L’amour, Georgette, Didier jeunesse, 2022, 11€90 Après le très réussi Familles, Georgette revient pour répondre à cette vaste question, qu’est ce que l’amour ? Et bien entendu, la réponse est multiple, selon la place de laquelle on parle. Chaque interlocuteur donne donc sa propre définition, toujours tendre et touchante. Il y a l’amour des couples, celui des copains, celui de la maman qui sent son ventre grandir et qui fait une petite boule de joie à l’intérieur. L’amour d’un père pour son fils et réciproquement. Et les montagnes russes de l’amour de deux jeunes garçons. A la lecture de cet album chacun peut se sentir proche des personnages, s’y reconnaître, même s’ils ne nous ressemblent pas toujours. Moi je me reconnais assez bien dans la mamie pour qui c’est “quand papi me fait un massage de pied à la fin de la journée ” (et pourtant, j’ai pas encore l’âge d’être une mamie, hein!) Les personnages aux bouilles rondes, comme des gommettes, ont des caractéristiques différentes (couleur de peau, coiffures, vêtements) mais tous affichent le même sourire.
Le propos est simple, il est porté avec une sorte d’évidence et légitime toutes les sortes d’amour, à hauteur d’enfant. Tout comme Familles je pense que cet album va s’imposer dans les structures d’accueil de la petite enfance comme un incontournable, tant il me semble important de porter ce message.
Jabari est un enfant plein d’idées et Alors quand il décide de fabriquer un engin volant, il y met les moyens. Énergie, créativité et ténacité sont au rendez-vous. Et surtout, il veut le faire tout seul.
Vis, plan et outils envahissent la table du jardin. Pendant ce temps papa vaque à ses occupations. Nina, la petite sœur de Jabari, aimerait bien participer, elle ne cesse de solliciter l’attention de son frère “moi, moi!” Dit elle.
Il finit par l’associer à la Jabari, mais là c’est la colère qui s’installe, fichu engin qui ne veut pas voler!
Rassurez-vous,
Il y a vraiment beaucoup de choses intéressantes dans cet album, dont la trame narrative est par ailleurs assez simple.
Le texte n’est pas bavard et il sonne juste, à hauteur d’enfant. Les changements d’humeur des protagonistes sont amenés avec naturel, on n’a pas le sentiment d’être face à un livre “pour parler des émotions”, mais il permet bien évidemment de les comprendre.
J’aime aussi la façon dont il montre la fratrie, avec un brin de
Le père accompagne Jabari s’inspire de grands chercheurs ou ingénieurs tels que Lewis Howard Latimer, Roy Alleta ou encore Flossie Wong-Staal, qui sont cités dans l’et je trouve important qu’un album contribue à leur donner la célébrité qu’ils méritent.
Vas-y Jabari fait suite à Jabari plonge, sorti en France en 2021.
Le bon lit douillet, Florence Desnouveaux, Marion Piffaretti, Didier jeunesse, à petits petons, 2022, 13€10 La mer au loin, des animaux souriants plein le jardin, une grand-mère accueillante, dès la première page cette histoire fleure bon les vacances à la campagne, on imagine déjà les cache-caches sous le saule pleureur et les bouquets de fleurs d’hortensias.
Peut-être que maman est repartie travailler, en tout cas c’est Grand-mère qui couche petite fille dans le bon lit douillet. Elle éteint la lampe de chevet (clic) et tire la porte (iiii). Mais Bououououhhh, Petite Fille pleure, elle à peur. Grand-mère, pleine de douceur, rallume la lumière (clic), va chercher la chatte, et la dépose sur le lit de Petite Fille pour lui tenir compagnie, avant de refermer la porte (iiii)
Mais Miaououou, la chatte miaule, bouououhh, Petite Fille pleure, elles ont peur. Sont alors appelés à la rescousse le chien, la chèvre et même le poney, avec tout ce monde dans le lit, plus de raison d’avoir peur. Mais cette fois, c’est un grand crac qui se fait entendre, le lit, tout douillet qu’il est, n’est pas fait pour recevoir tant de monde. Heureusement, Grand-mère à plus d’un tour dans son sac et dans sa boite a outils!
Avec une belle palette de tons bleutés pour la nuit et des tonalités plus chaudes pour les personnages, l’image instaure une ambiance paisible et douce, et j’avoue que je craque pour les cheveux roses de la grand-mère, qui lui accentuent la douceur de son visage.
Les bambins adorent cette histoire en randonnée rythmée par de nombreuses onomatopées, qu’ils reproduisent dans une joyeuse cacophonie. Comme il est d’usage dans la collection à petits petons, le texte est pensé pour être lu à voix haute et chatouiller agréablement les oreilles des petits, qui peuvent donc apprécier cette histoire avant même de la comprendre. La thématique de la peur y est survolée avec beaucoup de douceur, l’humour et le rire prennent le dessus.
La petite sœur est un diplodocus, Aurore Petit, Les fourmis rouges, 2022, 15€50
Ce nouvel album d’Aurore Petit est le dernier opus de ce qui semble être une saga familiale et intimiste.
Après Une maman c’est comme une maison, centré sur la relation mère fils puis Bébé ventre, dont le narrateur était l’enfant à naître, nous avons ici le point de vue de l’aîné quand le nouveau bébé arrive dans la famille.
Et nous retrouvons les éléments qui ont fait le succès des deux premiers albums: une histoire intime, racontée avec délicatesse et une économie de mots, des illustrations agréables et très toniques, avec beaucoup de tons fluos.
Le grand frère est le narrateur, pourtant le texte ne détaille pas ses pensées, il est au contraire assez factuel et parfois même l’histoire se passe totalement de texte pendant plusieurs pages. Je trouve cela tout à fait approprié, les jeunes enfants n’étant généralement pas capable de verbaliser les émotions qu’ils ressentent. Ici on peut comprendre ce que le petit garçon éprouve à travers des images très parlantes, c’est suffisant (je ne suis pas fan de cette habitude de vouloir absolument mettre des mots sur tout, tout le temps). Quand il a exprimé son désaccord, il n’est pas non plus noyé de mots par les parents, il est juste câliné, ce qui ma foi semble assez efficace.
Et il s’il peut affirmer que la petite sœur est un diplodocus, c’est que manifestement elle prend beaucoup de place, pour une si petite personne!
Dépêche toi Alphonse Aubert, Gunilla Bergström, l’étagère du bas, 2022, 12€ Oh joie, oh bonheur, un nouvel opus de cette réjouissante série est sorti cette année!
Nous y retrouvons le petit garçon à tête ronde et son flegmatique papa, qui, cette fois, risque bien de perdre patience!
Parce que voilà, c’est le matin, il faut se préparer pour l’école, mais le petit garnement d’en fait qu’à sa tête et a toujours une activité plus urgente. Alors que son père insiste avec ses “Dépêche toi, Alphonse!”, lui enfile un pull à sa poupée, répare une petite voiture cassée, lit un livre sur les reptiles. Que d’occupations absolument nécessaires avant de partir pour la maternelle, vous en conviendrez!
Dans la cuisine, le ton commence à monter, papa n’en peut plus d’attendre son fils et il se crispe à chaque fois qu’il entend une réponse qui commence par “Il faut juste que je…”
Évidemment, le temps passe, l’horloge représentée sur les pages de texte est implacable, alors que l’histoire a commencée à 6 heures il est presque une heure de plus quand Alphonse entame son petit déjeuner. Mais il a une surprise pour papa, et bientôt la situation va s’inverser.
Quelle fripouille cet Alphonse!
Le trait tremblant, les images décalées, l’humour et surtout la situation, tellement proche de la réalité, me plaisent toujours beaucoup dans les albums de cette série.
Celui-ci peut être un prétexte pour parler de l’école, de la routine matinale ou même pour apprendre à lire l’heure (on retrouve l’horloge et ses aiguilles presque à chaque page), si vous voulez vraiment rentabiliser chaque lecture.
Mais je vous invite plutôt à le lire juste pour passer un bon moment, ce qui est tout de même la fonction première de la littérature
3,2,1, Mari Kanstad Johnsen, Cambourakis, 2021, 18€
C’est l’été, les vacances sont là. Les camarades d’Anna ont tous de super projets. Mais elle, c’est chez sa grand-mère qu’elle passera le mois. Et même pas moyen de payer un billet d’entrée au zoo, manifestement Grand-mère est fauchée.
Dans une boutique, la fillette repère une peluche de lapin super chouette. Mais il coûte 5 euros. Alors Grand-mère fait une proposition à Anna. Pour se l’offrir, elle devra s’occuper des maisons vides pour les vacances. 5 maisons, à raison d’un euro pour chacune d’elles, le compte y est. Dans la première, il faut prendre soin d’un serpent, dans la suivante de deux lapins, de trois oiseaux, quatre tomates et enfin cinq poissons. Fastoche, Anna est enthousiaste. Elle se voit déjà à la rentrée montrant fièrement sa peluche durement gagnée (on comprend qu’elle y trouve un certain réconfort et même qu’elle espère que son lapin éclipsera les récits trop idylliques des vacances des autres mouflets, et franchement, on la comprend un peu).
Mais, ce n’est pas si simple quand on est encore petit d’assumer toutes ces responsabilités. Anna fait de son mieux mais enchaîne les bourdes, qui finalement risquent de lui coûter beaucoup plus cher que son maigre salaire…
Perso je trouve la grand-mère super badasse avec sa silhouette massive, son béret sur la tête et sa propension à vouloir juste bouquiner tranquillement dans le jardin. Elle regarde Anna se planter sans faire de commentaire, il faut bien apprendre. Mais quand elle annonce à la mouflette que son salaire sera en négatif, j’avoue avoir pensé un instant qu’elle poussait la pédagogie un peu loin. Ce qui semble aussi être l’avis de sa petite fille, qui se roule par terre de frustration à l’idée qu’elle ne rendra pas ses camarades jaloux. À moins que?… L’histoire se termine bien pour la fillette, mais à bien y regarder on peut se demander si elle a vraiment retenu la leçon…
Je trouve cet album très drôle, léger et plaisant, j’apprécie en particulier qu’il n’ait pas de visée pédagogique trop appuyée, tout en étant un livre à compter. Il a un petit côté subversif que l’on retrouve souvent chez les auteurs suédois qui n’est pas pour me déplaire.
C’est un catalogue qui se veut inclusif (à défaut d’être exhaustif, ce qui semble compliqué sur ce sujet) des différents schémas familiaux possibles.
Ainsi nous y trouvons des familles de deux personnes et d’autres très nombreuses, parfois recomposées.
Celles avec deux papas ou deux mamans sont aussi présentes. Mais encore d’autres, plus inattendues. Les petits personnages ont tous la bouille ronde, ce qui me fait penser à certains jouets en plastiques de mon enfance. Mais ils ont différentes couleurs de peau, des caractéristiques variées. Le texte est poétique et minimaliste, il met l’accent sur la chaleur des sentiments et montre la famille dans ses aspects les plus positifs: un espace de sécurité et de tendresse. L’autrice joue parfois avec les possibilités offertes par la double page pour montrer tantôt deux familles différentes en vis-à-vis, tantôt une seule matérialisée par une rencontre au niveau du pli du livre.
Les enfants sortent toujours de cette lecture rassurés et heureux. Je l’utilise depuis quelques mois dans le cadre de mon travail pour l’association LIRE et il est très apprécié, à la fois par les parents, les enfants et les professionnels de la petite enfance. Il me semble que c’est exactement le type d’album à avoir dans un fonds professionnel, parce qu’il contribue à rendre visible une réalité, qui est la diversité des familles réelles.
Papa, maman, quel talent, Malgorzata Swędrowska, Joanna Bartosik, Thierry Mangnier, 2021, Dans un style rétro, une galerie de portraits de pères et de mères, présentés à travers les yeux de leurs enfants. Le procédé est simple et il n’est pas vraiment inédit mais j’avoue être sensible à ces illustrations et à cette couverture jaune, entièrement toilée. Les parents sont tous mis à en valeur pour leurs qualités, communes ou plus exceptionnelles.
Sur chaque double page nous avons un père et une mère en vis-à-vis et chacun se trouve tantôt d’un côté tantôt de l’autre. Souvent la page de gauche et celle de droite montrent deux activités complémentaires, l’un aère et l’autre passe le balais, l’un console, l’autre fait rire. Cela transmet une image rassurante du couple parental, même si rien ne permet d’affirmer que ce sont les parents d’un même enfant.
Souvent d’ailleurs, l’enfant narrateur qui présente ses parents est hors champ. L’image est parfois nécessaire pour donner sens au texte, par exemple quand maman multiplie (les gâteaux qu’elle confectionne) et que papa divise (les carreaux de chocolat) Les personnages ne sont pas enfermés dans des rôles genrés, une maman plante des clous pendant qu’un papa fait la soupe.
Mais surtout il y a très souvent de la fantaisie dans les attitudes et qualités des personnages, qui sont toujours en mouvements et présentent une vision très dynamique de la parentalité.
Les albums qui mettent en avant à la fois pères et mères ne sont pas si nombreux (croyez moi, j’ai cherché, vu le nombre de fois où on m’a demandé des livres “comme la série des papas, mais avec la maman aussi”) alors je ne boude pas mon plaisir avec celui-là.
Quand il va passer une après-midi chez sa grand-mère, le petit Léon a été prévenu: La vieille dame est devenue bizarre.
D’ailleurs, elle l’appelle Charlie, c’est un signe.
Mais ce que l’enfant remarque surtout, c’est à quel point elle est amusante. Cette grand-mère qui jadis ne supportait pas la saleté aujourd’hui se promène pieds nus dans la terre. Elle joue avec les insectes et son rire contagieux.
L’image la montre dans des postures enfantines, un sourire jovial sur le visage.
Et elle se met à raconter des histoires pleines de fantaisie, où elle est dans un château peuplé de cent vingt chats.
Mais, chut, c’est un secret.
Le petit garçon écoute avec attention (et un petit brin de crédulité propre à l’enfance) le récit fantasque. Et quand il est l’heure de rentrer il ne pense qu’à la prochaine visite à son étonnante grand-mère.
Ici c’est l’imagination et l’humour qui sont mis en avant, faisant presque passer le thème de la vieillesse et de la perte de mémoire au second plan.
Les images aux tons pastels sont douces et montrent une vieille dame très libre dans ses mouvements, presque légère, la pesanteur de l’âge y est absente.
La nature, très présente, ajouté une touche de gaîté.
L’histoire incite à l’empathie et ne tombe jamais dans le larmoyant, à travers les yeux de l’enfant la confusion de la vieille dame n’est pas montrée comme un problème mais comme une particularité dont on peut fort bien s’accommoder à travers le jeu.
Marcelle et les cigognes, Myriam Raccah, Charline Collette, les fourmis rouges, 2021, 16€
Une année dans la vie d’une femme, et dans celle des cigognes.
Une double page par mois, sans texte et une dernière qui vient clore le récit accompagnée d’un court dialogue.
D’abord, Marcelle voyage. Une vue plongeante montre sa voiture qui tire une petite maison sur une longue route. Les cigognes la survolent. Puis elles nidifient sur le toit de la maisonnette, désormais installée dans un coin de nature. Marcelle fabrique un berceau. En mars, les œufs des cigognes éclosent, et le ventre de Marcelle s’arrondit.
Les pages présentent parfois une vue d’ensemble, montrant Marcelle et les cigognes évoluant dans leur joli paysage, d’autres mettent en scène la vie des humains à gauche et celle des oiseaux à droite. Les peintures de Charline Collette sont d’une extrême douceur, la vie de cette mère célibataire est très paisible, en harmonie avec la nature, et en compagnie du chat.
Le nourrisson grandit, les petites cigognes prennent leur envol. En hiver elles sont loin, mais Marcelle, son bébé et son chat ne souffrent pas de solitude, des amis viennent leur rendre visite dans la petite maison.
Cet album se passe parfaitement de texte, il raconte par ses images une vie très paisible, une maternité douce, et une relation mère enfant sereine. Si le silence vous met mal à l’aise, je suis sûre que vous trouverez facilement les mots pour accompagner ces pages, et que les enfants à qui vous le montrerez auront également plein de choses à en dire. Mais vous pouvez aussi oser le montrer sans rien dire, faites confiance aux enfants, ils savent parfaitement lire les images. (vous pouvez aussi consulter cet article sur la médiatisation des livres sans texte)
J’ai un coup de cœur particulier pour les tableaux de Marcelle et son bébé sur un fond jaune lumineux. Le petit visage de l’enfant endormi, dans les bras de sa mère ou tétant son sein sont délicates et les postures parfaitement rendues. En vis-à-vis, les oisillons qui dorment sont tout aussi touchants.
L’album se pare d’une jaquette toilée de belle qualité qui cache une carte de la migration des cigognes. C’est un bel objet, une jolie histoire et des images magnifiques.