Des albums de littérature enfantine à proposer aux enfants dès 3 ans. Petites comptines, grandes histoires, imagiers, ils affirment leurs gouts et aiment à la fois relire inlassablement les mêmes albums et en découvrir de nouveaux. C’est le moment de leur faire découvrir la grande richesse de la production, de nombreux livres s’offrent à eux.
Le ça M. Escoffier M. Maudet école des loisirs 10€50
isbn: 978-2-211-21426-1
Ah, comme il est difficile de parler de cet album sans dévoiler sa savoureuse chute!
Jules joue tranquillement, les fesses à l’air, quand il est interpellé par sa mère. Mais qu’est ce que c’est que ça? L’index pointé vers l’objet du délit, la mère n’a pas l’air ravi ravi, même si on n’en voit que les jambes, on imagine facilement le ton de sa voix. Mais Jules ne semble pas se sentir coupable. Ça, c’est le ça, tout bêtement. Avec la pudeur des adultes et le manque de vocabulaire des enfants, le ça revient dans la conversation qui s’en suit et désigne plusieurs choses: « c’est ça le pot pour le ça? Oui, c’est ça ».
Mais, n’y aurait il pas un gros malentendu entre Jules et sa mère? Quand l’album se termine, les adultes comme les enfants le relisent en général immédiatement. Et découvrent alors que l’illustration, bien que minimaliste, avait dés le début, montré le ça qui n’est pas forcément celui qu’on croit.
Il est bien rare qu’un album sur ce sujet soit aussi drôle, il est bien rare aussi qu’un album aussi simple propose deux niveaux de lecture. Une grande réussite, il ne faut pas passer à côté.
Par une belle prouesse graphique, Jennifer Kerkes arrive avec talent à représenter l’absent, à montrer l’invisible.
C’est l’histoire d’un oiseau tout blanc. Tellement blanc que la plupart du temps on ne voit de lui que le bec orange et les pattes violettes.
Invisible, moqué dès qu’on le voit, le drôle d’oiseau décide de partir. En chemin, il découvre un monde vaste et beau, dont il collectionne les petits riens: brindilles, fleurs tombées et plumes égarées.
Avec sa collection sous l’aile, il attire l’attention ce qui le rend tout fier. Mais ainsi révélé, il devient surtout visible aux yeux des prédateurs. Après une grosse frayeur, il va finir par trouver le bon équilibre entre timidité en confiance en soi.
Et bien sûr, de sa particularité il aura fait une qualité, qui permet même de se faire des amis.
J’aime beaucoup cette idée qu’on n’existe pas totalement si on est seul au monde, que ce n’est que dans un environnement qu’on se révèle, que la vie prend tout son sens dans la relation avec les autres, comme l’oiseau qui n’apparaît que sur un décor.
Toc!toc! Qui es là? S. Grindley A. Browne Kaléidoscope 12,20 € (ou lutin poche 5,60€)
isbn: 9782877674584
Encore un album signé Sally grindley pour le texte qui est devenu un incontournable. Il faut dire que les images d’Anthony Browne racontent admirablement tout ce que le texte tait. Une alchimie très réussie en somme.
Une fillette est couchée dans son lit, avec son ours blottit dans ses bras, elle semble attendre le bisou du soir. Sur la table, une lampe diffuse une lumière douce et chaleureuse. La housse de couette est décorée de dessins enfantins. Elle sourit.
Quand soudain, on frappe. Toc, toc, qui es là? Autour de la porte, le papier peint s’orne de bananes. Des doigts velus tentent d’ouvrir la porte. « c’est moi, l’énorme gorille aux gros bras poilus et aux grandes dents blanches. Quand tu me feras entrer, je te serrerais si fort que tu en perdras le souffle ». « Alors, tu n’entreras pas! » répond fermement la fillette. Mais aussitôt, on frappe de nouveau.
Cette fois ce sont des chats noirs qui apparaissent sur le papier peint et un chapeau pointu dépasse de l’encadrement de la porte.
La sorcière, à son tour, est éconduite, alors que sur la housse de couette les dessins s’animent: la poupée semble crier, le cochon s’inquiète, la lune à l’air bizarre.
Derrière la porte vont se succéder le fantôme, le géant, le géant. Toujours, le papier peint donne des indices sur la créature qui va apparaître Sur la couette, les personnages réagissent de plus en plus.
Mais qui peut donc s’amuser à tourmenter ainsi une fillette au moment du coucher? D’ailleurs, si tout ça n’était qu’un jeu? Le jeune lecteur attentif aura découvert la supercherie depuis le début, pour les autres (les enfants les plus distraits ou les adultes qui ont tendance à regarder le texte plutôt que les images) les auteurs ont la délicatesse de nous donner en fin d’album la clef du mystère.
Les enfants se contentent rarement d’une seule lecture de cet album, attendez vous à le lire et le relire de nombreuses fois, il faut bien ça pour saisir toute la richesse des illustrations.
Anton et les rabat-joie O. Koennecke école des loisirs 12€20
isbn: 9782211212274
C’est un peu toujours la même problématique qui est explorée dans les albums d’Anton: Comment exister comme petit individu unique et indépendant au sein de la communauté des autres enfants? Toujours, Anton trouve des stratégies pour faire sa place.
Dans Anton et les rabat-joie il débarque avec dans son chariot gâteaux et jus de fruit. Mais Greta, Nina et Lukas sont occupés, ils ont à peine un regard pour lui. Ça alors, quelle injustice! Puisque c’est comme ça, Anton s’en va, et puis d’abord, il ne reviendra pas, parce qu’il sera mort!
Il s’allonge et il est parfaitement mort, même quand une feuille lui tombe sur le visage et qu’il doit souffler dessus pour s’en débarrasser. Il est parfaitement mort aussi quand il doit expliquer à Lukas ce qu’il fait par terre. D’ailleurs, Lukas trouve ça épatant qu’il soit mort, comme ça, on va pouvoir l’enterrer.
Mais Nina ne veut pas prêter sa pelle. Alors du coup, Lukas aussi est mort, parce que si c’est comme ça, hein, bon. Et quand Greta prétend que la pelle est la sienne, c’est au tour de Nina de s’allonger à coté des deux garçons, même que tant pis pour eux, elle est morte pour toujours.
Et quand tout le monde est mort? Il devient difficile de tenir le jeu longtemps.
Aucun doute, Ole Koennecke doit très bien se souvenir de sa propre enfance. Chacun peut reconnaître ses propre jeux dans cette histoire.
Je me régale toujours à lire ses albums, qui nous donnent à voir les enfants en train de grandir. Dans la sécurité de leur jeux, ils expérimentent, se mesurent les uns aux autres, jouent avec des notions qui les dépassent pour mieux les apprivoiser.
Depuis sa parution en 1991, le succès de cet album ne s’est jamais démenti. Dans les crèches, les écoles maternelles, il s’est imposé comme un incontournable.
L’histoire commence dès la page de garde. On s’approche d’un château menaçant, dont la porte ressemble à une bouche aux longues dents acérées . D’immenses traces de pas nous montrent le chemin.
Le personnage principal du livre est le lecteur lui même. Accompagné du narrateur qui lui fait visiter les lieux, il s’immisce dans un château où il n’a pas été invité.
A l’intérieur, tout est démesuré. On navigue entre les pieds de la table imposante, au milieu des reliefs d’un repas gargantuesque: vieux trognons, ossements et « miettes » démesurées.
Mais le géant ne vit pas seul et pour se promener impunément dans son domaine il faut prendre bien garde de ne pas réveiller la souris au ventre énorme, la chatte velue, la poule qui couve.
A chaque fois qu’on quitte une pièce, on s’assure par un jeu de caches à soulever qu’on laisse bien tout le monde endormi. Jusqu’à ce qu’on arrive dans la chambre du géant lui même. Saurons nous rester suffisamment discrets?
Rare sont les albums qui arrivent à inclure le lecteur avec une telle efficacité.
Les enfants trouvent un plaisir incroyable à jouer au chat et à la souris avec cet ogre menaçant. Ouvrir et fermer le livre, réveiller le géant, lui fermer la page au nez, y revenir, quelle jubilation!
Personnellement je trouve que le début du texte gagnerait à être un peu moins long, il est un peu bavard. Mais il faut dire que je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai lu. D’autant qu’une lecture suffit rarement. Le livre à peine refermé, le dernier mot à peine prononcé (l’histoire se poursuit jusqu’à la quatrième de couverture) l’enfant en redemande déjà: « encore, encore » et le jeu peut se poursuivre indéfiniment, les enfants se lassent en général bien après les adultes.
A noter que Chhht fait parfois très peur aux enfants, au point que certains ne veulent même pas l’ouvrir. C’est le type de livre qui impliquent que l’adulte lecteur soit très attentif aux réactions (y compris non verbales) des enfants. Pour en savoir plus sur la médiatisation des albums qui font peur vous pouvez lire cet article.
Petit beignet rond et doré P Gay-Para R. Saillard Didier jeunesse, à petits petons 11,50€
Pour le goûter, maman prépare des beignets. Humm, le petit garçon regarde avec appétit sa mère mélanger œufs, farine et lait puis faire frire tout ça dans l’huile bouillante. Le petit beignet, bien doré, sort sa tête de l’huile. Une fourchette se dresse devant lui: « Petit beignet rond et doré, viens par ici, je vais te manger!
-Ah non!
Le beignet bondit hors de la poêle, rebondit sur l’évier, passe par la fenêtre et atterrit devant un chaton maigrichon. »
Ça vous évoque quelque chose? C’est effectivement une version de la galette qui échappe à ses prédateurs, qu’on retrouve dans le très classique « roule galette », que nous offrent les auteurs. Une version moderne, pleine de pep’s et aux couleurs éclatantes.
Comme toujours dans la collection « à petit peton« , c’est une conteuse, habituée à donner son conte à l’oral qui à travaillé ce texte pour l’écrit. Et le résultat une fois de plus est à la hauteur. Le texte se met en bouche comme un bonbon, on se l’approprie immédiatement, les enfants l’apprennent par cœur en quelque lectures. Le rythme, les rimes, les allitérations, tout tombe pile poil pour rendre l’histoire savoureuse. Ajoutez à cela une chute amusante et des images percutantes, vous avez un très chouette album.
Réédition d’un album d’abord paru chez Duculot en 1977. Longtemps épuisé, il a donné lieux à une refonte totale par l’auteur, sous la forme du très bel album « une histoire à 4 voix », en 1998.
Il est en quelque sorte la cinquième voix, ou plutôt la première, la genèse, la voix du narrateur.
Monsieur Smith et sa fille, Réglisse, quittent leur immeuble miteux pour une promenade au parc avec leur chien, Albert. Au même moment, Madame Smarthe et son fils Charles sortent de leur belle maison pour la promenade de Victoria, leur chienne. Symétrie, jeu de miroir, les deux familles sont très semblables tout en étant opposées. Les chiens vont sympathiser tout de suite, les enfants se rapprocher petit à petit. Mais les parents, parce que ce sont de grandes personnes, resteront dans l’ignorance l’un de l’autre. L’histoire est simple, le texte descriptif. Mais l’illustration est déjà une absolue merveille.
La famille Smith sur la page de gauche, la famille Smarthe sur celle de droite. La charnière du livre qui semble former une frontière entre les deux. Quand on quitte les parents, on découvre un parc sans limites, étonnant et presque inquiétant, lieux de mile aventures. Les enfants et les chiens y partagent des jeux plein de fantaisie. Et, comme très souvent chez cet auteur, on peut passer des heures à chercher les petites choses en plus, tout ce que le texte ne raconte pas mais que l’enfant perçoit très bien. Il y a des visages dans les arbres, un monsieur qui promène un cochon en laisse, les arbres qui ressemblent à des pissenlits, le banc a de drôle de pied, le père noël joue au foot avec entrain.
Cet album est un régal en lui même. Mais il prend encore plus de saveurs quand on connaît « une histoire à 4 voix ». On sait alors que dans son journal, ce sont les annonces d’emplois que consulte Monsieur Smith. On sait que Madame Smarthe n’apprécie guerre de voir sa chienne de race s’acoquiner avec le bâtard des voisins. On sait à quel point l’histoire est plus riche que ce qui est montré. C’est un peu ce qui fait que j’aime tant les albums d’Anthony Browne d’ailleurs. On a toujours le sentiment qu’on ne voit qu’une petite partie de l’histoire, que les personnages existent de façon beaucoup plus précises, riche, dans l’imaginaire de l’auteur.
Petit bleu et petit jaune Leo Lionni école des loisirs 10,20€
isbn: 978-2211011716
Alors qu’il est seul chez lui, petit bleu quitte la maison malgré l’interdiction pour rejoindre son meilleur ami petit jaune. Quand ils se retrouvent enfin, ils sont tellement heureux qu’ils s’embrassent au point de se fondre l’un dans l’autre, de fusionner et de ne faire plus qu’un. C’est donc sous la forme d’une unique petite tâche de couleur verte qu’ils poursuivent leur journée. Ils vont jouer dans le parc, rencontrent petit orangé, se promènent. Mais quand ils rentrent, papa bleu et maman bleu ne reconnaissent pas leur enfant.
C’est vraiment un incontournable de la littérature jeunesse, sans cesse réédité depuis sa première parution en 1970, et pour cause. Ce livre est remarquable par sa richesse et l’économie de moyen pour la mettre en œuvre.
Il est très utilisé en maternelle, pour travailler les couleurs bien sûr mais aussi l’image de soi, le thème du héros, le respect des règles, la lecture de l’image etc.
Pour ma part, je le propose volontiers à des enfants de crèche, qui le dégustent avec délectation. Ce livre semble faire échos à des sentiments très forts pour eux. J’ai souvent vu des enfants me demander de relire à maintes reprise la page où petit bleu et petit jaunes fondent en larme pour enfin se reconstruire, être eux même, et être de nouveau identifiés par leurs parents respectifs. D’autre ferment le livre au moment où les deux personnages se retrouvent et se mélangent, satisfaits sans doute de cette fusion amicale. Mais presque tous me redemande cet album plusieurs fois, tous semblent pouvoir s’y reconnaître.
Oumpapoose cherche la bagarre Françoise de Guilbert, Ronan Badel Editions T. Magnier 12,50€
isbn: 978-2-36474-226-0
Dans la pleine du far west, alors que les indiens dorment dans leur tipis, les petits poings d’Oumpapoose s’agitent. Il rêve de coups de poing et de coups de pied. Dès le lever, il se met en quête d’un adversaire à sa mesure. Mais ses frères partent chasser le bison, ours rugissant semble en hibernation et il ne sert à rien d’attaquer le fort, la cavalerie à déserté.
Il y a bien cette petite squaw qui semble disposée à en découdre mais non, non, non, pas question de se battre avec une fille!
Comme dans l’épisode précédent, l’humour naît du décalage entre le sérieux de la situation pour le personnage et l’indifférence générale à la quelle il se heurte. Alors que le texte se place du coté d’Oumpapoose, l’image le tourne sans cesse en dérision.
Un livre très drôle à partager avec des enfants qui se régaleront à décrypter l’image, dans une connivence avec l’auteur, et à rire de ce pauvre Oumpapoose.
On se prend à espérer que ces deux albums seront suivi de beaucoup d’autre, il y a bien des personnages secondaires qui seraient de parfaits héros décalés pour de prochaines histoires.
Edit: C’est désormais chose faite, avec l’album Les sœurs ramdam.
L’histoire commence dès la page de titre. Au bas de la page, un bandeau noir avec cette interrogation: « tiens, mais qu’est ce qu’ils attendent tous? Allons voir » Quand je lis cette phrase à voix haute, l’enfant peut se demander qui parle, est ce juste moi ou un des personnages du livre? Déjà, le lecteur est ferré, il attend la suite, impatient de voir de quoi il s’agit.
La mouette sera son guide. Elle souhaite la bienvenue et indique le chemin aux derniers arrivés.
Le panneau nous donne un premier indice: « En rang sur une file, et dans l’ordre s’il vous plaît ». Sans arrêt l’enfant peut découvrir dans l’image des pistes mais jamais la destination mystérieuse n’est dévoilée.
Une petite grenouille semble perplexe au pied du panneau. Elle porte le n° 50. Devant elle, on devine la queue d’un lézard, qui incite à tourner la page. On comprend que les animaux vont se succéder, rangés par taille, et que chacun porte un n°. L’histoire se raconte par les dialogues des personnages mais aussi surtout par l’image. Certains animaux semblent savoir pourquoi ils sont là, et en disent juste assez pour piquer la curiosité du lecteur. D’autre s’interrogent ou s’impatientent.
Des petites scènes entre les animaux rompent le rythme de l’attente. La mouette remonte la queue, nous la suivons dans un long travelling et latéral et découvrons des animaux familiers ou sauvages, de tous les coins du monde, qui attendent ensemble, parfois un peu inquiets (le mouton n’a pas l’air ravit d’être juste derrière le loup), parfois jouant entre eux.
Quand je lis cet album, les enfants parfois trépignent d’impatience, ils veulent connaître la suite. Le décompte des animaux permet d’anticiper, d’évaluer le nombre de pages restantes. Et puis, les animaux étant de plus en plus gros, ils prennent de plus en plus de place sur la page donc le rythme de lecture s’accélère. Quand on arrive enfin à l’animal n°1, l’éléphant bien sûr, ils tournent vivement la page. Et l’auteur, joueur, recule encore le moment de la découverte, une double page présente une grande grille avec ces seuls mots « vagues géantes ». Il faut ouvrir les doubles pages, comme un rideau de théâtre pour enfin découvrir l’attraction et regarder les animaux laisser éclater leur joie dans un grand « splatch » collectif. Les enfants jubilent, ils frétillent, ils en redemandent. Et plus je leur lis, plus ils sont contents. L’attente est joyeuse, ils connaissent le dénouement. Moi aussi d’ailleurs, plus je le lis plus je l’aime cet album, je découvre à quel point chaque détail est pensé, de la page de garde à la 4eme de couverture, chaque élément de l’image à sa raison d’être et enrichit l’ensemble.