En jouant dans la cour de récré, un enfant trouve une couronne. Il ne lui en faut pas plus pour se proclamer roi. Après avoir adressé quelques compliments au petit peuple qui s’affaire dans le bac à sable, le voilà qui se met à donner des ordres. Pas trop contrariants les mouflets acceptent assez facilement de se prêter au jeu. On fabrique un château de sable, c’est plutôt sympa. Rapidement quelques personnalités se détachent, il y a ceux qui se comportent spontanément en soldats, ne reculant devant aucun zèle, ceux qui rechignent un peu, et les sujets dociles qui ne se posent pas beaucoup de question. Bon, il y a aussi celui qui est resté bloqué sur le compliment fait par le roi et répète à l’envie qu’il est le plus beau. Quand Jacadi a dit de donner son goûter alors qu’il n’a même pas l’appétit suffisant pour tout ingurgiter, ça rechigne tout de même un peu.
Tiens tiens, le vaniteux endosse le rôle de délateur assez spontanément.
Le jeu se poursuit et, sans surprise, le pouvoir monte à la tête du roi qui devient assez rapidement tyrannique et fini par envoyer tout le monde en prison. Suite à quoi le jeu n’est plus tellement intéressant, même pour lui.
Heureusement, les enfants sont tout de même bien plus censés que les adultes, s’ils peuvent reproduire dans leurs jeux les travers des grands ils savent aussi y mettre fin et ne feront pas deux fois les mêmes erreurs.
Le texte court, qui va a l’essentiel, et les enfants croqués sur le vif, très expressifs mettent en valeur la spontanéité des relations.
On retrouve dans cette petite bande de mouflets en liberté un petit air d’Anton, et ici aussi la régulation de leur jeu se fait par le groupe, avec des moments où les enfants peuvent se montrer durs les uns avec les autres mais ce n’est pas bien grave parce que tout ça, au fond, c’est rien que pour jouer.
En décembre, la revue Le furet a consacré son numéro aux enfants qui nous mettent au défit.
Avec ma collègue Céline Touchard, j’y signe un article sur les enfants terribles de John Burningham, que je vous propose de découvrir ici.
Dans la littérature enfantine, soumise à une tension entre prescription et fantaisie, sont très vite apparus de drôle de trublions, aussi déconcertants pour les parents que réjouissants pour leurs enfants…
Enfants difficiles ou, simplement, qui ne correspondent pas aux normes ?
Dans l’album jeunesse, où l‘image a une fonction capitale, les bêtises sont devenues un thème récurrent, voire un genre à part entier… Nous souhaitons mettre ici à l’honneur John Burningham, l’un des plus grands auteurs britanniques pour enfants.
Ses petits héros sont sans doute terribles pour leurs parents, les injonctions qu’ils subissent sans cesse en témoignent. Mais dans le conflit générationnel, l’auteur, ancien élève de Summerhill, se place
résolument du côté des enfants et ses albums plaident pour leur
émancipation. Et s’ils ne se montraient difficiles qu’en réaction à une éducation trop stricte ?
En 1977 et 1978, deux albums ont pour héroïne Marcelle, Ne te mouille pas les
pieds Marcelle et Veux tu sortir du bain Marcelle (Père castor Flammarion).
Le recours récurent de cette enfant au jeu symbolique lui permet de résister face à une mère prosaïque et à l’injonction facile…
En 2006, paraît Edouardo le terrible (Gallimard jeunesse)dans lequel le petit garçon subit le regard prescripteur des adultes au point d’y perdre sa personnalité.
À trente ans d’écart, ces trois albums sont liés par leur thématique et la manière dont ils dépeignent les relations adultes/enfants. Marcelle comme Édouardo semblent captifs des fortes attentes des adultes à leur égard. Marcelle ne doit son salut qu’à sa fuite dans l’imaginaire alors Édouardo ne sera finalement « réhabilité » que suite à une série de malentendus.
Il est intéressant de souligner qu’aucun des deux n’a la parole, ils sont réduits à l’état d’objets par les adultes.
Marcelle
Les deux albums de Marcelle sont construits de manière similaire : page de gauche, le monde réel, l’espace des adultes, et page de droite, le monde imaginé par la fillette, sans écriture. Le texte est constitué d’un long monologue maternel, ponctué d’ordres et de
complaintes. L’image de droite s’oppose au texte et vient soutenir l’enfant, réduite au silence, en rendant « vraies » ses aventures, jusque dans les pages de garde.
Le premier opus décrit une sortie familiale et le second la toilette de Marcelle.
Dans les deux, l’image représentant la réalité est cerclée d’un trait brun (pour empêcher l’enfant de sortir du cadre ?) et semble bien terne avec son fond blanc et vide. Pourtant Marcelle est
déjà partie…
Sur la page de droite elle s’aventure dans un monde coloré et fantasmagorique où le crayonné fait place à une peinture fastueuse. Affrontant des pirates à l’aide d’un chien errant dans Ne te mouille pas les pieds… , elle rejoue son roman familial dans Veux-tu sortir du bain.. , en s’inventant des parents royaux et… Bienveillants!
Édouardo
Édouardo est « un garçon normal » mais chaque fois qu’il agit de façon
impulsive, il se fait stigmatiser par un adulte. De la page de
droite, tous le pointent du doigt : « Tu es désordonné »,
« tu es sale », « tu es méchant ». Au fil
des mois, il se conforme à l’image que l’on se fait de lui, allant
même jusqu’à se transformer physiquement : l’image le montre
de plus en plus sale, débraillé, hirsute.
L’apothéose est atteinte au centre de l’album quand Édouardo fait face, seul sur le fond blanc de la page de gauche, à un groupe d’adultes, la bouche ouverte dans un cri commun : « Édouardo, tu es vraiment le garçon le plus terrible de toute la terre ».
Mais, alors qu’il ne montre aucune volonté particulière de modifier son comportement, le regard des adultes se met à changer … Il jette toutes ses affaires par la fenêtre ? On le félicite d’avoir si bien rangé. Il arrose un chien ? On le remercie pour la toilette de l’animal. Et voilà notre Édouardo encouragé et montré en exemple !
Il est désormais « le garçon le plus adorable de toute la terre »…
Excessif ? Sans doute, puisque l’auteur nuance les propos en précisant qu’il reste « parfois » un peu sale, violent, désordonné, méchant.
Mais la fin du livre le montre porté en triomphe par les adultes : les voilà enfin réunis sur la même page, le conflit semble surmonté.
Au-delà de stéréotypes de genre…
Dans ces albums, ce sont les adultes qui occupent l’espace du texte. Les enfants subissent des réprimandes très violentes et cherchent à se défendre, par la rêverie chez la fille, par l’action chez le
garçon. En cela, on pourrait dire qu’ils se conforment aux stéréotypes de genre (Charol-Gagne,
2011, Filles d’albums : Les représentations du féminin
dans l’album, L’atelier du poisson soluble.)
Mais, bien qu’elle semble sans réaction, Marcelle oppose une vraie résistance à sa mère en choisissant, par sa créativité, d’aller vivre des aventures loin du foyer et des contraintes de la vie réelle.
Édouardo à l’inverse est uniquement dans l’agir. Souvent représenté en dehors de sa maison, il est montré comme agissant. Pourtant, il n’a aucune maîtrise sur lui-même, et sa personnalité se modifie en fonction de ce que les adultes disent de lui. Stigmatisé ou encensé, il est le jouet du regard des adultes.
Si Édouardo nous semble être une victime, Marcelle apparaît comme l’héritière
d’un autre enfant terrible de la littérature jeunesse : son opposition à sa mère et sa fuite vers un imaginaire sauvage évoquent Max qui part au Pays des Maximonstres pour échapper à la
punition. Si, dans Max et les maximonstres (publié en 1963), Maurice Sendak laisse l’image envahir la page jusqu’à réduire le texte au silence, John Burningham choisit les couleurs vives de la
peinture, en digne représentant de toute une tradition picturale anglaise, pour représenter le monde psychique d’une enfant délicieusement frondeuse.