Elle fait le printemps, Praline Gay-Para, Lauranne Quentric, Didier jeunesse, 13€50, 2023
Sur les traces de Prévert, Praline Gay-Para décline au féminin les phrases usuelles qui concernent la météo.
L’image met en scène une fillette, si bien qu’on ne sait plus si c’est le temps derrière la fenêtre ou l’enfant qui gronde, fait grand vent, fait soleil ou orage.
J’aime beaucoup les personnages de petites filles tempétueuses, et celle-là est joyeuse, vivante, tour à tour posée et contemplative ou dynamique et créative.
Il y a une grande sobriété dans le texte et l’image lui fait brillamment échos.
L’enfant est montrée dans son quotidien, au fil de la journée. On la voit en compagnie de sa mère à deux reprises, mais notre protagoniste fait visiblement preuve d’une grande autonomie!
Un chat, parfois, l’accompagne de sa discrète présence. Il a le bon sens de s’enfuir quand la petite fille revêt un costume tout droit issu de Max et les Maximonstre (celui-là même qui poursuit le chat avec une fourchette). L’ensemble fonctionne parfaitement, la féminisation du climat donne une touche délicatement féministe à cet album qui montre aussi toute la palette des émotions enfantines.
Article paru dans la revue Le furet petite enfance, écrit avec ma collègue Céline Touchard, paru en juin 2019.
Du féminisme et de la légèreté avec Agnès Rosenstiehl
Les éditions militantes de La ville brûle ont récemment réédité 2 titres iconiques de la créatrice de Mimi Cracra, Agnès Rosenstiehl : Les filles et La naissance.
Parus initialement dans les années 70, par les non moins militantes éditions Des femmes, les deux albums ont connu un succès auprès de plusieurs générations d’enfants. Les éditions Autrement ont d’ailleurs réédité La naissance au cours des années 2000.
Si ces livres nous intéressent aujourd’hui, c’est pour leur thématique principale : qu’est-ce qu’être une fille ? Et un garçon ? Car le premier pas vers l’égalité (des droits, des chances, des sexes…) est bien évidement la meilleure connaissance de soi et des autres.
Nous trouvons dans ces albums la même petite fille, fantasque et pleine de ressources, qui questionne son environnement avec autant de légèreté que de pertinence. Dans Les filles, elle interpelle un garçon et, après avoir comparé leurs différences biologiques, part dans un monologue hilarant dans lequel elle projette tout ce qu’elle fera quand elle sera grande : Architecte, mère et chef d’orchestre le soir. Elle envisage avec gaîté son avenir de fillette, puis de femme libre de ses choix et consciente de ses désirs. Certaines situations jouent de l’antonymie entre émancipation et domesticité du féminin. Cela peut donner lieu, avec les enfants, à de grandes discussions et de grosses rigolades !
Dans La naissance, un petit garçon annonce à sa copine qu’il va bientôt être grand frère. Les deux enfants discutent tour à tour ensemble, puis avec leurs parents respectifs, des « choses de la vie ». Il est question de sexualité, mais aussi d’amour, de complicité, de frivolité. La fraicheur et la simplicité du dessin se retrouvent dans le texte, entièrement dialogué, dans le quel les enfants obtiennent des réponses à la fois justes et adaptées à leur âge. La nudité y est montrée naturellement, sereinement.
Agnès Rosenstiehl montre dans ces deux albums des personnages complémentaires, différents mais surtout égaux. Chacun peut exprimer ses désirs et entendre ceux de l’autre, chacun est libre de bâtir son avenir, son éventuelle parentalité future.
Si la notion d’égalité entre le garçon et la fille, comme entre le père et la mère, n’y est pas explicitée, elle est prégnante et se ressent grâce à l’équité de l’espace qu’ils prennent l’un et l’autre dans les albums, par la symétrie de leur relation, l’équilibre entre leurs paroles.
A noter également, la sortie en simultanée de l’excellent De la coiffure, où la fillette se pare de coiffes imaginaires extravagantes pour se consoler d’une coupe de cheveux un peu décevante. Le sujet, moins futile qu’il n’y parait, est encore le point de départ d’une célébration gourmande de la créativité enfantine. Un bonheur à lire et à regarder, ensemble évidemment.
Chloé Séguret et Céline Touchard
Lectrices-formatrices pour L.I.R.E (le Livre pour l’Insertion et le Refus de l’Exclusion).
Les filles, La naissance, De la coiffure, Agnès Rosenstiehl, Les éditions de La ville brule.
Rose bombonne, Adela Turin, Nella Bosnia éditions des femmes. (réédité au seuil sous le titre « Rose bonbon »)
ISBN: 2-7210-0028-4
Rose Bombonne, est un livre militant. Édité à une époque où des femmes ont décidé de changer l’image que la littérature jeunesse renvoyait d’elles. 40 ans plus tard, on pourrait penser que ce combat n’est plus d’actualité, que les représentations des femmes et des filles dans les livres ont changées. Il n’en est rien.
L’édition contemporaine persiste à montrer des garçons qui partent à l’aventure pendant que les filles regardent le monde défiler par leur fenêtre. D’ailleurs, 78% des héros sont masculins. Les personnages féminins sont donc des
personnages secondaires, souvent des mères ou des petites sœurs. (pour ceux qui souhaitent approfondir, voir cette étude)
Dans les années 70, les éditions des femmes sont allées à contre courant de
cette tendance. C’est dans ce contexte qu’a été traduit de l’italien l’album Rose Bombonne, en 1975.
C’est l’histoire de Pâquerette, une petite éléphante parmi d’autre. Comme ses congénères, elle vit dans un enclos où elle se nourrit exclusivement de fleurs. Pas des fleurs douces et sucrées, non, des pivoines et des anémones, amères mais qui rendent la peau rose et lisse, l’œil grand et brillant. Car telle est l’apparence qui sied aux éléphantes de cette tribu. C’est qu’il faut souffrir pour être belle. Et, évidemment, être belle pour trouver un mari. Mais Pâquerette résiste au traitement.
Sa peau reste désespérément grise. Sa mère se désole, son père se fâche, mais rien n’y fait. Au point qu’ils finissent par se désintéresser de cet fille dont le corps lui même refuse de rentrer dans le moule qui lui est destiné.
Pâquerette décide alors de quitter l’enclos de ses congénères et de rejoindre la liberté de ses frères et de ses cousins, les petits mâles de la tribu. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’enclos n’est pas fermé, comme si les éléphantes se privaient de leur liberté elles même, juste parce qu’il en a toujours été ainsi.
Leur première réaction des autres petites éléphantes, voyant Pâquerette dehors est l’effroi. Puis vient la désapprobation, la perplexité et enfin, l’envie. Et, bien sûr, elles vont s’émanciper à leur tour.
Cet album est longtemps resté épuisé, j’ai d’ailleurs déniché mon exemplaire dans un vide grenier. Depuis 2008, il est de nouveau disponible chez acte sud junior, sous le titre « rose bonbon » (qui est déjà beaucoup moins fort et évocateur que le titre d’origine).
Malheureusement, la nouvelle traduction me semble trahir quelque peu les propos initiaux des l’autrices. Alors que les derniers mots dans mon album sont « depuis ce temps là, il est devenu difficile de dire, en regardant jouer les petits de cette tribu, lesquels sont des éléphants et les quels sont des éléphantes », le nouveau texte est « depuis ce temps là, ce n’est plus à leur couleur qu’on distingue les éléphants, des éléphantes ». Il me semble que cette dernière phrase est presque en contradiction avec les propos originaux.
Rosalie aime le rose (mais pas seulement) C. Cantais L’atelier du poisson soluble 12€
isbn:978-2-35871-039-8
Rosalie, comme « Raoul la terreur », est une créature pleine de poils. Roses les poils. Elle se doit donc être une délicate jeune fille, n’est-ce pas? Elle savoure un petit moment d’intimité. Qui sera rapidement interrompu par la survenue de Barnabé. Il a le chapeau d’Humphrey Bogart, il est débordant de testostérone, et il fait du gringue à la douce Rosalie. Sans grande délicatesse.
Mais on n’est plus à l’époque d’Humphrey Bogard et la belle sait le remettre à sa place. Un moment savoureux pour la féministe que je suis.
Avec ses papiers découpés, Claire Cantais donne aux personnages expressions et profondeur. Le texte tout en dialogue s’associe aux illustrations pour donner du rythme et du mouvement à l’ensemble. Et quand on apprend que, certes Rosalie aime le rose, mais que ce n’est pas pour autant la jolie poupée qu’on imagine, la chute est savoureuse.