Annette, Gabriel Schemoul, Grégory Elbaz, école des loisirs 13€50
Il y a des livres qui nous transportent ailleurs, loin, très loin de notre quotidien. Annette, sans aucun doute, est de ceux là.
Si l’étrangeté du récit et des images m’ont immédiatement séduite, je suis longtemps restée perplexe face à cet album.
Annette est une fillette, qui vit avec son père pêcheur sur une île. Ce jour là, la brume entoure le paysage. Elle aide son père à préparer le filet et le regarde la barque s’éloigner, debout sur le rivage. Il y a dans son attitude quand elle porte le filet toute la fierté des marins. Mais dès que son père a quitté l’île, l’angoisse semble la saisir.
Elle court, pieds nus dans sa chemise de nuit blanche, presque fantomatique. Un petit déjeuner préparé par papa l’attend.
Cette nourriture du corps servie dans une bonne vieille tasse de porcelaine est d’un grand réconfort, si ce n’est pour le personnage tout au moins pour le lecteur qui lit l’album. En tout cas moi, c’est cette image qui m’a permis de tourner la page et de poursuivre le récit.
Mais Annette ne semble pas rassurée, seule face à la table immense. Sa moue boudeuse, son regard éteint, son corps qui semble si fragile inquiètent. Le temps passe lentement et l’impatience se fait sentir, pour elle comme pour nous, lecteurs, captifs du récit, qui tournons les pages lentement à la recherche d’un signe rassurant dans l’image (qu’on ne trouvera pas).
Quand le père rentre enfin, le texte nous affirme qu’elle se blottit dans ses bras. Mais l’image laisse le réconfort à notre imagination, tout comme à la dernière page, alors que le texte parle des couleurs retrouvées de l’île, l’image reste garde son gris brumeux.
Cet album me fascine. Le malaise qu’il a provoqué chez moi à la première lecture a été immédiatement suivi du besoin de le relire, d’essayer de le comprendre, avant d’y renoncer.
J’ai toujours l’impression étrange qu’Annette est condamnée à revivre indéfiniment cette matinée de solitude. Que l’île est hors du temps, hors du monde.
Je n’ai pas amené cet album avec moi dans mon travail. D’une part parce que je travaille essentiellement avec des moins de 3 ans et qu’il me semble que cet album n’est pas adapté pour cette tranche d’âge. Mais aussi, surtout, parce que j’ai du mal à assumer dans le cadre professionnel l’inquiétude qu’il provoque chez moi.
Pourtant, l’expérience m’a depuis longtemps prouvé qu’il ne faut jamais présager de la faiblesse des enfants et qu’ils ont la capacité d’écouter des histoires étonnantes, déstabilisantes, inquiétante même. J’ai d’ailleurs souvent constaté que les livres aux quels ils s’attachent le plus sont des histoires comme celle là, des histoires fortes, qui ne laissent pas indifférents, des histoires qui gardent leurs mystères, des histoires nourrissantes.
En lisant et en relisant cet album, je pense au malaise qu’a provoqué Max et les maximonstres à sa sortie, chez les adultes. C’était un livre qu’ils ne comprenaient pas vraiment, alors ils se sont dit que ce n’était sans doute pas pour les enfants, qui ça allait les choquer. Annette est un album que je ne comprends pas vraiment alors, bêtement, j’ai l’idée qu’il faut en protéger les enfants.
J’espère que mon professionnalisme va reprendre le dessus et que je vais finir par travailler avec ce livre, je ne sais pas ce qu’il provoquera chez les enfants mais je suis à peu près sûre que ça ne sera pas de l’indifférence. Ça tombe bien, il n’y a rien de pire que l’indifférence.
En attendant, je vous invite à le découvrir et à me dire, à l’occasion, ce que vous en avez pensé.