Des albums de littérature enfantine, sélectionnés pour leurs qualités, qu’on peut lire aux enfants à partir de 6 ans et qu’ils peuvent aussi lire seuls, ans sans limite d’âge supérieure
Terminus, Matt De La Pena, Christian Robinson, éditions des éléphants 13€50
Tous les dimanches, après la messe, Tom et sa grand-mère prennent le bus, jusqu’à son terminus.
Le trajet est, pour le petit garçon, l’occasion d’échanger avec sa grand-mère sur son environnement.
On ne sait pas trop quel âge il a, à vue de nez je dirais entre 6 et8 ans. En tout cas il a le franc parler de l’enfance: il ne s’embarrasse pas de politesse ou de pudeur pour interroger sa grand-mère sur ce qu’il voit.
Pourquoi doivent-ils attendre le bus sous la pluie alors que l’ami de Tom, lui, est raccompagné en voiture? Pourquoi le monsieur ne voit-il pas? Et pourquoi arrivés place du marché, tout est si sale dans les rues, si triste, si moche?
Les inégalités sociales sont mises en évidence par le regard du petit garçon. Mais sa grand-mère porte un regard joyeux et optimiste sur le monde qui l’entoure. Elle répond à son petit fils avec poésie et un brin de fantaisie (Il pleut parce que les arbres ont soif, d’ailleurs il y en a un qui boit à la paille, on prend le bus pour profiter des tours de
magie de Denis, le chauffeur, la saleté des rues met en valeur la beauté du ciel). Et elle ne rate pas une occasion de ponctuer ses réponses d’un éclat de rire, dont la fraîcheur est communicative.
On comprend que le bus s’éloigne des quartiers chics du centre-ville pour desservir les quartiers populaires de la périphérie. Et finalement Tom et sa grand mère se rendent à « leur » soupe populaire, et la dernière image nous montre qu’ils y sont bénévoles et non bénéficiaires. Il y a un cousinage évident entre le travail du grand EzraJeak Keats et ce très bel album, joyeux comme un air de gospel.
C’est bizarre, Alain Chiche, François Soutif, Kaléidoscope 13€
L’image de la couverture est explicite: Nous avons affaire à trois commères. Derrière leur rideau, elle (nous) épient. Ça se confirme d’ailleurs sur la page de titre.
Elles vivent ensemble dans une maisonnette isolée, au rythme du thé de quatre heures et de leurs papotages. Leur intérieur est douillet et vieillot: service à thé en porcelaine, tapis et bonbonnière, tout est bien à sa place, y compris la pince à sucre. On devine un certain sens de l’étiquette. Elles se font des manières inutiles et se félicitent de leur bonne entente.
Mais lorsqu’un voisin investit la maison d’en face, leur inquiétude est à son comble. Certes nous avons affaire à une vache, une brebis et une chèvre mais elles se révèlent en réalité être trois vieilles biques qui n’aiment pas l’idée d’un étranger dans le voisinage.
Avant même d’avoir rencontré le nouveau venu, les suppositions vont bon train.
Bruits étranges, odeurs suspectes, elles l’imaginent menaçant. Car décidément, il semble vraiment très très bizarre cet « autre » qui ne montre pas le bout de son nez.
Elles se montent le bourrichon et, surmontant leur couardise, finissent par décider d’aller rencontrer cet odieux personnage.
Rapidement, les voilà rassurées: Le vieux monsieur, bégayant et en apparence peu sûr de lui, leur offre du gâteau charentais, ce qui, vous en conviendrez aisément, prouve qu’il est très urbain.
Si les enfants ne réalisent généralement pas à la première lecture que le vieux monsieur est en fait un loup, les auteurs donnent quelques indices qui tendent à prouver que le jugement à l’emporte pièce des trois vieilles est bien peu pertinent. Dans la méfiance comme dans la confiance, elles se fient à des idées reçues qui causeront peut-être leur perte.
Le texte comme l’image instaurent une connivence avec le lecteur et on prend plaisir à avoir compris ce que les personnages ignorent.
C’est rare les albums qui ne proposent pas aux enfants un (ou des) héros aux quels ils peuvent s’identifier. Si les plus jeunes ont parfois du mal à comprendre ce mécanisme (ils restent alors persuadés que les vieilles dames ont raison et ferment le livre rassurés sur leur avenir) les plus matures profitent pleinement de cette distanciation et se régalent de comprendre ce qui n’est pas dit et de faire des hypothèses sur ce qui va se passer une fois le livre refermé.
Quand je lis à un enfant un album qui offre ainsi plusieurs niveaux de compréhension possible, j’évite de donner mon interprétation, je préfère laisser le petit lecteur penser et tirer des conclusions lui même. J’ai souvent constaté qu’au fil des lectures le point de vue du bambin évolue, en fonction de ce qu’il est capable de comprendre mais aussi de ce qu’il a envie de voir ce jour là.
Voilà donc un album qui s’adresse au lecteur en tant qu’être pensant, ce que je ne peux qu’approuver.
Ajoutons que C‘est bizarre est un album plein d’humour, dans le texte comme dans les images. Et qu’il est très plaisant à lire à voix haute. Bref, c’est un coup de cœur.
Zoé, Victor et Aziza sont au taquet. Ils répètent un grand spectacle. Pour le point de départ, fastoche, Victor et Zoé seront le papa et la maman d’Aziza.
Sauf que le bébé n’est pas d’accord: Zoé n’a pas une coiffure de maman (apparemment les cheveux courts c’est une coiffure de garçon et puis c’est tout)
Qu’à cela ne tienne tout le monde enfile un bonnet de chat et le problème capillaire est réglé.
Mais alors que Victor commence à s’ennuyer dans son rôle de père, arrive Noham, coiffé d’un chapeau de chien, qui propose de tricoter pour le bébé.
Entre conflit et négociation, les rôles se redistribuent, chacun essaye de trouver sa place. On se bagarre, on boude, on argumente, bon gré mal gré on fait une petite place aussi aux nouveaux venus: Camille et son chapeau de licorne, Bibal en hippopotame.
Par le jeu, les enfants expérimentent les contraintes sociales qui pèsent sur les adultes et les interrogent. Est il correct de tricoter quand on est un garçon? Une licorne peut elle épouser un chat? Comment une jeune maman doit elle se comporter?
Cette petite bande à déjà très bien intégré la pression sur ce qu’on doit être et comment on doit se comporter. Heureusement, ils restent des enfants et leur spontanéité va leur permettre de s’en affranchir.
Un album très drôle, au style enjoué et au rythme vif, qu’on aime à relire pour mieux savourer la répartie des gamins de la bande et qui, sans en avoir l’air, règle leur sort à toutes ces injonctions que l’on subit sans cesse.
La reine des truites, Sandrine Bonini, Alice Bohl, grasset jeunesse 15€20
Suzie et son petit frère Ismaël (Is, pour les intimes) s’amusent bien ensemble, dans la campagne. Elle a pensé à apporter le goûter, et le livre d’images d’Ismaël. Tout va bien, vraiment vraiment, aucun problème.
Alors pourquoi le petit insiste-t-il comme ça pour aller à la rivière? Il sait pourtant bien que ce n’est pas possible. Suzie aimerait bien qu’il passe à autre chose mais il y revient sans cesse, il a chaud, il veut se baigner. Seulement voilà, à la rivière, il y a les autres. Et les autres ne sont pas d’accord pour laisser les enfants se baigner. C’est comme ça. Is à l’insouciance des jeunes enfants, il se voit déjà barbotant. Et puis il est prêt à passer par le chemin des orties pour ne pas être vu, et puis il promet qu’il ne pleurera pas du tout du tout, même s’il se pique, alors, hein, ils peuvent bien y aller, les autres ne les repéreront pas.
Suzie finit par céder et les voilà en route. Mais bientôt, les autres surgissent. Trois enfants, qui portent des couronnes de feuilles et des branches en guise de lance. Leur attitude de guerriers tribaux est tout de même démentie par le sourire sur le visage du plus petit. Ils décident d’escorter nos deux héros jusqu’à la reine des truites, qui interdit à quiconque de se baigner. Is retient ses larmes mais devant la fillette couronnée il ne peut pas s’empêcher d’argumenter. Bientôt, le jeu prend le dessus et l’autorité de la reine est contestée par ses petits soldats. Dépouillés de leurs armures de feuille, les enfants forment désormais une seule petite bande dans la quelle chacun trouve sa place, ensemble ils se baignent joyeusement et on comprend pourquoi la petite Flora avait pris la posture d’une reine pour éviter la baignade.
Le texte, entièrement dialogué, a la saveur de l’enfance. Les personnages sont justes, nuancés et touchants.
Les images, tour à tour en vignettes et en aquarelle pleine page, nous transportent dans la chaleur d’un été du sud de la France. Quand je le lis, j’entends les cigales des vacances dans les Cévennes de mon enfance.
C’est une chaude nuit d’été sur la ville de New York. Toutes les fenêtres de l’immeuble sont illuminées. Dans la rue, l’agitation citadine bat son plein: le camion poubelle rugit, le taxi klaxonne, on devine que le glacier italien fait salle comble.
Derrière la façade de brique rouges la vie de famille suit son cours habituel. Une fillette cherche de la compagnie pour partager un jeu de société. Mais sa grande sœur est pendue au téléphone, sa mère est concentrée sur son ordinateur et son père est aux fourneaux. Tout le monde est « trop occupé! »
Mais soudain, les lumières s’éteignent sur la ville une à une.
La coupure d’électricité ouvre soudain une parenthèse dans la routine de chacun. Dans le noir, à la lueur de la bougie, on se parle, on joue et, comme il fait vraiment très chaud, on décide de sortir en famille, prendre l’air sur le toit de l’immeuble.
Dehors, une fête s’improvise, les gens dansent ensemble. En bas aussi ils se rencontrent, les enfants jouent dans le jet d’eau de la borne incendie et le glacier offre ses gellati aux passants. A la faveur de l’obscurité, les liens se créent, l’ambiance devient festive. Quand la lumière revient, chacun reprend (presque) le cours habituel de sa vie.
Entre album et bandes dessinées, ce très beau livre offre des cadrages variés, un découpage de l’image qui rythme le récit et une belle alternance entre les couleurs froides de la nuit et les couleurs chaudes de la fête.
Cet album, qui a obtenu le prix Caldecott en 2012 est une belle invitation à débrancher. Je suis toujours particulièrement touchée par les livres qui me dépaysent, qui m’emportent dans une ambiance, qui me font perdre la notion du temps. C’est le cas de celui là et c’est toujours un grand plaisir de le partager avec un enfant.
Les deux grenouilles à grande bouche, Pierre Delye, Cécile Hudrisier, Didier jeunesse
Vous connaissez l’histoire de la grenouille à grande bouche? Oui, sans doute, tant cet album connaît dans les crèches et les écoles maternelles un succès au long cours. Et bien figurez vous que Pierre Delyre s’est mis en tête d’en faire une suite, ou plutôt un genre de cross over, enfin bref, il a repris le personnage principal. Projet ambitieux, le premier à tant fait rire les enfants qu’il n’est pas évident d’être à la hauteur. A vous je peux le dire: j’étais sceptique quand j’ai vu la présentation, mais finalement cet album me plaît autant, si ce n’est plus, que le précédent.
On reste dans le registre de la blague de cour de récré, mais cette fois de façon bien plus étoffée, et accompagnée par des comptines. Il faut dire que l’auteur est conteur, qui mieux que lui pouvait explorer ces deux formes d’oralité enfantine?
L’argumentaire de départ est déjà savoureux: Deux grenouilles à grande bouche, qui ne veulent jamais la fermer (la bouche) c’est pénible. Quand en plus, on est tous sur le même bateau, coincés par le déluge, ça peut rapidement devenir insupportable. Mais nos grenouilles ont ce défaut propre à l’enfance: elles ne savent pas s’arrêter. Même quand leurs chants exaspèrent tant les animaux qu’ils songent à les passer par dessus bord, même quand leur blague est allée trop loin, elles gardent l’insouciance joyeuse des imbéciles.
Les illustrations de Cécile Hudrisiersont drôles, pétillantes, expressives. On a plaisir à s’y attarder et elles ont souvent plusieurs niveaux de lecture.
Le texte est clairement destiné à la lecture à voix haute, son rythme nous emporte, les comptines qui le ponctuent s’y insèrent parfaitement. On se laisse porter et on relève au passage les petits clins d’œil, les jeux de mots, les références qui lui donnent un charme supplémentaire.
Un album qui m’a mise de bien bonne humeur et qui est souvent réclamé par les enfants au boulot, à mon avis un futur incontournable.
C’est d’ailleurs aussi l’avis de Pépita et il a plût aussi aux lutines.
Annette, Gabriel Schemoul, Grégory Elbaz, école des loisirs 13€50
Il y a des livres qui nous transportent ailleurs, loin, très loin de notre quotidien. Annette, sans aucun doute, est de ceux là.
Si l’étrangeté du récit et des images m’ont immédiatement séduite, je suis longtemps restée perplexe face à cet album.
Annette est une fillette, qui vit avec son père pêcheur sur une île. Ce jour là, la brume entoure le paysage. Elle aide son père à préparer le filet et le regarde la barque s’éloigner, debout sur le rivage. Il y a dans son attitude quand elle porte le filet toute la fierté des marins. Mais dès que son père a quitté l’île, l’angoisse semble la saisir.
Elle court, pieds nus dans sa chemise de nuit blanche, presque fantomatique. Un petit déjeuner préparé par papa l’attend.
Cette nourriture du corps servie dans une bonne vieille tasse de porcelaine est d’un grand réconfort, si ce n’est pour le personnage tout au moins pour le lecteur qui lit l’album. En tout cas moi, c’est cette image qui m’a permis de tourner la page et de poursuivre le récit.
Mais Annette ne semble pas rassurée, seule face à la table immense. Sa moue boudeuse, son regard éteint, son corps qui semble si fragile inquiètent. Le temps passe lentement et l’impatience se fait sentir, pour elle comme pour nous, lecteurs, captifs du récit, qui tournons les pages lentement à la recherche d’un signe rassurant dans l’image (qu’on ne trouvera pas).
Quand le père rentre enfin, le texte nous affirme qu’elle se blottit dans ses bras. Mais l’image laisse le réconfort à notre imagination, tout comme à la dernière page, alors que le texte parle des couleurs retrouvées de l’île, l’image reste garde son gris brumeux.
Cet album me fascine. Le malaise qu’il a provoqué chez moi à la première lecture a été immédiatement suivi du besoin de le relire, d’essayer de le comprendre, avant d’y renoncer.
J’ai toujours l’impression étrange qu’Annette est condamnée à revivre indéfiniment cette matinée de solitude. Que l’île est hors du temps, hors du monde.
Je n’ai pas amené cet album avec moi dans mon travail. D’une part parce que je travaille essentiellement avec des moins de 3 ans et qu’il me semble que cet album n’est pas adapté pour cette tranche d’âge. Mais aussi, surtout, parce que j’ai du mal à assumer dans le cadre professionnel l’inquiétude qu’il provoque chez moi.
Pourtant, l’expérience m’a depuis longtemps prouvé qu’il ne faut jamais présager de la faiblesse des enfants et qu’ils ont la capacité d’écouter des histoires étonnantes, déstabilisantes, inquiétante même. J’ai d’ailleurs souvent constaté que les livres aux quels ils s’attachent le plus sont des histoires comme celle là, des histoires fortes, qui ne laissent pas indifférents, des histoires qui gardent leurs mystères, des histoires nourrissantes.
En lisant et en relisant cet album, je pense au malaise qu’a provoqué Max et les maximonstres à sa sortie, chez les adultes. C’était un livre qu’ils ne comprenaient pas vraiment, alors ils se sont dit que ce n’était sans doute pas pour les enfants, qui ça allait les choquer. Annette est un album que je ne comprends pas vraiment alors, bêtement, j’ai l’idée qu’il faut en protéger les enfants.
J’espère que mon professionnalisme va reprendre le dessus et que je vais finir par travailler avec ce livre, je ne sais pas ce qu’il provoquera chez les enfants mais je suis à peu près sûre que ça ne sera pas de l’indifférence. Ça tombe bien, il n’y a rien de pire que l’indifférence.
En attendant, je vous invite à le découvrir et à me dire, à l’occasion, ce que vous en avez pensé.
Le livre sans images, J.B. Novak, école des loisirs
C’est LE livre événement de l’école des loisirs en ce moment, lancé à grand renfort de marketing, avec un joli dossier pédagogique et une vidéo de présentation. Il vient d’être traduit (par Geneviève Brisac, tout de même) et semble promis à un succès aussi important que celui qu’il a connu outre-Atlantique.
Le dossier pédagogique a pour but d’expliquer aux adultes comment se dépatouiller avec cet album qui se veut hors du commun. A vrai dire, je n’ai pas trouvé qu’il était nécessaire, l’album est suffisamment affordant pour s’en passer.
C’est donc un livre sans image, mais il est pourtant soigneusement mis en page. Quand on le lit à un enfant, il faut lui montrer les pages, comme on le fait pour n’importe quel album. La typographie, si elle est ici essentielle pour guider l’adulte dans sa pratique de lecture (on ne lit évidemment pas de la même façon un mot écrit en énorme, en rouge, au milieu de la page qu’un mot écrit en minuscule en bas d’une page par ailleurs totalement vierge) est aussi destinée à être vue par l’enfant, elle lui raconte aussi quelque chose. L’éditeur précise qu’il est destiné aux enfants à partir de 7 ans, on peut donc supposer qu’ils sont invités à suivre le texte en même temps qu’ils se le font lire.
Mais il faut absolument la médiation d’un adulte qui lit, puisque tout l’album repose sur la mise en scène de cet adulte qui va peu à peu se ridiculiser, provoquant le rire des enfants qui écoutent. En effet, le livre va se faire le complice de l’enfant auditeur pour obliger l’adulte à prononcer des choses qu’il ne veut pas dire.
J’ai toujours pensé que les enfants savaient lire les images même les plus symboliques, je suis convaincue que la typographie raconte, y compris à l’enfant non lecteur, autant que la mise en page ou la qualité du papier. Donc, en soi, montrer aux enfants des pages qui ne montrent aucune image ne me pose aucun problème (je lis d’ailleurs avec plaisir le livre On dirait qu’il neigede Rémy Charlip, qui pour le coup est complètement blanc). Par contre, mon expérience m’a appris à peu théâtraliser mes lectures. Généralement je lis des livres dont le texte est suffisamment fort pour intéresser les enfants sans que je n’aie besoin d’un faire trop.
Ici, pas vraiment le choix, il faut jouer et même sur-jouer le texte, puisque tout le comique va naître de notre implication et de notre sens de l’auto dérision.
Je me suis donc lancée d’abord avec mes mouflettes. J’ai fait les voix, j’ai pris le rythme, bref j’ai joué le jeu. L’album est d’ailleurs assez réussit de ce point de vue là, il n’est pas nécessaire de s’exercer ni de se poser trop de questions, il suffit de se laisser guider par la typo qui fonctionne très bien (c’est l’affordance dont je parlais tout à l’heure, pour ceux qui se posaient la question).
La première lecture les a laissées perplexes plus que mortes de rire. A la lecture suivante, comme elles comprenaient le principe, elles ont plus accroché.
J’ai ensuite testé cet album dans le cadre de mon travail. Et là, clairement, il m’a mise en difficulté. Je pratique habituellement la lecture individuelle, la lecture intime. Je fais plus de la lecture à voix basse qu’à voix haute finalement. Ce livre ne se prête pas du tout à cette pratique. J’étais mal à l’aise, les enfants ne comprenaient pas où je voulais en venir. J’ai même eu un petit moment de solitude, avec un enfant qui ne réagissait pas beaucoup à cette lecture, son père, qui était présent, a essayé de lui expliquer pourquoi c’était drôle. Flop total, j’ai même abandonné avant la fin ( je lui ai ensuite lu Oh non Georges, ce qui l’a beaucoup fait rire, ouf)
Quand l’été viendra, j’emmènerais le livre sans images en bibliothèque de rue où, à mon avis, il aura un grand succès. Je l’imagine assez bien aussi en lecture collective, avec un petit groupe de bambins, comme ce qu’on peut voir dans la vidéo de présentation. L’effet de groupe, le plaisir d’entendre ensemble, et dans la bouche d’un adulte, des mots transgressifs, tout cela doit contribuer au succès du livre.
Il est de rares circonstances dans les quelles mon travail me conduit à faire des lectures collectives, je crois que je vais réserver cet album à ces moments là.
Cinq minutes et des sablés Stéphane Servant, Irène Bonacina, Didier jeunesse
Pour la petite vieille, l’expression s’ennuyer à mourir prend tout son sens. Dans le silence de sa cuisine, troublée seulement par le tic-tac de la pendule, elle attend. Et, comme elle pense que la vie n’a plus rien à lui offrir, elle attend la mort.
La grande dame noire justement passe par là dans sa belle voiture rouge. Elle arrive dans la cuisine presque comme on rend un service. La petite vieille sait recevoir. Elle a préparé un bon thé de Chine. Et pour aller avec, pourquoi pas des sablés au gingembres? Après tout, « Cinq minutes de plus ou cinq minutes de moins, quelle importance? »
Cette petite phrase, mise en valeur par la typographie, sera la ritournelle qui va rythmer l’album.
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les albums en randonnée, rythmés, ceux qui ont un refrain ont pour point commun d’être faciles à mémoriser pour les enfants mais aussi d’être très rassurants. Ils permettent d’anticiper sur le récit donc de le maîtriser. C’est ainsi que les auteurs peuvent aborder des sujets angoissants pour les enfants tout en leur offrants les moyens de surmonter cette angoisse (citons par exemple l’excellent Bébés chouettes)
Ici, la ritournelle participe au tourbillon de vie qui va investir la cuisine de la petite vieille. A voir madame la mort et la petite vieille attablées, occupées à déguster les sablés, on pense à l’expression « bon vivant ». Voilà.
L’odeur des sablés attire le chat des voisins. La petite vieille va prendre cinq minutes de plus pour le faire jouer avec une pelote de laine. Puis c’est au tour de Kenza, la fillette qui habite à coté, de faire irruption dans la cuisine. Pour elle, on dessine une marelle (Oui, ce jeu où on fait des allers retours entre ciel et terre, à mon avis ce n’est pas un hasard). Vient ensuite le très élégant Monsieur Igor avec son violon.
En faisant de madame la mort un personnage principal de cet album, Stéphane Servant nous offre un livre sur la vie.
Les jeux, les rires, la relation aux autres et la bonne chère en sont ici le sel. La vieille en oublie son âge, la mort la raison de sa venue.
De cinq minutes en cinq minutes, quand minuit finit par sonner, madame la mort, qu’on fréquente depuis le début de l’album, fait figure d’amie plus que de menace. Accomplira-t-elle sa besogne? Si sur certaines pages son ombre peut sembler légèrement inquiétante, son sourire et son regard malicieux compensent cette impression.
D’ailleurs, les illustrations d’Irène Bonacina sont pleines de gaieté et de mouvement. Et la recette des sablés qui est donnée sur la troisième de couverture nous ramène définitivement aux plaisirs de la vie.
Comme il est agréable de voir le thème de la mort traité avec légèreté et humour.
Théo, le grand blond et Tom, le plus jeune, sont deux frères. Tout au long de l’année, on les voit jouer, interagir, se chamailler aussi un peu. Dans leur quotidien à la maison ou à l’extérieur on croise d’autres enfants, un chien, quelques bonhommes de neige, beaucoup de peluches et autres jouets, mais jamais d’adultes. Sur chaque double page se déroule une saynète, avec à gauche le texte (entièrement dialogué) et les images à droite, façon bande dessinée.
Théo prend soin de Tom, parfois il fait preuve d’une autorité rapidement contesté par son cadet mais il est toujours bienveillant. Tom est un peu plus tempétueux, il déborde d’idées et il semble très attaché à son aîné. Les petites histoires qu’ils vivent ensemble sont intemporelles et universelles. Le charme désuet des images me rappellent un peu les albums de Mimi Cracra d’Agnès Rosensthiel, d’ailleurs il y a la même tendresse dans cet album.
C’est un album charmant, doux, un album dans le quel on se sent bien. Il demande une certaine habileté dans la lecture de l’image et parfois les enfants se font répéter plusieurs fois la même page pour bien la comprendre. Au fil des lectures ils se familiarisent avec les personnages et la forme en dialogue, ils se repèrent alors très bien et peuvent savourer pleinement les histoires.
C’est une auteure que je connaissais et appréciait déjà pour ses dessins animés Kockasfulu nyul (non, je ne sais pas le prononcer), qui sont également pleins de charme et qu’une amie hongroise a eu la gentillesse de m’offrir, je ne crois pas qu’on les trouve en France et c’est bien dommage. J’ai eu un grand plaisir à retrouver son trait dans cet album.