Pas orange, Giorgio Volpe, Paolo Proietti, éditions d’eux, 2022
La première chose qu’a vu Pallino, le petit manchot lorsqu’il est sorti de son œuf, c’est un monde tout blanc et froid. Mais aussitôt après, la silhouette de Tomo, l’ours blanc est apparue. Il l’a entouré de ses pattes douces et lui a chanté une berceuse. Et c’est protégé par ce papa enveloppant que Pallino a découvert le monde. D’abord, il y avait beaucoup de blanc, du gris et du bleu clair. Puis Tomo lui a montré le jaune des étoiles, les algues rouges. Il lui a appris à compter, à pêcher, à se défendre… Il semblait prêt à lui faire découvrir tous les recoins du monde, mais il y a une demande de Pallino à la quelle il n’accédait jamais. « Pas orange! » disait-il chaque fois, les yeux humides.
Un jour, une colonie de manchots s’installe à proximité. Ce sera pour le petit Tomo l’occasion de découvrir la couleur sur le bec de ses congénères mais cette découverte va rimer avec une séparation difficile entre le petit manchot et son papa ours.
L’histoire est tendre et poignante, les illustrations la portent avec force et douceur.
L’évidence de la relation entre le père adoptif et son petit n’éclipse pas le besoin d’émancipation, et la fin, qui réunit père et fils est très rassurante pour le jeune lecteur.
Ce duo auteur/illustrateur nous offre là son troisième album, tous se caractérisent par la tendresse des histoires comme des images.
Après, Hubert Poirot-Bourdain, La joie de lire, 2022, 19€90
Le narrateur est posté sur une colline, jumelles aux yeux, il scrute au loin. Derrière lui, la silhouette d’un chien, à l’arrêt, une patte en l’air, il semble prêt à s’élancer droit devant. Nous suivons le regard du garçon et nous nous éloignons du petit drapeau rouge qui est planté à ses côtés. Il y a la route qui serpente, la vieille maison en ruines, les dunes. Après il y a la plage, les rochers puis la mer. Le garçon est hors champ maintenant, mais sa voix nous accompagne et décrit le paysage qui se déroule d’une page à l’autre. On peut alors déployer les pages du livre paravent et garder une continuité, avec son format à l’italienne il forme une longue frise, de cinq mètres de long.
Difficile alors de l’ouvrir complètement, il faut renoncer à la complète continuité, garder les premières pages en souvenir et ne plus les avoir sous les yeux, pour laisser de la place aux suivantes.
Le trajet qui nous allons effectuer ensemble est long, il traverse la mer pour aborder une nouvelle côte, nous allons découvrir des paysages qui répondent en échos à ceux que nous avons quittés (on y trouve également de grandes étendues aux couleurs allant du jaune au vert, où ondule une route) tout en étant différents.
C’est donc une presque symétrie dont nous faisons l’expérience.
Et en dernière page, nous découvrons ce vers qui tend le regard du personnage, c’est le moment de la rencontre. Amicale? Amoureuse? L’histoire ne le dit pas, à nous de poursuivre le chemin.
J’aime la façon dont la forme même de l’album nous incite à penser le temps et l’espace. Chaque page nous ancre dans un moment présent qui prend sens par celles qui précèdent et suivent. Le texte est court et descriptif,rythmé par la répétition systématique du mot « après », le trait extrêmement lisible. Cet album peut donc être proposé dès le plus jeune âge et sera compris différemment selon les compétences de chaque enfant.
La belle pierre, Anne Sofie Allermann, Anna Margrethe Kjærgaard, format, 2022, 16€90
Olivier trouve une belle pierre en jouant sur la plage. Comme elle a la forme d’un pingouin, il confectionne un cirque, dont la pierre sera l’attraction principale. Ophélia arrive, mais elle, elle voit plutôt un phoque dans la forme de la roche.
Tiens, c’est vrai, selon l’angle par lequel on la regarde la pierre peut aussi être un phoque. Le jeu se poursuit. Vient Oskar, qui voit très clairement un requin. Olivier aime que sa pierre puisse changer selon le regard des gens. Nous, lecteurs, pouvons adopter le point de vue de chacun des enfants tour à tour, l’illustration parvient à rendre cette pierre toujours pareille et toujours changeante. Il n’y a rien de plus stable, de plus immuable, qu’un caillou, mais le point de vue, n’est-ce pas, façonne aussi l’objet qui est regardé. Tel est le propos premier de l’album. La journée se poursuit, les enfants profitent d’une après-midi à la plage.
C’est seulement en toute fin d’album que l’histoire prend un sens nouveau qui nous invite à relire le livre avec un autre regard (oui, je vous l’avais dit que cette histoire de regard était centrale). Alors que les enfants jouent, une voix venue d’un personnage hors champ les interpelle, on suppose qu’il s’agit des parents de l’un ou de l’autre (ou est-ce une fratrie?)
« Ophélia, Oskar, Olivia, on mange ». Olivier répond qu’il n’aime pas être appelé Olivia, et on lui rétorque que c’est pourtant son prénom.
A la lumière de cette information, on relit l’album et on interprète des signes qui nous avaient généralement échappés à la première lecture. Le moment où Olivier perd son maillot de bain, ce qui amuse les deux autres, n’est pas aussi anecdotique qu’on pouvait le croire. Ni le fait que ce personnage ne soit jamais genré, ni au masculin ni au féminin, toujours nommé par son prénom. Ses lunettes, étrangement dissymétriques sur la couverture sont également porteuses de sens. Tout comme ce haut de maillot de bain noir, qui semble abandonné sur une serviette, et qui est mis en valeur par la quatrième de couverture.
C’est donc avec une grande simplicité apparente, mais avec une maîtrise totale tant dans le texte que dans l’image que la question de l’identité de genre est abordée.
Le texte court, agréable à lire, et la qualité des illustrations font de cet album un petit régal, que l’on soit ou non intéressé par la question.
L’étranger, Chris Van Allsburg, éditions d’Eux, 2022, 18€ Le fermier Bailey roulait fenêtres ouvertes, sifflotant avec insouciance dans l’air encore chaud de l’été finissant, quand il a percuté l’homme.
Inquiet, il ramène l’inconnu chez lui et fait venir un docteur. Le blessé ne dit pas un mot, il semble avoir perdu la mémoire.
L’image ne montre d’abord pas l’étranger, ce qui contribue à le rendre mystérieux, inquiétant même. Qui est cet homme que l’on n’a jamais vu dans le voisinage, étrangement vêtu, qui ne parle pas? Pourtant, il est rapidement adopté par la famille Bailey. La journée il travaille dur, le soir il aime observer les oiseaux, en compagnie de Katy, la fillette de la famille. Il entretient manifestement un lien particulier avec la nature. C’est bizarre, en sa compagnie les jours passent mais le temps ne change pas. À la ferme, les feuilles des arbres restent vertes. Où est donc passé l’automne?
Il se dégage souvent dans les albums de Chris Van Allsburg (Jumanji,Boréal express) une atmosphère douce nimbée de mystère. Ce sont des ouvrages qui laissent beaucoup de place au doute et à la nuance des sentiments.
Les images, réalisées aux crayons de couleurs, sont d’une extrême précision. Elles montrent le bonheur de la famille en compagnie de l’étranger, la générosité de la nature, la beauté des paysages.
Alors que souvent les visages des personnages sont dissimulés, celui de l’étranger est à deux reprises montré de face, avec un regard particulièrement évocateur.
Outre la prouesse graphique, j’apprécie dans cet album la subtilité de l’histoire, qui nous invite à accueillir l’autre avec son étrangeté et non malgréelle.
C’est dans une rose que le bébé a été trouvé. Pas bien gros, mais déjà capable de s’affirmer, il s’est mis à brailler dès qu’il a été porté. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’une petite fille, qui fut baptisée Frédégonde. Elle avait fort caractère, faisant fi des poupées elle aimait jouer avec une épée en bois, et un petit tambour. Mais Frédégonde n’était pas une enfant comme les autres. Oh, je ne dis pas ça uniquement parce qu’elle était une forte tête. C’est surtout qu’elle avait un don incroyable. Celui de voyager dans le temps, au son de son petit tambour. Quand elle prononçait les mots « Rutabaga, topinambour et salsifis », elle filait d’un siècle à l’autre. Très pratique pour éviter les fâcheux et autre réprimandes. Avec elle nous traversons les siècles et c’est l’occasion de voir comment les fillettes sont canalisées, corsetées, enrubannées, et cela ne lui plaît pas beaucoup.
De pages en page on la voit Frédégonde les autrices nous offrent une histoire du costume, très documentée et fabuleusement illustrée. Fraises, coiffes et crinolines sont représentées avec précision, accompagné du vocabulaire spécifique.
C’est très joli et cela mérite bien son grand format (et cette couverture aux lettres dorées! etfluo éclatant!)
Mais bien sûr, ce que j’aime le plus, c’est c’est de voir cette fille devenir femme, épanouie et toujours très libre, qui se déguise en garçon si elle le souhaite, pilote des avions et ne cherche jamais son épanouissement dans le couple. On est loin de l’image de la princesse récompense qui attend sagement que !
Dessus dessous devant dedans, Fanny Pageaud, les grandes personnes, 2022, 20€
Quand un tout petit découvre un objet, il le fait avec tous ses sens, et son exploration se veut exhaustive. Il le tourne dans tous les sens, le secoue pour voir s’il produit du bruit, le respire, le goûte, le gratte. Il prend son temps et s’applique à expérimenter pour mieux saisir la forme, la matière et en tirer des conclusions sur l’usage (le livre d’ailleurs n’échappe pas à cet examen minutieux). Fanny Pageaud est sans doute restée un peu enfant, quand elle s’intéresse à un jouet elle en fait le tour, le tourne et le retourne, observe toutes ses coutures. Puis elle nous livre ses découvertes sous la forme de dessins d’une extrême précision.
Ainsi elle nous montre neuf objets qui sont présents dans le quotidien de l’enfant sous ses différentes facettes: dessus, dessous, devant, dedans. Quatre prises de vues différentes, qui se déploient sur deux doubles pages. D’abord, en vis-à-vis le dessus et le dessous, l’image n’est généralement pas très lisible. Quelle est donc cette étrange forme ronde?
Puis en tournant la page, on le découvre de face, on l’identifie alors à coup sûr. On peut alors soulever le volet qui cache son intérieur, parfois étonnant. Enfin, l’objet est mis en situation, tel qu’on peut le voir lorsqu’un enfant joue avec, parfois en relation avec les objets précédents. Cette association rappelle la libre association à laquelle s’adonnent les enfants quand ils s’amusent, mélangeant allègrement le canard en plastique, le train de bois et le maracas par exemple.
On tente de deviner de quoi il s’agit, souvent on peine à la première lecture, puis on a plaisir à revenir en arrière pour mieux comprendre l’image.
Les illustrations sont réalisées aux crayons de couleur, elles sont impressionnantes de précision et de rigueur.
Enfin, l’album se termine par une mise en abîme savoureuse, qui ravira les enfants.
Océanomania, Arnaud Roi, Joanna Prime, Charlotte Molat, Milan 2022, 24€90 Il faut bien un format cinérama pour évoquer les merveilles des profondeurs marines.
Ce documentaire s’ouvre comme un calendrier, dans le sens de la hauteur, et se présente d’abord sous une forme assez classique: Une image pleine page en haut, en format horizontal (note pour mes étudiants: rappelez le vous, on l’a vu en cours, c’est ce qu’on nomme un format à l’italienne), avec le nom de chaque animal écrit en lettre discrètes pour s’insérer dans l’image sans la gêner. Sur la page en dessous, le texte typiquement documentaire, nous donne des informations sur chaque animal et un encadré plus général sur l’environnement (océan Atlantique, mer Méditerranée, barrière de corail etc)
C’est quand on déplie cette page qu’apparaît le pop-up et que la curiosité laisse place à l’émerveillement. Le décor se déploie en trois dimensions, plus immersif encore, avec parfois des caches à soulever ou des détails cachés au dos des images. On soulève, on tourne l’album dans tous les sens et on découvre avec joie les trésors dissimulés.
Les couleurs dominantes changent au fil des pages pour arriver à un bleu profond à la dernière page, celle consacrée aux abysses et à ses créatures particulièrement étranges.
Océanomania est une bonne idée de cadeau de noël pour les enfants passionnés par les poissons ou l’environnement, dans lequel nous, adultes, avons aussi beaucoup à découvrir.
Des albums à ne pas rater, il en sort toutes les semaines. Et moi, je n’ai malheureusement pas toujours la possibilité de les chroniquer tous, croyez bien que je le regrette. C’est pourquoi de temps en temps je fais un billet pour attirer votre attention sur des albums que je vous conseille vivement d’aller voir de plus près! Après les tomes 1, 2 et 3, voilà le 4eme.
Le grand inventaire des petits plaisirs de Luchien, Frédéric Stehr, Pastel
Les albums de Frédéric Stehr sont toujours des petits bonbons, des concentrés de tendresse et de douceur. J’aime son trait, son humour, l’expressivité de ses personnages. Ici il nous entraîne aux côtés d’un petit chien joyeux, foufou et qui semble être l’incarnation de la joie de vivre enfantine. Luchien, c’est un peu un enfant qui serait émancipé des normes sociétales et qui peut donc sauter dans la boue ou se laisser aller à la gourmandise sans complexe. Un pur bonheur!
Le secret du capitaine, Stéphane Poulin, Jean Leroy, Pastel
La petite Valia, mousse à bord de l’intrépide, admire beaucoup le capitaine, elle aspire à lui ressembler. Pour cela, elle doit se montrer courageuse et forte! Quand un incendie éclate sur le bateau, elle n’hésite pas à affronter les flammes pour lui venir en aide. Ce sera l’occasion de découvrir qu’il cache un secret et surtout un cœur tendre, loin de l’image de gros dur qu’elle s’en faisait. L’histoire est très sympa et le texte court agréable à lire à voix haute. Et les grandes images sont toutes de véritables tableaux, magnifiques!
Un jardin gros comme l’univers, Estelle Vonfeldt A2mimo
Katerina aime s’occuper des fleurs, mais elle ne supporte pas de les voir se faner alors la nuit, ses grands-parents remplacent discrètement les fleurs, pour lui éviter du chagrin. Mais les fleurs éternelles ont-elles autant de charmes que celles qui sont éphémères?
Une jolie réflexion sur la mort et l’écologie à travers cette histoire, servie par de très jolies illustrations.
Seul à la maison, Naoko Machida, le cosmographe
Vous pensez qu’en votre absence votre chat passe son temps à dormir sur le canapé? Détrompez-vous. C’est par un passage secret que le matou quitte l’appartement, il se rend dans un monde félin où il peut profiter d’un bon repas de sushi, se rendre en librairie (il adore les livres, surtout les coins!) ou encore se délasser aux bains. Et pendant ce temps à la maison, que se passe-t-il? Oh, pas grand-chose… Un album très sympa sur la vie quotidienne d’un chat et une visite du Japon.
Matou blues, Lane Smith, Gallimard jeunesse
Rester toute la journée enfermé dans une maison, c’est pas une vie pour un chat, j’vous l’dis, moi. En plus, le rayon de soleil s’est éloigné, manquait plus que ça. Et puis elle est où la pâtée? J’ai dit la pâtée, pas les croquette, youhou, faut écouter quand-même, quand je dis « Miaou » c’est pâté voyons, c’est clair oui ou non?
J’avais déjà succombé à l’humour de Lane Smith dans « C’est un livre », ici j’adore l’air courroucé du chat furax. Il est super expressif et presque aussi attachant que méchant. Il y a d’autres titres semblables à celui-là, Banquise Blues et Girafe Blues, j’avoue ne pas les avoir lus (oui, j’ai une attirance particulière pour les félins)
Arnold, tout ce que je suis, Didier Lévy, Anne-Lise Boutin, Helvetiq. Arnold est un enfant à l’humeur changeante, comme tous les enfants. A la première personne, il nous raconte les différentes émotions qui le traversent. L’image bicolore et très jolie complète le texte concis. Pour illustrer plus précisément chaque sentiment, le prénom de l’enfant est reproduit sur chaque page d’une façon différente. Énorme et prenant beaucoup de place quand il roule des mécaniques devant ses copains, lettres dispersées et minuscules quand il se sent minuscule face à l’immensité du ciel, barré les jours où il dit non à tout etc.
Le procédé est très efficace pour mettre en image les émotions.
Cabane, Amandine Laprun, Actes Sud junior
Vous vous souvenez du livre carrousel en forme d’arbre? La même autrice en a sorti un autre récemment (il y a aussi eu celui en forme de chapiteau entre temps qui à l’air sympa) et cette fois c’est une cabane en forêt. Deux enfants s’affairent au fil des pages (sans texte toujours) pour construire puis investir leur cabane, y faire du feu, y dormir aussi parfois. Ils jouent, se déguisent, invitent des amis à participer. Autour on voit la nature évoluer, le passage des animaux. Une vraie bouffée de fraîcheur.
Les animaux, Bastien Contraire, La partie
C’est un pari osé que Bastien Contraire s’est lancé à lui même dans cet album: représenter les animaux uniquement en les nommant et avec un gros rond de couleur sur la page. Mais qui a dit que les jeunes enfants n’avaient pas le sens de l’abstraction? Le grand format, le fond blanc, la forme harmonieuse attirent leur regard. Et quand un adulte lit le nom de l’animal, on peut être certain que l’enfant s’en fait une représentation mentale. Cet album n’est donc pas seulement original, il fait fonctionner le petit cerveau des mouflets et ça, c’est chouette. Je vous conseille vraiment de le tester, les réactions qu’il suscite sont assez étonnantes!
Dans la petite maison, Marie-France Painset, Atelier Saje, Didier jeunesse
Ce nouvel album reprend presque à l’identique le texte de l’album sorti en 2010, avec des images totalement différentes. Ici c’est l’aspect gigogne des petites maisons qui est mis en avant par un jeu de caches superposés les uns aux autres sur une page unique. Sous les rabats, deux koalas, un grand et un petit, partagent une vie quotidienne pleine de tendresse. C’est généralement cet aspect qui retient l’attention des jeunes lecteurs, plus que les couleurs de chaque maison. Les illustrations sont très graphiques, comme c’est le cas pour les autres albums signés par l’atelier Saje.
Le fils de l’arbre, Emma Robert, Mélodie Baschet, A2mimo
Depuis toujours il vit avec l’arbre qui prend soin de lui. Mais l’enfant se rend compte qu’il est différent, il n’a pas de racines, son écorce est douce alors que celle de l’arbre est rugueuse. Tous ses amis ressemblent à leurs parents mais dans la forêt, rien ne ressemble au garçon. Qui est-il alors? En quête d’identité l’enfant cherche les hommes et s’interroge pour savoir où est sa place. Les illustrations sont vraiment saisissantes, je vous conseille d’aller les voir sur le site de l’éditeur, elles méritent le détour.
Fred s’habille, Peter Brown, kaléidoscope
On sent qu’il a le sens de sa liberté, ce petit Fred qui se promène fièrement les fesses à l’air dans l’appartement. S’il consent à s’habiller, c’est avec les vêtements de ses parents. Mais ceux de son père sont tristes et ternes, ceux de sa mère sont bien plus attractifs. Une petite touche de maquillage pour aller avec et le voilà fin prêt. Et papa et maman? Ils vont se prêter au jeu, eux aussi!
Un album léger, plein de fraîcheur et bien sympathique pour ne pas se laisser enfermer dans les stéréotypes de genre.
24 décembre, Arthur Drouin, Geneviève Després, d’Eux
Sur la banquise, Montmartre le renne et Fanny le lièvre ont décidé de fêter noël. Ils ont une vague idée de la façon dont les choses doivent se passer, mais parviendront-ils à faire venir le gros monsieur qui distribue des cadeaux? Une cheminée façonnée dans la neige, des vieilles chaussures en guise de chaussettes, ils ne manquent pas d’imagination, et au fil de leur organisation, voyant à quel point ils s’amusent, de nombreux animaux se joignent à leurs efforts. Une jolie histoire de noël, simple et adorable, assez inattendue aussi. Et ces illustrations! Pleines de tendresses et d’humour! On craque vraiment pour les petites bouilles des animaux.
La petite souris et le père noël, Laurent et Olivier Souillé, Florian Pigé, kaléidoscope
Allez, on reste dans l’ambiance noël, avec ce sympathique album qui croise l’histoire de la petite souris et celle du père noël, avec même une pointe de lapin de pâques! La petite souris s’ennuie dans son travail. Depuis qu’elle a automatisée la fabrication des pièces qu’elle donne en échange des dents de lait, tout est trop facile. Et puis, cela fait tellement longtemps qu’elle fait cela. Alors elle songe qu’elle pourrait aller voir du côté du père Noël si la fonction est plus intéressante. J’aime beaucoup les illustrations qui complètent savoureusement l’histoire, l’originalité de l’histoire et la pointe d’humour qui s’en dégage.
Un ours sans histoire, Christian Merveille, Laurent Simon, Nordsud
Il ne lui arrive pas grand chose à Ours, juste il vit sa vie d’ours en se promenant dans la forêt. Mais ce faisant il croise de nombreux animaux qui, suite à déverses péripéties ont besoin d’aide. Ours, naturellement, leur donne un coup de main, tout en soulignant que, décidément, il n’a pas d’histoire propre. Pourtant, dès le lendemain, c’est lui dont tout le monde parle, celui qui a aidé tant d’animaux! Le texte est poétique et rythmé, les illustrations douces et jolies, et le message très plaisant pour les enfants qui aimeraient bien, eux aussi, romancer un peu leur vie quotidienne.
L’étrange voyage de madame Maguerite, Salah Naoura, Britta Teckentrup, Minedition
Comme elle est belle cette couverture, n’est-ce pas? Et l’histoire l’est tout autant. Madame Marguerite vit dans une maison sur un pont, elle y fabrique des flûtes. Mais quand elle en joue, elle subit la colère des voisins qui n’apprécient pas le bruit. Un jour, elle recueille un bébé abandonné, mais quand il pleure, les voisins une fois de plus se plaignent. Ils râlent aussi quand elle adopte un chien, un chat ou un perroquet. Mais cela n’entame pas la générosité de Marguerite, qui toujours ouvre sa maison et son cœur. Au terme d’un voyage totalement improbable, elle trouvera une terre d’accueil pour elle et les siens.
Qui a fait ça? Elsa Mroziewcz, Minedition, 2022, 12€90
J’avais déjà beaucoup apprécié le coup de crayon d’Elsa Mroziewcz quand j’ai découvert son précédent album, Devine qui je suis? et son pliage astucieux qui permet aux animaux de se déployer sur des pages triangulaires qui épousent leurs formes.
Ici encore elle joue avec la forme de l’album, avec des pages percées, découpées, pliées.
Elle a aussi gardé la forme livre jeu avec des questions/réponses. On se demande tour à tour qui a griffé le livre, qui a fait caca dessus, qui l’a croqué etc. Des indices permettent au lecteur aguerri de trouver de quel animal il s’agit, mais c’est plus souvent la relecture qui permet aux enfants de trouver à coup sûr. C’est toujours un grand plaisir pour eux de retrouver le même livre, de constater que les choses y sont pareilles à la dernière lecture et qu’ils le maîtrisent de plus en plus. On peut les observer, tournant les pages de l’album aimé et maintes fois lu, annonçant le nom de l’animal qui va apparaître sous le rabat, constatant avec satisfaction que c’est bien le chat, ou le loup, comme ils l’avaient annoncé. Des créatures un tout petit peu effrayantes côtoient les animaux les plus pacifiques (l’escargot qui a bavé sur le livre par exemple) et tous sont joyeusement colorés. C’est d’ailleurs vraiment le dessin que j’apprécie beaucoup, plus encore que l’humour ou la chute qui fonctionne très bien. Les couleurs éclatantes, les motifs improbables et la bouille expressive des animaux plaisent aux enfants autant qu’à moi.
La visite, Louison Nielman, Jean-Claude Alphen, d’Eux, 2022, 17€
Paul est un humain, adulte manifestement, qui se promène dans la forêt. Quand il tombe sur un ours gigantesque, il est effrayé. Le face à face, lui sur la page de gauche, l’ours sur celle de droite, le montre bien petit devant la silhouette imposante, massive et sombre de l’animal.
Il s’éloigne rapidement, mais l’ours se trompe sur ses intentions, il pense qu’il s’agit d’un jeu et le suit. Quand ils arrivent en ville, la présence de l’animal qui dépasse les maisons fait peur à tout le monde et personne n’ose sortir. Lui est toujours persuadé qu’il s’agit d’un jeu et il cherche son nouveau camarade. Tout au long de l’album, le point de vue et l’ours et celui de l’homme sont exprimés alternativement par le texte. Mais comme ils ne parlent pas la même langue, le malentendu perdure un moment.
Comment se rencontrer vraiment, créer une amitié quand on est à ce point différent? Il faut dépasser sa peur de l’inconnu, tenter de se faire comprendre et faire preuve de générosité. Observer l’autre, agir comme lui, faire des hypothèses.
Viennent ensuite le temps de la séparation, puis celui des retrouvailles.
Le dessin est très sobre, avec peu de couleurs. Le texte se garde bien de toute fioriture également. Mais les sentiments sont finement exprimés par l’un comme par l’autre.
La visite de l’ours à l’humain ou celle de Paul au tardigrade vont permettre qu’entre eux naisse une amitié solide.
C’est un album d’une grande force qui montre très simplement une évidence: il faut rester ouvert à la différence, ce serait dommage de passer à côté d’une amitié à cause de nos préjugés sur les autres.