Les désastreuses conséquences de la chute d’une goutte de pluie, Albin Michel Jeunesse, collection Trapèze 2021, 12€90
Un plan fixe, en contre jour dans le soleil couchant. Les cinq protagonistes semblent figés dans leur position, on a un sentiment d’éternité. Comme dans une petite pièce de théâtre, chacun est à sa place.
C’est d’abord le peintre qui attire le regard. Il a le pinceau suspendu au dessus du chevalet, hésitant peut-être. Derrière lui, trois personnages ont la tête penchée sur la toile. une fillette juchée sur les épaules de son père et un amateur d’art.
Plus haut, presque dans la pénombre, une autre petite fille cueille des cerises. C’est quand on la voit que notre regard est soudait attiré par la toute petite goutte d’eau blanche dans le feuillage sombre. Minuscule mais éclatante, on penserait presque à une erreur d’impression si on n’avait lu le titre de l’ouvrage.
Alors qu’elle va tomber, comme au ralenti, au fil des pages, nous lecteurs, nous nous interrogeons. Quelles vont donc être ces désastreuses conséquences que l’on nous a annoncées? On prend conscience de l’équilibre précaire de l’enfant sur les épaules paternelles, et de celle sur sa branche. La silhouette du pinceau soudain nous semble bien pointue.
La redondance entre le texte, très descriptif, et l’image contribue à nous tenir en haleine. Il ne se passe presque rien, les mouvements de chacun sont quasiment imperceptibles mais il apparaît très vite que tout se met en place pour la chute… Racontée uniquement par l’image et qui ne peut intervenir que par la conjugaison parfaite de tous les éléments qui se sont mis en place au fil des pages.
Cette dernière image sera le clap de fin, un bouquet final tout en mouvement, et souvent le lecteur se précipite pour recommencer l’album, remonter le fil, voir comment les facteurs se sont enchaînés, précis et implacables.
Ce qui se produit était inéluctable, parfois c’est ainsi, une goutte de pluie et tout bascule.
Comme toujours, Adrien Parlange, auteur entre autre du ruban met son sens du format et de la construction graphique au service de se créativité. Les désastreuses conséquences de la chute d’une goutte de pluie est un album très construit qu’on relit avec grand plaisir.
Un regret toutefois, la couverture qui donne très peu d’indice sur le contenu est peu attractive pour les enfants et il faut vraiment la médiation d’un adulte pour leur donner envie d’ouvrir ce livre. Sauf à le présenter ouvert, ce qui n’est pas évident avec ce format.
Mais, s’il a fallu que je le propose pour que des enfants m’en demandent la lecture, il a toujours été très apprécié (par les parents accompagnateurs également, ce qui est tout aussi important dan mon travail)
Il y a des livres objets qu’on trouve astucieux. On regarde le petit truc en plus, la découpe dans la page, le pop up ou le vernis judicieusement placé et on se dit que c’est une bonne idée, bien vu, vraiment.
Et puis il y a ceux qui sont tellement évident qu’on ne comprend pas que ça n’ait pas été fait plus tôt. Ça fonctionne tellement bien, ça s’impose presque, mince, personne ne l’avait fait, vraiment? Peut être que c’est ça en fait, le génie, le talent. Être capable de créer quelque chose qui s’impose comme l’évidence, dans lequel on rentre immédiatement, sans aucun pré-requis.
Adrien Parlange réussi cette prouesse dans son dernier album, Le Ruban, qui est une petite merveille.
Ici, l’idée géniale est vraiment simple: un ruban, semblable à un marque-page, jaune, est fixé non pas en haut, mais en bas du livre. C’est lui qui va prolonger chaque image hors champ.
On passe alors de deux à trois dimensions, l’image n’est plus figée, on la modifie, on la crée nous-même en déplaçant le livre dans l’espace et le ruban autour du livre.
Ce mince bout de tissu jaune devient alors successivement la ficelle d’un ballon ou la corde d’un funambule, le thé brûlant ou le spaghetti gluant.
Spontanément, on le bouge. On le pose sur la page ou on le tire vers le bas, on cherche l’horizontalité parfaite, pour éviter la chute du funambule ou on l’agite, frétillant, quand il est la langue d’un serpent.
A chaque page, on s’émerveille de constater à quel point ça marche. On en oublierait presque à quel point les images sont belles.
Si certaines sont très lisibles, d’autres sont plus complexes à interpréter. Il faut alors prendre son temps, comprendre le point de vue, analyser le dessin. Certains enfants passent rapidement sur ces pages mais d’autres froncent les sourcils et réfléchissent intensément. Vous savez à quel point je trouve ça important que les livres donnent du grain à moudre à l’intelligence des enfants. En particulier quand ils le font avec des qualités esthétiques indéniables, comme ici.
J’ai d’abord proposé cet album à des enfants déjà grands, pour une totale compréhension de la richesse du procédé.
Et puis j’ai eu l’occasion de le montrer à des bambins plus petits, deux ans et même moins. Ils sont captivés par les images, jouent avec le livre et font des va-et-viens dans l’album, pour comparer par exemple le gros serpent et le tout petit.
Les images de ce billet sont issues du site de l’auteur, que je vous conseille de visiter si vous voulez découvrir plus de merveilles.