La comète, Joe Todd-Stanton, l’école des loisirs, 2023, 14€
Mila vit avec son père dans une grande maison au bord de l’eau. De la fenêtre de sa chambre, elle voit la mer, le ciel immense, les arbres. Les premières pages montrent une vie familiale pleine de douceur et de chaleur.
Son père joue avec elle, cuisine, va la chercher à l’école.
Mais lorsqu’il trouve un nouveau travail, ils doivent déménager en ville.
Le changement de vie est radical et ce n’est pas facile pour Mila de se familiariser avec ce nouveau milieu.
Il faut s’habituer à la foule, à l’absence de nature, une nouvelle école mais aussi à un père beaucoup moins disponible.
Puis survient l’évènement magique. Une comète venue du ciel fait grandir un arbre, pousser des feuillages, surgir la nature, dans cet environnement urbain.
Quand papa arrive, on découvre que sous l’impulsion de la comète, tout droit sortie de son imagination, Mila a décoré sa chambre de motifs floraux, dessinés à la peinture sur les murs, il y en a jusque sur le plancher.
Il semble que la poésie de ce geste artistique n’apparaisse pas immédiatement aux yeux du père, qui y voit surtout une grosse bêtise. Mais finalement…
L’univers graphique de Joe Todd-Stanton (très remarqué pour ses deux précédents albums: Jules et le renard et Le secret du rocher noir) s’affirme au fil des albums, de plus en plus maîtrisé: Couleurs chatoyantes, place prépondérante de la nature, mise en page impeccable.
La comète n’est pas un album prétexte, pour aborder le thème du déménagement ni celui de la famille monoparentale, ou encore celui de la solitude. C’est une histoire jolie et poétique, qui aborde, entre autre, ces questions-là.
La maison du géant, Maya Shleifer, les éléphants, 2022, 14€
Il était si grand qu’il tenait à peine dans sa maison, le dos courbé, la tête rentrée. Alors inviter quelqu’un, pensez-y, impossible. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il semble si triste dans sa maison trop petite.
Un jour, une araignée entra dans la maison. Mais le Géant n’a pas vu là une présence amicale, il tenta plutôt de la chasser, il n’y avait pas de place pour elle. Indifférente, l’araignée tisse sa toile. Mais brusquement, le géant se met à éternuer, une fois plus deux, des éternuements énormes, qui font voler en éclat les murs de la maisonnette.
Dépité, notre héros s’en va en quête d’un nouveau logis, dédaignant la proposition d’aide de l’araignée, qui s’installe pourtant sur son épaule. Il marche, toujours aussi solitaire, jusqu’à tomber d’épuisement.
C’est pendant son long sommeil dans le froid que l’araignée va enfin prendre soin de lui, en tissant une toile pour le protéger, ce qui va radicalement changer son rapport aux autres et à la nature. La maison du géant deviendra la nature elle même, et son corps servira de maison de nombreuses créatures. Il va donc trouver sa place, au cœur d’un écosystème accueillant et chaleureux, grouillant de vie.
Les illustrations, à l’huile et aux crayons de couleur, sont très évocatrices et on ne peut qu’avoir de l’empathie pour ce gentil géant solitaire au regard tendre et doux. Elles portent cette jolie histoire philosophique sur la solitude, le rapport à la nature et aux autres et l’entraide.
L’homme qui n’aimait pas les chats, May Angeli, les éléphants, 2022, 14€
C’est un bonhomme qui semble bourru, et il n’aime pas trop être dérangé. Alors les chats qui feulent toute la nuit, il n’aime pas bien ça.
Et ce chaton qui s’agrippe à sa pantoufle au réveil, non mais qu’est-ce que c’est que ça encore?
Allez, ouste.
Dès le lendemain, alors que l’homme boit son café au soleil, il entend un miaou à ses pieds. Mais d’où sort-il encore ce chat? Bon. Faut avouer. Un chaton qui court après son ombre, c’est tout de même assez marrant. Mais ce fichu félin n’a même pas le bon goût d’apprécier la tartine de beurre que l’homme lui offre!
Chassé, il s’éloigne par la porte du jardin, au delà de laquelle on devine des chèvres qui passent.
Le jour suivant il est de retour. C’est qu’il finirait par être attachant, d’ailleurs l’homme qui n’aimait pas les chats lui offre de bon cœur un peu de lait.
Les jours passent et le rendez-vous semble être pris, le chaton revient obstinément, l’homme s’y habitue peu à peu. D’ailleurs à l’image, on voit un rat qui trotte dans la maison, peut-être bien qu’il y a besoin d’un chat dans le foyer finalement?
Et il faut avouer qu’il est adorable quand il joue avec les sauterelles ou dort en rond.
Souvent, l’homme se demande où le chaton passe ses nuis. Sentirait-on une pointe d’inquiétude dans cette question récurrente?
Finalement, l’homme bourru et le chaton perdu vont s’apprivoiser mutuellement, chacun s’adaptant petit à petit aux besoins de l’autre. Ils seront de bons compagnons de route l’un pour l’autre.
Il parait que May Angeli trouve son inspiration en Tunisie. D’où sans doute le bleu du ciel et le doré sableux du sol.
Elle nous offre ici un récit très simple, au texte épuré. Ses illustrations en gravure sur bois se contentent de trois couleurs, le bleu, l’ocre et le marron, ce qui leur donne une grande force.
Rare, cet album l’est à plus d’un titre. Déjà parce qu’il s’adresse aux grands. Il se savoure pleinement à partir de 8/10 ans. Mais comme il est très chargé en émotions je pense que les enfants plus jeunes peuvent l’écouter avec grand plaisir, grappillant des sensations même si l’histoire leur reste parfois obscure.
Rare aussi par son épaisseur, sa densité. Et par la richesse et la maîtrise de ses illustrations. Et par le foisonnement des références iconographiques.
Rare enfin pour le récit lui même, d’une consistance singulière.
Comme un journal intime, l’histoire se raconte à la première personne.
La narratrice est une adolescente solitaire, aux parents éternellement indisponibles.
A travers ses yeux, l’étrangeté du monde est palpable, elle prend la forme d’animaux gigantesques, d’arbres en forme de lapin, de décors surréalistes.
Il n’y a pas un propos unique qui se déroule au fil de l’album, mais plusieurs qui s’entremêlent, qui, ensemble, tissent l’histoire.
La difficulté à entrer en relation (avec ses parents mais aussi avec ses camarades), le deuil quand son grand-père meurt (et le blanc de la page vire alors au gris pâle), la rencontre et enfin la fugue, aux cotés d’un garçon tout aussi bizarre et décalé qu’elle.
Pendant leur escapade, le cadre des images disparaît: le monde, immense, s’ouvre à eux.
A leur retour elle tombe malade, et quand elle sera rétablie il sera parti.
De leur rencontre il reste désormais un souvenir, aussi lumineux qu’une nuit étoilée.
Il faut lire cet album, il faut se laisser embarquer dans la tête de cette adolescente, ressentir avec elle. Puis il faut le relire pour mieux mesurer la qualité des illustrations, y trouver les multiples références.
Et le lire encore une fois, pour l’assimiler, l’intégrer, le digérer. Après de multiples lectures, on peut enfin le garder en soi, il est là, on peut y repenser. On reste nourrit de cette lecture, grandit.
De la vraie littérature.
Je vous en laisse un petit aperçu avec cette vidéo de présentation. Et cette autre vidéo, très touchante, de l’auteur.
Tout seul, Rosemary Shojaie, Didier jeunesse, 12€50
Nico est un adorable renardeau roux. Il semble vivre paisiblement en compagnie de ses amis: une petite loutre, un raton laveur et un jeune blaireau. Ensemble, ils grandissent, au fil des saisons.
Les images pleine pages sont d’une grande douceur, faisant échos à la complicité entre les protagonistes. C’est tendre, agréable, plein de charme.
Mais un matin d’hiver, Nico trouve tous ses amis profondément endormis. Il fait son possible pour les réveiller, en vain: ils dorment à poing fermé.
Nico ne reste pas longtemps désemparé, pour luter contre la solitude il sculpte un renard de neige.
Mais à ce stade, le lecteur attentif à déjà remarqué que le renardeau ne restera pas longtemps tout seul, un nouveau camarade va venir faire sa connaissance.
L’histoire est simple et touchante, elle met en avant l’amitié sans conflit, tous les personnages sont sympathiques et gentils les uns avec les autres. Ils ont des petites bouilles très attachantes, de vraies peluches!
Francisco, Perceval Barrier, l’école des loisirs, 12€20
Ne cherchez pas à sympathiser avec Francisco le chat sauvage, c’est peine perdue. Il n’en a pas envie. Hé, ho, c’est pas pour rien qu’il s’est installé dans le désert, faudrait voir à pas trop s’attarder.
D’ailleurs, la plupart des clients de sa station service jouent parfaitement le jeu, ils prennent de l’essence et s’éloignent, c’est comme ça que ça doit fonctionner.
Mais après avoir fait le plein, madame Lapin ne parvient pas à redémarrer. Elle est dépitée, comme sa marmaille à l’arrière d’ailleurs.
Francisco s’impatiente, sans même la regarder il lui lance “C’est le moteur, il est trop chaud”.
Vous la voyez venir l’histoire du solitaire bourru qui va finir par se prendre de sympathie pour la mère de famille esseulée?
Vous avez raison, rien de très nouveau sous le soleil.
Mais j’attire votre attention sur le fait, d’une part, que si vous avez l’impression d’avoir déjà lu cette histoire, ce ne sera pas le cas pour les enfants à qui vous allez la lire. D’autre part sur le talent avec le quel elle est racontée ici.
La bouille très expressive du chat courroucé, la mise en page proche de la bande dessinée, le texte ciselé, tout fonctionne à merveille.
Sans compter les petites excentricités et jolies surprises, comme la maison secrète du chat, mise en valeur par un plan de coupe assez original, ou la bande de loubards du désert.
Bref, un album des plus sympathiques qui est très souvent choisi par les enfants et que je lis et relis avec le même plaisir. Et ça, croyez moi, c’est la preuve qu’un album est réussi, parce que dans mon boulot je suis parfois amenée à lire des dizaines de fois le même livre alors il vaut mieux être sélectif!
Même les plus grands artistes ont d’abord été des enfants. Et parfois c’est justement dans l’enfance que leur art puise ses racines.
Petite, Frida Kahlo a dû surmonter des épreuves, en particulier une attaque de polio qui atteint sa jambe droite. Désormais elle boîte et subit les moqueries des autres enfants.
C’est quand la maladie l’isole qu’elle raconte dans son journal la rencontre avec son double, la fillette imaginaire qui peut courir et danser librement. Grace à cette étrange présence et à la puissance de son imaginaire, Frida peut surmonter la solitude.
C’est cet épisode que raconte ici Anthony Browne.
On connait l’attrait de cet auteur pour les grands peintres. Ici, il fait corps avec son sujet, racontant à la première personne un épisode intime de la célèbre peintre mexicaine.
On retrouve aussi le thème de la résilience (soutenue par l’art et l’imaginaire) et de la moquerie, souvent présent dans les albums d’Anthony Browne.
J’ai eu, à la lecture de ce livre, le sentiment d’une véritable identification de l’auteur à son personnage, il porte tout naturellement un regard très touchant sur la fillette. Il réussit magnifiquement dans les images une symbiose entre son propre univers et celui de Frida Kahlo.
C’est une cabane bien nichée au milieu des arbres, dans une nature luxuriante. Outre les nuances de vert des végétaux, on y repère des petits animaux: de nombreux oiseaux, quelques chenilles, un écureuil forment des taches colorées dans le décor.
Le narrateur qui vient s’y ressourcer arrive à pied, presque discrètement.
Il s’installe avec son bouquin, son sac à dos et son appareil photo. Il fait sa vie, plus dans les environnements de la maisonnette que dedans d’ailleurs. Il va regarder les escargots sous la pluie, plonger nu dans la cascade quand il fait beau, ou dormir à la belle étoile.
A vrai dire, je l’envie un peu.
On pourrait le croire en osmose totale avec la nature qui l’entoure, en tout cas il en est très respectueux.
Mais est il vraiment observateur? Le texte, minimaliste au point de disparaître sur certaines pages, est très descriptif et semble suivre le fil de ses pensées.
Mais l’histoire racontée par l’image est tout autre (Ah, vous aimeriez bien que je vous dise tout, hein? Mais je ne le ferais pas, je préfère vous laisser la joie de la découverte).
Nous le savons, pendant que nos yeux d’adultes se posent sur le texte pour le lire, ceux des enfants explorent l’image. Ils la décryptent avec une facilité déconcertante. Et dans cet album, ils comprennent vite qui est le véritable héros de l’histoire.
Un album que les enfants lisent avec leurs yeux et leurs oreilles, qui nous transmet la sérénité de la nature.
Mizu et Yoko tout seul, Laurie Cohen, Marjorie Béal, Maison eliza, 13€50
Il est bien sûr de lui, le petit pingouin qui nous fait face sur la couverture. “Moi je peux me débrouiller tout seul, comme un grand” affirme-t-il. Et en effet, il empile les cubes de glace pour se construire un igloo, il pêche, il fait du feu. Bon, en réalité c’est tout de même un peu compliqué. L’igloo s’écroule, la glace fond sous les flammes. Et puis, c’est grand, c’est même très grand, une banquise, quand on est seul.
Pour se tenir compagnie, il fait un bonhomme de neige, il lit des histoires. Devant l’immensité du ciel étoilé, notre pingouin a un petit coup de blues. C’est alors qu’un ours frappe à la porte de son igloo. Et la vie change.
Le thème de la solitude est rarement traité dans la littérature jeunesse. Ici il est abordé avec beaucoup de douceur et de confiance. Mizu, le pingouin (dont on ne découvrira le prénom qu’à la fin de l’album: on n’a pas besoin d’être nommé quand on est seul) prouve se capacité à se débrouiller, même si il tâtonne, même si ce n’est pas évident.
L’histoire laisse planer le mystère sur la situation. Pourquoi est il seul? Est-il adulte? D’où sort Yoko, l’ours? Chacun peut faire ses hypothèses.
La toute nouvelle maison d’édition eliza nous propose ici un bel album aux pages épaisses, un graphisme soigné, un petit format agréable à avoir en main. Assurément une maison à suivre.
Annette, Gabriel Schemoul, Grégory Elbaz, école des loisirs 13€50
Il y a des livres qui nous transportent ailleurs, loin, très loin de notre quotidien. Annette, sans aucun doute, est de ceux là.
Si l’étrangeté du récit et des images m’ont immédiatement séduite, je suis longtemps restée perplexe face à cet album.
Annette est une fillette, qui vit avec son père pêcheur sur une île. Ce jour là, la brume entoure le paysage. Elle aide son père à préparer le filet et le regarde la barque s’éloigner, debout sur le rivage. Il y a dans son attitude quand elle porte le filet toute la fierté des marins. Mais dès que son père a quitté l’île, l’angoisse semble la saisir.
Elle court, pieds nus dans sa chemise de nuit blanche, presque fantomatique. Un petit déjeuner préparé par papa l’attend.
Cette nourriture du corps servie dans une bonne vieille tasse de porcelaine est d’un grand réconfort, si ce n’est pour le personnage tout au moins pour le lecteur qui lit l’album. En tout cas moi, c’est cette image qui m’a permis de tourner la page et de poursuivre le récit.
Mais Annette ne semble pas rassurée, seule face à la table immense. Sa moue boudeuse, son regard éteint, son corps qui semble si fragile inquiètent. Le temps passe lentement et l’impatience se fait sentir, pour elle comme pour nous, lecteurs, captifs du récit, qui tournons les pages lentement à la recherche d’un signe rassurant dans l’image (qu’on ne trouvera pas).
Quand le père rentre enfin, le texte nous affirme qu’elle se blottit dans ses bras. Mais l’image laisse le réconfort à notre imagination, tout comme à la dernière page, alors que le texte parle des couleurs retrouvées de l’île, l’image reste garde son gris brumeux.
Cet album me fascine. Le malaise qu’il a provoqué chez moi à la première lecture a été immédiatement suivi du besoin de le relire, d’essayer de le comprendre, avant d’y renoncer.
J’ai toujours l’impression étrange qu’Annette est condamnée à revivre indéfiniment cette matinée de solitude. Que l’île est hors du temps, hors du monde.
Je n’ai pas amené cet album avec moi dans mon travail. D’une part parce que je travaille essentiellement avec des moins de 3 ans et qu’il me semble que cet album n’est pas adapté pour cette tranche d’âge. Mais aussi, surtout, parce que j’ai du mal à assumer dans le cadre professionnel l’inquiétude qu’il provoque chez moi.
Pourtant, l’expérience m’a depuis longtemps prouvé qu’il ne faut jamais présager de la faiblesse des enfants et qu’ils ont la capacité d’écouter des histoires étonnantes, déstabilisantes, inquiétante même. J’ai d’ailleurs souvent constaté que les livres aux quels ils s’attachent le plus sont des histoires comme celle là, des histoires fortes, qui ne laissent pas indifférents, des histoires qui gardent leurs mystères, des histoires nourrissantes.
En lisant et en relisant cet album, je pense au malaise qu’a provoqué Max et les maximonstres à sa sortie, chez les adultes. C’était un livre qu’ils ne comprenaient pas vraiment, alors ils se sont dit que ce n’était sans doute pas pour les enfants, qui ça allait les choquer. Annette est un album que je ne comprends pas vraiment alors, bêtement, j’ai l’idée qu’il faut en protéger les enfants.
J’espère que mon professionnalisme va reprendre le dessus et que je vais finir par travailler avec ce livre, je ne sais pas ce qu’il provoquera chez les enfants mais je suis à peu près sûre que ça ne sera pas de l’indifférence. Ça tombe bien, il n’y a rien de pire que l’indifférence.
En attendant, je vous invite à le découvrir et à me dire, à l’occasion, ce que vous en avez pensé.