Frères, Marie Le Cuziat, Hua Ling Xu, l’étagère du bas, 15€, 2023 Il existe beaucoup d’albums sur la fratrie et c’est un thème qui m’est régulièrement demandé.
Mais le plus souvent, c’est le prisme de la rivalité qui intéresse les adultes. Ils proposent ces livres en réponse à un problème (réel ou supposé) de conflit entre frères et sœurs.
Et si l’on parlait plutôt de fraternité? (ça marche aussi avec la sororité, je vous rassure).
Arùn et Rey sont deux frères qui ne se ressemblent en rien. L’un grand et brun, l’autre petit et blond, leur caractère est également opposé.
Au point que parfois les gens ont du mal à croire qu’ils sont de la même famille.
Mais eux savent bien que par certain côté ils ne font qu’un.
L’image les montre d’abord en opposition, chacun d’un côté de la double page, se livrant à des activités différentes, leurs regards ne se croisent pas. Puis ils se font face, se réunissent, se chamaillent aussi parfois, avant de retourner chacun à ses préoccupations.
Parfois proches, parfois lointains, frères toujours.
Les illustrations sont très travaillées, elles donnent vie à la complicité d’Arùn et Rey. Le texte, court, va à l’essentiel et laisse l’image porter une grande part du récit.
Papa, Quentin Gréban, Hélène Delforge, Mijade, 25€, 2023 Le duo Hélène Delforge et Quentin Gréban nous avait déjà attendris avec leur magnifique album Maman, ils nous avaient émerveillés avec Amoureux, c’est donc naturellement avec une grande impatience que j’attendais la sortie de Papa.
Sur le terrain d’ailleurs, quand je propose la lecture d’extraits de Maman à des familles, on me demande presque toujours s’il existe le pendant masculin.
Alors disons le tout de suite, avec un tel horizon d’attente, le pari était difficile à relever.
A la première lecture, je n’ai pas retrouvé l’émotion qu’avait suscité en moi l’album Maman. Sans doute en partie parce que l’identification ne fonctionne pas autant bien sûr.
A la deuxième lecture, je mesure à quel point Hélène Delforge a du se plier à un exercice d’équilibre difficile.
Faire un livre aussi sincère que le premier, sans qu’il n’en soit le miroir. Donner une représentation des pères qui ne soit pas caricaturale, ni trop stéréotypée, sans tomber dans l’angélisme pour autant.
Ne pas représenter que des situations idéales mais ne pas tomber dans le pathos.
Et finalement, elle fait le boulot, avec sa délicatesse habituelle. On devine que chaque mot a dû être pesé, que le fil de chaque histoire a dû être tissé avec attention. Il y a le papa aimant, le papa inquiet, celui d’un week-end sur deux, le papa d’une fille alors qu’il voulait un garçon, celui qui est aussi un fils, et l’homme qui ne sera jamais papa.
Cela forme une galerie de portraits (non exhaustive bien entendu) nuancée, qui correspond à une réalité multiple.
Aux images, Quentin Gréban est toujours aussi impeccable, ses illustrations (peintures pleines pages et petits crayonnés sur la page de texte) accompagnent parfaitement le texte.
Elle fait le printemps, Praline Gay-Para, Lauranne Quentric, Didier jeunesse, 13€50, 2023
Sur les traces de Prévert, Praline Gay-Para décline au féminin les phrases usuelles qui concernent la météo.
L’image met en scène une fillette, si bien qu’on ne sait plus si c’est le temps derrière la fenêtre ou l’enfant qui gronde, fait grand vent, fait soleil ou orage.
J’aime beaucoup les personnages de petites filles tempétueuses, et celle-là est joyeuse, vivante, tour à tour posée et contemplative ou dynamique et créative.
Il y a une grande sobriété dans le texte et l’image lui fait brillamment échos.
L’enfant est montrée dans son quotidien, au fil de la journée. On la voit en compagnie de sa mère à deux reprises, mais notre protagoniste fait visiblement preuve d’une grande autonomie!
Un chat, parfois, l’accompagne de sa discrète présence. Il a le bon sens de s’enfuir quand la petite fille revêt un costume tout droit issu de Max et les Maximonstre (celui-là même qui poursuit le chat avec une fourchette). L’ensemble fonctionne parfaitement, la féminisation du climat donne une touche délicatement féministe à cet album qui montre aussi toute la palette des émotions enfantines.
C’est un récit entièrement dialogué, porté par deux protagonistes invisibles. Ils observent ensemble un coin de nature (que l’on suppose d’abord être un jardin mais qui s’avère beaucoup plus grand) et la vie qui s’y déroule.
D’abord de très près, avec un plan rapproché sur une fleur qui dépérit. Qui la fait pourrir? C’est le puceron, dont un aperçoit les antennes, qui aspire sa sève.
Mais il n’en profitera pas bien longtemps, dès la page suivante son prédateur apparaît. La coccinelle semble énorme comparée à lui, elle n’en fait qu’une bouchée. C’est ensuite au tour d’Araignée d’entrer dans la ronde.
Chaque prédateur étant un peu plus gros que le précédent l’image montre un dé-zoom jusqu’au renard. Lui n’a pas de prédateur, mais en cas d’accident ce sont les fourmis qui s’en régalent.
La chaîne alimentaire se poursuit jusqu’au poisson.
On découvre alors que les deux protagonistes étaient en pleine partie de pêche, ils se régaleront de leur prise.
Mais qui va les manger, eux?
Émilie Vast ne va tout de même pas tuer ses personnages pour terminer son documentaire. Dans un souci de précision elle boucle son histoire avec le prédateur le plus commun pour l’homme, surtout quand on est au bord de l’eau. Le moustique bien sûr. Qui a son tour servira de proie à…
Les illustrations épurées et précises conviennent parfaitement à cet album qui mêle histoire et documentaire.
Chaque prédateur apparaît partiellement en bord de page avant d’être mentionné par le texte, ce qui permet aux enfants d’anticiper sur ce qui va suivre.
L’évocation de la chaîne alimentaire est une sensibilisation à l’écologie, puisque cela montre à quel point toutes les créatures sont nécessaires à l’équilibre.
Océano, Anouk Boisrobert, Louis Rigaud, Hélium, 19€50, 2013 Le 13 juin, je vais participer à une journée professionnelle à La Rochelle au cours de laquelle je vais animer une table ronde avec Anouck Boisrobert et Louis Rigaud (j’y fais aussi une conférence sur les livres-jeux, le programme est ici). C’est l’occasion de me replonger dans l’œuvre de ces auteurs et cela m’a donné envie de vous parler de l’un de leurs albums que j’aime beaucoup (en fait, il y en a plein que j’aime beaucoup, mais bon, vous savez ce que c’est, trop de livres, pas assez de temps pour les chroniquer).
Océano est un pop-up à la mécanique parfaite, remarquable par sa précision.
Il joue sur les notions de dessus/dessous, avec une page séparée en deux par un plan horizontal, qui représente la surface de l’eau.
En haut, le ciel, les bateaux, les icebergs, le rivage. En dessous, la mer, plus ou moins profonde selon les pages.
Parfois elle se déchaîne, alors la surface n’est plus du tout plate mais elle s’anime en grosses vagues sur les quelles le petit voilier semble bien frêle.
Car c’est bien ce bateau le protagoniste de l’album, plus que son équipage.
On le suit dans un périple autour du monde.
il part d’un port où les humains sont très présents, où les gros argots côtoient des paquebot. Sous l’eau, les poissons côtoient des détritus.
En s’éloignant, l’eau devient plus claire, au fil du voyage, sa couleur ne cesse d’évoluer.
Des pages très épurées succèdent à d’autres surchargées de détails.
L’album se termine par une splendide double page, sur les rives de ce qui semble être une île déserte. À la surface, c’est le calme d’un ciel dégagé, où l’équipage d’Océano rencontrera des mouettes et des crabes. Dessous, ce sont les couleurs foisonnantes d’une barrière de corail, richement peuplée de poissons, d’algues, d’anémones et d’oursins.
Outre les notions de profondeurs, d’horizon, de dessus et de dessous, les enfants trouveront dans cet album un message écologique (qui traverse toute l’œuvre de ce duo d’auteur) et un magnifique hymne à notre planète et à sa beauté.
Les couleurs (à l’encre naturelle) sont splendides, le texte agréable à lire à voix haute, les illustrations très fines et l’animation pop-up parfaite. Un sans faute, donc.
L’album séduit immédiatement par ses compositions graphiques époustouflantes. Dessins au feutre, crayons de couleurs, papier découpés forment des images très organiques et puissantes.
Beaucoup de contrastes. Un noir profond met en valeur un bleu tendre ici, un rose poudré là.
L’histoire est racontée par une petite goutte, qui s’adresse directement au petit lecteur et lui raconte comment elle circule dans les corps, des animaux, les plantes, les océans. Elle est partout. Explorer les lieux qui peuvent être habités par une goutte d’eau, c’est explorer le vivant dans sa diversité.
Il est ici sublimé, car la goutte narratrice pose sur le monde un regard émerveillé. Dans le même temps, elle donne au petit lecteur une place centrale et évoque sa naissance et son avenir, en se positionnant elle-même comme une accompagnatrice bienveillante, presque une bonne fée ou un doudou (« Quand tu grandiras, enfant, je serai là avec toi, en toi, dans tes larmes, tes rires et tes joies »)
Le texte prend parfois des allures d’inventaire à la Prévert, il donne à entendre aux enfants des sonorités inhabituelles.
L’image, elle, raconte aussi la rencontre des parents, la grossesse et la naissance, les parents qui entourent l’enfant puis le laissent s’éloigner. Une histoire émancipatrice, car, c’est bien connu, les livres aident les enfants à grandir.
Le jardin de baba, Jordan Scott, Sydney Smith, Didier jeunesse, 2023, 14€90
Tous les jours, un petit garçon se rend chez sa grand-mère. La vieille dame n’est pas bavarde mais elle transmet, à travers ses gestes, sa passion pour son jardin avec beaucoup de générosité.
Ensemble ils mangent, jardinent, font le chemin vers l’école, souvent en silence, toujours en complicité.
Je suis très heureuse de retrouver ce duo d’auteur, qui m’avait déjà touchée en plein cœur avec leur précédent album.
L’un et l’autre sont extrêmement doués pour susciter chez le lecteur des émotions vives.
C’est souvent dans l’ellipse, dans ce qui n’est ni dit ni montré, mais que l’on devine, que se nichent les éléments les plus touchants de l’histoire.
Alors qu’il mange le gruau préparé par son aïeule, le garçon se souvient qu’on lui a dit qu’autrefois, sa grand-mère a souffert de la faim. Aujourd’hui, elle semble se réjouir de voir le petit se régaler et veille à ce qu’il n’en rate pas une miette.
L’image montre un plan sur le mur du salon, orné de photos en noir et blanc. C’est fou toutes les histoires implicites que contient cette simple page.
Le temps passe, et la grand-mère vient vivre chez l’enfant avec ses parents. Ici, elle n’a plus de jardin. Le trajet vers l’école se fait en voiture. La relation entre les protagoniste s’inverse, c’est désormais lui qui prend soin d’elle.
C’est un peu triste et très doux à la fois.
L’épilogue raconte l’histoire vraie de cette dame qui, enfant, a vécu la seconde guerre mondiale en Pologne avant d’émigrer au Canada. Il est sincère et touchant, mais nul besoin de cet épilogue pour comprendre que Le jardin de Baba est une histoire vécue et fondatrice dans le parcours de l’auteur.
Marée haute Marée basse, Max Ducos, Sarbacane, 2023, 19€90
Ce que j’aime dans la littérature enfantine c’est qu’elle permet toutes les fantaisies, qu’elle peut s’émanciper des limites, sur le fond comme sur la forme, qu’elle regorge de surprises.
Depuis plus de vingt ans que je baigne dedans, s’il m’arrive de temps en temps d’avoir le sentiment que tout a déjà été dit, je suis régulièrement émerveillée d’y trouver de vrais trésors, des surprises, de voir une littérature qui se réinvente sans cesse.
Max Ducos fait partie des artistes dont les trouvailles me surprennent toujours.
Dans marée haute marée basse, il fait de la plage la protagoniste.
Elle est le fil conducteur, l’histoire suit son rythme, les autres personnages ne sont que secondaires, on s’y attache pendant quelques pages et d’autres leurs succèdent.
Le texte s’adresse au lecteur et lui propose de prendre le temps d’observer la vie sur ce bord de mer, pendant une journée d’été.
Il y a les familles, les solitaires, les bandes de potes et ceux qui cherchent l’amour, il y a ceux qui s’activent et ceux qui paraissent. Les baignades, les châteaux de sable, les premiers pas d’un bébé, l’odeur de la crème solaire, les amitiés éphémères, les conflits évités de justesse. Le temps se gâte, puis le soleil revient. Tous ces petits riens, aussi ordinaires que merveilleux, qui prennent place sur une mer époustouflante de réalisme.
Chaque page mérite qu’on l’observe avec attention, et recèle plein de petits détails signifiants. On a aussi l’envie de regarder de loin, de profiter du grand format pour savourer le réalisme des illustrations.
On remarque alors qu’il s’agit d’un plan fixe, dans lequel évolue les humains et l’océan, qui prend parfois toute la place ou presque et se retire au loin, laissant un large espace de jeu, à marée basse.
Une journée entière s’écoule, au petit matin du début de l’album répond une double page sans texte qui montre la nuit, les lumières des bateaux au loin et le reflet de la lune.
Ceux qui ont déjà foulée cette plage la reconnaîtront sans peine. Ils savent que juste un peu plus à droite, hors champ, il y a la dune du Pilat.
Je ne sais pas si cela produit le même effet sur tout le monde, mais moi ça m’a follement émue de savoir qu’elle était là, juste à côté, mais que l’auteur avait choisi de ne pas la montrer.
Car les livres sont riches de ce qu’ils montrent mais aussi de ce qu’ils cachent.
Une fois de plus, c’est très difficile pour moi (et peu pertinent si vous voulez mon avis) de donner un âge auquel cet album peut s’adresser (sujet déjà évoqué ici). Il fait vraiment partie de ces livres qui vont réunir les adultes et les enfants dans un même plaisir et qui offrent plusieurs niveaux de lecture ou de compréhension. Et qui séduit par sa beauté bien avant que la question de la compréhension ne se pose.
On ferait comme si, André Marois, Gérard Dubois, Grasset, 2023, 18€50
J’ai toujours adoré écouter les enfants jouer, et me remémorer mes propres jeux d’enfance, quand on pouvait laisser l’imagination s’emballer et que nulle limite ne s’imposait dans cet univers fictif.
Ici l’histoire commence par deux mouflets qu’on envoie jouer dehors.
Pas besoin d’insister, ils ont déjà filé, et le chat leur emboîte le pas. Sans hésitation ils se lancent dans leur jeu préféré: faire semblant.
Dans le jardin, ils avisent la cabane dans l’arbre. « On ferait comme s’il y avait un château, dans un royaume éloigné. Et on irait le visiter. »
Le texte est composé du dialogue des deux enfants, dans lequel chacun complète la phrase de l’autre, s’il n’y avait pas une couleur pour le texte de chaque protagoniste, on ne saurait jamais qui parle, tant ils sont complices.
Dans leur plaisir de jouer ils font feu de tout bois, détournant les objets pour les transformer en accessoire qui sert leur histoire. La brouette devient véhicule de téléportation, les tuteurs des tomates des lances, le tuyau d’arrosage un serpent apprivoisé.
Avec une insouciance totale, ils libèrent poules et lapins de leurs cages, font les fous dans les plantations. Ah, cette fameuse spontanéité qui fait le sel de l’enfance!
Le texte fluide d’André Marois (le noël blanc de Chloé) et les images rétros de Gérard Dubois (un pommier dans le ventre) font le charme de cet album, qui a été très légitimement salué à la foire de Bologne.
Le Petit Poucet, Maria Jalibert, A pas de loup, 2023, 17€
J’ai un faible pour les livres de Maria Jalibert et ses mises en scène de jouets colorés, qui créent pour chaque album un univers ludique.
En choisissant de faire sa version du célèbre conte elle créé la surprise car le registre est assez différent de son travail habituel. L’histoire n’est pas tellement dans l’air du temps, la mode actuelle n’aime pas trop montrer aux enfants des parents maltraitants. Pour mémoire, ceux du Petit Poucet abandonnent leurs sept enfants dans la forêt, à deux reprises qui plus est, faute de pouvoir les nourrir correctement. Ils se réfugient dans une maison qui s’avère être celle de l’ogre et n’échappent à son appétit que grâce à l’ingéniosité du cadet de la fratrie.
En effet il parvient à duper l’ogre qui au lieu des petits garçons s’attaquera ses propres enfants.
En transposant cette histoire dans son univers, Maria Jalibert fait des garçons sept canetons et de l’ogre un gros rat aux yeux rouges.
Les petites silhouettes jaunes semblent tellement frêles et innocentes, dans un décors parfois oppressant (dans la maison de l’ogre les références visuelles à son appétit pour la chair fraîche sont nombreuses).
Pour le texte, elle joue la simplicité et s’autorise l’ellipse, les éléments les plus marquants étant suffisant pour que l’histoire soit compréhensible.
Le conte s’en trouve modernisé mais pas dénaturé, et il garde toute sa force symbolique. Je pense qu’on peut le proposer sans souci à partir de six ans, un peu avant même avec les enfants déjà très nourris d’histoires. Pour ceux d’entre vous qui s’inquiètent de montrer d’aussi mauvais parents, vous pouvez regarder cet article qui aborde la question. Et pour ce qui est des histoires qui font peur, celui-là pourra vous renseigner. Mais dans tous les cas gardons en tête ce principe: Si un enfant ne veut pas lire un livre, il a ses raisons, ne le forçons surtout pas. Si au contraire il réclame une histoire en particulier, c’est qu’il y puise quelque chose dont il a sans doute besoin, ne le censurons pas.