Une forêt est une famille, Peggy Thomas, Cookie Moon, Phaidon, 2024, 14€90
Dans une forêt il y a les arbres parents et les bébés arbres. Il y en a dans lesquelles tous les individus se ressemblent, comme c’est le cas des peupliers faux-trembles, qui ont les mêmes racines, et d’autres où chacun est singulier.
Comme dans une famille, chaque membre d’une forêt veille sur les autres.
La première moitié de l’album file la métaphore famille/forêt assez efficacement, et se termine par une petite sensibilisation au rôle de la forêt dans l’écologie.
La deuxième partie, qui peut être lue séparément prend 9 exemples de forêts à travers le monde et explique en quelques phrases les spécificités de chacune. On voyage ainsi entre la forêt qui sent bon dans le parc national de Noosa, en Australie, celle de bambou dans la réserve de Wolong en Chine, ou encore une forêt urbaine dans des immeubles milanais.
L’ensemble se présente dans un joli format, un livre paravent dans un coffret fermé par un aimant, forme que l’on a déjà pu voir dans plusieurs ouvrages des éditions Amaterra, entre autre pour leurs imagiers des différents continents.
L’objet est solide et agréable à manipuler.
Les illustrations pleines de fraîcheur permettent d’identifier les différentes essences de bois, les feuilles, les écorces.
Le texte est suffisamment précis pour avoir une réelle portée documentaire (on y apprend des choses) et suffisamment simple pour convenir à des enfants en bas âges, il sera apprécié dès la maternelle.
Samedi matin rue des colibris, JulieBouchard, Olivier Chéné, éditions D’eux, 2024, 18€
Il est encore tôt mais déjà les habitants du quartier s’affairent. Portes de garages grandes ouvertes, cartons et tréteaux déposés sur le trottoir, le grand déballage est en cours. Les matinaux qui promènent leur chien croisent les voisins qui sortent leur barda.
Car en ce samedi matin rue des colibris, c’est jour de vente de garage, l’occasion de faire de la place pour les uns et des trouvailles pour les autres.
Après une rapide grattouille à Paul, son vieux basset bien aimé, Simon se précipite dehors en compagnie de Lucas, on meilleur ami. Ils ont un projet, visiblement mûrement réfléchit. Leur argent de poche a été mis de côté et cette fois ils espèrent bien ne pas revenir bredouilles.
Avec eux on traverse le quartier, méthodiquement chaque rue est passée au peigne fin.
On s’amuse à fouiller les grandes illustrations avec autant d’attention que celle portée aux stands par les protagonistes, l’ambiance chaleureuse et fourmillante de la vie de quartier en ce jour un peu exceptionnel est très agréable.
Ce n’est qu’à la toute fin de l’album qu’on découvre ce que cherchaient les enfants quand ils le dégotent enfin, et on a encore plus de sympathie pour ces gamins qui ont renoncé à s’acheter des billes et autres petits plaisirs personnel pour le bien-être d’un vieux chien lui aussi très attachant.
C’est doux et plaisant, un véritable album feel-good. On s’y promène avec d’autant plus de plaisir que les grandes illustrations pleine pages sont très immersives, on a vraiment l’impression d’y être.
La porte A4, Naomi Shihab Nye, Enzo, éditions D’eux, 18€
Dans l’aéroport, Naomi, la narratrice passe le temps en attendant l’heure de son vol quand une annonce demande un locuteur de langue arabe à la porte A4. C’est justement celle qu’elle devait prendre, elle s’y rend après un instant d’hésitation. Elle y découvre un agent de bord assez gauche, qui ne sait comment rassurer une vieille dame, vêtue d’une robe Palestinienne traditionnelle, qui ne le comprend pas. Alors que son vol est retardé elle a supposé qu’il était annulé et pleure, complètement désemparée.
Dans un arabe imparfait Naomi lui explique ce qu’il en est. Elles devaient prendre le même avion et poursuivent naturellement la discussion.
L’attente va durer plusieurs heures et les deux femmes vont sympathiser. D’abord, quelques coups de fil aux enfants de la dame, puis Naomi appelle les personnes de sa connaissance qui maîtrisent l’arabe: son père et ses amis poètes Palestiniens. Le téléphone passe de l’une à l’autre, elles rient, la conversation est de plus en plus chaleureuse et elles voient à peine le temps passer.
Le plaisir qu’elles éprouvent à cette rencontre semble communicatif, quand la dame sort des maamouls (de délicieux biscuits aux dattes) pour les distribuer à la ronde, toutes les passagères acceptent le présent avec plaisir.
La salle d’embarquement devient un espace de rencontre et de sororité, l’attente n’est plus une contrainte mais une opportunité de faire connaissance, une occasion de partage.
Une fois de plus, les éditions D’eux (qui, je le rappelle, sont canadiennes) me surprennent par la capacité de leurs auteurs à aborder simplement des sujets qui en France sont compliqués.
Montrer une femme qui porte le voile, valoriser la culture Palestinienne et la richesse du bilinguisme, ne pas s’offusquer que la dame offre ses gâteaux uniquement aux femmes présentes, toutes ces choses qui par ici peuvent faire grincer les fâcheux, j’ai eu plaisir à les lire dans cet album.
C’est un livre qui m’a donné le sourire et que j’aime beaucoup partager avec des enfants mais aussi avec des adultes. Car à tout âge on apprécie un monde de solidarité, de partage, où la différence est une richesse appréciable.
Je reconnais être passée à côté des précédents, en raison de mon aversion pour ce sujet qui ne cesse d’être exploité en littérature enfantine, au point que j’ai atteint la saturation.
Pourtant, il faut avouer que ces petites créatures monochromes, poilues, aux yeux ronds comme des billes ont de quoi séduire. J’ai donc fini par aller voir de plus près et il faut avouer que cette série sort du lot.
Déjà on ne reste pas cantonnés aux cinq émotions habituellement présentés, ici elles sont une trentaine.
Bon, par contre, soyons honnêtes, on peut s’interroger sur le terme générique d’émotion quand parmi les personnages on trouve par exemple le bon sens, la mémoire ou encore l’imagination. Mais passons, on adhère, parce qu’on comprend qu’il s’agit de ce qui agite notre vie interne.
Chaque personnage est mis en scène dans une action qui permet de le comprendre plus qu’elle ne le définit formellement.
Quand par exemple le texte nous dit que la nostalgie s’immerge dans les profondeurs, ou que la mélancolie joue du violon, que cela est accompagné d’illustrations qui rendent sensible ce que ressentent les protagonistes, il n’est pas besoin de donner d’explication indigeste, l’enfant a tous les atouts en main pour éprouver ce que les autrices souhaitent décrire.
De ce point de vue l’album est une absolue réussite, il ne fait pas de leçon mais il est explicite.
Les créatures sont attachantes, sensibles, pleines de tendresses, et elles sont représentées avec grâce et délicatesse.
Il y a une vraie force évocatrices dans chaque image, chaque ligne de texte, c’est un beau travail. On peut proposer cette série d’albums dès cinq ans, peut-être même avant avec des enfants habitués aux histoires, ils se laisseront porter par les sentiments même les plus complexes qui sont montrés.
De l’autre côté, Alfredo Soderguit, Didier jeunesse, 2024, 14€
Sur la page de titre, un dessin au trait montre une vue plongeante sur deux maisons, et le contraste est saisissant.
L’une emplit la plus grande partie de la page, elle attire immédiatement le regard, pièces ont l’air immenses et éclairées par de grandes baies vitrées.
De l’autre côté de la haie, une maison modeste se tient dans un jardin arboré.
D’un côté, il y avait la maison de Francisca, de l’autre, celle d’Antonina. L’une vivait en ville, et ne venait que pour les vacances, l’autre habitait là.
Un jour, par le portillon resté ouvert, les deux fillettes se sont rencontrées. Elles ont joué ensemble et immédiatement se sont appréciées.
Si la différence de milieux sociaux entre les deux enfants saute aux yeux du lecteur, les deux protagonistes y sont totalement indifférentes.
Elles passent du jardin de l’une à celui de l’autre, jouent au bord de la piscine ou de la rivière, leur amitié est la chose la plus naturelle du monde, elle les occupe le temps d’un été. Elles sont toujours montrées sur un pied d’égalité, partagent exactement le même bonheur, la même insouciance enfantine, chacune à quelque chose à apporter à l’autre.
Puis le temps passe et leurs chemins s’éloignent. Pas parce que l’une est riche et l’autre pas, simplement parce que la vie est comme ça parfois. Ce n’est pas triste, elles passent simplement à autre chose, sans regret, chacune poursuit son chemin sereinement.
Le temps passe, elles grandissent et leurs vies sont montrées en parallèle. Aucune n’est supérieure à l’autre, elles sont différentes mais elles se valent. Rien, jamais, ne les met en opposition.
Il y a peu d’albums qui célèbrent l’amitié, encore moins qui abordent la question de la classe sociale, et à ma connaissance aucun qui le fasse avec tant de douceur, en montrant tout simplement cette évidence: la différence sociale ne fait pas la valeur, et n’empêche pas la rencontre ni l’amitié.
Au delà de leur complicité le temps d’un été il y a aussi la vie qui s’écoule, on les voit grandir jusqu’à l’âge adulte, elles ont chacune une fille, et l’histoire va se reproduire.
De l’autre côté est le troisième album d’Alfredo Soderguit édité par Didier jeunesse et à chaque fois son style graphique est radicalement différent du précédent. Il a publié une cinquantaine d’albums qui ne sont pas encore traduits, j’espère avoir l’occasion de les lire en Français un jour, il explore des thème rares en littérature enfantine.
Milo s’imagine le monde, Matt de la Pena, Christian Robinson, éditions d’eux, 2024, 20€ Quand Milo et sa grande sœur empruntent le métro pour leur trajet hebdomadaire, le petit garçon est tendu. Le trajet est fastidieux et les émotions qui traversent l’enfant le rendent fébrile. Excitation, inquiétude, embarras et amour nous dit-on. Voilà de quoi susciter notre curiosité, mais où peuvent-ils bien se rendre?
Pour mieux supporter le trajet, Milo s’imagine le monde, en observant les autres passagers. Dans son carnet de croquis il dessine une vie pour chacun. Ce petit garçon endimanché, il le voit en petit roi dans un château fort. Pour la dame en robe blanche il imagine une somptueuse cérémonie de mariage. Tout en poursuivant son jeu, Milo se demande ce que les autres pensent de son visage. Que peuvent-ils saisir de lui, le temps d’un trajet en métro? Cette question de l’image que l’on renvoie, de ce que l’on est vraiment, il se la pose encore alors qu’il est arrivé à destination et qu’à sa grande surprise le petit garçon endimanché va au même endroit que lui. Il réalise que pour chaque visage croisé il aurait pu imaginer une vie totalement différente.
Mais les voilà arrivés, sa grande sœur a enfin lâché le portable qui semblait greffé à sa main pendant tout le trajet. Ils passent les portiques de sécurité à la suite de l’enfant en costume, et retrouvent chacun leur mère. Elles portent des tenues orange, identiques, et serrent leurs enfants contre elles. Je suis vraiment impressionnée par la finesse dont font preuve ces auteurs, Christian Robinson et Matt de la Pena . Sans jamais être excessivement démonstratifs, sans faire de leçon, au fil des albums ils parlent du monde, de ses inégalités sociales, de l’universalité de certains sentiments, de la place de chacun. On pense inévitablement à un autre album qu’ils ont créé ensemble, dans lequel un enfant et sa grand-mère font un trajet en bus pour se rendre à la soupe populaire, où ils sont bénévoles. L’un comme l’autre, livre après livre, s’attachent à montrer ceux qu’on ne voit pas, à valoriser ceux qui sont habituellement dénigrés. Et ils le font avec humour, poésie, tendresse, toujours à hauteur d’enfant. Leurs livres sont à la fois nécessaires et divertissants.
Panorama, Fanette Mellier, éditions du livre, 2022
En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars (programme complet ici) , je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont on peut les utiliser et la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Panorama est de ceux-là.
Après le livre magique, encore un livre étonnant signé Fanette Mellier. Cette fois-ci la couverture joue sa sobriété.
Notre regard est attiré par le chat au centre, le reste ne fait pas immédiatement sens, si ce n’est peut-être la forme qui évoque un œil en bas à gauche et la lune, que le regard identifie immédiatement, en haut à droite.
L’album s’ouvre en hauteur, format calendrier, il n’égraine pas les mois mais les heures.
Dans la première image on repère le fameux chat, juste à l’emplacement qui lui était réservé sur la couverture, un grand soleil brille en lieu et place de la lune et ce qui ressemblait à un œil est un reflet dans l’eau d’un puits.
La scène est statique, elle représente une maison et le paysage qui l’entoure.
On va retrouver exactement chaque élément, à la même place dans chaque page, seules les couleurs changent, et ce sont elles qui matérialisent le temps qui passe.
Les tonalités s’assombrissent de façon presque imperceptibles d’abord.
Selon les choix chromatiques, l’œil du lecteur est attiré par différents éléments de la page.
Et puis, bien sûr, il y a les aspirations de chacun.
Le petit K, 2 ans et demis, vadrouille dans la salle d’attente de la PMI depuis un moment. Je lui ai proposé de lui lire des histoires, il a décliné. Mais, me voyant feuilleter le livre seule, il vient voir. Il pointe immédiatement la forme ronde et s’exclame « Ballon, ballon! »
Ah, ça y est, j’ai mon accroche. Je lui propose de tourner les pages pour voir ce qu’il y a d’autre dans le livre. À chaque page il répète joyeusement « Ballon ». Je reconnais que c’est sans doute en ballon en effet (à vrai dire ma première hypothèse était plutôt une balle de paille, ce qui me semblait plus attendu dans un champ, mais peu importe, s’il voit un ballon c’est un ballon, s’il avait vu autre chose il aurait raison aussi).
Le même jour, S, (âgée de 6 ans trois quart m’a-t-elle dit) me demande des livres avec du texte parce que « je sais lire maintenant ». Je lui en propose plusieurs qui me semblent adaptés, puis pendant que je lis à un autre enfant je vois qu’elle explore les différents albums que j’ai laissés à disposition.
Je vois qu’elle feuillette Panorama puis s’y arrête.
Elle regarde longuement la première page, puis la suivante, et revient à la première.
Elle dit à voix haute « je trouve pas ». Puis « c’est bizarre… »
Je lui demande ce qu’elle ne trouve pas, elle me répond, comme s’il s’agissait d’une évidence « ben, les différences ». Puis elle ajoute « là c’est pas la même couleur mais c’est partout pas la même couleur ».
Finalement, nous avons regardé cet album ensemble assez longuement, en nous demandant ce qui changeait au fil des pages. Elle a rapidement compris que la nuit tombait, elle a également remarqué que le chat était toujours dans la même position mais elle lui prêtait des humeurs différentes selon les pages (« il a peur? » « Il est content! » « Là, il attend juste »).
Chaque enfant à sa façon de s’approprier Panorama, en fonction de ses habitudes (jeu des sept erreurs) ou de ses appétences (ballon).
J’ai un seul petit regret, je l’ai amené beaucoup sur les différents lieux où je travaille et j’ai finalement assez peu d’observations avec cet album, il est peu choisi. À mon avis cela ne tient pas à son contenu mais à sa couverture, qui n’attire pas beaucoup les enfants. C’est généralement quand je le présente ouvert qu’il va capter le regard.
Je suis toujours très heureuse qu’il soit choisi car il me semble qu’il offre aux enfants de nombreuses pistes de réflexion et qu’il aiguise leur sens de l’observation.
Quant à moi je mesure sa richesse au fait que je ne m’en lasse pas, chaque lecture me plonge dans un plaisir contemplatif.
C’est bien mon chéri, Julien Couty, la joie de lire, 2024, 14€90
Vous avez remarqué, on fustige toujours les écrans dans les mains des enfants mais on s’interroge encore assez peu sur l’effet délétère des écrans sur les enfants quand ce sont les adultes qui s’y adonnent. Dans cet album, les parents sont manifestement très absorbés par le smartphone qu’ils ont chacun greffé à la main. C’est pas des mauvais parents, hein. Ils font à manger, ils encouragent leur môme, ils ont l’air plutôt sympa/normaux. Mais, il faut l’avouer, ils sont peu attentifs. Aucun problème pour le gamin, lui aussi est occupé, il a des projets de construction. Aidé du chat (enfin, il aide comme les chats savent aider, quoi, c’est à dire qu’il se lâche la patte en regardant d’un œil), il se lance dans la construction d’une tour de dominos. Puis y ajoute les coussins du canapé pour plus de hauteur. Et la table basse. Hop, quelques portes de placard, et un échafaudage tant qu’à y être. Il commente chaque étape et obtient immanquablement le même commentaire parental « C’est bien mon chéri » prononcé mécaniquement par un adulte qui n’a toujours pas levé les yeux de son smartphone.
L’imagination du petit s’emballe et son pouvoir d’agir semble sans limite. Des ouvriers viennent lui prêter main forte, une serre tropicale est bâtie, puis un toboggan géant! L’absurdité de la situation contraste avec le réalisme du comportement parental, qui est à peine exagéré. Je n’aime pas trop que la littérature enfantine fasse la morale aux gamins, ici elle ne la fait pas non plus aux parents, puisque rien ne vient sanctionner leur comportement. Ils en sont même presque récompensés, puisqu’ils finissent par retrouver leur salon impeccable. La chute m’a réjouie, elle m’a fait penser à celle de Au lit dans dix minutes, ici aussi il faut tout remettre en ordre en un temps réduit, mais heureusement dans les livres il se produit souvent des miracles!
Le chat sans nom, Fumiko Takeshita, Naoko Machida, le cosmographe, 2023, 16€50
Mais comme il est attendrissant, ce piteux petit chat! En le regardant, ma grand-mère aurait dit « peuchère », ma fille « miskin ». Il est vrai qu’il a l’air aussi misérable qu’attachant.
Faisant le tour du quartier, il regarde avec envie ses congénères félins. Tous ont un nom, qui généralement correspond à leur environnement (le chat du restaurant de nouilles soba se prénomme Nouille) ou à leur caractère (Léo, dont le nom signifie lion est toujours très fier de lui).
Il pourrait se baptiser lui même mais ne trouve aucun patronyme qui lui plaise.
J’avais déjà repéré les illustrations incroyablement précises de Naoko Machida dans l’histoire du chat seul à la maison, qui faisait déjà la part belle aux expressions des visages félins. On ne peut que ressentir de l’empathie pour ce chat sans nom qui ère seul dans la ville.
Quel soulagement quand il est enfin baptisé et qu’on mesure avec lui que l’important n’est pas le nom que l’on porte mais la personne qui nous nomme.
En même temps qu’un prénom c’est un foyer qui lui est offert.
Je propose généralement la lecture de ce livre aux enfants de 4 ou 5 ans, mais il est arrivé que des plus jeunes le choisissent, attiré par les représentations de chat, je ne sais pas s’ils ont compris l’histoire et certains ne sont pas allés jusqu’au bout, mais ils ont beaucoup aimé le regarder.
Il y a parfois des auteurs dont on reconnait le style au premier coup d’œil et qui, brutalement, nous surprennent avec un album qui n’est pas du tout caractéristique de leur travail.
Avec l’imagier des sens, Anne Crausaz s’éloigne des lignes claires et des couleurs vives qui font habituellement sa patte.
L’autrice explore les quatre éléments, l’air, l’eau, la terre et le feu et cherche à nous faire vivre une expérience multisensorielle en rapport avec chacun d’eux. Par le texte et par l’image, elle parvient à convoquer nos sensations, on se remémore la fraîcheur de l’eau sur nos pieds, le bruit du vent entre les feuilles, la chaleur du feu, son crépitement.
J’aime les livres d’Anne Crausaz, je les trouve toujours charmants, plaisants. Mais c’est la première fois que j’en trouve un à ce point émouvant, son pari de transmettre sur le papier des sensations variées est réussi, on perçoit la matière, on devine la rugosité de la terre, ou la douceur du galet sous nos doigts. Dans ces pages il y a du mouvement, des odeurs. La gouache donne une chaleur aux images qu’on ne trouve pas dans celles créées à l’ordinateur.
Cet album était le deuxième de la maison d’édition Askip, qui prévoit de n’en faire qu’un par an, souhaitons qu’ils soient tous aussi réussis que celui-là!