La princesse et le poney, Kate Beaton, Cambourakis, 2016, 15€
C’est la plus petite guerrière du royaume et son prénom (Princesse Pomme de Pin) n’inspire pas vraiment la terreur. Ici pour les anniversaires, il est de coutume de se faire offrir des armes, boucliers ou autre accessoire fort utile pour se battre. Mais Princesse Pomme de Pin se voit offrir des pulls douillets. Mais cette année, elle a été très claire. Ce qu’elle veut, c’est un fier destrier, un cheval au port altier, une monture de guerrier. Donc ses parents lui offrent… Un poney. Un poney petit, pas très vif, rondouillet et même qui louche un peu (parfois). Pour le champ de bataille, c’est pas gagné!
Elle s’efforce pourtant de l’entraîner au combat, mais avec un succès très relatif. Avec sa bouille ronde et ses grands yeux, il a des allures de peluche. Contre toute attente, il se révélera un atout le jour de la grande bataille. C’est que même Otto le terrible, Fany Fracas ou Carlos le Cruel sont sensibles à sa mignonitude. Ils sont tous prêts à mettre le combat en pause pour faire gouzi gouzi à l’adorable animal. Et voilà comment la princesse et le poney furent élus guerriers du jour. Avec beaucoup d’humour cet album montre que l’on peut être une fillette et aspirer à être forte et combattante tout comme on peut être un guerrier puissant et aspirer à plus de tendresse.
Une amusante déconstruction des normes sociales, en douceur et humour.
3,2,1, Mari Kanstad Johnsen, Cambourakis, 2021, 18€
C’est l’été, les vacances sont là. Les camarades d’Anna ont tous de super projets. Mais elle, c’est chez sa grand-mère qu’elle passera le mois. Et même pas moyen de payer un billet d’entrée au zoo, manifestement Grand-mère est fauchée.
Dans une boutique, la fillette repère une peluche de lapin super chouette. Mais il coûte 5 euros. Alors Grand-mère fait une proposition à Anna. Pour se l’offrir, elle devra s’occuper des maisons vides pour les vacances. 5 maisons, à raison d’un euro pour chacune d’elles, le compte y est. Dans la première, il faut prendre soin d’un serpent, dans la suivante de deux lapins, de trois oiseaux, quatre tomates et enfin cinq poissons. Fastoche, Anna est enthousiaste. Elle se voit déjà à la rentrée montrant fièrement sa peluche durement gagnée (on comprend qu’elle y trouve un certain réconfort et même qu’elle espère que son lapin éclipsera les récits trop idylliques des vacances des autres mouflets, et franchement, on la comprend un peu).
Mais, ce n’est pas si simple quand on est encore petit d’assumer toutes ces responsabilités. Anna fait de son mieux mais enchaîne les bourdes, qui finalement risquent de lui coûter beaucoup plus cher que son maigre salaire…
Perso je trouve la grand-mère super badasse avec sa silhouette massive, son béret sur la tête et sa propension à vouloir juste bouquiner tranquillement dans le jardin. Elle regarde Anna se planter sans faire de commentaire, il faut bien apprendre. Mais quand elle annonce à la mouflette que son salaire sera en négatif, j’avoue avoir pensé un instant qu’elle poussait la pédagogie un peu loin. Ce qui semble aussi être l’avis de sa petite fille, qui se roule par terre de frustration à l’idée qu’elle ne rendra pas ses camarades jaloux. À moins que?… L’histoire se termine bien pour la fillette, mais à bien y regarder on peut se demander si elle a vraiment retenu la leçon…
Je trouve cet album très drôle, léger et plaisant, j’apprécie en particulier qu’il n’ait pas de visée pédagogique trop appuyée, tout en étant un livre à compter. Il a un petit côté subversif que l’on retrouve souvent chez les auteurs suédois qui n’est pas pour me déplaire.
Tristesse, Lotta Olsson, Emma Adbage, Cambourakis, 2022, 14€ Une petite mouflette nous donne à entendre son monologue intérieur. Elle est sereine, sourit très naturellement en disant au revoir à son papa, s’installe pour manger puis jouer sans inquiétude. Nous sommes manifestement dans une collectivité où les adultes partagent le repas des enfants et où les mouflets s’activent en jeu libre, les uns à côté des autres (l’album est traduit du suédois, les modes de gardes sont un peu différents) Mais soudain, une petite main attrape le dinosaure qui est posé non loin d’elle.
Ça en est fini de la sérénité, place à un sentiment beaucoup moins agréable. La tristesse se manifeste d’abord par la fin du sourire puis un véritable débordement, les larmes et les cris sortent ensemble en un déchirant « C’est MON dinosaure »
L’adulte, attentif, console, cajole, laisse sortir les larmes.
J’aime beaucoup l’ambiance générale qui se dégage de cet album. Le désordre qui règne reflète la liberté dont jouissent les enfants, livres, jouets et mobilier à leur disposition, des adultes présents dans intervenir inutilement, prêts à accueillir les émotions de chacun si nécessaire.
On compte deux adultes (un homme et une femme) pour cinq enfants, dans un mobilier plus proche du salon familial que de la crèche.
La description de ce que ressent l’enfant est détaillé avec justesse: « Et voilà, ma gorge se met à crier. Des sons tristes. Ça fait du bien de pleurer. Ça fait du bien que tout le monde le voit »
Je trouve que c’est une très bonne chose de parler de tristesse plutôt que de colère. Le trait vif et minimaliste de l’illustratrice, qui semble chercher l’efficacité et la justesse de l’émotion plutôt que le beau me plaît beaucoup.
Des mêmes autrices on trouve également joie, et peut-être plus tard d’autres titres qui explorent de nouvelles émotions ?
Sur ce thème très demandé il est bon de trouver un album aussi réussi.
Le narrateur de cette histoire est un petit mouflet tout à fait ordinaire. Quand il s’ennuie c’est ostensiblement, en s’agitant tout seul sur le fauteuil. Il règne chez lui un désordre que l’on peut qualifier de banal (pour un foyer avec un enfant de cet âge, quoi, avec des jouets et des bidules qui traînent un peu partout). Et il a un caractère… Ben, il est légèrement auto-entré, tendance nombriliste et peut-être un peu timide.
Aujourd’hui, il est invité à l’anniversaire d’un pote. Il doit être en petite section de maternelle, il a les attitudes typiques du moutard qui découvre les joies et les déboires de l’amitié.
C’est que ça se construit, le sentiment amical. Et les enfants qui rentrent dans ces relations le font parfois avec un peu de maladresse.
Bref, pour son ami Fred, il a choisi un château. Rouge. Tout comme le sien, sauf que le sien est vert.
Et franchement, plus il regarde le sien, plus il se dit que le vert, c’est nul.
Rouge, c’est mieux.
Y’aurait pas moyen d’échanger?
La mère a l’air plutôt cool, voire désabusée, pas choquée par la demande en tout cas. Mais c’est non quand-même, hein. Hop, elle emballe le cadeau, en route pour la fête.
Où la marmaille est du même acabit que notre petit héros.
Franchement, je suis fan de la façon dont les personnages sont montrés, que ce soit par le texte ou par les images, ils sont croqués avec justesse et sans édulcoration. Il ne s’agit pas de dévaloriser le petit héros, il n’est pas spécialement mal élevé, il est juste… Infantile en fait. Normal, quoi.
C’est vif, c’est drôle, c’est une jolie petite tranche de quotidien comme tous les parents en ont vécues.
Carl et Elsa prennent le large, Jenny Westin Verona, Jesùs Verona, cambourakis
Elsa et ses parents ont invité Carl à la plage. Alors que les adultes gèrent la logistique (gonfler le dauphin, installer serviettes et parasol), le jeu entre les enfants se met tout de suite en place.
Rapidement, l’imaginaire prend le pas sur la réalité, on construit un piège pour capturer un lion des plages, on part en bateau à l’assaut d’une île déserte, on bâtit un vrai château de pirate.
Le jeu devient la réalité des deux enfants.
Et quand, par mégarde, Elsa met un coup de pelle dans l’oeil de Carl, c’est un phoque qui vient le consoler (on reconnait à son cou le collier que porte la mère).
Ce n’est que quand le père tombe dans le piège creusé par les enfants que la réalité s’impose de nouveau. C’est qu’il a l’air de s’être fait mal, le pauvre!
L’album se termine sur le gouter des enfants, alors que le soleil descend doucement dans le ciel.
L’immersion dans le jeu est terminée, jusqu’à la prochaine fois.
Avec ses grandes images pleines pages à fond perdu, on est complètement immergés dans le jeu des enfants. On s’y laisse volontiers entrainer et les jeunes lecteurs s’y reconnaissent pleinement.
Simon se promène, Eva Susso, Benjamin Chaud, Cambourakis, 12€
Simon est haut comme trois pommes, il ne sait pas encore parler mais pas de problème, il sait s’exprimer.
Aujourd’hui, son petit index fermement tendu en avant est explicite: il veut se promener. C’est Aïsha qui va tirer sa charrette.
Accompagnés du chien et de la poule, ils se baladent dans la forêt qui fourmille de multiples animaux.
Mais les sangliers font un tout petit peu peur quand même, vite, tout le monde rentre à la maison!
Ça tombe bien, Maman, Papa, Binta et Milo sont disponibles pour les câlins.
Benjamin Chaud fait ici des images moins foisonnantes de détails que dans d’autre de ses albums, notamment par l’utilisation du fond blanc. Les habitants de la forêt y ressortent bien, ils sont nombreux et on peut passer du temps à les examiner.
J’aime bien l’atmosphère chaleureuse qui se dégage de cette grande famille, que l’on retrouve dans Binta danse et dans Milo joue du tambour. Peut-être Aïsha, la grande sœur, aura-t-elle aussi un album qui lui sera consacré, je le souhaite en tout cas.
Quand je choisis un livre pour des enfants, particulièrement si c’est pour des tout petits, je me fie souvent à mon envie de le lire à voix haute. Si, dans la librairie, alors que je lis dans ma tête, il y a un petit frétillement au niveau de la bouche, quelque chose en moi veut passer la lecture à l’oral pour savourer les sonorités, en général, c’est bon.
Avec Simon se promène, j’ai même murmuré le texte pour en écouter le rythme, pour voir si les onomatopées qui s’invitent dans le récit y trouvent bien leur place.
Alors disons les choses franchement, il faut s’exercer un peu, c’est aussi le cas avec les deux autres tomes d’ailleurs. Mais quand on l’a en bouche, le texte est chantant, émaillé de bruitages qui peuvent être déconcertants (effet de la traduction peut-être?) mais que les bambins trouvent savoureux.
Au lit! Toute une histoire Shoham Smith, Einat Tsarfati, Cambourakis, 14€
Les enfants tyrans, je les adore! Dans les livres, hein, dans la vraie vie, ils sont insupportables.
Ici, on les repère dès la couverture. Ces deux bambins là n’en font manifestement qu’à leur tête et ils vont faire tourner leurs parents en bourrique.
Pourtant, ça part bien, la petite Lili s’est endormie. Dans sa chambre au sol jonché de jouets, avec sa couronne sur la tête, la petite princesse sourit dans son sommeil. Ses parents s’éloignent sur la pointe des pieds en priant pour qu’elle ne les rappelle pas. Prière vaine, dès la page suivante ils sont de retour auprès de la mouflette qui a manifestement réclamé un dernier bisou. On sent bien le sentiment de toute puissance de l’insupportable gamine qui va sortir de la chambre en courant comme un petit démon, réveiller son petit frère et squatter le repas des adultes sans complexe.
A eux deux, ils vont transformer le repas en foire au n’importe quoi.
Les illustrations sont le plus souvent centrées sur les enfants, les parents sont hors champ, et si on entend leurs réprimandes, on comprend bien que Lili les ignore, ils n’ont aucune prise sur elle. Quand, à l’inverse, on voit le couple parental faire une tentative d’autorité (« Je commence à compter, un, deux, trois », énuméré sans le moindre résultat), c’est au contraire la fillette qui n’est plus là. Ce n’est même pas qu’ils ne sont pas assez autoritaires. C’est carrément qu’ils n’existent pas pour elle, elle ne les voit pas, ne les entend pas, c’est comme s’ils évoluaient dans deux univers parallèles.
Quant aux autres adultes, ils sont à la fois victimes consentantes et complices, les gamins semblent les considérer comme des jouets parmi d’autres.
Je trouve qu’il y a quelque chose de jubilatoire à la lecture de cet album. Pour les adultes comme pour les enfants, il y a une distance qui s’instaure tout de suite quand on le lit, on ne s’identifie pas, au contraire, on prend plaisir à se dire que « heureusement, chez moi ce n’est pas comme ça ».
Certains parents à qui j’ai montré cet album m’ont fait remarquer qu’il donnait le mauvais exemple. Alors là, permettez moi d’être morte de rire. Comme si les livres montraient l’exemple! Quelle drôle d’idée de vouloir ainsi déléguer l’éducation des enfants à la littérature. Hé, les gars, j’ai un scoop, l’éducation c’est votre job, la littérature, elle, a pour fonction de raconter des histoires. Si c’est pour raconter aux gamins uniquement des histoires qu’ils vivent ou pourraient vivre, ce n’est pas très intéressant. Ce qu’il y a de chouette c’est justement de voir dans les livres tout ce qu’on n’a pas le droit de faire, ce qu’on est incapable de faire, ce qu’on n’a même pas envie de faire, pourquoi pas.
N’allez pas imaginer que parce qu’on leur montre des enfants qui font des bêtises dans une histoire, vos bambins vont les reproduire. A moins qu’ils n’aient été biberonnés à: « Oh, regarde comme petit ours va bien sur le pot, tu devrais faire pareil » ou encore « tu as vu comme ce pingouin est gentil avec le bébé, prend-en de la graine mon enfant »; mais là, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous même.
Lisons donc plutôt Au lit! Toute une histoire pour ce qu’il est, une histoire un brin subversive qui peut servir d’exutoire pour toutes les bêtises que nos enfants n’oseront jamais commettre.
Vous avez remarqué comment certains enfants sont réticents, le soir, à raconter leur journée? Dans ce petit album tout cartonné, le papa a trouvé la parade. Il pose la question directement aux petons du bambin (qui, d’ailleurs, peut aussi bien être une fille qu’un garçon).
L’enfant a posé ses chaussettes, il a les orteils qui frétillent. Niché dans les bras de son père (tendrement enveloppant le père), il se remémore sa journée.
« Nous avons tambouriné, nous nous sommes faufilés en catimini… ». Les pieds racontent. Le texte est court mais il offre tout de même quelque mots savoureux et l’image, au trait sur fond blanc, enrichit l’histoire de petits détails qui l’ancrent dans un quotidien réaliste (le livre laissé ouvert par terre à coté du lit parental, la casquette qui traîne au pied du porte manteau, le parcours d’équilibre fait d’un banc retourné etc).
Pas de maman dans cet album, cette fois c’est la relation au père qui est mise en valeur. Mais il existe aussi « petit nez », sur le même principe, où l’enfant est montré avec sa mère, ainsi que « petit ventre ». Toute la série est vraiment sympa, avec des dessins assez atypiques qui traduisent parfaitement la vie et le mouvement des mouflets. C’est dynamique et rafraîchissant.