Il y a quelques jours, je suis tombée sur un article croisé au détour de la toile. C’était sur un site sur le maternage proximal, où il est question d’allaitement, d’écologie et de violences éducatives ordinaires (VEO).
Le genre de sites que j’ai énormément fréquenté quand mes mouflettes étaient plus jeunes, qui m’ont parfois donné des pistes de réflexion passionnantes, d’autres fois m’ont fait follement culpabiliser ou encore m’ont agacée prodigieusement.
Là, le titre qui m’a attiré l’œil était “La VEO dans la littérature enfantine”.
A ce stade là, je sais qu’on sera dans le registre “qui m’agace profondément” plutôt que “qui me donne des pistes de réflexions passionnantes”.
Le pitch de l’article tient en quelques mots : une mère à la bibliothèque avec son enfant trouve un ou plusieurs exemple de VEO dans un album, s’en plaint aux bibliothécaires et suggère que le livre soit retiré des rayons “par notion d’éthique”. S’ensuit une discussion entre la mère et son enfant où elle souligne le “discours scandaleux de l’album”.
Une phrase, dans l’introduction, me fait particulièrement tiquer : “Alors qu’une loi contre les VEO a vu le jour en juillet dernier, comment réagir face à cela, comment protéger nos enfants et que pouvons-nous faire pour que les mentalités évoluent ?”
Protéger nos enfants? Mais de quoi?
Quel risque au juste courent les enfants qui lisent un album dans lequel le personnage est maltraité?
Car, entendons-nous bien, mon propos n’est en aucun cas de nier que des personnages d’album puissent être maltraités. Qu’il s’agisse effectivement de VEO ( par exemple ce chenapan de Juju le bébé terrible, se faisant traiter de “sale gosse” par sa mère, pourtant fort aimante ) ou de violences caractérisées ( Okililélé tellement stigmatisé par sa famille qu’il préfère vivre reclus sous l’évier ), les héros de papier vivent bien des situations que nous ne souhaitons évidemment pas pour nos enfants.
Si l’on va chercher du côté des contes traditionnels, il devient même difficile d’y trouver des parents “suffisamment bons”.
Si je puise dans mes souvenirs d’enfance, pour essayer de me représenter l’effet que ces ouvrages peuvent faire aux enfants, je dirais qu’ils peuvent être sources de soulagement.
Je me souviens, enfant, d’avoir pleuré à chaudes larmes avec Petit Bleu et son ami Petit Jaune, quand ils ne sont pas reconnus par leurs parents, puis de me sentir pleinement rassurée par la suite de l’histoire. Plus tard j’ai adoré m’identifier à Rémi, de Sans famille, qui enchaînait les épisodes malheureux mais aussi des aventures empruntes d’une grande liberté. Et je ne parle même pas de l’extrême attraction que produisait sur moi le dessin animé “Princesse Sarah”, où la petite héroïne passe son temps à subir des adultes toxiques.
Je me souviens très clairement de mes pensées à ce moment là. Je pensais “moi, ma vie, elle est parfois dure ( elle ne l’était pas ), mais jamais autant que la leur.”
La lecture ou l’épisode terminés, je retournais au confort de ma vie quotidienne avec délice.
Si je puise maintenant dans mon expérience professionnelle de lecture auprès des enfants, je dirais que les choses n’ont pas tellement changé depuis ma propre enfance.
Dans mon fonds de livres, les enfants choisissent volontiers les histoires où le malheur s’abat sur le petit héros, au côté d’albums beaucoup plus légers.
Quand ils ont envie de parler des livres que je leur lis (ce qui n’est pas toujours le cas et je trouve important de respecter l’intimité de leur lecture), ils se montrent capable de faire très tôt la différence entre “dans le livre” et “dans la vraie vie”.
Ils parviennent parfaitement à :
- Se désolidariser d’un personnage qui, par exemple, fait des bêtises ;
- Désapprouver le comportement d’un adulte ;
- Se distancier du récit ;
Et jamais je n’ai vu d’enfant qui semblait blessé ou fragilisé par les mésaventures d’un personnages. Cela fait pourtant plus de vingt ans que je fais ce boulot.
Alors, pourquoi l’inquiétude de cette mère? Si son article m’a interpellé, c’est parce que cette réaction est loin d’être isolée. Il m’arrive très régulièrement, quand je fais des formations, d’être interpellée par des professionnels de l’enfance sur ce sujet. C’est aussi parfois le cas avec des parents dans les séances de lecture.
Comme si tous les personnages montrés dans les albums devaient, nécessairement, avoir valeur d’exemple.
Les héros devraient représenter un certain idéal et les lecteurs tendre à leur ressembler. Impossible dès lors de montrer des enfants faisant des bêtises dans les livres, il seraient alors accusés de “donner le mauvais exemple”
Et, puisque les personnages sont perçus comme le mètre étalon, il est entendu que les parents représentés doivent être bons, aimants, et même source d’inspiration pour l’adulte qui va lire l’album à l’enfant.
Comme si la littérature était le reflet, non de la réalité (ce qui serait déjà dommage) mais de ce vers quoi on doit tendre. Comme si, par une étrange magie, ce qui se produit dans l’album était voué à advenir aussi dans la réalité de l’enfant.
On comprend alors pourquoi les adultes sont si friands de livres montrant un jeune héros maîtrisant le passage de la couche au pot, ou acceptant sans trop de difficulté la naissance d’un petit frère.
Je me demande parfois ce que ces parents lisent pour eux-mêmes. Des histoires de mères qui élèvent leurs enfants sans heurts, ni cri, ni conflit? Des romans dans lesquels les gens sont tous gentils les uns avec les autres? Où chacun arrive à exprimer ses besoins et à respecter ceux des autres?
Je comprends parfaitement que l’on aspire à vivre cela. Mais à le lire?
Ces histoires, rationnelles et dépassionnées, ces personnages constants et mesurés, nous intéresseraient-ils bien longtemps?
Parmi les formules qui servent traditionnellement à clore les contes, on retient généralement : “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant”. Mais il y en a une autre, moins connue, qui a ma préférence: “Ils vécurent heureux et on n’entendit plus jamais parler d’eux: Les gens heureux n’ont pas d’histoire”.
S’il me semble tout à fait naturel d’aspirer à une vie sans histoire, il me parait tout aussi légitime de chercher autre chose dans la littérature.
Grace aux albums, les enfants peuvent vivre mille aventures sans se mettre en danger. Ils peuvent être tour à tour adulte ou enfant, puissant ou misérable. Ils peuvent selon les jours s’identifier au gentil ou au méchant dans la même histoire, sans que cela ne prête à conséquence. Car oui, comme nous, les enfants se reconnaissent parfois, au moins partiellement, dans les méchants. Il n’y a pas de problème à cela. Je pense même que cela peut nous aider à ne pas nous laisser aller à nos pulsions cruelles ou sadiques.
Ils peuvent aussi s’identifier à l’enfant maltraité, même s’ils ne le sont pas. Et en tirer du plaisir.
Revenons à l’article dont je parlais au début.
La mère y raconte que l’album en question (qu’elle a le bon sens de ne pas citer, son propos ne semble pas d’attirer la foudre des censeurs sur un titre en particulier et tant mieux) a été l’occasion d’un atelier philo improvisé avec ses enfants, Ce qui me semble être une chose tout à fait souhaitable. Elle relève aussi que ses enfants étaient déconcertés par cette lecture.
Mais n’est-ce pas une des fonctions de l’art ( la littérature comme les autres ) de nous déconcerter? Ne peut-on pas éprouver du plaisir à cela? N’est-ce pas source de réflexion?
Il me semble que “protéger nos enfants” c’est justement leur donner un maximum de matière à réflexion. Leur offrir des histoires riches, fortes, qui leur permettent de penser le monde, y compris ses aspects les plus sombres.
J’espère que cette mère poursuivra sa réflexion sur le sujet et qu’elle rencontrera des albums de qualité qui la feront changer d’avis.
Vous pouvez retrouver mes autres articles sur la pratique de la lecture avec les enfants ici.
Marjorie
3 mai 2021 @ 7 h 57 min
Merci pour cet article.
Vos mots tellement justes ouvrent la réflexion, tout comme le font les livres.
Isa kaffman
3 mai 2021 @ 9 h 49 min
Merci pour votre analyse, tellement “aclarante”! C est tout juste ! l’art et la littérature doivent justement nous deconcerter, pour pouvoir mobiliser la réflexion et la pensee. pour moi c est justement, une des caractéristiques principales qui font un ouvrage de qualite. Je viens de passer par qqch de similaire avec pas de baiser pour mamam de ungerer ! Mygosh.
Diane
3 mai 2021 @ 9 h 45 min
Ouf ! Merci !
Macchi
3 mai 2021 @ 9 h 47 min
Merci, merci, j’aime tous vos articles mais celui ci est à vraiment pertinent ! A quoi sert la littérature sinon à faire vivre des émotions aux enfants, et non à donner un modèle de bonne ou mauvaise conduite, je suis parfois effarée par cette incompréhension de la part de toutes ces mamans qui s’engouffrent dans ce mouvement d’éducation”positive”, qui a mon avis donne des recettes toute faites, laissons aux enfants la liberté de choisir leurs livres et de le vivre à leur façon
Hélène Tenneroni
3 mai 2021 @ 9 h 49 min
Merci pour ton article Chloé. Il est très riche et je pense encore, comme ça a été mentionné sur fb, qu’il y aurait sujet à l’étoffer, l’illustrer, l’enrichir… et je partage entièrement avec toi l’idée que ce qu’on cherche dans les livres n’est pas la même chose que ce qu’on met dans nos vies. J’aime ton questionnement sur ce que peuvent bien lire ces adultes qui dénoncent la violence ordinaire éducative dans la littérature jeunesse.
Il y, en plus, trois points que j’aimerais ajouter / nuancer.
Je ne sais pas si c’est une bonne chose, comme tu t’en félicites, que la mère ne cite pas l’article dont elle parle. Je pense que quand on écrit, il faut pousser à fond l’analyse et l’argumentation. Je crois que j’aurais aimé voir le livre en question. Voir l’illustration, me faire une idée de la qualité de cet ouvrage. Est-ce un ouvrage d’auteur, d’autrice ou un ouvrage de série, produit à la chaine, sans auteur -rice ? J’aurais aimé pouvoir analyser la situation décriée… J’aimerais comprendre dans quel contexte intervient la brimade, si elle est présentée de façon anodine, comme semble le dire la dame, comme un geste du quotidien normal, ou si il y a un effet comique comme dans “préfèrerais-tu”, de Burningham ou si la violence est intimement liée à la vie des personnages, au type de relation qui les unit, qu’elle fait partie du ressort littéraire…
Ca m’amène à une deuxième réflexion que je me fais depuis un moment. Et là aussi, je pense qu’il y aurait sujet à écrire un article. Si ça te dit, on peut y réfléchir 🙂 . C’est la question de l’imaginaire véhiculé dans la littérature.
Je pense que cette dame pose aussi cette question à sa manière : quel imaginaire construit-on de façon inconsciente pour nos enfants ? Je crois que nous nous posons la même question quand nous dénonçons la lourdeur des rôles genrés dans des séries comme “petit ours brun” et tant d’autres, non ? Je me pose aussi la question sur les livres qui font l’apologie des transports à essence; que nous avons dans les bacs de bibliothèque, en grande quantité, sans qu’ils soient toujours de bonne qualité littéraire. Un ouvrage comme “Ma voiture” de Byron Barton qui commence par “je m’appelle Sam, J’aime ma voiture, je la lave souvent”, induit à mon sens une petite ritournelle qui, comme les pub ou les comptines, s’ancre dans les imaginaires enfantins comme adultes (depuis des années, dès que quelqu’une-e me dit “je m’appelle untel”, je complète mentalement dans ma tête “j’aime ma voiture, je la lave souvent” : ). Et cela, peut-être parce que ce n’est pas un ouvrage très bien écrit ? Je me pose de plus en plus la question de la qualité littéraire, des critères qui nous font choisir ce genre d’ouvrages, au delà du fait qu’ils sont devenus des classiques ? Je me souviens aussi qu’on a répondu ensemble, il y a une dizaine d’années : “on les choisit parce que les enfants les aiment” et que cela reste un critère très important. Je crois que la question doit-être posée, mais que la réponse n’est probablement pas univoque. Et que c’est dans la diversité des réponses et des analyses que nous avons un rôle à jouer. En tous cas, pour moi, il est évident que la censure n’est pas une réponse. C’est quelque-chose que je garde toujours comme un fil rouge dans ma pratique professionnelle. Et c’est peut-être aussi un troisième point que je pourrais ajouter en complément de ton article.
Sur la question des imaginaires, il me semble évident qu’il y a une tendance actuellement dans les albums (dans l’illustration comme dans le texte) à proposer de nouveaux univers imaginaires aux enfants (villes vertes, familles variées, garçons-sirènes…) Ces univers me semblent parfois intéressants, parfois, tout aussi dogmatiques et lourds que ce qui existait auparavant. Le sujet est probablement déjà analysé dans le milieu professionnel (je lis malheureusement assez peu les articles pro en ce moment), mais en tous cas, ça me semble intéressant de continuer la réflexion.
Et j’ai hâte d’avoir vos avis.
Hélène (bibliothécaire jeunesse)
(plein de bises Chlop 🙂
Marie
3 mai 2021 @ 10 h 06 min
Merci pour l’article et pour le commentaire !
Sans verser dans la censure, il m’arrive aussi parfois de modifier un peu les textes de ce que je lis à mon petit garçon de 3 ans. Justement pour cet histoire d’imaginaire que l’on transmet. Avec quels mots va-t-il se coucher ? Quelles phrases vont tourner dans sa tête dans les prochaines heures/jours ? Est-il déjà capable de critiquer ce comportement d’un adulte qui ne me paraît pas vraiment adapté ou en tout cas qui ne me plaît pas ? (Je pense par exemple au livre “Au lit petit monstre”). Les situations sont multiples et à adapter à chaque âge j’imagine, mais il y a en tout cas matière à réflexion !
Chloé Séguret
4 mai 2021 @ 22 h 38 min
Bonjour Marie,
C’est drôle que vous preniez justement l’exemple de “au lit petit monstre”, parce que je trouve qu’il est particulièrement bienveillant. En terminant son livre avec le père transformé en monstre, Mario Ramos montre très clairement qu’on n’est monstrueux que dans le regard de l’autre, y comprit quand on on a une attitude parfaitement normale. L’enfant est dans son rôle d’enfant normal en faisant traîner le coucher, ce qui le fait sembler “monstrueux” pour son père et le père est également dans son rôle en couchant son enfant qui n’en a pas envie, mais lui aussi sera alors considéré comme monstrueux. Un partout, la balle au centre.
Il y a toutes les chances pour que votre fils, si vous lui lisez le soir avant de le coucher, vous trouve aussi monstrueuse que le papa mais ne se pense pas une seconde monstrueux pour autant.
Chloé Séguret
4 mai 2021 @ 11 h 49 min
Coucou Hélène,
Merci beaucoup pour ton commentaire, comme toujours échanger avec toi me fait réfléchir, ça fait plaiz (tu me manque dans le boulot, tu peux pas savoir!)
Je pense que tu as raison sur le fait que la littérature contribue à façonner l’inconscient collectif et qu’en ce sens là elle a une responsabilité.
Dont les auteurs ont le droit de se préoccuper ou pas d’ailleurs.
Mais que nous “prescripteurs” avons aussi.
Et, effectivement, je m’interroge sur la transmission de stéréotypes (racistes, sexistes, validistes ou tout autres) dans la littérature jeunesse.
Je peux donc (dois?) m’interroger aussi sur la représentation des VEO.
Mais peut-on vraiment parler de “banalisation” des veo? Depuis que j’ai lu cet article, je réfléchis aux livres dans lesquels on voit une fessée présentée sous un jour favorable. Je ne connais pas tous les livres, hein, mais depuis 22 ans que je nage dans la littérature enfantine à plein temps, je n’en ai rencontré que deux. Un petit ours brun qui n’est plus édité et “Juliette fait une bêtise”.
Deux livres, sur les milliers d’album que j’ai lu. On peut imaginer que l’enfant qui tombe dessus va effectivement comprendre cette scène comme l’exception plutôt que comme la norme.
S’il y a des représentations à réinterroger dans la littérature jeunesse, à mon avis, ce n’est pas celle là qui devrait être prioritaire.
Ah, et je voulais revenir sur ce que tu dis, à propos du Barton. Je n’ai pas le souvenir qu’on ait répondu “je le choisis parce que les enfants le choisissent”, enfin c’est un élément pas ça ne peut pas être suffisant. Pare que sinon les petit ours brun et les Juliette seraient beaucoup plus présents dans nos fonds.
Je crois plutôt que c’était “je passe outre un aspect que je n’approuve pas totalement (encore qu’il y a 10 ans, les voitures à essence nous posaient peu de question) parce que ses qualités sont plus importantes (et là on mettait en vrac l’intérêt qu’il suscite chez les enfants, la lisibilité des images, l’aspect documentaire, mais aussi la diversité des représentations, avec les différentes couleurs de peau des personnages et la femme qui fait la vidange, le rythme de lecture agréable, le coté premier documentaire etc)..
Et sinon, tout à fait raccord avec toi sur toute la fin de ton commentaire: la censure n’est jamais une solution et oui, il y a toute une production assez dogmatique et lourdingue en ce moment.
Cathbib
3 mai 2021 @ 10 h 33 min
Encore une qui confond fiction et réalité. Il faudrait lui dire que les livres les plus empruntés par les enfants sont Max et Lili, soit le catalogue de tous les malheurs possibles qui puissent arriver à des enfants et à leurs proches, et que ce sont eux qui les plébiscitent ! Peut-être en ont ils tout simplement besoin, plutôt qu’une prescription gnangnan des nouvelles ligues de vertu.
Marine
3 mai 2021 @ 10 h 53 min
Je ne comprends pas votre critique, Max et Lili sont justement très plébiscité parce que les livres sont très proches de la réalité et les enfants s’identifient fortement. ça n’a rien à voir avec des livres de fiction (ou pas) où il y a beaucoup de violence injustifiée. Personnellement, je trouve que les ouvrages où il y a de la violence ordinaire injustifiée sont souvent anciens (donc à replacer dans le contexte) ou tout simplement mauvais. Le problème des VEO, c’est justement le O, de ordinaire. On ne critique pas un récit où il arrive des choses négatives à un personnage dans le cadre d’une histoire, mais où la violence est ordinaire, n’est pas critiquée ni remise en question, mais juste gratuite et inutile. Et comme souvent dans ce débat, je pense qu’on laisse un peu trop de côté les phases de développement des enfants, c’est-à-dire qu’il y a un âge pour tout, et que certains auteurs de littérature jeunesse ne prennent pas en compte les capacités ni les besoins de l’enfant.
Céline
3 mai 2021 @ 11 h 16 min
Oui, je suis d’accord : il y a un âge pour tout. Et il y a aussi des enfants différents, qui vivent des expériences différentes, sont sensibles à des choses différentes. Peut-être qu’on peut faire confiance à nos enfants pour choisir eux même les livres, les sentiments qui leur conviennent, pour piocher à leur guise.
Ma fille aînée (7 ans) est très sensible : le moindre suspens, la moindre violence l’affole. Impossible pour elle de regarder un Disney par exemple, quand certaines de ses copines se sont fait la trilogie Star Wars. En revanche, elle adore Mortelle Adèle, donc personnellement, la violence et la méchanceté me laissent pantoise. Sans doute n’y voit elle pas les mêmes choses que moi. Peut-être même y trouve t elle des choses qui lui parlent, à un moment précis de sa vie.
Avec mon filtre, j’aurais estimé pourtant que Cendrillon était moins violent que cette BD. Et je me serais trompée.
Laissons les enfants piocher dans la littérature, expérimenter des émotions, refermer un livre quand il va trop loin pour eux, relire ceux qui leur parlent.
Chloé Séguret
4 mai 2021 @ 22 h 54 min
Bonjour Marine,
En vous lisant, je me suis d’abord dit “les auteurs, ils font des livres, ils n’ont pas à prendre en compte les besoin et les capacités des enfants. Est-ce qu’on demande à un peintre de prendre en compte la sensibilité des spectateurs?”
Mais en y réfléchissant, il y a une vraie spécificité dans le fait de s’adresser aux enfants. Et finalement, rares sont les auteurs qui disent “moi je m’en fout, je fais mes livres, après à l’éditeur de voir à quel public ils s’adressent” Ça arrive, mais c’est marginal. Et ceux-là en général ne racontent pas des histoires du quotidien donc la question ne se pose pas en ces termes.
Quant aux autres, je suis quand-même persuadée qu’ils sont toujours attentifs et qu’ils prennent en compte les capacités et les besoins des enfants. Évidemment, un livre qui date d’il y a 30 ans prend en compte les connaissances qu’on avait sur les enfants à cette époque là, ils sont pas devins non plus les auteurs.
Maintenant, est-ce que les connaissances actuelles (en particulier les nouvelles connaissances de neurosciences) nous amènent a avoir une attitude plus ajustée avec les enfants? Est-ce que c’est “mieux” pour eux? Ça, je pense, c’est l’avenir qui nous le dira, les éducateurs ont toujours été persuadés d’être dans le vrai mais les modes se sont succédées depuis toujours…
Céline
3 mai 2021 @ 11 h 08 min
Merci beaucoup pour cet article.
Je pense aussi que la littérature, la fiction, l’art de façon générale, est aussi là pour montrer d’autres réalités et nous éduquer, nous donner de l’expérience sur ce que nous n’avons pas vécu. Peut-être que la Servante Ecarlate nous montre, à nous adultes, comment résister à l’oppression ; peut-être qu’un livre pour enfants avec des adultes imparfaits montre aussi aux enfants que les adultes ne sont pas que bonté et générosité, qu’il faut parfois s’en méfier (oui, même des parents). Peut-être que tel gamin, maltraité par ses parents, trouvera dans les contes les mots qui lui permettront d’exprimer sa souffrance, mots qu’il n’aurait pas trouvé en lisant des livres expurgés de tout sentiment négatif.
Chut, maman lit
3 mai 2021 @ 12 h 27 min
Merci pour cet article ! Pour le contexte, je ne suis pas professionnelle du livre mais maman.
Les VEO dans les livres sont un sujet qui me travaillait récemment quand j’ai réalisé que j’adorais les livres très “maltraitants”. La tribu des enfants qui puent par exemple, avec la directrice horrible ; qui m’a rappelé un grand succès de mon enfance : Matilda et ses horribles parents ! Sans compter Harry Potter qui vit sous son placard. Bref, pour des grands, je comprends totalement cet envie de se mettre à la place de héros qui vivent des choses parfois très dures.
Pour les petits, j’ai une réaction différente par contre. Mon enfant de 2 ans adore l’imagier sonore de Soledad Bravi. Bon, je ne suis pas fan du côté genré (la maman qui fait des bisous, et le papa qui dit chut) mais il l’aime beaucoup, donc je lui lis avec plaisir. Et l’autre jour, j’aii vu que dans une vieille édition de cet imagier, on y trouvait le “clap” de la fessée. Là clairement, ça aurait été la goutte de trop pour moi dans cet album. Je n’aurais pas souhaité le lire à mon enfant.
Alors, contrairement à la maman de ton article, je ne milite pas pour censurer des livres ; mais j’avoue que je choisis ceux que je lis car je ne suis pas toujours à l’aise avec la VEO. Quand elle est banalisée (quand c’est un détail de l’histoire), cela me dérange toujours plus que quand ça fait partie intégrante de l’histoire (plus les personnages sont maltraitants, plus notre héros/héroïne va avoir des problèmes à résoudre et c’est génial).
Je crois que ma réflexion fait écho à la question de Hélène Tenneroni sur l’imaginaire collectif finalement.
Chloé Séguret
4 mai 2021 @ 23 h 11 min
Ce n’est pas une “vieille version” du livre des bruits que tu as lu mais la version complète, celle que tu as doit être celle de l’abonnement école des loisirs qui, en effet comporte moins de pages. C’est marrant mais cet album qui pour moi est tout de même très anodin soulève très souvent des réactions négatives des parents
Il y a effectivement la page dont tu parle (qui ne montre absolument pas une fessée, elle montre une main, dont on ne sait pas si c’est celle d’un adulte d’ailleurs, sur fond bleu, avec pour texte “la tape elle fait clac”. Y voir une fessée est une interprétation et ce n’est pas toujours celle des enfants. Loin de là.) Il y a aussi la page “les épinards ils font berk”, qui est accusée de donner le mauvais exemple. Je ne compte plus le nombre de fois où un adulte m’a dit devant cette page “mais moi j’aime les épinards!”. Ou “mais mon enfant aime les épinards”. Ben très bien, il va pas arrêter d’aimer à cause du livre, hein.
Et la page “le revolver il fait pan” aussi. Ça, c’est les mêmes qui ne veulent pas que leurs enfants jouent à la guerre.
Moi, j’ai l’impression que c’est surtout si on n’a pas le droit d’y jouer, que la guerre fait vraiment peur aux enfants. (et, en vrai, j’aime pas faire peur aux enfants. J’aime qu’ils puissent jouer avec leurs peurs, pas qu’ils aient peur)
Chut, maman lit
28 juin 2021 @ 9 h 13 min
Je réponds seulement maintenant, et zut on divague mais c’est intéressant d’avoir l’avis d’une professionnelle sur ce livre 😇.
Je possède une édition cartonnée assez longue, achetée en librairie récemment ; je pense vraiment qu’il s’agit de la version complète (et que la page Paf à disparue par rapport à une édition précédente) et pas de la version réduite (que j’ai aperçu aussi en librairie, sans toutefois la feuilleter).
Et oups, I feel attacked : j’avoue lire « miam » à la page des épinards 🙈 (mais tu as raison, ce n’est pas le livre qui a fait arrêter d’aimer les épinards à mon aîné, c’est soit les camarades d’écoles, soit la cuisine de la cantine 😭).
Ouf cependant, je n’ai pas tout faut dans ma manière de penser : le révolver ne m’a pas marqué 😇.
Mais à titre perso, ce qui me dérange le plus dans cet album ne sont pas les pages précédemment citées mais 2 autres : “Le blanc comme ta peau” et “le rose de tes joues”. Un petit détail diront certaines, mais que je ne peux pas lire tel quel à des enfants qui n’ont pas la peau blanche.
Chloé Séguret
28 juin 2021 @ 9 h 31 min
Alors oui, effectivement, il semble s’agir d’une nouvelle édition, que je ne connais pas. “Blanc comme ta peau” et “Rose comme tes joues”, je ne l’ai jamais lu (c’est pas plutôt dans “le livre des couleurs”, de la même autrice? Je ne le connais pas mais ça semble plus logique). Mais franchement, je ne pourrais pas le lire non plus (d’ailleurs, à part le livre des bruits, j’apprécie rarement ce qu’elle fait).
Quant à lire “miam” à la page des épinards, pourquoi pas, mais quand ils vont se faire lire le même album par un autre adulte, ça va leur faire drôle (perso j’évite toujours de modifier le texte des albums, pour que les enfants expérimentent la permanence de l’écrit, qui est assez rassurante pour eux, et à laquelle ils sont très attachés).
A la limite, je préfère lire “les épinards ils font berk” et faire un commentaire du genre “ah tiens, ils disent/pensent ça dans ce livre, moi je pense autre chose, et toi, t’en penses quoi?” si c’est un enfant qui aime bien discuter sur les livres.
Argali
3 mai 2021 @ 13 h 56 min
Superbe article dans lequel je me reconnais tout-à-fait.
Il est bon, justement, de montrer à nos enfants aimés et gâtés que tous les enfants n’ont pas cette chance. Cela fait partie aussi de l’éducation. Les mettre constamment dans de l’ouate, dans des milieux aseptisés et artificiels est contre productif.
Perdre un parent, être ostracisé car différent, être bafoué, mal nourri, non instruit… cela arrive à des milliers d’enfants chaque jour. Pourquoi le leur cacher ?
Carole Fleuret
3 mai 2021 @ 14 h 40 min
Excellent! C’est tout à fait juste. J’exploite la littérature de jeunesse dans mes cours et mes recherches auprès de migrants. Beaucoup d’albums font écho aux élèves dans ce qu’il ont vécu ou dans ce qui se rattache à leur pays, leur famille, etc.
Jen
3 mai 2021 @ 21 h 48 min
Exprimer les réalités et pas que (ouf) fait parti de la littérature en général en revanche lorsque la violence est légitimé comme un acte admissible et logique cela me semble un message complexe. Heureusement cela n’arrive plus beaucoup! J’ai trouvé dans un album de la bibliothèque de l’école de ma fille Petit ours brun qui explique que quand un enfant désobéit il est normal qu’il se prenne une fessée déculottée. l’album date de 1986 et n’est plus je pense édité. Je crois qu’il ne faut pas confondre exposition de ce qui existe (la maltraitance existe belle et bien) et sa légitimation qui aurait un message délétère en disant a l’enfant si tu le vis ce n’est pas bien grave… J’adore Okilele par exemple mais il expose la maltraitance sans la légitimé. Petit ours brun m’a bien plus gêné car s’il est lu par un enfant qui ne vit pas de violence il se demandera pourquoi la maman trouve cela normal en revanche si cet album arrive dans une famille ou la violence est prégnante cela risque d’avoir pour conséquence d’affirmer la normalité de la violence. Le soucis c’est le trop sans recul dans un sens comme dans l’autre… Je travaille en protection de l’enfance et autant je pourrais lire okilele autant j’éviterais petit ours brun c’est la force du message qui n’est pas la meme. Okilele ne donne pas de recette il constate, petit ours brun expliquerait presque qu’il faut frapper un enfant qui désobeit. En le lisant j’ai ressenti un grand malaise, d’autant que c’est une série plutôt popularisé. Il y a deux lecture. Je ne pense pas qu’il faille censurer mais je pense que nous devons penser au modele que nous transmettons comme bon modele. On retrouve cette reflexion autour des genres et du patriarcat. La fiction adapté ou non. Le dernier livre d’Alice Zeniter sur l’autre fiction celle qui diffère du héros male viril qui fait la guerre est très interressant sur ce sujet. Au dela de l’éducation positif nous nous nous construisons dans une societe patriarcale et nous acquiesons et integrons des codes que nous devons ensuite apprendre à déconstruire. Tous les enfants ne sont pas dans des familles qui déconstruisent au quotidien, il me semble donc important de véhiculé aussi d’autre fictions et de décaler « la normalité ». la violence est souvent (encore légitimé) et pas que pour l’éducation des enfants… Evidemment ce n’est pas tout noir tout blanc tout facile tout adapté pour y répondre sur les réseaux sociaux. Je suis persuadé pour ma part que l’important est de déconstruire les schémas. J’ai réfléchis a cette question ci autour de la comtesse de ségur que j’ai lu a ma fille. J’ai beaucoup aimé lui lire (c’est un livre qui pousse a la réflexion) tout ne se joue pas dans un album ou un roman mais dans une famille sans accompagnement sans bordage aucuns, avec un flou autour de ces questions je ne suis pas sur que chaque livres soient reçus de la même manière. Ceci étant dit lire est précieux !
Amandine
3 mai 2021 @ 23 h 27 min
Tout d’abord super article ! J’ai parfois tendance à ne pas savoir quoi répondre aux usagers venant se plaindre de livre que nous avons à la bibliothèque, tellement cela me semble invraisemblable.
Mon exemple le plus flagrant : une maman qui se plaint qu’il y a du sang dessiné dans un premier documentaire (3-6 ans) sur les PIRATES… Et bien oui, les pirates ne sont pas des gens sympa !
Mais je voulais réagir à votre commentaire car vous parlez de ne pas vouloir censuré un ouvrage (je suis totalement d’accord), par contre dans votre exemple le livre de petit ours brun est très vieux, et surtout “périmé”, il avait vocation à faire passer des valeurs qui sont maintenant dépassés, et cela ne me dérangerait absolument pas de le retirer de la bibliothèque.
A mon sens ce n’est pas de la censure, et avec le système de bib de conservation, l’ouvrage sera tj disponible quelques part.
Bibliothécaire (pas jeunesse, c’est pas mon rayon mais je suis sur que ma collègue serait d’accord 😉)
jen
3 mai 2021 @ 22 h 03 min
C ‘est aussi surement au regard de l’âge de l’enfant et ou de son développement et de l’endroit ou l’on se trouve. Je pourrais pour ma part tout lire a un enfant et n’importe quel enfant car je ne manquerais pas de rebondir sur les questions et les interrogations voir les non interrogations face a ce qu’un texte devrait induire mais il est important de garder en tête que nos expériences pro perso n’ont pas valeur d’universalité et que certains textes non accompagné (comme les films/les jeux vidéos etc) peuvent avoir des conséquences étonnantes voir peu souhaitable.
Audrey
4 mai 2021 @ 22 h 13 min
C’est un article très pertinent. Je suis maman, mais aussi enseignante spécialisée, et j’ai appris à quel point il est important, crucial, fondamental, de parler d’oser aborder ces thèmes qui tournent tout autour de la violence.
Mettre des mots sur des peurs, des craintes, des angoisses… Et faire revivre, rejouer des scènes à travers des héros apaisent certains enfants. Mes lectures ayant eu le plus de succès sont celles qui évoquent la mort et l’abandon… Et mes élèves parviennent mieux à accéder au sens du texte quand leurs grandes angoisses sont rejouées au travers de personnages de fiction.
Comme je le disais, je suis aussi maman. Il m’arrive de présenter à ma fille (de 2 ans) des albums où certaines formes de violences sont représentées. C’est pour moi l’occasion de lui dire que cela existe, que certains enfants peuvent vivre ce genre de violence et que c’est peut être pour cela qu’ils sont eux aussi parfois violents. Je pense que la crainte reste la normalisation des violences éducatives… Et au fond, je crains personnellement aussique ces albums confortent l’exercice de menaces, chantage et humiliations… “Tu vois, il va t’arriver la même chose si tu continues…”
Donc, oui évidemment, parlons de tout, osons parler de tout avec nos enfants de tout, mais ne les laissons pas seuls et accompagnons-les à mieux comprendre le monde.
Adeline
5 mai 2021 @ 7 h 27 min
Bravo pour cet article.
Il me paraît important que les enfants balaient d’autres univers que le leur, se représentent, s’identifient ou non aux personnages…J’ai en tête une jeune maman me disant qu’elle interdisait à sa fille d’écouter ” il était un petit navire” car le voyage aurait pu mal finir…Mes enfants ont adoré chanter cette comptine (et tant d’autres) , ça a créé beaucoup de discussions sur les époques, les costumes,les différences…dont la littérature jeunesse regorge. Et c’est tant mieux! Nos enfants nous guident dans le choix des livres , à chacun sa sensibilité et ses attentes.