leur nid?
Les voilà qui récupèrent, entassent, accumulent des choses de plus en plus encombrantes.
La surenchère devient rapidement absurde, au sol les autres animaux semblent tour à tour inquiets et consternés.
On note au passage que les objets d’abord récupérés sont ensuite manifestement volés (mais c’est bien là la nature des pies!)
Cédant aux sirènes de la consommation à outrance, elles anticipent sur des besoins totalement imaginaires de leurs futurs oisillons: mais que feraient des bébés pies d’un vélo ou de chaussettes pour bébé? Et ce sceau, encore rempli d’eau savonneuse, même accompagné de sa serpillière ne leur sera pas d’une grande utilité.
Enfermés dans leur fierté de futurs parents, convaincus de faire le nécessaire pour leurs bébés à naître, Meg et Ash poursuivent leur accumulation jusqu’au point de rupture… De la branche sur laquelle ils ont construit le nid.
Crac, le superflu tombe, entraînant le nid et les précieux œufs dans leur chute.
Comme souvent chez Emily Gravett, le rythme de lecture est donné autant par l’image que par le texte.
Ici le récit prend des allures de ritournelles, presque toujours en alexandrin (d’ailleurs chapeau à Rolland Elland-Goldsmith, le traducteur), toujours en rimes. On y trouve une emphase qui fait parfaitement échos à l’accumulation des objets.
L’illustration grossit encore le trait pour accentuer le caractère burlesque de la situation. Les animaux qui observent la scène et réagissent silencieusement, comme un chœur qui souligne aussi le ridicule des pies. (On reconnaît parmi eux Benoît, le héros de l’album Le grand ménage)
Finalement, l’histoire se termine bien et les oiseaux s’apprêtent à éduquer leurs petits dans plus de simplicité. Mais sauront-ils leur transmettre ce tout nouveau sens du dépouillement? Pas certain si l’on en croit la toute dernière image…
J’aime assez la finesse dont fait toujours preuve Emily Gravett. Dans ses derniers albums les thèmes de la surconsommation et de l’écologie sont toujours présents mais elle ne fait jamais la morale aux gamins, elle se contente de leur raconter des histoires, chacun comprend ce qu’il veut là dedans.
Demain la forêt, Rosie Eve, saltimbanque, 2020, 15€
Dans sa réserve, Mimpie est la seule jeune éléphante. Tous les autres pachydermes sont adultes. Elle trouve le temps long, d’autant que les grands sont drôlement grincheux, toujours à répéter qu’on ne peut pas s’aventurer hors de la réserve, et pas prêteurs avec leurs bananes!
Mais il y a une explication à cela, la réserve est petite, les ressources rares et les hommes hors de la réserve menaçants.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant, leur territoire était immense et la nourriture abondante. Depuis que les humains ont construit une route, coupant en deux la forêt tropicale, Mimpie et ses proches sont séparés du reste de leur famille.
La petite éléphante a une idée: planter des graines, les arroser, construire une route végétale pour réunir les deux réserves.
Si son idée suscite d’abord des moqueries, il finit par faire l’unanimité chez les animaux qui, tous, participent à ce fabuleux projet.
Nous avons ici affaire à un album qui emprunte aux codes de la bande dessinée et qui a parfois aussi des airs de documentaires.
Mais l’histoire est fictive, ce qui permet une fin heureuse, qui serait malheureusement impossible dans un documentaire réaliste.
Les jeunes lecteurs sont donc informés sur la réalité de la situation écologique, ils entrevoient les ravages de la déforestation, de l’exploitation de l’huile de palme, mais ils ne restent pas sur un constat trop désespérant pour leur âge.
Les images, qui s’organisent tantôt en pleine page, tantôt en vignettes sont très douces et les personnages fortement expressifs. La petite Mimpie en particulier suscite la sympathie (même quand elle boude, ce qu’elle fait très bien!)
Un peu BEAUCOUP, Olivier Tallec, Pastel, 2020, 12€50
Un retrouve ici l’écureuil rencontré dans “C’est mon arbre”.
Et, manifestement, il est toujours l’heureux propriétaire du végétal.
Mais attention, il en prend soin! C’est que c’est fragile un arbre. On peut prendre une ou deux de ses pommes de pin, bien sûr, mais pas plus. Enfin, si, un peu plus. Mais pas trop surtout.
C’est tellement bon les pommes de pin! Oh, tiens, il n’en reste plus qu’une… Ce n’est peut-être pas la peine de la laisser du coup? Surtout qu’il reste plein de petites aiguilles sur les branches. C’est bon aussi les aiguilles, vous le saviez?
Dans le monologue qu’il adresse au lecteur, le petit écureuil tente de nous (se) convaincre qu’il ne fait aucun mal à SON arbre en le dépouillant tour à tour de ses pommes de pin, aiguilles, branches, racines etc.
Son regard et sa posture sont toujours aussi expressifs et on repère parfaitement la culpabilité qui l’habite, alors même qu’il argumente pour essayer de démontrer qu’il ne fait rien de mal.
De mauvaise foi l’écureuil? Allons, soyons honnêtes, il ne l’est pas plus que vous et moi, il veut juste profiter des bonnes choses que la société de consommation lui offre. Juste un tout petit peu plus que ce dont on a besoin, mais, ça ne se verra pas, n’est-ce pas?
Bien entendu, il finira victime de sa propre avidité, et la chute le laisse en bien mauvaise posture.
Pas de démonstration indigeste ici mais le propos est bien amené, adoucit par l’humour. On se reconnait un peu beaucoup mais on est père que nous, on saura s’arrêter à temps.
La maison pleine de trucs, Emily Rand, éditions des éléphants, 14€, 2020
Il a un regard très attachant, Monsieur Leduc, mais dès la première image on reconnait en lui ce qu’on pourrait appeler un marginal. Barbe hirsute, boutons dépareillés, et manches rapiécées. Sa posture évoque celle des mendiants, mais à ses pieds, ce ne sont pas quelques piécettes qui gisent mais un amas d’objets de pacotille.
Trombones tordus, lacets de rechange, salière sans sa poivrière, sifflet, bout d’élastique, tous ces menus objets glanés au fil du temps forment son trésor. C’est que Monsieur Leduc aime les trucs. Les petits comme les plus gros, les improbables et les plus communs. Il est persuadé qu’un jour, chacun d’eux pourra être utile.
Ce qui n’est pas tellement au gout de ses voisins. Dans la rue proprette où il habite, il s’attire des regards en coin, auxquels il semble être indifférent.
Seul le petit Mo a de la sympathie pour le bonhomme. Curieux de tout, il aime bien écouter Monsieur Leduc lui expliquer à quoi pourraient servir ces objets. Quand son vélo tombe en miette, suite à une mauvaise chute, Monsieur Leduc trouve dans son fatras de quoi le réparer et même l’améliorer.
Petit à petit, le vieux monsieur va devenir l’as du bricolage, le roi de la réparation de fortune, le pro du recyclage. Si la face du monde n’en est pas changée, au moins celle de la rue est plus agréable. Les voisins se parlent, leurs maisons, jusqu’alors toutes identiques, deviennent joyeuses et animées.
Chez Monsieur Leduc, chacun se presse pour déposer objet cassés ou pièces de rechange, une foule hétéroclite qui semble trouver là l’occasion de sympathiser.
Marie Kondo n’a qu’à bien se tenir, la maison pleine de trucs c’est le triomphe de l’accumulation sur le dépouillement, du bazar sur l’ordre, du foisonnement sur la sobriété.
Mine de rien le petit message écolo passe en douceur, tout comme celui de la tolérance à l’autre et de l’importance de la rencontre et du lien social.