Un appétit d’éléphant, Éric Battut, éditions Didier Jeunesse, 12€90
Vous connaissez la comptine de l’éléphant qui se balance sur une toile d’araignée ? Il en existe plusieurs versions mais toutes reposent sur le même levier humoristique : l’absurdité de la situation.
Eric Battut part de cette comptine et la prolonge dans une histoire où les situations absurdes s’enchaînent, pour le plus grand plaisir des enfants qui se régalent de ce type d’humour.
Un éléphant, donc, bleu, tant qu’à faire, veut faire un tour de balançoire sur la magnifique toile tissée par dame araignée.
Celle ci, minuscule, se félicite d’une si belle prise de en le voyant dans ses filets.
Un malentendu s’installe, l’éléphant persuadé d’avoir trouve une camarade de jeu et l’araignée convaincue d’avoir la une proie de choix.
Un quiproquo à hauteur d’enfant, où la naïveté de ce balourd d’éléphant finit par lui sauver la mise.
Un bon petit ressort comique, des illustrations chaleureuses qui mettent en évidence la différence de taille entre les protagonistes, une chute sympathique font de cet album une réussite.
La petite poule rousse et rusé renard roux, Pierre Delye, Cécile Hudrisier, Didier jeunesse
La première fois que Rusé Renard Roux s’attaque à Petite Poule Rousse, elle lui échappe de justesse, grâce à sa rapidité.
Après, bien sûr, elle se méfie, elle sait qu’il rôde. Mais que voulez-vous, notre poulette n’est pas une femme d’intérieur, elle doit bien sortir pour aller chercher à manger. Cette fois, elle ne doit son salut qu’à un coup de bol.
Et quand elle remet le nez dehors pour aller chercher du bois, il finit par lui mettre le grappin dessus.
Rusé le renard? J’ai comme l’impression qu’il n’en a que le nom, le naïf, trop sûr de lui, s’endort pour une petite sieste en laissant Poule Rousse dans son sac. A croire qu’il ne sait pas, le sot, qu’en bonne couturière elle a toujours une paire de ciseaux sur elle!
Un conte classique, avec son lot de répétitions et d’allitérations. Comme toujours avec Pierre Delye la lecture à voix haute est un plaisir.
Cette version mêle des allures rétro à des accents de modernité (avec un petit brin de féminisme qui n’est pas pour me déplaire).
L’ensemble est très dynamique, tout en mouvement, tant le texte que les images.
On y repère plein de petites touches d’humour, dont les deux grenouilles à grande bouche (qui semblent bien plus calmes que dans leur dernière aventure), les magazines féminins de Poule Rousse, les amusantes ribambelles de linge reprisé sur le fil à linge etc.
La chute s’accompagne d’un épilogue savoureux qui ajoute au plaisir et qui confirme que notre héroïne est une sacré poulette qui n’a pas froid aux yeux.
Je suis un animal, Alfredo Soderguit, Didier jeunesse, 20€
Sur la page de gauche, le texte minimaliste, dans le quel le narrateur créé une comparaison. “Je suis un animal quand je mange, quand je dors, quand je parle.”
En vis-à-vis, un animal, choisi pour une caractéristique qui correspond à l’action décrite. Les images en très gros plan et le grand format sont envoûtantes. On est subjugués par les grands yeux de la chouette, les oreilles rouges de la chauve-souris.
Entre le bestiaire et le portrait chinois, l’album nous incite à réfléchir sur notre animalité.
C’est étonnant toutes les émotions que procure la lecture de cet album.
Les enfants sont fascinés ou ravis, parfois un peu effrayés, presque toujours surpris. Jamais indifférents.
Chaque lecture de Je suis un animal est singulière et il n’est pas rare que cet album initie des conversations amusantes avec les enfants qui ont tendance naturellement à se sentir très proche des animaux. Attention, il n’est pas rare non plus qu’ils joignent le geste à la parole et se mettent à imiter toutes sortes de bestioles dansantes, remuantes ou bondissantes. A éviter si vous cherchez le retour au calme, donc.
Groléfant et Tit’souris, histoires de bêtes, Pierre Delye, Ronan Badel, Didier Jeunesse, 13€10
Est-il nécessaire de se ressembler pour être amis? Où simplement d’avoir le sentiment qu’on est pareils?
Quand Tit’souris rencontre Groléfant, elle ne voit que leurs points communs : couleur, nombre de pattes, présence d’une queue, pas de doute, ils sont faits pour s’entendre !
Et, de fait, dans la relation amicale qui se tisse au fil des pages, ils ne cessent de se percevoir comme semblables.
Le ressort comique récurant dans les différentes saynètes reposera sur la différence de taille entre les personnages, qu’ils n’ont de cesse de nier. Quand ils marchent sous un soleil de plomb, Tit’souris propose à Groléfan de lui faire de l’ombre. Quand ce dernier se baigne, elle le soupçonne de lui avoir piqué son maillot de bain.
Ainsi ils cheminent et découvrent le monde, avec une certaine naïveté qui contribue à les rendre très attachants. Toujours complices, ils se chamaillent parfois mais jamais pour très longtemps. La plupart du temps, ils prennent soin l’un de l’autre.
Sous couvert d’humour, c’est aussi une réflexion sur ce qui nous réuni et qui nous différencie. Des petits moments de tendresses et des grandes questions se succèdent.
Les saynètes s’enchainent, dans une forme proche de la bande-dessinée, avec un humour à la fois textuel et visuel. Le sens du dialogue de Pierre Delye et le trait vif et expressif de Ronan Badel se marient parfaitement.
Il a tout du gentleman cambrioleur, ce renard et pour tout dire, on se prend de sympathie pour lui dès les premières pages, alors qu’il s’introduit dans une grande demeure bourgeoise, au style géorgien.
C’est qu’il a du pep’s et ne manque pas d’humour. Il virevolte, très à l’aise, de pièce en pièce en saluant gaiement tous les objets qu’il dérobe.
Hop, avalé le festin, subtilisée l’argenterie, envolé le tapis. Prestement, il retire les toiles de leurs cadres.
Il ne boude pas son plaisir et n’hésite pas à jongler avec les boules de neiges ou à jouer avec l’avion télécommandé pendant son cambriolage.
Dans sa grande élégance, il n’oublie jamais de saluer tous les objets qu’il rencontre “bonjour maison, bonjour paillasson…”
Et quand il tombe sur la boite à bijoux, son regard s’illumine.
Mais, quand les trois ours rentrent chez eux, il fait moins le malin. D’ailleurs, maman ours, qui ne s’en laisse pas compter, le balance par la fenêtre sans plus de cérémonies.
Ne nous inquiétons tout de même pas trop pour ce beautifull looser, il sait retomber sur ses pattes sans (presque) rien perdre de sa superbe.
Avec un texte réduit à l’extrême, le récit se fait sur un rythme endiablé, proche du cartoon.
Un album attractif et dynamique qui revisite avec talent le conte de boucle d’or et les trois ours.
Où tu vas comme ça? Gilles Bizouerne, Bérangère Delaporte, Didier jeunesse
Fillette se promène dans la forêt. Imprudente la mouflette? Peut-être, en tout cas, elle ne semble pas inquiète pour deux sous. Et quand le loup surgit devant elle, ça ne la perturbe pas plus que ça. C’est même semble-t-il avec plaisir qu’elle accepte qu’il l’accompagne, quand il propose de la guider dans la nuit qui ne va pas tarder.
Les voilà en route, Fillette en tête, sur la page de droite, alors que derrière elle, sur celle de gauche, le loup se lèche déjà les babines.
Mais voilà qu’un nouveau personnage pointe le bout de son chapeau.
La sorcière qui apparaît au détour de la page suivante propose, elle aussi, d’accompagner Fillette. Pour lui éviter de se perdre, vous comprenez. Notre intrépide héroïne poursuit sa route, joyeusement, sans se retourner.
Dans son dos, une bagarre silencieuse commence entre Loup et Sorcière. On remarque aussi une multitude de petit animaux qui font leur vie. La page de droite est moins foisonnante, du coup on ne rate pas l’élément qui annonce l’arrivée du prochain prédateur. L’ogre en l’occurrence, dont en aperçoit la massue. Lui succédera le monstre. Tous proposent d’accompagner Fillette, tous la suivent toutes dents dehors mais ils vont avoir du mal à arriver à leur fin: Sorcière tire la queue de Loup, qui essaye de se faufiler entre les jambes de Monstre, tandis qu’Ogre lui tape sur la tête de sa massue. Fillette, toujours le nez au vent, semble n’avoir pas remarqué qu’ils sont à deux doigts de l’attraper, ils gagnent du terrain, d’ailleurs ils ont maintenant dépassé la charnière de la page.
Mais, vous vous en doutez, la mouflette leur réserve une surprise!
Le texte en randonnée est fluide et les enfants l’apprennent rapidement par cœur. Ils ont un très grand plaisir à décrypter l’histoire racontée en image, ils savourent le décalage entre ce qui est dit et ce qui est montré. Ils se font complice de Fillette pour se moquer des risibles prédateurs et se régalent de la chute.
Au moment d’écrire mon billet sur cet album, je repense aux dix droits du lecteur, dont je vous parlais la semaine dernière.
Et plus particulièrement au dernier, le droit de se taire. Ce livre, je l’ai depuis plusieurs semaines, je le lis beaucoup et, foncièrement, je n’ai pas envie de le commenter.
Quand je lis un livre à un enfant, souvent je rêve de savoir ce qu’il en pense, j’ai envie de savoir comment cette histoire à raisonné en lui, comment il l’interprète. J’ai envie de savoir si cette lecture fera de lui un enfant un peu différent de ce qu’il était avant.
Parfois, les bambins me font un beau cadeau, ils me disent ce qu’il en est. Mais, la plupart du temps, ils restent silencieux. Et je ne les interroge pas, je respecte bien trop le droit de se taire. La lecture est une expérience de l’intime, l’effet que produit le livre sur les enfants leur appartient, ça ne me regarde pas, je n’ai plus qu’à gérer cette frustration, ça fait partie du boulot.
Alors pourquoi moi je suis obligée d’en parler, hein? Moi aussi j’ai fait une expérience intime à la lecture de cet album, il a suscité en moi des émotions, des réflexions que j’ai bien envie de garder pour moi.
Mais voilà, en tant que blogueuse, comme en tant que formatrice en littérature enfantine, il faut bien que je le commente un minimum. Je ne peux pas me contenter de dire il est super, achetez-le, lisez-le, et voilà.
C’est qu’on attend de moi un minimum d’analyse, se contenter de dire qu’on l’a aimé c’est bien gentil mais ce n’est pas digne d’une critique qui se veut un peu professionnelle. Bon. Alors c’est parti, je me prête au jeu du commentaire de texte, de l’analyse de l’image, du décorticage de l’œuvre. Mais, autant vous le dire tout de suite, tout cela ne reflétera en rien les qualités de l’album, cette chronique est vouée à être décevante. Pour moi au moins.
Cavale est un étrange petit être, tout en jambes (dix au moins!). En permanence, il court. Il ne court pas derrière le bonheur, ni la fortune, ni un objectif quelconque. Il court devant. Il fuit. Il sait que Fin est à ses trousses, et cela depuis toujours.
Il a déjà fait maintes fois le tour de la terre, sans jamais vraiment la voir.
Un jour, dans sa course folle, il se heurte à Montagne. Elle est d’une immobilité de marbre. Elle ne reste pas ainsi immobile par paraisse, ni par gout pour la contemplation. Elle se cache. Elle sait que Fin la recherche. Et cela depuis toujours.
Tout les oppose, tout les rassemble, il faudra deux fois mille ans à ces deux là pour trouver le rythme commun. Enfin à l’unisson, ils découvrent ensemble le bonheur d’être dans le monde, sans fuir ni se cacher. Alors l’amour s’invite et un petit être arrive. Cavale et Montagne décident de le baptiser Maintenant. C’est ce petit bonhomme de la couverture. Il est aveuglé par le chapeau de son père, il semble partager l’immobilité de sa mère, mais y a une grande force dans sa posture, on devine en lui un petit quelque chose de Kirikou.
Plus que de la peur ou de la mort, tout das cet album nous parle de notre rapport au temps.
Le séquençage même du livre, avec parfois une alternance entre les pages de texte et celles d’image, qui nous incitent à prendre le temps pour regarder, décrypter, ce qui est montré.
La mise en page aussi avec des vignettes, des images cadrées et d’autres à fond perdu, qui nous incitent à modifier notre rythme de lecture.
Les illustrations de Rebecca Dautremer se situent volontairement hors du temps, intemporelles, entre autre grâce à l’utilisation de tons sépias qui évoquent de vieilles photographies.
Elles se situent volontairement du coté du symbolique plutôt que du démonstratif, tout comme le texte.
L’ensemble peut donc rester mystérieux pour les enfants, j’en ai vu plusieurs écouter en silence, parfois à plusieurs reprises, cet album qui est pourtant long. Qu’en ont-ils pensé? Que va-t-il en rester? Ah, fichu droit du lecteur, ils ne m’ont pas livré leurs impressions. Mais je ne doute pas qu’ils en soient sortis grandis, et qu’ils y aient puisé des éléments de réflexion.
Poto le chien, Andrée Prigent, Didier jeunesse, 13€10
Il y a quelque chose de délicieusement désuet dès la couverture. La première page le confirme. On est sur une place de village, le genre d’endroit où tout le monde se connaît, les bonnes gens ici, aiment leur tranquillité.
Alors, quand un pauvre chien est abandonné, attaché à un poteau, ses aboiements déclenchent la foudre des villageois. Charcutière, épicière, jardinier se mettent à hurler à leur fenêtre. Tous, sauf un. Marcel. Il a détaché le chien et l’a baptisé Poto. Et l’amitié est née.
Mais si les braves gens n’aiment pas que l’on aboie sous leurs fenêtres, ils n’aiment pas non plus être témoins de la liberté que s’offre un chien amoureux.
Quand il fugue une nuit pour rejoindre sa Pepette, c’est sous les menaces des habitants qu’il revient. On lui prédit les pire choses. Marcel sera fâché, il va le tondre comme un mouton ou pire, le remplacer par un âne. La bienveillance n’est pas de mise, au point que le pauvre Poto s’inquiète et se met à douter, et si c’était vrai? Si Marcel ne lui pardonnait pas sa joyeuse escapade?
Mais Marcel, qui est d’ailleurs le seul personnage à être désigné par son prénom et non par sa profession, n’est pas comme tous ces notables. S’il a détaché la laisse de Poto ce n’est certainement pas pour le maintenir dans une prison affective, il a l’indulgence des pères qui voient s’éloigner leurs enfants.
Dans une très belle image en plongée on le voit, silhouette imposante, s’adresser à son chien tout piteux, avec toute la tendresse que peut avoir un homme pour son chien. Et il lui prépare son pâté.
Les mots (pourtant simples) comme les images ont dans cet album une grande force évocatrice. On est dans une chanson de Brassens, dans une pièce de Pagnol, dans un souvenir de notre propre enfance. Hors du temps, l’histoire est servie par les magnifiques images où les couleurs franches dominent et tranchent avec le noir omniprésent. C’est un très bel album qui ne manque pas de susciter des émotions.
Pour en avoir plus sur son autrice, visitez donc son site.
Clair comme lune, Sandra V. Feder, Aimée Sicuro, Didier jeunesse, 13€90
Quand le jour décline, Lola a peur. Cette peur, commune à tant d’enfants, et que l’on retrouve dans maintes d’histoires, Lola la ressent quotidiennement. Elle a mis en place des rituels pour se rassurer: il faut allumer toutes les lumières, pour lutter contre le noir, et, bien sûr, tenir fermement la main de maman.
La maison est grande mais chaleureuse, maman est disponible, le chien accompagne la fillette dans tous ses déplacements. Mais cela ne suffit pas. La peur du noir est toujours là.
Lola n’aime pas que les couleurs s’assombrissent, ce qu’elle aime par-dessus tout c’est le jaune, la couleur du soleil.
Toute la première partie de l’album est baignée de tons jaunes, la chevelure noire de l’enfant et de sa mère s’y découpent nettement.
Si le père est absent du texte, on l’aperçoit sur une photo dans un cadre au mur: il l’accompagne à sa façon. Tout dans l’image est rassurant, contenant, enveloppant. La présence du chien, le joyeux désordre qui règne dans la maison, les fleurs, très présentes. Mais pour apprivoiser sa peur, Lola va devoir s’y confronter. Accompagnée par sa maman, elle va observer la nuit, au dehors. Là encore l’environnement est rassurant, la nature luxuriante et de nombreux petits animaux soutiennent Lola de leurs regards bienveillants. Et le jaune est toujours là!
On pense bien sûr, à la lecture de cet album, au désormais classique Tu ne dos pas petit ours? de Martin Wadell et Barbara Fint.
Si l’histoire est effectivement connue, cet album la réinvente et y apporte un éclairage nouveau. Richesse et chaleur des images, douceur du texte, on se laisse volontiers emporter dans ce tendre récit.
Tout le monde t’attend! Jean-Marc Létang, Charlotte Mollet, Didier jeunesse 16€
C’est une famille bien impatiente: Tout le monde est dans l’attente. Une famille de drôles de petits bonshommes, avec des visages en empruntes digitales, comme pour dire à la fois sur ressemblance et leur singularité. Ils sont tonton, cousin, tata papi et tous s’adressent directement à celui qui est tant attendu.
Texte sur la page de gauche, portrait en action de chaque membre de la famille sur la page de droite, l’album nous invite à faire connaissance avec cette famille un peu loufoque.
Pour préparer la venue d’un nouveau membre, ils inventent des gâteaux, sèment des fleurs ou imaginent des histoires. Déjà, ils donnent au bébé à venir une vraie place, ils pensent à ses goûts, ses jeux.
Je suis toujours très sensible aux images en papier découpé de Charlotte Mollet, comme à ses choix de couleurs. Mention spéciale à la factrice qui se prépare à apporter la nouvelle à tout le monde, clin d’œil au tout premier album de la collection “Pirouette” initiée par Charlotte Mollet en 1999, “pirouette cacahouette”
Avec son grand format, ses phrases courtes et ses couleurs attractives, cet album peut être lu à des bébés. Quant aux enfants plus grands, ils saisissent mieux la richesse des images, comme ce petit garçon qui a relevé: “T’as vu, Nadia (la grande sœur), elle a qu’une chaussure!” Ou encore “La cousine Julie, elle n’a pas peur des loups!”