Au lit! Toute une histoire Shoham Smith, Einat Tsarfati, Cambourakis, 14€

Les enfants tyrans, je les adore! Dans les livres, hein, dans la vraie vie, ils sont insupportables.

Ici, on les repère dès la couverture. Ces deux bambins là n’en font manifestement qu’à leur tête et ils vont faire tourner leurs parents en bourrique.

Pourtant, ça part bien, la petite Lili s’est endormie. Dans sa chambre au sol jonché de jouets, avec sa couronne sur la tête, la petite princesse sourit dans son sommeil. Ses parents s’éloignent sur la pointe des pieds en priant pour qu’elle ne les rappelle pas. Prière vaine, dès la page suivante ils sont de retour auprès de la mouflette qui a manifestement réclamé un dernier bisou. On sent bien le sentiment de toute puissance de l’insupportable gamine qui va sortir de la chambre en courant comme un petit démon, réveiller son petit frère et squatter le repas des adultes sans complexe.

A eux deux, ils vont transformer le repas en foire au n’importe quoi.

Au lit! Toute une histoire Shoham Smith, Einat Tsarfati, Cambourakis

Les illustrations sont le plus souvent centrées sur les enfants, les parents sont hors champ, et si on entend leurs réprimandes, on comprend bien que Lili les ignore, ils n’ont aucune prise sur elle. Quand, à l’inverse, on voit le couple parental faire une tentative d’autorité (« Je commence à compter, un, deux, trois », énuméré sans le moindre résultat), c’est au contraire la fillette qui n’est plus là. Ce n’est même pas qu’ils ne sont pas assez autoritaires. C’est carrément qu’ils n’existent pas pour elle, elle ne les voit pas, ne les entend pas, c’est comme s’ils évoluaient dans deux univers parallèles.

Quant aux autres adultes, ils sont à la fois victimes consentantes et complices, les gamins semblent les considérer comme des jouets parmi d’autres.

Je trouve qu’il y a quelque chose de jubilatoire à la lecture de cet album. Pour les adultes comme pour les enfants, il y a une distance qui s’instaure tout de suite quand on le lit, on ne s’identifie pas, au contraire, on prend plaisir à se dire que « heureusement, chez moi ce n’est pas comme ça ».

Certains parents à qui j’ai montré cet album m’ont fait remarquer qu’il donnait le mauvais exemple. Alors là, permettez moi d’être morte de rire. Comme si les livres montraient l’exemple! Quelle drôle d’idée de vouloir ainsi déléguer l’éducation des enfants à la littérature. Hé, les gars, j’ai un scoop, l’éducation c’est votre job, la littérature, elle, a pour fonction de raconter des histoires. Si c’est pour raconter aux gamins uniquement des histoires qu’ils vivent ou pourraient vivre, ce n’est pas très intéressant. Ce qu’il y a de chouette c’est justement de voir dans les livres tout ce qu’on n’a pas le droit de faire, ce qu’on est incapable de faire, ce qu’on n’a même pas envie de faire, pourquoi pas.

N’allez pas imaginer que parce qu’on leur montre des enfants qui font des bêtises dans une histoire, vos bambins vont les reproduire. A moins qu’ils n’aient été biberonnés à: « Oh, regarde comme petit ours va bien sur le pot, tu devrais faire pareil » ou encore « tu as vu comme ce pingouin est gentil avec le bébé, prend-en de la graine mon enfant »; mais là, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous même.

Lisons donc plutôt Au lit! Toute une histoire pour ce qu’il est, une histoire un brin subversive qui peut servir d’exutoire pour toutes les bêtises que nos enfants n’oseront jamais commettre.