Tom et Sim s’aiment, alors ils aménagent ensemble. Un soir, ils partagent une pomme d’amour et lancent le trognon dans le jardin. Il n’en faut pas plus pour qu’un petit pommier pousse, un petit pommier d’amour. À ce stade c’est déjà une histoire toute tendre et la clarté des illustrations, qui jouent sur la transparence soutient parfaitement le propos.
Un matin, les deux amoureux trouvent leur maison dans un désordre total. Mais qui a bien pu venir ainsi chambouler leur vie? La scène se reproduit alors ils décident de veiller une nuit pour en avoir le cœur net. Ils découvrent alors deux petites fillettes, aux joues rondes et roses comme des pommes, des friponnes qui s’amusent à tout chambarder sur leur passage. Mais ce sont elles les plus effrayées quand elles se retrouvent nez à nez avec Tom et Sim. Elles tentent de s’enfuir et trébuchent. Alors, les deux hommes prennent les petites dans les bras, ils les câlinent et les consolent, que pourraient-ils faire d’autre? Les mouflettes s’endorment très naturellement et c’est le début d’une nouvelle aventure, une histoire d’amour bien sûr, et de famille, et d’adoption.
J’adore les deux gamines qui ressemblent à des lutins facétieux, le texte comme l’image rendent tellement bien l’énergie débordante des petits quand ils sont d’humeur friponne! On trouve dans le texte de Praline Pay-Para (qui est conteuse) des formules et des péripéties qui évoquent les contes: la graine magique qui permet une naissance miraculeuse, l’adresse directement au lecteur/auditeur dans la formule de fin et bien sûr le travail sur le rythme qui rend les phrases très agréables à lire à voix haute.
Le bouleversement lié à l’arrivé de non pas un mais deux enfants dans une famille est aussi très bien amené, tout comme la tendresse de la relation pères-filles. Un bien bel album, vraiment.
Ils sont sortis ces derniers temps, ils sont chouettes et mériteraient un article rien que pour eux si j’avais plus le temps, voilà les références d’albums qui ont retenu mon attention.
Mon petit lapin, Nathalie Dieterlé, Didier jeunesse, 2024, 11€50
L’autrice illustratrice poursuit son exploration des comptines pour petits dans un format album cartonné avec des trous et/ou rabats. On se laisse volontiers entrainer par la ritournelle bien connue, augmentée de deux nouveaux couplets qui créent la surprise. La chute invite à un jeu de chatouille avec les bébés, ils vont adorer! Et les parents vont s’en donner à cœur joie. Ici l’accent n’est pas porté sur le larcin du petit lapin qui vole une salade au fermier mais plutôt sur le jeu de coucou, une valeur sûre qui ravit toujours les petits.
J’aime beaucoup les variations offertes par les différentes versions qui font vivre et évoluer les comptines traditionnelles, un genre par nature en constante transformation car issue de l’oralité.
Deux petits albums cartonnés, au texte joliment rimé qui mettent en scène un jeune enfant de jour et de nuit. Le texte court, les images bien contrastées, l’utilisation du noir et blanc qui domine et de la couleur qui vient petit à petit, tout fonctionne très bien.
On ne sait pas qui est le narrateur invisible qui s’adresse à son « trésor » mais on ressent la tendresse de la relation et l’amour qui transpire du surnom, il peut s’agir du père, de la mère ou de n’importe quel adulte qui porte sur l’enfant un regard plein d’affection. Les deux albums se terminent par une très belle double page qui suscite généralement des exclamations chez les petits lecteurs.
L’idéal c’est de les avoir tous les deux, car ils forment un tout et s’enrichissent mutuellement, chacun incite à relire le précédent.
.
Ce petit moment, Elo, Sarbacane, 2024, 15€50
Il n’y a pas que les petits formats qui sont adaptés aux petites mains des petits bébés. Un beau grand format c’est intéressant aussi, plus immersif, le regard du mouflet peut s’y attarder.
Dans cet album destiné au premier âge, Elo navigue entre l’imagier et la petite histoire du quotidien du bébé. C’est tout tendre. En quatrième de couverture, un petit mode d’emploi de la lecture avec les petits, a titre personnel je n’en suis pas fan (et je ne comprends pas très bien pourquoi il faudrait lire à un moment « loin des repas ») mais ça peut aider les parents s’ils sont un peu perdus, et puis on ne dit jamais assez à quel point c’est important et adapté de lire aux tout-petits. Pour plus de détails, voir la chronique de Sophie Van der Linden.
.
Le monde est immense, Anne Cortey, Marion Coclkico, Grasset jeunesse, 2024, 16€90
Un petit bambin, haut comme trois pommes, face à une fenêtre trop haute pour lui. Mais il sait que de l’autre côté, le monde est immense. Tout comme sa soif de grandir et de liberté sans doute. Hop, il grimpe sur une chaise, toutes ces merveilles s’offrent alors à lui! A travers ses yeux, on découvre la beauté de la nature, et on partage son besoin d’émancipation… Jusqu’à un certain point : retrouver les bras rassurants de maman, c’est chouette aussi! J’aime beaucoup cette histoire de séparation qui, pour une fois, est initiée par l’enfant lui même, et qui n’est pas synonyme de peur mais d’autonomie. Les images en papier découpé et collé sont ombrées ce qui leur donne de la profondeur, elles sont très belles et épurées, les enfants comme les adultes ont plaisir à les lire.
.
Choco train, Adrien Albert, l’école des loisirs, 2024, 13€
Vous vous souvenez de la grand-mère de chouchou? Elle avait la classe, hein. Figurez vous qu’elle est la protagoniste de ce nouvel album, et croyez-moi, ça remue toujours autant avec elle! Une histoire d’anniversaire, de train et de gourmandise, avec une course poursuite à faire pâlir d’envie James Bond, mais aussi de l’amour et de l’humour.
C’est drôle et plein d’énergie, Adrien Albert mène son histoire tambours battants, il nous entraine et le petit lecteur avec nous dans des rebondissement les plus inattendus. Bon, ne comptez pas trop sur ce livre pour le « retour au calme », mais pour passer un bon moment y’a pas mieux! Et puis quelle chouette représentation de la vieillesse, ça change un peu!
.
Opération poule mouillée, Lu Fraser, Sarah Warburton, Little Urban, 2024, 14€50
Marge, c’est une peureuse, une froussarde, une vraie poule mouillée! Et, bien qu’étant littéralement une poule, être trouillarde à ce point, ça lui pèse. Y’a UN truc qui semble la rassurer: tricoter. Quand quelque chose l’inquiète, elle se plonge dans son ouvrage et tente d’oublier ce qui l’entoure. Quand sa pote, Anna la brebis se fait enlever, faut bien réagir pourtant! Si vous voulez voir une poule déterminée conduire un vieux tracteur sur un rythme endiablé, foncez! On craque pour l’humour dans les dessins et le rythme endiablé du texte.
Cet album peut être l’occasion pour les petits de dédramatiser la peur et le manque de courage que tous ressentent de temps en temps.
.
Le cauchemar du loup, François Vincent, Marion Piffaretti, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Quand un loup menace de le dévorer, Gaspard s’en sort en lui proposant de le nourrir tous les jours de mets délicieux. Las, il n’a aucun des ingrédients nécessaires. Alors avec son épouse Gertrude, ils mettent un plan au point. Une marmite d’eau bouillante plus tard, le loup en prend pour son grade. Le souvenir de cette belle frousse sera-t-il suffisant pour tenir le prédateur éloigné définitivement? La littérature enfantine regorge de loups bernés par des humains plus malins que lui, et on en est généralement friands. Avec la verve de François Vincent (rien de tel qu’un conteur pour écrire un texte agréable en bouche) et le trait de Marion Piffaretti pour une touche d’humour supplémentaire, c’est un sans faute.
.
Poulain Poulet et Poussin, Michaël Escoffier, Ella Charbon, éditions des éléphants, 2024, 13
Poulain, c’est l’incarnation de la frivolité enfantine, il est libre, joyeux, tout foufou et il a l’esprit d’aventure. Poussin, c’est le tout petit, tellement petit qu’il y a plein de trucs qu’il ne peut pas faire. Et Poulet, tout poulet qu’il est, c’est un genre de maman poule, qui veille sur Poussin au point d’être une véritable entrave à son désir d’émancipation. Le texte joue sur les allitération sur le son P et il est joliment rythmé, les illustrations attractives et colorées, au point qu’à la première lecture l’histoire peut presque passer au second plan derrière le plaisir des mots. Mais c’est une histoire de prise de risque, d’aventure et de liberté, moins anodine qu’on pourrait le penser pour le jeune enfant, qui prendra beaucoup de plaisir à feuilleter ce petit album cartonné.
.
Le cadeau, Marjorie Béal, le diplodocus, 2024, 13€50
C’est super un cadeau, surtout quand il est bien emballé! D’abord il y a le ruban, qui peut devenir serpent ou lasso le temps d’un jeu. Puis l’emballage coloré, idéal pour faire un cerf-volant.
Sans parler du carton, le plus polyvalent des engins, quel gamin ne s’en est jamais fait une voiture, un avion? Ici, il devient bateau! Loin de l’image consumériste qu’on prête parfois aux enfants, c’est la créativité et l’imagination enfantine qui sont à l’honneur. Et au fait, dans qu’est-ce qu’il contient finalement ce cadeau? Pour le savoir, lisez le livre.
.
Train de nuit, Karine Guiton, Clémence Monnet, l’étagère du bas, 2024, 15€
Au milieu des passagers endormis, Zélie s’ennuie. Une musique venant de la voiture bar attire son attention, elle se glisse entre les rangées de sièges et part en exploration. Elle découvre alors un espace féérique, peuplé de créatures marines plutôt amicales, auxquelles elle se joint pour une nuit de rencontres et de jeux. Un verre de nectar de corail à la main, elle observe avec ses nouveaux amis le lever du soleil. Oh, il est temps de partir! Quand le jour est levé elle est de retour sur son siège, pile à temps pour le réveil de sa mère. Le voyage touche à sa fin, les passagers seront bientôt à la plage. Un joli voyage entre rêve et réalité, porté par des illustrations qui mêlent les techniques (peinture, crayon, collages) pour mieux rendre la diversité des sensations.
.
Didlidam Didlodom, Sabine De Greef, Pastel, 2024, 13
Il était un petit homme, didlidom, et une petite dame, didlidam, qui étaient voisins. Chacun avait ses possessions, canard, chien et mouton pour l’un, cache, poule et chat pour l’autre. Au milieu pousse un pommier et chacun profite de ses fruits. Jusqu’au jour où petit homme trouve que petite dame prend plus de pommes que lui, nondidoum nondidom, non mais ça, ça ne va pas!
Ils entrent alors dans une surenchère de consommation de pommes, jusqu’à ce que, patatras, leur petit monde n’y résiste pas. Heureusement, ils ne restent pas dans leur aveuglement et trouvent une solution bien plus adaptée que la concurrence. Avec ses allures de contes et ses illustrations adorables, cet album ravira les enfants dès deux ans, et pour nous adultes, il est vraiment très agréable en bouche.
.
Une boule de neige au printemps, Virginie Bergeret, l’étagère du bas, 2024, 16€
Dans un jardin au milieu de la ville, les enfants ont trouvé une petite boule blanche. Doux comme du coton, fragile comme un petit oiseau, il s’avère que c’est un lapin et qu’il est blessé. Les mouflets se mettent en tête de lui venir en aide, sans en référer aux adultes qui trouveraient sûrement quelque chose à redire au projet.
On suit le cheminement de ces enfants laissés assez libres eux-même qui vont se rendre compte petit à petit qu’un lapin ce n’est ni un jouet ni une peluche, et que sa place est dans la nature auprès des siens.
L’album n’est jamais ni mièvre ni moralisateur, il amène simplement chacun à réfléchir sur ce qu’est un être vivant et ce qu’on lui doit (lui porter secours si nécessaire et le laisser tranquille le reste du temps, en gros)
L’autrice poursuit sa série d’albums poétiques et délicats autour des grands phénomènes naturels, cette fois elle réussi le tour de force de m’enchanter avec un album sur la pluie.
Je déteste la pluie. Mais la première double page montre de magnifiques lupins en fleurs et il n’en faut pas plus pour me ravir. Comme dans les autres titres, elle met en scène des enfants épanouis et joyeux, qui se passent fort bien de la présence d’adulte, et jouent à l’extérieur. Il s’en dégage un profond sentiment de liberté, surtout quand les gouttes en tombant transforment le potager en gadoue, plaisir sensoriel suprême.
On retrouve comme dans les autres opus le vernis sélectif sur certains éléments de l’image, qui convient particulièrement pour mettre l’eau en valeur. Le texte qui est un véritable poème à hauteur de tout petit. Les pages cartonnées aux bords arrondis. Et en prime plein d’animaux adorables.
Ce sont vraiment des albums qui se sont imposés dans mon travail auprès des bébés, ils sont faciles à utiliser et séduisent autant parents et professionnels que les enfants eux-même.
Au point que j’espère qu’Anaïs Brunet va poursuivre la série (ce qui, a priori n’est pas dans ses projets). Je verrais bien un titre sur la brume. C’est joli aussi la brume, et ça permet d’amusants jeux de cache-cache. Oui, un titre sur la brume, ce serait bien.
Je reconnais être passée à côté des précédents, en raison de mon aversion pour ce sujet qui ne cesse d’être exploité en littérature enfantine, au point que j’ai atteint la saturation.
Pourtant, il faut avouer que ces petites créatures monochromes, poilues, aux yeux ronds comme des billes ont de quoi séduire. J’ai donc fini par aller voir de plus près et il faut avouer que cette série sort du lot.
Déjà on ne reste pas cantonnés aux cinq émotions habituellement présentés, ici elles sont une trentaine.
Bon, par contre, soyons honnêtes, on peut s’interroger sur le terme générique d’émotion quand parmi les personnages on trouve par exemple le bon sens, la mémoire ou encore l’imagination. Mais passons, on adhère, parce qu’on comprend qu’il s’agit de ce qui agite notre vie interne.
Chaque personnage est mis en scène dans une action qui permet de le comprendre plus qu’elle ne le définit formellement.
Quand par exemple le texte nous dit que la nostalgie s’immerge dans les profondeurs, ou que la mélancolie joue du violon, que cela est accompagné d’illustrations qui rendent sensible ce que ressentent les protagonistes, il n’est pas besoin de donner d’explication indigeste, l’enfant a tous les atouts en main pour éprouver ce que les autrices souhaitent décrire.
De ce point de vue l’album est une absolue réussite, il ne fait pas de leçon mais il est explicite.
Les créatures sont attachantes, sensibles, pleines de tendresses, et elles sont représentées avec grâce et délicatesse.
Il y a une vraie force évocatrices dans chaque image, chaque ligne de texte, c’est un beau travail. On peut proposer cette série d’albums dès cinq ans, peut-être même avant avec des enfants habitués aux histoires, ils se laisseront porter par les sentiments même les plus complexes qui sont montrés.
De l’autre côté, Alfredo Soderguit, Didier jeunesse, 2024, 14€
Sur la page de titre, un dessin au trait montre une vue plongeante sur deux maisons, et le contraste est saisissant.
L’une emplit la plus grande partie de la page, elle attire immédiatement le regard, pièces ont l’air immenses et éclairées par de grandes baies vitrées.
De l’autre côté de la haie, une maison modeste se tient dans un jardin arboré.
D’un côté, il y avait la maison de Francisca, de l’autre, celle d’Antonina. L’une vivait en ville, et ne venait que pour les vacances, l’autre habitait là.
Un jour, par le portillon resté ouvert, les deux fillettes se sont rencontrées. Elles ont joué ensemble et immédiatement se sont appréciées.
Si la différence de milieux sociaux entre les deux enfants saute aux yeux du lecteur, les deux protagonistes y sont totalement indifférentes.
Elles passent du jardin de l’une à celui de l’autre, jouent au bord de la piscine ou de la rivière, leur amitié est la chose la plus naturelle du monde, elle les occupe le temps d’un été. Elles sont toujours montrées sur un pied d’égalité, partagent exactement le même bonheur, la même insouciance enfantine, chacune à quelque chose à apporter à l’autre.
Puis le temps passe et leurs chemins s’éloignent. Pas parce que l’une est riche et l’autre pas, simplement parce que la vie est comme ça parfois. Ce n’est pas triste, elles passent simplement à autre chose, sans regret, chacune poursuit son chemin sereinement.
Le temps passe, elles grandissent et leurs vies sont montrées en parallèle. Aucune n’est supérieure à l’autre, elles sont différentes mais elles se valent. Rien, jamais, ne les met en opposition.
Il y a peu d’albums qui célèbrent l’amitié, encore moins qui abordent la question de la classe sociale, et à ma connaissance aucun qui le fasse avec tant de douceur, en montrant tout simplement cette évidence: la différence sociale ne fait pas la valeur, et n’empêche pas la rencontre ni l’amitié.
Au delà de leur complicité le temps d’un été il y a aussi la vie qui s’écoule, on les voit grandir jusqu’à l’âge adulte, elles ont chacune une fille, et l’histoire va se reproduire.
De l’autre côté est le troisième album d’Alfredo Soderguit édité par Didier jeunesse et à chaque fois son style graphique est radicalement différent du précédent. Il a publié une cinquantaine d’albums qui ne sont pas encore traduits, j’espère avoir l’occasion de les lire en Français un jour, il explore des thème rares en littérature enfantine.
Milo s’imagine le monde, Matt de la Pena, Christian Robinson, éditions d’eux, 2024, 20€ Quand Milo et sa grande sœur empruntent le métro pour leur trajet hebdomadaire, le petit garçon est tendu. Le trajet est fastidieux et les émotions qui traversent l’enfant le rendent fébrile. Excitation, inquiétude, embarras et amour nous dit-on. Voilà de quoi susciter notre curiosité, mais où peuvent-ils bien se rendre?
Pour mieux supporter le trajet, Milo s’imagine le monde, en observant les autres passagers. Dans son carnet de croquis il dessine une vie pour chacun. Ce petit garçon endimanché, il le voit en petit roi dans un château fort. Pour la dame en robe blanche il imagine une somptueuse cérémonie de mariage. Tout en poursuivant son jeu, Milo se demande ce que les autres pensent de son visage. Que peuvent-ils saisir de lui, le temps d’un trajet en métro? Cette question de l’image que l’on renvoie, de ce que l’on est vraiment, il se la pose encore alors qu’il est arrivé à destination et qu’à sa grande surprise le petit garçon endimanché va au même endroit que lui. Il réalise que pour chaque visage croisé il aurait pu imaginer une vie totalement différente.
Mais les voilà arrivés, sa grande sœur a enfin lâché le portable qui semblait greffé à sa main pendant tout le trajet. Ils passent les portiques de sécurité à la suite de l’enfant en costume, et retrouvent chacun leur mère. Elles portent des tenues orange, identiques, et serrent leurs enfants contre elles. Je suis vraiment impressionnée par la finesse dont font preuve ces auteurs, Christian Robinson et Matt de la Pena . Sans jamais être excessivement démonstratifs, sans faire de leçon, au fil des albums ils parlent du monde, de ses inégalités sociales, de l’universalité de certains sentiments, de la place de chacun. On pense inévitablement à un autre album qu’ils ont créé ensemble, dans lequel un enfant et sa grand-mère font un trajet en bus pour se rendre à la soupe populaire, où ils sont bénévoles. L’un comme l’autre, livre après livre, s’attachent à montrer ceux qu’on ne voit pas, à valoriser ceux qui sont habituellement dénigrés. Et ils le font avec humour, poésie, tendresse, toujours à hauteur d’enfant. Leurs livres sont à la fois nécessaires et divertissants.
En route, Atinuke, Angela Brooksbank, éditions des éléphants, 2024, 15€
C’est rare que je chronique tous les livres d’une même série, je crois même que c’est la première fois que ça m’arrive.
Mais il est rare aussi que j’ai un tel coup de cœur et que la série se renouvelle sans s’épuiser, sans que les albums ne soient redondants les uns des autres.
Voilà donc le quatrième opus de ce duo d’autrices, les autres sont là.
Cette fois, nous allons quitter le village, pour nous rendre avec les protagonistes dans la ville de Lagos. En route nous allons marcher dans la nuit, monter dans un bus, traverser des paysages de savane, croiser des animaux impressionnants, et tout cela avant même que la journée ne commence.
Les illustrations qui se déploient sous le ciel nocturne sont tout aussi jolies que celles des livres précédent.
Quand l’Afrique est représentée dans des albums pour enfant, c’est très souvent le milieu rural qui est montré. Pourtant, au Nigeria par exemple, où se passe cette histoire, 70% de la population vit en ville. Alors c’est chouette de voir cette famille arriver dans la métropole, de montrer l’ambiance qui y règne (Angela Brooksbank est très douée pour les scènes d’ensemble qui fourmillent de détails, on se plonge avec bonheur dans leur contemplation). Le texte fonctionne à l’économie: peu de mots, mais l’essentiel est là, on devine la chaleur des relations entre les protagonistes, et on partage les sensations qui les traverse pendant cette longue journée.
Panorama, Fanette Mellier, éditions du livre, 2022
En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars (programme complet ici) , je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont on peut les utiliser et la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Panorama est de ceux-là.
Après le livre magique, encore un livre étonnant signé Fanette Mellier. Cette fois-ci la couverture joue sa sobriété.
Notre regard est attiré par le chat au centre, le reste ne fait pas immédiatement sens, si ce n’est peut-être la forme qui évoque un œil en bas à gauche et la lune, que le regard identifie immédiatement, en haut à droite.
L’album s’ouvre en hauteur, format calendrier, il n’égraine pas les mois mais les heures.
Dans la première image on repère le fameux chat, juste à l’emplacement qui lui était réservé sur la couverture, un grand soleil brille en lieu et place de la lune et ce qui ressemblait à un œil est un reflet dans l’eau d’un puits.
La scène est statique, elle représente une maison et le paysage qui l’entoure.
On va retrouver exactement chaque élément, à la même place dans chaque page, seules les couleurs changent, et ce sont elles qui matérialisent le temps qui passe.
Les tonalités s’assombrissent de façon presque imperceptibles d’abord.
Selon les choix chromatiques, l’œil du lecteur est attiré par différents éléments de la page.
Et puis, bien sûr, il y a les aspirations de chacun.
Le petit K, 2 ans et demis, vadrouille dans la salle d’attente de la PMI depuis un moment. Je lui ai proposé de lui lire des histoires, il a décliné. Mais, me voyant feuilleter le livre seule, il vient voir. Il pointe immédiatement la forme ronde et s’exclame « Ballon, ballon! »
Ah, ça y est, j’ai mon accroche. Je lui propose de tourner les pages pour voir ce qu’il y a d’autre dans le livre. À chaque page il répète joyeusement « Ballon ». Je reconnais que c’est sans doute en ballon en effet (à vrai dire ma première hypothèse était plutôt une balle de paille, ce qui me semblait plus attendu dans un champ, mais peu importe, s’il voit un ballon c’est un ballon, s’il avait vu autre chose il aurait raison aussi).
Le même jour, S, (âgée de 6 ans trois quart m’a-t-elle dit) me demande des livres avec du texte parce que « je sais lire maintenant ». Je lui en propose plusieurs qui me semblent adaptés, puis pendant que je lis à un autre enfant je vois qu’elle explore les différents albums que j’ai laissés à disposition.
Je vois qu’elle feuillette Panorama puis s’y arrête.
Elle regarde longuement la première page, puis la suivante, et revient à la première.
Elle dit à voix haute « je trouve pas ». Puis « c’est bizarre… »
Je lui demande ce qu’elle ne trouve pas, elle me répond, comme s’il s’agissait d’une évidence « ben, les différences ». Puis elle ajoute « là c’est pas la même couleur mais c’est partout pas la même couleur ».
Finalement, nous avons regardé cet album ensemble assez longuement, en nous demandant ce qui changeait au fil des pages. Elle a rapidement compris que la nuit tombait, elle a également remarqué que le chat était toujours dans la même position mais elle lui prêtait des humeurs différentes selon les pages (« il a peur? » « Il est content! » « Là, il attend juste »).
Chaque enfant à sa façon de s’approprier Panorama, en fonction de ses habitudes (jeu des sept erreurs) ou de ses appétences (ballon).
J’ai un seul petit regret, je l’ai amené beaucoup sur les différents lieux où je travaille et j’ai finalement assez peu d’observations avec cet album, il est peu choisi. À mon avis cela ne tient pas à son contenu mais à sa couverture, qui n’attire pas beaucoup les enfants. C’est généralement quand je le présente ouvert qu’il va capter le regard.
Je suis toujours très heureuse qu’il soit choisi car il me semble qu’il offre aux enfants de nombreuses pistes de réflexion et qu’il aiguise leur sens de l’observation.
Quant à moi je mesure sa richesse au fait que je ne m’en lasse pas, chaque lecture me plonge dans un plaisir contemplatif.
C’est bien mon chéri, Julien Couty, la joie de lire, 2024, 14€90
Vous avez remarqué, on fustige toujours les écrans dans les mains des enfants mais on s’interroge encore assez peu sur l’effet délétère des écrans sur les enfants quand ce sont les adultes qui s’y adonnent. Dans cet album, les parents sont manifestement très absorbés par le smartphone qu’ils ont chacun greffé à la main. C’est pas des mauvais parents, hein. Ils font à manger, ils encouragent leur môme, ils ont l’air plutôt sympa/normaux. Mais, il faut l’avouer, ils sont peu attentifs. Aucun problème pour le gamin, lui aussi est occupé, il a des projets de construction. Aidé du chat (enfin, il aide comme les chats savent aider, quoi, c’est à dire qu’il se lâche la patte en regardant d’un œil), il se lance dans la construction d’une tour de dominos. Puis y ajoute les coussins du canapé pour plus de hauteur. Et la table basse. Hop, quelques portes de placard, et un échafaudage tant qu’à y être. Il commente chaque étape et obtient immanquablement le même commentaire parental « C’est bien mon chéri » prononcé mécaniquement par un adulte qui n’a toujours pas levé les yeux de son smartphone.
L’imagination du petit s’emballe et son pouvoir d’agir semble sans limite. Des ouvriers viennent lui prêter main forte, une serre tropicale est bâtie, puis un toboggan géant! L’absurdité de la situation contraste avec le réalisme du comportement parental, qui est à peine exagéré. Je n’aime pas trop que la littérature enfantine fasse la morale aux gamins, ici elle ne la fait pas non plus aux parents, puisque rien ne vient sanctionner leur comportement. Ils en sont même presque récompensés, puisqu’ils finissent par retrouver leur salon impeccable. La chute m’a réjouie, elle m’a fait penser à celle de Au lit dans dix minutes, ici aussi il faut tout remettre en ordre en un temps réduit, mais heureusement dans les livres il se produit souvent des miracles!
Pon pan, Katsumi Komagata, les grandes personnes, 2024, 10€50 En vue d’une conférence sur les livres d’artistes que je prépare pour fin mars dont le programme est ici, je lis beaucoup de livres assez atypiques aux enfants en ce moment. Je vais donc faire plusieurs articles les concernant en axant mon propos sur la façon dont les enfants les reçoivent, puisque telle était la demande pour ma conférence. Pon Pan est de ceux-là.
Des points orange sur la page blanche, parfois des trous, une onomatopée qui se répète de pages en pages. Voilà les éléments qui composent cet album. On ne peut pas faire plus simple.
D’abord un point orange dans l’exact centre de la page. En lettres noires il y a juste écrit « pon ». Ok. Puis à la page suivante il y a deux points et le mot est répété deux fois. Logique. Quand ils sont trois deux d’entre eux sont en réalité des trous qui laissent apparaitre les ronds de la plage suivante. Tiens, ça surprend. Puis il y a des variations de taille des ronds qui correspondent à un changement de taille de police. Logiquement, quand c’est écrit plus gros, on lit plus fort.
L’auteur, Katsumi Komagata, adresse ses livres aux enfants très jeunes, il cherche à créer chez eux surprise et émerveillement.
Quand je montre Pon Pan à un bébé, je mesure que l’effet est réussi. Les yeux s’ouvrent en grand, la bouche aussi souvent, je vois l’amusement sur les petits visages.
Je ne sais pas ce qu’ils en comprennent. Je ne suis pas sûre que la question soit pertinente. C’est un livre qui s’éprouve, se ressent plus qu’il ne se comprend.
Sur le site de l’éditeur, on peut lire « Un petit rond, nommé PON, se transforme et se multiplie au gré des pages et des découpes, faisant naître un jeu malicieux sur les sonorités ! »
C’est marrant, ce n’est pas du tout comme ça que j’avais interprété ce livre.
Pour moi le rond n’est pas un personnage, il est l’incarnation d’un bruit qui se multiplie, se répercute, explose pour devenir pan.
Pour moi ce livre est la représentation d’un feu d’artifice à portée de bébé.
Et mon interprétation est tout à fait valable. Je ne prétends pas qu’elle est « juste » et encore moins qu’elle est préférable à celle de l’éditeur.
Mais en tant que lectrice de ce livre, j’ai le droit de l’interpréter comme je l’entends (c’est même la seule chose que je peux en faire).
Et les enfants ont ce droit aussi, comme toute personne qui ouvre cet album.
Au relais d’assistantes maternelles, je l’ai lu à un petit garçon de 2 ans et demis. Je tournais les pages rapidement, ma lecture était très rythmée, presque chantante, avec des accélérations et des moments plus calmes, qui me semblent induits par l’image elle même. Mais lors de la lecture suivante, il a prit le livre en main et a tourné les pages lui même. Le rythme était beaucoup plus lent, il prenait le temps de passer les doigts sur les ronds, dans les trous, faisait parfois des allers retours entre les pages. Parfois, pointant un des ronds il disait « il est là ». Puis, quand les points forment un cercle il m’a dit « c’est la ronde ». Visiblement il a lui aussi sa propre interprétation de cet album, et c’est très bien comme ça!
Et vous, vous le comprenez comment ce livre? N’hésitez pas à me raconter, ça m’intéresse beaucoup.