Grande, Aurore petit, les fourmis rouges, 2024, 15€90
Vous vous souvenez de la naissance de cette petite sœur qui prenait décidément beaucoup de place dans la famille au point que son ainé la comparait à un diplodocus?
Hé bien, elle a grandi et à présent c’est elle qui se présente à nous. Avec sa force de caractère, son sens de l’humour et sa vision des choses qui est parfois en léger décalage avec la réalité, en témoigne certaines illustrations.
Elle est vive et pétillante, comme les images du livre. Mais surtout, elle est grande. C’est à dire grande comme une mouflette de deux ans, qui n’est certes plus un bébé mais qui doit encore lutter un peu pour faire entendre ce nouveau statut. Alors elle s’affirme, revendique SA place, assume ses choix et valorise ses compétences (c’est le fameux âge “moi tout seuuuullll” bien connu des parents, qui précède généralement de peu celui, tout aussi éprouvant des pourquoi)
J’aime cette série parce qu’elle respire le vécu, Aurore Petit porte un regard tendre et réaliste sur la vie quotidienne en famille, et nous la montre à hauteur d’enfant. Les parents sont suffisamment présents pour qu’il se dégage une impression de sécurité de l’album mais ils restent au second plan, qu’on ne s’y trompe pas, c’est vraiment l’enfant qui est au centre, pour la plus grande joie des petits lecteurs.
Un album survitaminé, comme les mouflets de cet âge là, qui plaira autant aux parents qu’aux enfants (et très agréable à lire à voix haute, pour les gens comme moi qui ne jouent dans aucune de ces deux catégories mais qui lisent des albums quand-même)
je suis parfois un peu agacée par la saisonnalité de la littérature enfantine. Car après tout, qui a décrété que c’était en décembre qu’on avait envie de livres sur noël et en octobre de livres qui font peur?
Il me semble que cette saisonnalité relève plus d’une idée d’adulte que d’un besoin réel des enfants.
Pourtant, demandez à n’importe quel bibliothécaire jeunesse, il vous confirmera que les albums sur noël prennent la poussière dans la réserve toute l’année, où ils occupent une étagère entière, et qu’il n’y en a jamais assez pour répondre à la demande en novembre et décembre.
Je le regrette mais voilà, c’est un fait. C’est en ce moment que les livres sur noël sortent (en librairie) et aussi qu’ils sortent des bibliothèques (jargon de bibliothécaire pour dire qu’un livre est emprunté).
J’en conclu qu’il y a une demande et que c’est le moment idéal pour vous parler de trois livres sur noël, qui ont ce sujet pour seul point commun. ( Enfin, et leur qualité bien sûr, je ne chronique jamais des albums que je ne trouve pas bons)
Mon beau sapin de noël, David A. Carter, Gallimard, 2023, 24€90
Mon beau sapin de noël est un pop-up signé par un des maîtres du genre, David A. Carter. Si vous connaissez l’auteur, cela suffit à éveiller votre intérêt.
Chaque page montre un sapin qui s’élève sur une vingtaine de centimètres. Blanc comme neige ou coloré, habité par de nombreuses créatures ou épuré, tous créent l’émerveillement chez le petit lecteur (et ses parents).
Le texte est court et souligne les qualités de chaque arbre. Il se termine par ces mots: “Joyeux noël mon beau sapin”, ce qui peut motiver les plus motivés d’entre nous à prolonger l’histoire par une chanson, pour une ambiance 100% noëllesque (oui, ce mot existe, puisque je viens de l’écrire et que vous venez de le comprendre)
Comment le père noël descend par la cheminée? Mac Barnett, Jon Klassen, Pastel, 2023, 13€50
Avec ce second album on change radicalement de registre pour passer du côté de l’humour.
Car c’est bien gentil cette histoire de magie de noël mais parfois les enfants se posent des questions très terre à terre. Et les adultes galèrent pour inventer des réponses fantaisistes.
Ici, personne ne donne de réponse au narrateur invisible qui s’interroge. Il est donc contraint d’émettre des hypothèses lui-même. Peut-être que le père noël rétrécit? Qu’il se glisse sous la porte? Ou devient plat comme un timbre-poste? L’image montre un père noël archétypique, reconnaissable à son costume et sa barbe blanche, qui subit avec flegme toutes ces transformations. Le contraste entre sa placidité et les situations improbables dans les quelles il est représenté est savoureux.
C comme caché, Julia Frechette, les fourmis rouges, 2023, 15€
Ce que j’aime dans les abécédaires, comme dans les imagiers d’ailleurs, c’est qu’ils sont un terrain de jeu pour les illustrateurs qui peuvent y déployer leur talent et mettre en valeur leur univers.
Je ne connaissais pas Julia Frechette (dont c’est le premier album) et je suis très heureuse de la découvrir.
Dans C comme caché, les images se répondent pour créer des petites narrations. On suit un bonhomme en doudoune bleu dans ses pérégrinations en montagne, dans une ambiance hivernale, neige et sport d’hiver.
Ce n’est qu’au bout de quelques pages qu’on remarque le personnage caché dans chaque image. Un chapeau pointu, une tenue rouge et blanche. Les enfants auront tôt fait d’identifier le père noël et se plairont à le chercher.
Le jeu de cherche et trouve, l’humour des situations et l’élégance graphique, tous les ingrédients sont là pour que cet album plaise aux enfants. À mon avis on peut le proposer dès 2 ans sans souci, s’ils ne trouvent pas le père noël à la première lecture ils le repéreront les fois suivantes.
Ulysse, Alexandra Pichard, les fourmis rouges, 2023, 16€50
Les bonhommes de neige savent-ils qu’ils sont voués à fondre très rapidement?
Ulysse, le protagoniste de cet album, en est d’autant plus conscient que l’enfant qui l’a fabriqué a légèrement manqué de tact en lui affirmant que la neige ne tient pas dans les grandes villes.
Pourtant, il est optimiste. Il pense que l’enfant va revenir et l’amener faire un tour dans la ville.
Bon.
Là, l’enfant s’est éloigné.
Et la nuit tombe.
Mais quand il reviendra, demain sûrement, ils pourront aller au café. L’enfant prendra un chocolat chaud, parce que c’est ce que font les enfants. Puis il devra aller à l’école. Et Ulysse continuera sa promenade.
Alors qu’il est parfaitement immobile, comme le sont les bonhommes de neige, Ulysse se projette dans une vie possible, une vie vouée à être courte mais tout de même intense, au rythme de la ville (les connaisseurs y reconnaîtront Strasbourg).
L’image le montre vivant des aventures, alors que le texte nous rappelle qu’il est toujours abandonné sur son trottoir. Sa vie fantasmée inclue une histoire d’amour également brève et douce.
Il fond d’amour dans sa rêverie comme il fond sur son coin de rue, et finalement il se sent… Bien.
J’avais déjà repéré dans un précédent album de cette autrice un tropisme pour les histoires décalées, un brin absurdes, portées par des images aux couleurs franches, façon pochoir ou tampon.
Notre bonhomme de neige y apparaît donc le plus souvent en creux, sa forme blanche prenant sens par les deux yeux et la carotte qui lui sert de nez. Il est forcément figé, avec ses branches mortes pour bras, et aucune autre articulation que son cou. D’où un savoureux décalage lorsqu’il nous affirme avoir le sens du rythme!
Quand l’histoire ne se passe pas tout à fait telle qu’il nous la raconte, l’image nous le montre tandis que ne parvient pas à (se) nous le cacher. Alors il dit juste:
Bon.
Voilà. C’est une petite histoire de vie. Ni vraiment triste ni vraiment gaie, qui ne se termine ni vraiment bien ni vraiment mal. Une petite histoire qu’on a plaisir à lire et relire, et c’est là l’essentiel.
Mais où est-elle? Marie Mirgaine, Les fourmis rouges, 2022, 15€90
Quel drôle de bonhomme! Il a la silhouette massive, et est articulé comme un pantin. Ses bras ressemblent à des galets étrangement transparents. Il a le déplacement fluide malgré ses grosses godasses. Mais c’est surtout son œil jaune en forme de lune sur son visage noir qui attire le regard (il a quelque chose de Monsieur nuit).
Et bien sûr sa perruque jaune ébouriffée. C’est d’ailleurs elle qui fiche le camp au premier coup de vent. Mais où est-elle? Le personnage chemine, trucs un truc jaune, s’écrie joyeusement “la voilà” et se le colle sur la tête, avant de comprendre son erreur. Ce même procédé se répète à cinq reprises, suscitant le plaisir des jeunes lecteurs. Les enfants aiment ce mélange de répétitions et de surprise, ils se demandent à chaque page quel absurde objet le protagoniste va bien pouvoir se mettre sur la tête cette fois.
Et c’est tour à tour une algue, un fromage coulant, un chat (un peu surpris de se retrouver là), une vieille serpillière et, point culminant du bonheur enfantin, une bouse de vache qui vont faire usage de couvre-chef! C’est absurde, c’est un peu dégueu, c’est drôle, bref, c’est une jubilation pour les mouflets. Et la perruque au fait, elle est bien quelque part? Oui, mais elle y est tellement utile que le bonhomme renoncera à la récupérer, je vous laisse le plaisir de découvrir vous mêmes qui l’a récupérée.
La petite sœur est un diplodocus, Aurore Petit, Les fourmis rouges, 2022, 15€50
Ce nouvel album d’Aurore Petit est le dernier opus de ce qui semble être une saga familiale et intimiste.
Après Une maman c’est comme une maison, centré sur la relation mère fils puis Bébé ventre, dont le narrateur était l’enfant à naître, nous avons ici le point de vue de l’aîné quand le nouveau bébé arrive dans la famille.
Et nous retrouvons les éléments qui ont fait le succès des deux premiers albums: une histoire intime, racontée avec délicatesse et une économie de mots, des illustrations agréables et très toniques, avec beaucoup de tons fluos.
Le grand frère est le narrateur, pourtant le texte ne détaille pas ses pensées, il est au contraire assez factuel et parfois même l’histoire se passe totalement de texte pendant plusieurs pages. Je trouve cela tout à fait approprié, les jeunes enfants n’étant généralement pas capable de verbaliser les émotions qu’ils ressentent. Ici on peut comprendre ce que le petit garçon éprouve à travers des images très parlantes, c’est suffisant (je ne suis pas fan de cette habitude de vouloir absolument mettre des mots sur tout, tout le temps). Quand il a exprimé son désaccord, il n’est pas non plus noyé de mots par les parents, il est juste câliné, ce qui ma foi semble assez efficace.
Et il s’il peut affirmer que la petite sœur est un diplodocus, c’est que manifestement elle prend beaucoup de place, pour une si petite personne!
Le bon coin, Alexandra Pichard, les fourmis rouges, 2021, 15€90
Il connaît tout des oiseaux, l’ornithologue, il n’a plus rien à apprendre. Mésanges, paons et flamants n’ont plus de secret pour lui. Une belle réussite professionnelle.
D’ailleurs l’image en atteste, autour de lui, tout est oiseau, les cadres au mur, les crayons dans leur pot. Même sa tête a quelque chose d’avien.
Pourtant, un spécimen, un seul, résiste encore à son expertise. Celui qui ne s’est encore jamais laissé approcher.
Le canard.
Mais attention, notre ornithologue est un homme sérieux, il ne va pas renoncer, attirer un canard va devenir sa quête, son objectif, presque sa raison de vivre.
Et pour cela il va confectionner un appeau.
Un appeau qui fait… Côa. Et attire donc une grenouille. Pas de problème, il suffit de perfectionner le prototype, de retour chez lui, il reprend ses instruments (tiens, la grenouille est encore là).
Deuxième tentative, cette fois il sort un magnifique… Crôa. Pas loin, il est à deux doigts du bon coin tant attendu. Mais pour l’instant, c’est un corbeau qui déboule.
Au fil des pages, il va tirer de ses appeaux des sons de plus en plus improbables, qui attirent des créatures toujours plus inattendues, qui toutes semblent l’adopter immédiatement puisqu’elles restent en sa compagnie.
Cela finit par faire une joyeuse bande hétéroclite où se côtoient un gars prénommé Colin un crocodile, et… Non, je ne vous le dis pas, je vous laisse la surprise.
Au milieu de tout ce remue-ménage, notre ornithologue toujours aussi guindé finit par fatiguer un peu. Le facétieux volatile finir a-t-il par montrer le bout de son bec?
Plus on avance dans le récit et plus il est drôle et absurde. L’humour est porté autant par l’image que par l’histoire et il est servi par un très joli graphisme.
Kiki en promenade, Marie Mirgaine, les fourmis rouges, 15€50
Julien promène son chien. Il est sur la page de droite, le regard résolument porté vers l’horizon, la démarche déterminée.
Kiki, lui, est sur celle de gauche, ils sont reliés par la laisse noire. Le regard obstrué par ses longs poils, il suit le mouvement.
Mais voilà que dans le dos de son maître indifférent, le cabot est soudain emporté dans les airs par deux grosses serres.
La promenade se poursuit, sans qu’il le sache Julien promène désormais son aigle.
Petit à petit la page blanche se remplit d’un décor inattendu, de grandes plantes qui évoquent une jungle, des rochers et même une grotte. Un nouveau prédateur arrive et ce n’est plus kiki en promenade mais un tigre, qui est au bout de la laisse, puis tour a tour une chauve-souris, un renard et même des animaux bien plus improbables. Poulpe, mouche, serpent se succéderont mais l’homme ignore tout du drame qui se déroule de l’autre côté de la page.
Le texte est très simple et laisse à l’enfant le loisir de savourer l’absurdité de la situation, la surenchère de l’improbable, et l’aveuglement de Julien.
Finira-t-il par se rendre compte que quelque chose cloche?
Le comique de la situation et la qualité des illustrations (on y devine l’influence d’Éric Carle) font la qualité de cet album.
Manifestement, Petit Ours n’est pas rassuré. Couché en boule dans les fougères, il ne veut pas se lever.
Grand(e) Ours(e) qui l’accompagne (son père? Sa mère? L’histoire ne le dit pas, à chacun d’imaginer ce qui lui convient) l’enveloppe et le câline tendrement en lui demandant ce qui se passe.
Petit ours, tout penaud, annonce: “Je ne veux pas aller à la rentrée des classes”. Et comme Grand(e) Ours(e) le laisse poursuivre, il exprime toutes ses craintes.
A ses angoisses, Grand(e) Ours(e) répond par des gestes rassurants. Il lui tend son cartable, lui cueille des baies, lui donne la main.
Pas de morale ni d’injonction dans le discourt de l’adulte, il est à l’écoute et en empathie.
Mais c’est surtout son attitude physique qui est rassurante. Les deux ours font le chemin vers l’école en jouant, en mangeant (miam, le saumon fraîchement pêché) et ils sont peu à peu rejoints par d’autres écoliers: Renards, cerfs, lapins et souris font le même trajet qu’eux.
Ce premier album de Fleur Oury est une réussite totale. Les illustrations au feutre sont belles et touchantes, elles fourmillent de détails qui font le bonheur des enfants. Elles sont d’une grande fraîcheur et d’une grande tendresse. Sans appuyer son propos l’autrice parvient à rassurer le jeune lecteur et à émerveiller les parents.
Les farfelus, Miguel Tanco, les fourmis rouges 13€80
isbn: 9782369020400
Qu’est ce que c’est, au juste, un farfelu au cœur tendre? Ce sont ces gens là, vous savez, ceux qui embrassent les arbres, qui dansent quand ils en ont envie, ceux qui choisissent toujours l’autre chemin. Ils ont en commun leur singularité.
Parfois, le farfelu est un enfant, parfois c’est un gros monsieur aux bras tatoués, ou encore une femme qui applaudit même quand c’est l’équipe adverse qui a gagné.
Sur l’image au trait délicat en dominante jaune et ocre, chaque farfelu se détache par une touche de bleu profond.
De cette série de portrait, on tire quelques conclusions sur ce que sont les farfelus. Ce sont les gens qui ont gardé un peu d’enfance en eux, tous ceux qui s’épanouissent dans la fantaisie, ceux qui ne craignent pas d’être à la marge, décalés, différents.
Au fond, c’est peut être juste ceux qui ont gardé de leur enfance une indifférence pour le jugement des autres. Ou cette belle confiance en soi qui permet de se faire plaisir, simplement, par des petits instants de joie, sans se poser de question.
Je pense (j’espère) qu’il y a un farfelu dans chacun de nous. Parfois, il est là, tout proche, à fleur de peau, d’autres fois il est un peu plus enfoui, il faut alors le chercher un peu mais il peut réapparaître brusquement, par surprise, à la faveur d’une histoire racontée par exemple.
Un album délicat, dans le quel chaque image apporte sa touche d’humour. Un album qui réunit enfants et adultes dans un même plaisir.