Marions-les, Éric Sanvoisin, Delphine Jacquot, l’étagère du bas, 15€
Cette histoire, dès le début, c’est n’importe quoi. C’est pas moi qui le dis, c’est le ver de terre, qui, avec sa comparse l’araignée, commentent l’histoire en bas de page.
C’est n’importe quoi déjà parce qu’un lapin, ça porte pas de vêtements. Alors un lapin qui assorti un foulard a pois et un pantalon a rayures, hein.
Celui-là en plus lit Romeo et Juliette. Ça doit être à cause de ses lectures, justement, qu’il rêve de se marier.
C’est aussi l’histoire d’une carotte, particulièrement couarde. Elle a peur de tout, même de son ombre. Alors des lapins, avec ou sans pantalon rayé, je vous en parle même pas.
Dès qu’il la rencontre, le lapin tombe fou amoureux d’elle. Elle, c’est dans les pommes qu’elle tombe, rapport aux quenottes de l’animal qui sont quand même pas mal impressionnantes (pour une carotte trouillarde)
Je vous avais prévenu dès le début que c’était n’importe quoi. Les différentes péripéties qui suivront prennent le même chemin loufoque, absurde et drôle.
Nous rencontrerons un dentiste morse, un renard affamé, un papillon qui fait le nœud.
Avec un verbe enlevé, plein de jeux de mots et des images très colorées, gaies et pleines de détails, cet album offre de nouvelles découvertes à chaque lectures.
On apprécie le caractère atypique et légèrement irrévérencieux de cet album pétillant.
Dis Ours, tu m’aimes? Jory John, Benji Davies, little urban, 13€50
Ours et canard sont voisins. Au fil des albums (5 a ce jour), leur personnalité se dessine assez clairement. Ours est solitaire, bourru et très attaché au confort de son intérieur.
Canard est bavard, il a un grand besoin de relations sociales et il est légèrement égocentrique.
Ours et canard sont amis. Surtout Canard.
Ours semble plutôt subir cette envahissante amitié.
Tant est si bien que Canard finit par douter, est-ce que Ours l’aime vraiment ?
Il paraît que l’amour ne se déclare pas, il se prouve.
Canard semble avoir une idée très nette de ce qui est probant en la matière.
Faire des trucs ensemble. Voilà.
Il n’hésite donc pas à pousser notre pauvre ours hors de chez lui, afin qu’il profite de ce beau dimanche matin.
Avec un texte entièrement dialogué et un parallèle dans les images entre les actions des deux protagonistes, l’opposition entre l’un et l’autre saute aux yeux.
Enfin, aux yeux du lecteur, Canard, lui, ne remarque rien. Il est dans l’action en permanence, complètement auto-centré et fait mine de ne pas remarquer à quel point son enthousiasme est pénible pour son pote qui n’aspirait qu’à une matinée de farniente à la maison.
C’est toujours un plaisir de retrouver ces deux comparses aux personnalités contrastées et à la bouille tellement expressive. C’est avec un grand plaisir qu’on retrouve les mêmes ressorts comiques et la même structure narrative dans les différents albums.
Il existe plusieurs albums avec ces deux protagonistes, que vous pouvez retrouver sur le site de l’éditeur.
La petite goutte de trop, Shinsuke Yoshitake, nobi nobi! 12€50
C’est l’histoire d’un petit garçon qui a un problème. Oh, pas un bien gros, juste un de ces petits tracas comme on en a tous.
C’est pas de sa faute, il ne fait vraiment pas exprès, mais voilà, quand il fait pipi, il y a toujours une petite goutte de trop. Et à chaque fois, sa maman se met en pétard.
Alors cette fois, pour échapper au savon, il préfère prendre le large.
Chemin faisant, il se dit que, si ça se trouve, plein de gens partagent son problème. Tiens, cette fillette, là, elle à une façon bien étrange de se tortiller.
Tout comme ce petit garçon qui semble préoccupé, lui aussi.
Mais non, c’est toujours autre chose.
Une chaussette qui tire-bouchonne dans la chaussure, une crotte de nez coincée. Ou pire, une manche qui se carapate sous le pull, qui n’a pas déjà connu ça?
Ainsi notre petit narrateur découvre que si son problème n’est pas aussi universel qu’il l’aurait cru, avoir un problème, en revanche, semble être la norme.
Et après tout, le sien n’est pas pire qu’un autre.
C’était assez audacieux de la part de Shinsuke Yoshikate de partir d’un slip souillé pour aborder plus largement les questions de la différence et de la honte.
Mais ça fonctionne du tonnerre, parce-que l’album est hilarant.
Des situations cocasses, qui frisent l’absurdité et dans lesquelles pourtant on se reconnaît en font le sel.
On retrouve dans le protagoniste le caractère des personnages de cet auteur, décalés, inventifs et toujours surprenants.
Il existe deux autres albums de Shinsuke Yoshikate chez nobi nobi! Que je n’ai pas le plaisir de connaître mais leurs titres ( » c’est pas ma faute » et » c’est pas juste ») me donnent à penser qu’ils sont dans la même veine, à mon avis, ça vaut le coup de les chercher.
Carl et Elsa prennent le large, Jenny Westin Verona, Jesùs Verona, cambourakis
Elsa et ses parents ont invité Carl à la plage. Alors que les adultes gèrent la logistique (gonfler le dauphin, installer serviettes et parasol), le jeu entre les enfants se met tout de suite en place.
Rapidement, l’imaginaire prend le pas sur la réalité, on construit un piège pour capturer un lion des plages, on part en bateau à l’assaut d’une île déserte, on bâtit un vrai château de pirate.
Le jeu devient la réalité des deux enfants.
Et quand, par mégarde, Elsa met un coup de pelle dans l’oeil de Carl, c’est un phoque qui vient le consoler (on reconnait à son cou le collier que porte la mère).
Ce n’est que quand le père tombe dans le piège creusé par les enfants que la réalité s’impose de nouveau. C’est qu’il a l’air de s’être fait mal, le pauvre!
L’album se termine sur le gouter des enfants, alors que le soleil descend doucement dans le ciel.
L’immersion dans le jeu est terminée, jusqu’à la prochaine fois.
Avec ses grandes images pleines pages à fond perdu, on est complètement immergés dans le jeu des enfants. On s’y laisse volontiers entrainer et les jeunes lecteurs s’y reconnaissent pleinement.
Coucou je te vois! Jeong-sun Choi, Hyeri Lee, Didier jeunesse, 9€
Sur la couverture blanche, la feuille verte et brillante (elle est vernie, comme le titre), attire immanquablement le regard. Et puis, ce visage dont on ne perçoit que les yeux et qui, pourtant, est expressif, ça intrigue.
L’album met en scène un jeu de coucou, différents animaux se cachant derrière des feuilles sur une première double-page, avant de se dévoiler sur la suivante.
Évidemment, un (gros) dinosaure qui se cache derrière une (petite) feuille, c’est pas super discret. Et ça amuse d’autant plus les jeunes lecteurs que le texte est en opposition puisqu’il prétend qu’il est « bien caché ».
Le tigre ne fait guerre mieux, et le chat est à peine plus discret.
Mais la petite grenouille, elle, est bien dissimulée. Jusqu’à ce qu’elle se mette à sauter, bien sûr.
D’une façon générale, l’album est plein de mouvement et d’humour, les expressions des animaux sont assez irrésistibles.
Le mélange de dessin au trait noir et de collage pour les feuilles, qui se détachent donc en couleur, est très réussi.
Le texte dialogué est court et sonne agréablement et la chute fonctionne très bien, autant avec les bambins qu’avec les adultes.
C’est un livre que je lis volontiers à des tout petits, on n’est jamais trop jeune pour jouer à coucou/caché (les études récentes montrent d’ailleurs que la permanence de l’objet est acquise dès le 2eme mois, si vous me croyez pas, je vous conseille cette formidable émission de France Culture qui l’explique bien mieux que je ne le ferais).
Mais il est adapté aussi aux enfants de deux ou trois ans, qui souvent se mettent en mouvement à sa lecture, ils se cachent eux-même ou sautent comme les personnages.
Dans la cuisine de Monsieur Anatole, c’est un peu la panique. C’est qu’il a invité mademoiselle Blanche à goûter, il faut lui concocter quelque chose de délicieux. Il a enfilé son tablier, sorti les ingrédients et dégotté une recette sur internet, pas de raison que ça rate. Et pourtant, ça rate. La recette, c’est n’importe quoi.
Coup de bol, le cochon déboule, et il est formel: « pour un gâteau qui épate, mets-y quelques patates »
Et, joignant le geste à la parole, il balance une pomme de terre dans la marmite. Monsieur Anatole a à peine le temps de manifester son scepticisme que voilà le lapin qui arrive. Il sait, lui aussi, faire un gâteau : « pour ne pas faire de la crotte, ajoute deux, trois carottes » et plouf, les voilà qui est fait.
Suivra le rat, qui a aussi son idée, puis la grenouille, qui propose des mouches, mais elle, on l’arrête à temps !
Un peu de lait, un peu d’eau, et hop, à cuire.
Monsieur Anatole n’a plus qu’à remplacer le tablier par une belle cravate a carreaux, et espérer que madame blanche appréciera cet étrange gâteau.
On retrouve ici les ingrédients qui font le succès des albums de Christian Voltz. Beaucoup d’humour, un texte plein de verve, une histoire intemporelle, des personnages de bric et de broc aux expressions relevées.
J’aime aussi beaucoup la chute en deux temps, très réussie.
Mon chat sauvage, Isabelle Simler, éditions courtes et longues,15€
Il a le format d’un petit roman, peut se lire comme un album et a la précision d’un documentaire. Autant dire que nous avons affaire à un livre inclassable. J’imagine que les bibliothécaires vont s’arracher les cheveux pour savoir où le ranger mais moi, j’avoue, j’aime assez ce côté « hors des cases »
D’autant qu’il offre plusieurs niveaux de lectures tant dans les images que dans le texte.
C’est un portrait du chat, présenté façon documentaire animalier. Les caractéristiques de la bête (sa vivacité, son comportement chasseur, son tonus) sont sans cesse contredites par l’image qui montre un chat beaucoup plus domestique que sauvage, tour à tour vautré sur le radiateur, installé sous la chaleur d’une lampe ou caché derrière le rideau.
Y aurait il un brin de mauvaise foi dans la vision du narrateur qui nous présente son chat?
Je dirais plutôt que c’est un regard à peine déformé par l’amour porté à l’animal, rien de plus naturel!
En contrepoint à ce regard partial, un sous texte plus petit vient enrichir certaines pages.
Il apporte des informations très précises sur les propriétés du chat (imaginiez vous qu’il peut courir 100 mètres en 9 secondes seulement ? Ou qu’il a un champ de vision de 287°?)
Ce double décalage, entre les deux types de texte et les images, font de ce petit album un bijou de drôlerie.
Et bien sûr, on est charmé par les magnifiques illustrations d’Isabelle Simler, si finement travaillés qu’on croirait voir bouger chaque moustache du félin.
Idéalement, un album à coupler avec son pendant, « Mon escargot domestique », tout aussi réussi.
C’est que ce n’est pas une mince affaire de venir au monde. Pablo, lui, il est prêt. De toutes façons, il est devenu trop grand pour sa coquille. Aujourd’hui, il va éclore.
Il prend son petit déjeuner dans son œuf (petit croissant et chocolat chaud, nous dit le texte).
Ce qu’il y a de chouette, avec les albums qui ne nous en montrent pas trop, c’est qu’ils laissent de la place à l’imagination du lecteur. On visualise donc un petit poussin, qui peut se parer des attributs qui nous sont chers. Dans ma tête par exemple, je le vois installé à table avec une nappe à carreaux et ses pattes ne touchent pas par terre parce qu’il est trop petit. Mais bon, chacun fait ce qu’il veut avec ses représentations mentales, vous pouvez aussi bien l’imaginer faisant le poirier si ça vous chante. Ce qui compte, c’est que vous n’imposiez pas votre vision à l’enfant à qui vous lisez (alors que lui à le droit de vous décrire la sienne en long et en large, je sais, c’est injuste)
Mais revenons à nos moutons notre poussin.
Prudemment, il perce d’abord un petit trou, juste pour jeter un œil. Puis un deuxième, pour ne rien rater de ce qui l’entoure.
Désireux d’entendre la musique du monde, il va faire deux nouveaux trous, au niveau des oreilles.
Il entend la mouche qui fait zzzz, les corbeaux qui font Croâââ et le vent qui fait Whouuuuu.
Toutes ces petites choses qu’une fois de plus on ne voit pas, mais qu’on imagine parfaitement.
Rascal est fort, vraiment fort, il arrive à rendre son personnage terriblement expressif alors qu’on le voit à peine.
Il ne s’éternise ni sur l’inquiétude de Pablo ni sur son impatience à découvrir le monde, mais il nous les donne à voir très nettement. Cette ambivalence des sentiments est très représentative de l’enfance et les jeunes lecteurs ne s’y trompent pas, ils semblent avoir une grande tendresse pour le poussin.
Une histoire aussi évidente que l’envie de grandir, à la chute délicieuse.
L’adorable petite vidéo, je l’ai piquée sur le site de l’école des loisirs.
Dans ce très bel album, au dos toilé, au format généreux et au papier épais, sont réunies quatre des histoires de loups écrites par le grand Mario Ramos.
Inutile que je vous présente cet auteur illustrateur, qui nous a régalé de ses albums jusqu’à sa disparition en 2012.
Ici, nous rencontrons un loup présomptueux, un autre méchant, un loup qui sera le dindon de la farce et même un loup gentil.
Nous croiserons aussi un petit chaperon rouge, des cochons, une girafe incognito, une robe à fleur.
Les histoires, totalement indépendantes les unes des autres, se répondent, se complètent, pour montrer toute la complexité de la figure symbolique du loup.
Dans chacune d’elles, on reconnait l’univers de l’artiste: la forêt pour principal décor, les personnages de contes et un humour subtil qui joue sur l’inattendu.
C’est moi le plus fort:
Narcissique le loup? C’est rien de le dire, d’ailleurs, alors même qu’il est rassasié, il part dans la forêt, non pour chercher une proie mais pour être conforté dans l’image qu’il a de lui-même. Lapin, cochons et petit chaperon rouge savent comment lui parler: « mais oui, le plus fort c’est vous, incontestablement et sans aucun doute ». C’est que sa réputation le précède, tout le monde le connait… Ou presque…
Mon ballon:
Une fillette, tout de rouge vêtue, une forêt et… Un ballon gonflé à l’hélium. Ben oui, pourquoi pas? Elle se promène, au son d’une comptine bien connue, ravie de rencontrer différents animaux (qui d’ailleurs n’ont rien à faire dans une forêt mais on est toujours consentants pour suivre Mario Ramos sur des chemins improbables). Quand l’inévitable rencontre avec le loup a lieu, elle ne se déroule pas tout à fait comme d’habitude.
Le plus malin:
le loup est persuadé d’avoir entourloupé ce pauvre petit chaperon rouge. Mais serait-il assez stupide pour se mettre dans l’embarras tout seul? Oui, incontestablement et sans aucun doute, oui.
Le loup qui voulait être un mouton:
Ici le loupiot est vraiment le héros de l’histoire. C’est celui auquel on s’identifie volontiers, dont on se sent proche. Un loup sensible et rêveur, qui aspire à s’émanciper de sa vie de loup.
Le fil conducteur de ces quatre histoires, on le retrouve presque systématiquement dans l’œuvre de Mario Ramos. Il faut dire que c’est le personnage emblématique de la littérature enfantine par excellence et qu’il permet toutes les subtilités. Il peut être effrayant ou séduisant (et, pire encore, les deux à la fois, toujours un brin charmeur quand il s’adresse au petit chaperon rouge), aussi touchant que méchant, opprimé comme oppresseur.
C’est un plaisir de voir les images de ces albums se déployer en grand format, on apprécie d’autant mieux les expressions des personnages.
Cette anthologie est vraiment un bel objet, un cadeau de noël idéal.
Ou alors préférerais-tu… John Burningham, Kaleidoscope
Comme dans « préférerais-tu… », John Burningham nous expose ici une série de propositions improbables qui laissent le lecteur face à un choix impossible.
Est-il préférable, par exemple d’être embrassé par tatie Zélda ou par un hippopotame à l’haleine qui pue?
Pas facile, hein.
Heureusement, il y a aussi des alternatives plus agréables, comme prendre pour animal de compagnie un koala, un alligator, un vautour ou un mouton.
A chaque page, les enfants réfléchissent, pèsent le pour et le contre et donnent des arguments qui me laissent perplexe.
Moi, presque systématiquement, je botte en touche, ce qui me vaut de me faire traiter « d’adulte rabat-joie qui joue pas le jeu » par mes mouflettes. Elles n’ont pas tort.
Elles, jouent le jeu à fond et même le prolongent, en cherchent de nouvelles propositions entendues ça et là (« Préférerais-tu avoir les bras en mousse ou être suivie en permanence par un troupeau d’oies? » est un classique du genre) ou qu’elles inventent elles même (et dans les quelles j’ai bien souvent le mauvais rôle! « Préférerais-tu que maman t’appelle choupinette devant tes copains du collège ou qu’elle dise à ton prof de math ce qu’elle pense de lui? » a eu un certain succès)
L’histoire sort du livre, puis on y revient quand on est en mal d’inspiration.
Outre que ces albums remettent au gout du jour un jeu qui amuse souvent adultes et enfants, ils l’alimentent par les images qui renforcent le côté déroutant ou amusant des propositions.
Les illustrations sont un peu plus lumineuses dans cet opus que dans le précédent. On retrouve le trait caractéristique, intemporel, de John Burningham. Un style vif, faussement maladroit, débordant, indomptable. Comme les enfants en somme.
Le petit garçon aux boucles rousses qui vit en image chaque énumération finit, comme dans « préférerais-tu… », par le choix le plus raisonnable: aller se coucher dans son lit. Quand on a bien joué avec les idées les plus absurdes ou farfelues, il est bon de s’endormir dans un environnement quotidien et rassurant.
« Préférerais-tu… » a toujours eu un grand succès en bibliothèque de rue, il est très apprécié par les enfants de maternelle et plus grands. Il suscite beaucoup d’interactions entre enfants ou inter-générationnelles. Je suis certaine que « Ou alors préférerais-tu… » sera tout autant plébiscité par les bambins.