Une aventure de Basile, un cachalot dans la baignoire, François Colette, Seuil jeunesse, 2025, 13€90
Dans le grand livre des cétacés, Basile découvre tout un tas de noms rigolos, comme le globicéphale. Et puis des mots compliqués, comme profondeurs. Il poursuivrait bien la lecture avec papa, mais voilà, c’est l’heure du bain. Pour le convaincre, papa propose à Basile de jouer avec son dauphin. L’argument est accepté et voilà Basile dans l’eau.
Mais alors qu’il plonge son jouet dans les profondeurs de la baignoire, voilà qu’en surgit un vrai marsouin. Ça ne dérange pas tellement Basile mais ça éclabousse drôlement, papa va pas apprécier.
Des animaux marins de plus ne plus gros déboulent dans la salle de bain et décidément, le rideau de douche ne suffira pas à éviter l’eau partout.
Basile, pourtant, sait très bien que ce n’est pas bien de tout mouiller, mais impossible de discipliner une orque ou un cachalot.
La salle de bain devient un véritable décor dans lequel la place vient à manquer, pour représenter la carrure des cétacés l’illustrateur joue avec les cadrages et les points de vue. La rondeur des animaux contraste avec le motif géométrique du carrelage, on passe de plongées vertigineuses à des contre-plongées qui mettent la focale sur les abysses sous la baignoire.
Ça fonctionne très bien, souhaitons que cette première aventure de Basile soit suivie de nombreuses autres.
Encore un plouf, Isabelle Ricq, seuil jeunesse, 2024, 9€90
Il y a un truc que j’aime bien chez les enfants, c’est le peu de frontière qu’ils mettent entre le monde réel et leur imagination.
Quand on les observe jouer, ils passent de l’un à l’autre avec un naturel parfois déconcertant. Quand ils nous racontent une anecdote, il est parfois très difficile de savoir ce qui a vraiment eu lieux (remarquez, c’est pareil avec la plupart des adultes). L’album Encore un plouf joue avec cette porosité et la met en scène dans sa forme même. Un enfant dessiné se baigne au milieu de créatures qui semblent bien réelles puisque ce sont des photographies.
Visiblement l’eau est bonne, bien qu’on y croise un ours polaire. Tiens, c’est étrange d’ailleurs toute cette faune alors qu’il a sauté dans une piscine. Peu importe, le rythme de l’album nous entraine sans qu’on se pose trop de question. Mais en milieu d’histoire voilà qu’une voix venue d’un personnage hors champ interpelle l’enfant. Faudrait voir à se savonner!
Retournement de situation et hop, retournement d’album, habillement l’illustratrice nous incite à prendre le livre dans l’autre sens pour poursuivre la lecture. On a plongé vers les profondeurs, on remonte à présent, vers un environnement plus familier.
On sort la tête de l’eau et la situation achève sa mutation, ce sont à présent les humains qui sont fait de photos alors que les animaux sont dessinés sur le bord de la baignoire. Isabelle Ricq exploite toutes les possibilités de l’album, avec un sens d’ouverture inhabituel (format calendrier) elle utilise le pli central comme ligne d’horizon, qui sépare l’espace du dessous de celui du dessus, la forme même du livre ressemble à une piscine ou à une baignoire, elle mélange différents types d’illustrations.
Coricoco, Charline Collette, Seuil jeunesse, 2023, 12€50 Cet album accompagne en douceur l’enfant dans la nuit.
Le constat d’abord: Le coq ne chante pas, les cloches ne sonnent pas, la voiture est au garage, mais pendant que toi tu dors, d’autres s’activent encore.
Cette phrase se décline sur trois pages, texte à gauche (dans une jolie écriture cursive, à la rondeur rassurante, qui confère à la page un petit air désuet) image à droite. C’est la nuit, les couleurs sombres dominent, et il se dégage de l’image du bébé endormi une atmosphère des plus paisibles.
Suit une énumération des métiers nocturnes: La gardienne allume le phare, l’électricien répare le train, la routière guide son camion.
En fin d’album nous revenons naturellement vers l’enfant à qui s’adresse le livre. La nuit a manifestement été paisible, et voilà que, coricoco, le coq chante le moment du réveil.
Un album contemplatif, de nature à accompagner un endormissement serin. Conscient du monde qui continue de tourner autour de lui, le tout-petit peut s’endormir tranquillement, et quand le jour se lève, de nouvelles découvertes s’offrent à lui.
Les belles peintures de Charline Collette (qui m’avaient déjà séduite dans un précédent album) subliment les métiers de la nuit comme le bébé endormi.
Le feu, Cécile Roumiguière, Marion Duval, Seuil Jeunesse, 2021, 9€90 Parmi les nombreux petits albums aux pages cartonnées et aux angles arrondis que l’édition propose aux jeunes enfants, certains se distinguent par la qualité de leur contenu. Parce qu’ils sont beaux, que leur texte est très travaillé. J’en ai d’ailleurs présenté beaucoup sur ce blog. D’autres se distinguent par les qualités de l’objet même, le toucher particulièrement agréable du papier. Les albums de la collection Le monde autour de moi, dont fait partie celui que je vous présente aujourd’hui associe les qualités de fond et de forme. Extérieur velouté d’une grande douceur, intérieur mat, il sont très agréable à manipuler. Le texte, simple, joue l’économie. Avec une seule phrase par page, il est à la fois sobre et évocateur.
L’album ne décrit pas le feu mais les sensations que celui-ci produit sur la petite narratrice. Les images ne sont pas des illustrations, elles ne se soucient pas de montrer ce qui est écrit. Elles sont un contrepoint, un complément, elles racontent elles aussi. Quand la fillette observe le feu sous la casserole, qui fait déborder le lait, on la voit en sécurité dans les bras de son père observer la scène. Et en vis à vis, sur la page de droite, c’est un volcan qui est représenté, lui aussi déborde. On trouve le même schéma sur les autres doubles pages, toujours une image de l’enfant dans son foyer et sa vie quotidienne, souvent a proximité de son père ou de sa mère et en face le monde, en plan éloigné.
Ainsi les jeunes enfants sont invités à découvrir le vaste monde tout en gardant la sécurité de la maison. Il y a quatre albums dans la collection Le monde autour de moi, qui présentent les quatre éléments: le ciel, le feu, l’eau et la terre. Tous commencent par une vue subjective sur la main de l’enfant en lien avec l’élément. Tous ont la même petite narratrice. Une bien jolie série, qui ouvre sur le monde.
C’est l’histoire, Corinne Dreyfuss, Charlotte des Ligneris, Seuil jeunesse, 2021, 13€90
C’est une histoire qui touche à sa fin, on s’en rend compte dès le début de l’album. Le texte donne des indices: « C’est l’histoire d’une petite vieille. Une petite vieille très très vieille et tout usée. » Sur l’image, les couleurs évoquent le soleil couchant. Le ciel occupe la partie supérieure de la page, donnant une impression d’immensité et de liberté, accentué par les oiseaux qui le parcourent. En bas de pages, les immeubles sont massifs.
Zoom sur l’un d’entre eux, celui où vit la vieille dame qui, à présent, tire les rideaux. C’est celui qui occupait le centre de la page précédente, d’un beau jaune soleil, avec une ombre grandissante qui lui mangeait une partie de la façade. Chaque détail à son importance et participe à sa façon au récit, chaque élément permet d’anticiper sur la fin de l’histoire.
Chez les voisins de la vieille dame, la vie bat son plein.
Ici c’est un couple qui s’installe, un bébé naîtra bientôt. Là, il règne une joyeuse agitation, on danse, on fait du skate, on joue de la guitare. Une colocation de jeunes sans doute, ou une bande d’amis réunis pour la journée. En dessous, c’est la vie de famille qui est représentée. De tout cela, le texte ne dit rien.
Il s’attache à décrire les actions de la vieille dame, qui a décidé de se coucher. Le rideau est désormais clos, il faut soulever un cache pour voir ce qui se passe derrière. Mais aucune action n’est représentée, seulement son résultat: La chaise, le lit, et les vêtements qui d’une page à l’autre vont s’entasser sur la chaise. C’est la vieille dame qui se déshabille, dans l’ellipse entre chaque page.
Des gestes précis et organisés d’abord, puis un peu moins, comme si même pour cette action toute simple de se mettre au lit, l’énergie l’avait quittée.
La façade de l’immeuble s’efface sous les nuages, comme si petit à petit la vie s’éloignait.
Puis dans trois très belles doubles pages qui se déplient l’image montre les flash-bac de la vie de la vieille dame, alors que le texte reste centré sur son coucher. Son dernier souffle est évoqué tout en douceur. Et son histoire est finie.
Quelle beauté, quelle tendresse, quelle justesse dans cet album. Le lien entre le texte et l’image est si finement travaillée, l’évocation de la mort tellement bien amenée.
C’est un livre apaisant, que l’on relit avec plaisir. C’est d’ailleurs souvent à la deuxième lecture seulement que l’on voit vraiment la couverture. Car lire une couverture d’album, ce n’est pas seulement en déchiffrer le titre ou le nom des auteurs, c’est aussi en comprendre l’image.
Un thé à l’eau de parapluie, Karen Hottois, Chloé Malard, Seuil jeunesse, 2020, 10€90
Il parait qu’il y a des gens qui aiment l’automne, les feuilles qui tombent et les promenades en forêt pour ramasser les châtaignes.
Pas moi. Même les colchiques échouent à me réconforter.
Elmo n’a pas l’air fan non plus. La pluie qui ruisselle sur son terrier lui met le moral en berne. Mais elle lui souffle aussi une idée. C’est le temps idéal pour préparer un thé à l’eau de parapluie.
Dès que sa théière est pleine, il prépare une fournée de bichons au citron. Le temps de lancer une invitation, il peut s’attabler en compagnie de ses chatons en peluche et de ses voisins la belette et l’écureuil. Il explique alors que cette eau vient d’un nuage qui est né de l’évaporation de l’été. Il est donc chargé tout à la fois des souvenirs de la mer, des sauterelles et des coquelicots. Après une bonne tasse très réconfortante, chacun est plus à même d’apprécier les joies de l’automne et en particulier le plaisir enfantin de sauter dans des flaques d’eau.
Qu’importe si l’on a froid, on pourra se réchauffer une bonne tasse entre les pattes!
Je dois dire que ce petit album est un véritable réconfort qui ferait presque apprécier les premiers frimas.
Les dessins au feutre en petites vignettes toutes en rondeur renforcent la douceur de l’histoire, on est dans une petite bulle de chaleur qui nous protège des intempéries.
C’est un petit monde où les plaisirs de l’été voyagent dans les nuages, où les chats en peluches s’avèrent drôlement remuants et où les grenouilles qui s’ébattent joyeusement dans les flaques d’eau portent d’adorables petits cirés jaunes. Tout cela est plein de charme et de tendresse.
On en reprendrais bien un peu, et cela tombe bien, puisque nous pouvons retrouver Elmo dans un second opus, Un trésor d’anniversaire, dont je vous parlerais très bientôt.
On échange! Bernadette Gervais, Seuil jeunesse, 2019, 14€50
Ce que j’apprécie souvent dans les imagiers, c’est qu’ils mettent en valeur les prouesses techniques des illustrateurs. Photographies, dessins à la plume, à l’aquarelle, au fusain, gravures, tout existe, les styles se mêlent parfois, on trouve tous les formats, toutes les matières.
Mais ce que j’apprécie le plus, c’est quand un brin de fantaisie vient bousculer ce genre, traditionnellement assez classique.
C’est le cas ici, et c’est une belle réussite.
Bernadette Gervais joue avec les animaux et objets représentés en mélangeant leurs caractéristiques. Elle invente ainsi des chimères improbables, des légumes étrangement crédibles ou des créatures dont on se demande si elles sont vivantes ou non.
Chaque image ainsi obtenue est à la fois emprunte d’étrangeté et de familiarité. Parfois ça « marche » tellement bien qu’on se demande, l’espace d’un instant, si elle n’a pas oublié d’échanger quelque chose.
D’autres fois l’invraisemblance de l’image prête à rire dès le premier regard.
Quand la grâce et la légèreté des ailes de papillons viennent se poser sur la carlingue métallique d’un avion ou que la délicieuse glace au chocolat se télescope avec un visqueux escargot, l’effet produit est sensationnel et déroutant. D’autres pages sont poétiques, absurdes ou amusantes.
Toutes sont follement créatives et inattendues.
Sur le terrain, On échange! provoque surprise et amusement, avec les enfants comme avec leurs parents.
Un album qui a d’ailleurs séduit aussi mes collègues, et que vous pouvez retrouver sur le site de l’association LIRE.
Une sieste à l’ombre, Françoise Legendre, Julia Sports, seuil Jeunesse, 12€90
Une fillette est installée sur une couverture à l’ombre d’un pommier. Petit à petit le sommeil la gagne, un rythme lent s’installe.
Chaque page montre un nouveau voyage onirique effectué par l’enfant, toujours accompagnée de sa couverture qui est la complice de ses aventures.
Elle devient tipi, désert, armure et même tempête.
Seulement quelques mots par pages, ce qui laisse les images capter toute l’attention des enfants.
Ils repèrent les couleurs de la couverture, rouge d’un côté, jaune de l’autre, qui font le fil conducteur de l’histoire.
Le voyage fait la part belle à la nature, beaucoup d’animaux sont présents et de nombreuses fleurs.
Mais aussi des objets plus incongrus, un ballon de foot que l’on retrouve à plusieurs reprises, une tasse a bec à la taille variable, un étrange cheval échappé d’un manège de bois.
Quand la sieste est terminée, l’ombre du pommier s’est déplacée, mais tiens, le ballon est toujours là, tout comme la tasse a bec, qui sont passés, avec la fillette et sa couverture de la réalité au monde imaginaire.
Une sieste à l’ombre est un bel album contemplatif, aux images un peu rétros, un peu japonisantes. Oui, je sais, c’est très à la mode au point d’avoir un petit air de déjà-vu. Mais ici c’est vraiment plein de charme alors on ne boude pas son plaisir.
Dans le ventre de la terre, Cécile Roumiguière, Fanny Ducassé, seuil jeunesse
Cécile Roumiguière a écrit un texte intime, poétique et onirique, sur la vie avant la vie, cet entre deux mystérieux dont on ne se souvient pas et qui, pourtant, laisse des traces dans l’inconscient de chacun de nous. Fanny Ducassé ne l’a pas illustré. Elle l’a raconté de nouveau, avec sa propre voix, qui s’exprime par l’image. De ces deux récits, textuel et iconographique, est né un album. Un album dans lequel les deux narrations convergent, se rencontrent, s’enrichissent mutuellement, sans jamais être redondants l’un de l’autre.
Dans le ventre de la terre nous présente donc l’enfant à naître, l’enfant rêvé, fantasmé. Dans la sécurité de son monde, il se nourrit de ce qui l’entoure, s’en abreuve. Petit à petit, il s’éveille aux sens. Et l’ailleurs l’appelle. Il est à l’étroit, il ne peut plus bouger. Alors, bientôt, bientôt… La suite n’est racontée que par l’image, et comme tout le reste de l’album, elle se savoure en plusieurs fois, elle ne se laisse pas posséder à la première lecture.
Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire cet album à beaucoup d’enfants et ceux qui l’ont écouté avec moi n’ont pas fait de commentaires. J’ai respecté leur silence, qui me semble tout à fait approprié pour cet album de l’intime. Après la lecture, on n’a pas envie d’en parler, on a envie de le garder pour soi (d’ailleurs j’avoue que ce billet n’a pas été des plus faciles à écrire, c’est parfois tellement difficile d’analyser une œuvre qui se prête plus à être simplement ressentie). Et de le relire. Et de l’offrir.
Une histoire qui… Gilles Bachelet, seuil jeunesse, 13€90
Les albums de Gilles Bachelet, vous le savez, je les adore. Cet auteur à un sens du rapport entre le texte et l’image qui provoque à la fois rire et perplexité chez les enfants. Or oui, j’aime bien que les enfants soient perplexes, et eux aussi aiment ça: ça leur donne du grain à moudre, ils réfléchissent, font des hypothèses, argumentent, changent parfois d’avis, bref, ils sont actifs dans la lecture.
C’est aussi un régal de montrer ses albums à des adultes: d’abord parce qu’on s’amuse, ensuite parce que ça donne lieu à des discussions sur « Les enfants vont-ils comprendre? », qui me permet de basculer sur « Le doivent-il? Et vous, êtes vous certain d’avoir tout compris? Et si ce n’est pas le cas, est ce un problème? » et qu’on peut facilement faire une heure de formation à décortiquer ces problèmes.
Le seul bémol c’est que je travaille essentiellement avec des moins de 3 ans et mes formations s’adressent généralement à des professionnels de la petite enfance. Donc, je n’ai pas assez d’occasions à mon goût de lire par exemple les aventures de Mon chat (le sien, pas le mien, mais il s’appelle Mon chat, c’est comme ça).
Mais heureusement, Gilles Bachelet vient enfin de publier un album destiné aux tout petits.
Pour ce faire, il utilise les ressorts qui ont déjà fait leurs preuves avec les minus: Répétitions, musicalité du texte, indices qui permettent d’anticiper sur la suite du récit, quelques références à leur univers et une touche d’humour et de loufoquerie juste bien dosée.
Les ingrédients sont là, et comme Gilles Bachelet a aussi du talent, l’alchimie fonctionne à merveille.
La structure est la même sur chaque double page: Un adulte lit à un enfant et à son doudou. Pas n’importe quelle histoire, une histoire qui fait échos aux protagonistes (Uns histoire qui fait fondre pour les phoques, une histoire qui voyage pour les cigognes etc). Comme pour souligner que chaque parent sait exactement ce dont son petit à besoin.
Quand on tourne la page, nouveau tableau, le doudou de la page précédente est devenu l’enfant qui écoute l’histoire. Ainsi, à la façon d’un jeu de domino, chaque page annonce la suivante.
Sur l’image, on remarque aussi à chaque page un jouet, jamais mentionné par le texte. Bien sûr, chaque jouet à lui aussi des caractéristiques en lien avec les personnages.
La position des mots, la mise en scène du livre sur la page de gauche, les petits plus dans l’image principale, tout est pensé et tout fait sens pour l’enfant même très jeune. Ils trouvent très rapidement des repères dans cet album qui peut vite devenir un véritable doudou pour eux.
Les pages de garde permettent de récapituler tout l’album d’ailleurs j’ai vu un petit garçon le réciter par cœur en s’aidant uniquement des vignettes des pages de garde pour se remémorer l’ordre des tableaux.