Des albums de littérature enfantine à proposer aux bébés dès 1 an, parce qu’ils aiment déjà les histoires, chansons, imagiers. Il n’est jamais trop tôt pour leur proposer un éveil au livre.
Attends-moi! Claire Garralon, A pas de loup, 12€ 2019
Maman poisson propose une promenade à son petit. Il la suit de près, mais déjà elle s’éloigne, c’est qu’elle nage plus vite que lui!
Elle avance sans se retourner, sourire aux lèvres, elle n’a pas l’air de s’inquiéter. Contrairement à son petit qui, très rapidement, commence à se sentir abandonné.
Déjà elle n’est plus avec lui sur la page de gauche. Voilà même qu’elle sort du champ puis disparaît totalement de sa vue!
Il traverse alors toutes les émotions d’un tout petit face à cette situation: peur, colère, abattement.
Mais la chute montre en image pourquoi il n’y avait pas vraiment de quoi se faire de la bile.
Comme tous les albums de cette autrice, « Attends-moi » fonctionne sur une économie de moyens, un graphisme épuré et une narration portée par l’image. C’est simple et efficace. Les couleurs vives, les formes simples et le texte court en font un album très adapté aux sections de bébés en crèche.
En littérature enfantine, l’objet est souvent presque aussi important que le contenu.
Un papier de belle qualité, une reliure solide, une impression qui flatte les couleurs vont fortement participer à la qualité de l’album.
Magali Attiogbé a créé, avec les éditions Amaterra, une série de petits imagiers qui plaisent aux enfants autant grâce à leur forme qu’à la qualité de leurs images.
L’imagier d’Afrique est le premier, probablement parce que l’autrice est originaire du Togo. (D’elle, vous connaissez peut-être aussi le magnifique « Rue des quatre vents »). Elle a ensuite fait l’imagier d’Amérique latine. Quant à celui d’Asie, il est l’œuvre de Marie Caillou.
Comme les autres, il se présente sous forme de leporello, aux pages cartonnées, et sa couverture ressemble à une petite boite, fermée par un aimant.
Sur chaque page, un objet, un visage ou un animal, emblématique de la culture africaine.
Les couleurs sont éclatantes, très attractives. Un y trouve, en vrac, une statuette, un bébé porté dans le dos, un ananas. Qu’on le feuillette comme un livre ou qu’on le déploie en accordéon, il nous offre un petit voyage immobile.
En crèche, posé sur le tapis des bébés, il saura attirer le regard et les petites mains. Il est suffisamment solide pour résister à cette exploration.
Je travaille beaucoup avec l’imagier d’Afrique, parce qu’il offre plein de possibilités avec les bébés. Certains peuvent passer pas mal de temps uniquement à jouer avec l’aimant, s’exercer à plier les pages. En PMI (Protection Maternelle Infantile, c’est dans les salles d’attentes de PMI que je fais le plus souvent la lecture aux bébés), il est également très apprécié des parents, que ce soit ceux qui ont grandi en Afrique ou ceux qui rêvent d’y voyager un jour.
Cette collection est une belle réussite, tant sur le fond que sur la forme, et une jolie ouverture sur la diversité du monde.
Tous ceux d’entre vous qui ont travaillé dans cette section (ou qui ont un enfant qui a entre deux et trois ans) le savent, c’est un âge qui se caractérise par un besoin de mouvement impressionnant et des attitudes qui peuvent déstabiliser les adultes.
C’est généralement chez les moyens que les livres sont le plus abîmés.
C’est aussi les moyens qui sont les rois pour nous laisser en plan au milieu de la lecture, décidant brusquement d’aller jouer plus loin ou de se mettre en mouvement, dans un besoin de motricité qui nous laisse perplexe.
Dans leur désir d’autonomie, ils veulent souvent regarder les livres tout seul (parfois au cri de « MOI TOUT SEEEEUL » quand on leur propose notre aide pour tourner les pages par exemple) mais leur motricité est encore un peu maladroite.
Souvent ils aiment les livres vite lus, les livres qui font échos à leur soif de déplacement (gros succès des livres sur les engins à cet âge là), des livres qui leur donnent envie de bouger.
Paradoxalement, ils sont parfois capables d’écouter les histoires longues et nous surprennent souvent par leur capacité de concentration (surtout en fin d’année, il faut le dire).
Ils restent des lecteurs de l’image étonnamment performants et peuvent parfois rester de longues minutes à scruter une illustration (et ils y voient en général plein de détails qui nous avaient échappés)
Dans ce top 20, il y a donc des livres solides (entendez par là, aux pages cartonnés), des livres qui déménagent, des imagiers mais aussi des histoires plus longues. Et bien sûr, des comptines, il n’y a pas d’âge pour chanter.
François Delebecque, éditions les grandes personnes
Du trotteur à l’avion, en passant par la trottinette, tous les modes de transport qui font rêver les petits (et les grands) sont présentés dans ce livre à cache.
Sam aime sa voiture. D’ailleurs, il nous la montre sous toutes ses coutures, au point qu’on est presque dans un premier documentaire pour les tout petits.
Je reconnais que ce n’est pas le livre idéal pour calmer une section de moyens en ébullition, mais il correspond remarquablement bien à leur besoin de motricité.
Où tu lis, toi? Cécile Bergame, Magali Dulain, Didier jeunesse, 13€10
Dans cet inventaire à la Prévert, sont recensés tous les lieux de lecture affectionnés par les enfants. Et les adultes d’ailleurs, même si la cabane qui a oublié de grandir peut se révéler un peu juste pour nous autres.
Page de gauche, le texte, et une simple forme au trait orange pour styliser l’endroit nommé. Page de droite, l’image à fond perdu, colorée, fourmillante de détail, on s’y croirait.
Et puis, de temps en temps, une pleine page pour casser un peu le tempo et créer la surprise.
Certaines phrases sont des alexandrins, pas toutes et je le regrette. Mais toutes ont un rythme agréable à lire à voix haute, elles sont simples mais poétiques.
Quand on lit cet album avec des enfants qui savent déjà bien parler, le jeu s’instaure naturellement, chacun cite son petit coin préféré pour lire. Et souvent les enfants s’attachent à chercher l’endroit le plus improbable, ce qui peut donner lieu à de bonnes parties de rigolades.
Avec les grands lecteurs, on peut aussi s’amuser à reconnaitre les couvertures des livres représentés, le trait inimitable de Kveta Packovska, de Caude Ponti ou encore d’Hergé.
Les petits imagiers de Maria Jalibert: Bruits, éditions Didier jeunesse, 9€90
Depuis le très remarqué Bric-à-brac, Maria Jalibert a fait plusieurs albums qui tous mettent en scène des jouets de pacotille. Ils sont pleins d’humour, de rythme, d’inventions, mais aussi très structurés et ils prêtent généralement à la réflexion.
Dans les petits formats, aux pages cartonnées, on trouve Animaux, Couleurs et Bruits, mon préféré.
Ici, le texte se réduit la plupart du temps à des onomatopées et les objets sont réunis en fonction des sons qu’ils émettent.
Quand on le lit à voix haute, ça sonne, ça crisse, ça siffle, et ça claque.
Alors forcément, ça attire l’attention des bambins, même ceux qui sont occupés à jouer un peu plus loin s’approchent pour voir ce qui se passe.
Outre le texte très rythmé, tout en dialogues ou sons, les enfants sont passionnés par les images, qui sont tellement représentatives de leur univers. Ils jouent à comparer les différentes petites voitures, font semblant de se saisir du téléphone, s’interrogent sur certaines images et parfois affirment leur point de vue. Un petit garçon m’a par exemple expliqué que « Le monsieur on lui met un coup de marteau sur la tête parce qu’il est méchant. Voilà ». Ah? Ok.
Je relis souvent cet album plusieurs fois au même enfant et il n’est pas rare qu’un petit groupe se constitue pour écouter ensemble, chacun pointant du doigt ce qui l’intéresse le plus.
Et puis, toutes ces onomatopées, ça convient aussi très bien aux bébés, en plus ça évite la question qu’on me pose trop souvent « mais est-ce qu’il comprend? »
C’est aussi un livre qui se prête parfaitement à la lecture avec des enfants allophones car il abolit la barrière de la langue (oui, je sais que les onomatopées se traduisent et changent selon les langues. N’empêche que quand on fait « bing », pour peu qu’on y mette un peu le ton, tout le monde s’y retrouve.)
Deux albums pour découvrir le monde et ses saveurs
Quoi de plus agréable, pour découvrir un pays, que de faire un tour au marché ? Lieu de rencontre et de gourmandise, on n’y vient pas seulement pour faire des achats mais pour le plaisir des odeurs, des saveurs, rencontrer les habitants et la cuisine locale.
Dans Bébé va au marché, alors que sa mère fait ses emplettes, le bambin est confortablement installé sur son dos, dans un pagne coloré. Sa petite bouille irrésistible ne laisse pas les marchands indifférents.
Madame Ade lui fait cadeau de six bananes. Le fripon en mange une et dépose les cinq autres dans le panier, sur la tête de sa mère qui ne s’aperçoit de rien. Un peu plus loin, ce sont cinq oranges qui lui sont offertes. Hop, une avalée, quatre dans le panier. Viennent ensuite quatre chin-chins sucrés, trois épis de maïs etc… A travers ce livre à compter, on découvre les fruits et les spécialités locales.
Les autrices nous font voyager en Afrique de l’ouest en évoquant le marché de leur enfance : Si l’agitation joyeuse se retrouve partout à travers le monde, d’autres éléments sont caractéristiques : La couleur de la peau, les tenues, les mets vendus etc… L’album offre ainsi un véritable dépaysement à l’enfant. La structure narrative répétitive offre un point de repère et permet d’anticiper sur la suite du récit.
La chute suscite l’amusement. Le lecteur se fait alors complice de bébé : Quand maman découvre son panier plein, elle loue la gentillesse de son petit qui, pense-t-elle, a sagement tout déposé dans le panier sans rien manger. Si cette fin plait tant aux enfants, c’est probablement parce qu’ils s’identifient au petit gourmand.
Plus surprenant, ils peuvent aussi s’identifier à un fermier indien, c’est le cas à la lecture deFalgu le fermier va au marché.
Tomates, coriandre, piments, œufs, la charrette de Falgu est bien chargée. Mais les bœufs trébuchent sur la route défoncée, et voilà les œufs fêlés. Plus loin, c’est une famille de canards qui traverse sans faire attention. Les bœufs pilent, les sacs glissent, les piments sont tout écrasés.
La route est encore longue et petit à petit, toutes les marchandises vont s’abîmer, Falgu n’a plus rien à vendre. Heureusement, il a l’idée d’emprunter une poêle et de transformer tout ça en délicieuses omelettes. Devant son étal une longue queue se forme et sa journée est sauvée.
Nous retrouvons ici les mêmes ingrédients que dans Bébé va au marché : Structure répétitive, chute qui évoque la malice du protagoniste…
Là encore, des marqueurs culturels forts sont associés à une histoire universelle.
Ces deux livres permettent aux enfants d’éprouver que l’on peut être semblable dans la différence en mettant en place un double processus d’identification et de différentiation.
En tant que professionnels de la petite enfance, nous avons à cœur d’éveiller les enfants à l’altérité. Ces deux lectures cultivent ces qualités. Cerise sur le gâteau, elles donneront peut-être envie aux enfants de découvrir la saveur du chin-chin sucré ou le bouquet de la coriandre, pour une découverte gourmande des autres cultures.
Une sieste à l’ombre, Françoise Legendre, Julia Sports, seuil Jeunesse, 12€90
Une fillette est installée sur une couverture à l’ombre d’un pommier. Petit à petit le sommeil la gagne, un rythme lent s’installe.
Chaque page montre un nouveau voyage onirique effectué par l’enfant, toujours accompagnée de sa couverture qui est la complice de ses aventures.
Elle devient tipi, désert, armure et même tempête.
Seulement quelques mots par pages, ce qui laisse les images capter toute l’attention des enfants.
Ils repèrent les couleurs de la couverture, rouge d’un côté, jaune de l’autre, qui font le fil conducteur de l’histoire.
Le voyage fait la part belle à la nature, beaucoup d’animaux sont présents et de nombreuses fleurs.
Mais aussi des objets plus incongrus, un ballon de foot que l’on retrouve à plusieurs reprises, une tasse a bec à la taille variable, un étrange cheval échappé d’un manège de bois.
Quand la sieste est terminée, l’ombre du pommier s’est déplacée, mais tiens, le ballon est toujours là, tout comme la tasse a bec, qui sont passés, avec la fillette et sa couverture de la réalité au monde imaginaire.
Une sieste à l’ombre est un bel album contemplatif, aux images un peu rétros, un peu japonisantes. Oui, je sais, c’est très à la mode au point d’avoir un petit air de déjà-vu. Mais ici c’est vraiment plein de charme alors on ne boude pas son plaisir.
Des poules et des œufs, Pauline Kalioujny, Thierry Magnier, 14€90
Dans le carton épais de la couverture un petit poussin est découpé.
C’est lui qui, des qu’on ouvre le livre, pose LA question : « Dis, maman, je suis né comment ? »
La réponse de la poule est la plus simple possible: « D’un œuf, et d’une poule et d’un coq, la poule a pondu l’œuf »
Mais, bien entendu, une nouvelle question survient, qui plonge le petit poussin dans cette réflexion sans fin: qui de la poule ou de l’œuf, est arrivé en premier.
Dans chaque page, l’élément clé est découpé, formant à gauche un jeu de profondeur, dans le quel œufs et poussins s’emboîtent, à la façon des poupées gigognes.
La répétition de l’image de plus en plus petite, évoque ce que l’on peut observer quand deux miroirs sont face à face.
Une représentation de l’infini, offerte aux très jeunes enfants.
Avec un texte et des formes très simples, un bel objet aux pages très solides (et une reliure en tissus, qui évite que les pages se séparent rapidement), Pauline Kalioujny parviens à proposer une petite réflexion philosophique pour les tout petits.
Coucou je te vois! Jeong-sun Choi, Hyeri Lee, Didier jeunesse, 9€
Sur la couverture blanche, la feuille verte et brillante (elle est vernie, comme le titre), attire immanquablement le regard. Et puis, ce visage dont on ne perçoit que les yeux et qui, pourtant, est expressif, ça intrigue.
L’album met en scène un jeu de coucou, différents animaux se cachant derrière des feuilles sur une première double-page, avant de se dévoiler sur la suivante.
Évidemment, un (gros) dinosaure qui se cache derrière une (petite) feuille, c’est pas super discret. Et ça amuse d’autant plus les jeunes lecteurs que le texte est en opposition puisqu’il prétend qu’il est « bien caché ».
Le tigre ne fait guerre mieux, et le chat est à peine plus discret.
Mais la petite grenouille, elle, est bien dissimulée. Jusqu’à ce qu’elle se mette à sauter, bien sûr.
D’une façon générale, l’album est plein de mouvement et d’humour, les expressions des animaux sont assez irrésistibles.
Le mélange de dessin au trait noir et de collage pour les feuilles, qui se détachent donc en couleur, est très réussi.
Le texte dialogué est court et sonne agréablement et la chute fonctionne très bien, autant avec les bambins qu’avec les adultes.
C’est un livre que je lis volontiers à des tout petits, on n’est jamais trop jeune pour jouer à coucou/caché (les études récentes montrent d’ailleurs que la permanence de l’objet est acquise dès le 2eme mois, si vous me croyez pas, je vous conseille cette formidable émission de France Culture qui l’explique bien mieux que je ne le ferais).
Mais il est adapté aussi aux enfants de deux ou trois ans, qui souvent se mettent en mouvement à sa lecture, ils se cachent eux-même ou sautent comme les personnages.
Quand Jeanne Ashbé s’empare de la comptine « un petit canard au bord de l’eau » ça donne un album très joli et, en apparence, très simple.
La couverture gaufrée aux couleurs contrastées attire le regard des enfants les plus jeunes (ce rouge profond est vraiment magnifique).
Mais autour de la comptine, en quelques mots à peine, se raconte une histoire.
Elle est portée par les images et le texte minimaliste mais aussi beaucoup par le rythme, qui s’impose naturellement au lecteur. Les moments d’attente et les accélérations servent le récit.
Il y est question de naître, de grandir, de surmonter sa peur et enfin de prendre son envol.
Les grandes préoccupations de l’enfance en somme.
Simplicité du trait, justesse des émotions, rythme, cet album est très finement travaillé et les enfants ne s’y trompent pas. Dans mes séances de lecture, il tient toujours ses promesses, les mouflets le choisissent volontiers, les bébés le regardent avec plaisir, les parents les plus sceptiques sont frappés par la réaction de leur bébé. Et moi, je n’ai pas de lassitude à le relire parce qu’il suscite toujours des réactions différentes. Chaque lecture est singulière et toujours plaisante.
Je vous propose de regarder cette vidéo pour vous en convaincre, si vous doutiez encore.