Le livre sans images, J.B. Novak, école des loisirs

C’est LE livre événement de l’école des loisirs en ce moment, lancé à grand renfort de marketing, avec un joli dossier pédagogique et une vidéo de présentation. Il vient d’être traduit (par Geneviève Brisac, tout de même) et semble promis à un succès aussi important que celui qu’il a connu outre-Atlantique.

Le dossier pédagogique a pour but d’expliquer aux adultes comment se dépatouiller avec cet album qui se veut hors du commun. A vrai dire, je n’ai pas trouvé qu’il était nécessaire, l’album est suffisamment affordant pour s’en passer.

C’est donc un livre sans image, mais il est pourtant soigneusement mis en page. Quand on le lit à un enfant, il faut lui montrer les pages, comme on le fait pour n’importe quel album. La typographie, si elle est ici essentielle pour guider l’adulte dans sa pratique de lecture (on ne lit évidemment pas de la même façon un mot écrit en énorme, en rouge, au milieu de la page qu’un mot écrit en minuscule en bas d’une page par ailleurs totalement vierge) est aussi destinée à être vue par l’enfant, elle lui raconte aussi quelque chose. L’éditeur précise qu’il est destiné aux enfants à partir de 7 ans, on peut donc supposer qu’ils sont invités à suivre le texte en même temps qu’ils se le font lire.
Mais il faut absolument la médiation d’un adulte qui lit, puisque tout l’album repose sur la mise en scène de cet adulte qui va peu à peu se ridiculiser, provoquant le rire des enfants qui écoutent. En effet, le livre va se faire le complice de l’enfant auditeur pour obliger l’adulte à prononcer des choses qu’il ne veut pas dire.

 

J’ai toujours pensé que les enfants savaient lire les images même les plus symboliques, je suis convaincue que la typographie raconte, y compris à l’enfant non lecteur, autant que la mise en page ou la qualité du papier. Donc, en soi, montrer aux enfants des pages qui ne montrent aucune image ne me pose aucun problème (je lis d’ailleurs avec plaisir le livre On dirait qu’il neige de Rémy Charlip, qui pour le coup est complètement blanc). Par contre, mon expérience m’a appris à peu théâtraliser mes lectures. Généralement je lis des livres dont le texte est suffisamment fort pour intéresser les enfants sans que je n’aie besoin d’un faire trop.
Ici, pas vraiment le choix, il faut jouer et même sur-jouer le texte, puisque tout le comique va naître de notre implication et de notre sens de l’auto dérision.

Je me suis donc lancée d’abord avec mes mouflettes. J’ai fait les voix, j’ai pris le rythme, bref j’ai joué le jeu. L’album est d’ailleurs assez réussit de ce point de vue là, il n’est pas nécessaire de s’exercer ni de se poser trop de questions, il suffit de se laisser guider par la typo qui fonctionne très bien (c’est l’affordance dont je parlais tout à l’heure, pour ceux qui se posaient la question).

La première lecture les a laissées perplexes plus que mortes de rire. A la lecture suivante, comme elles comprenaient le principe, elles ont plus accroché.
J’ai ensuite testé cet album dans le cadre de mon travail. Et là, clairement, il m’a mise en difficulté. Je pratique habituellement la lecture individuelle, la lecture intime. Je fais plus de la lecture à voix basse qu’à voix haute finalement. Ce livre ne se prête pas du tout à cette pratique. J’étais mal à l’aise, les enfants ne comprenaient pas où je voulais en venir. J’ai même eu un petit moment de solitude, avec un enfant qui ne réagissait pas beaucoup à cette lecture, son père, qui était présent, a essayé de lui expliquer pourquoi c’était drôle. Flop total, j’ai même abandonné avant la fin ( je lui ai ensuite lu Oh non Georges, ce qui l’a beaucoup fait rire, ouf)

Quand l’été viendra, j’emmènerais le livre sans images en bibliothèque de rue où, à mon avis, il aura un grand succès. Je l’imagine assez bien aussi en lecture collective, avec un petit groupe de bambins, comme ce qu’on peut voir dans la vidéo de présentation. L’effet de groupe, le plaisir d’entendre ensemble, et dans la bouche d’un adulte, des mots transgressifs, tout cela doit contribuer au succès du livre.
Il est de rares circonstances dans les quelles mon travail me conduit à faire des lectures collectives, je crois que je vais réserver cet album à ces moments là.