Tout le monde le sait, nul ne peut l’ignorer, aujourd’hui un tigre, un vrai, s’est échappé!
La ville tremble à l’idée de se faire dévorer, nul n’est à l’abri, nulle part.
Bon, à bien y regarder, l’ado scotché sur son smartphone n’a pas l’air de se sentir spécialement concerné. Mais les autres, tous les autres, sont sur le qui-vive, et si la bête affamée attaquait?
Autant vous le dire tout de suite, je ne sais pas résister aux images de François Soutif. Je trouve chez lui un humour graphique terriblement efficace. Il emprunte aux codes de la bande dessinée, du dessin de presse, des dessins animés et il raconte en quelques traits des histoires pleines de nuances. Souvent d’ailleurs, il se passe très bien de texte (comme dans l’album Hou là là, que je ne saurais trop vous conseiller).
La chute est racontée quasi exclusivement par la dernière image, qui d’ailleurs expose à elle seule tout un tas de petites histoires.
Mon premier livre d’art l’amour, Phaidon
Une des choses que j’apprécie dans la littérature enfantine, c’est qu’elle peut initier les enfants à toutes formes artistiques. Les éditions palette, par exemple, excellent dans ce type d’albums.
C’est aussi le cas des éditions du Phaidon, qui publient plusieurs ouvrages thématiques illustrés par des sculptures ou peintures.
Dans Mon premier livre d’art, l’amour, le contenu est sans grande surprise par rapport au titre: c’est un album catalogue dans le quel des œuvres d’art illustrent plusieurs variations autour de l’amour.
Les pages sont cartonnées, pour être manipulées par les petites menottes, la reproduction est de bonne qualité.
Sur chaque page se trouve aussi aussi le titre de l’œuvre et le nom de l’artiste.
Disons le tout de suite, j’aurais pu passer totalement à côté de cet album tant je trouve la couverture peu attractive. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois chez cette maison d’édition, je parlerais bientôt de Tapis de feuilles qui lui aussi souffre d’une couverture qui n’est pas a la hauteur de son contenu.
Je vous invite tout de même à ouvrir Mon premier livre d’art, l’amour, qui se distingue par le choix des œuvres proposées.
Des tableaux, sculptures ou photos, dont certains sont très connus et d’autres plus confidentiels.
Les enfants découvrent avec bonheur ces œuvres qui, associées a un texte très simple leur sont parfaitement accessibles.
Il y a une grande variété dans le choix des œuvres. Classiques ou modernes, on y trouve des personnages de tout âges, de tout horizons.
Une belle façon de familiariser les enfants avec l’art pour qu’ils se sentent comme chez eux plus tard, quand ils rentreront pour la première fois dans un musée.
Un article paru dans la revue Le furet petite enfance en Mars 2019 concernant l’album Joyeux anniversaire, de Chihiro Nakagawa, Rue du monde.
Coopération, vie de groupe et travail d’équipe : le quotidien des petits bonshommes
Lassée de lire toujours les même albums, l’autrice Chihiro Nakagawa a écrit Joyeux anniversaire pour son fils, féru d’engins de chantiers.
On y rencontre pour la première fois les petits bonshommes qui aident en secret les humains (quatre autres livres leur seront consacrés, sous le titre générique « les p’tits bonzoms »). Ils sont nombreux, efficaces et, pour faire échos au thème de ce numéro, ils font du bon travail d’équipe.
Aujourd’hui, ils doivent confectionner un gâteau d’anniversaire.
La motte de beurre est découpée à la tractopelle, la juste quantité de sucre et de farine prélevée à la pelleteuse. Les engins les plus réalistes ou improbables viendront participer et le résultat sera à la hauteur des efforts. Le travail terminé, les bonhommes s’éloignent, laissant les humains ré-investir l’espace. L’anniversaire peut être célébré.
Ici, il n’y a pas de héros et les enfants ne sont pas invités à s’identifier à un personnage. Il s’agit plutôt de se reconnaitre dans un groupe dont les éléments semblent, au premier regard, indistincts. C’est l’harmonie de cette communauté qui est attractive pour le petit lecteur qui peut se penser comme un des éléments de l’ensemble.
Il est vrai qu’à regarder s’agiter la petite troupe, on peut penser à l’effervescence qui règne parfois dans un multi-accueil ou une cour d’école.
C’est au fil des lectures que les personnages vont peu à peu s’individualiser. Ainsi, un bonhomme semble particulièrement maladroit. A chaque page, on le trouve par terre ou en pleine chute. Le jeu d’observation commence alors pour l’enfant qui a repéré le malhabile. Parfois très visible, il faut sur certaines pages le chercher longuement pour le découvrir enfin, à moitié hors champ, ou tout petit, au loin, sur une passerelle.
D’autre personnages se distinguent : Là un petit groupe de 4, bottes et casques bleus, semble très occupé à ne rien faire. Ils sont munis d’un talkie-walkie et d’une carte, qu’ils scrutent avec attention, concentrés mais peu efficaces. Ici c’est un couple, l’un armé d’une pelle, l’autre d’un balai, ils ôtent inlassablement des poussières invisibles.
C’est au moment de la pause que la diversité des personnages se révèle, à travers leurs coiffures. L’uniforme se fait oublier et la personnalité de chacun s’exprime. On note qu’il y a à peu près autant de filles que de garçons, et qu’ils ne se différencient nullement par leurs fonctions dans le travail.
Les albums sur les engins sont plébiscités dans les crèches et beaucoup deviennent des incontournables. Rare sont ceux qui ont une telle richesse et offrent autant de perspectives de lectures. Celui-ci transmet des valeurs de faire ensemble, de cohésion, d’égalité des genres. Il interroge la question du réel et de l’imaginaire. Enfin, il révèle tout son potentiel au fil des lectures, ce qui permet aux professionnels de le partager avec des enfants des années durant, sans jamais s’en lasser.
Jack, Gabriel gay, école des loisirs
Parfois, quand on est petit, on a très envie d’être sage, on sait comment faire (ou plutôt que ne pas faire) pour être sage, mais voilà, on n’y arrive pas.
Faut dire, c’est pas toujours facile de se retenir.
Pour Jack, le petit chien, c’est une vraie gageure de se retenir de creuser dans le jardin.
Pourtant, papa maman sont très clairs sur le sujet: pas de trou dans la pelouse !
Bon, allez, juste un tout petit, ça se verra pas.
Oups, ça c’est vu.
La sanction tombe immédiatement : privé d’os et de caresse. C’est rude.
Alors, quand de nouveaux trous apparaissent sur la pelouse, Jack refuse de porter le chapeau, il cherche le responsable.
Les enfants se reconnaissent souvent dans le petit chien, victime à la fois de ses pulsions (impossible de se retenir de faire une bêtise) et d’une injustice.
Il faut dire qu’il a une petite bouille touchante qui force l’empathie.
Quand j’ai commencé à travailler avec cet album, j’ai très rapidement eu des retours négatifs de la part des adultes (parents ou professionnels) sur le couple de vieux qui sert de parent à Jack.
Ils n’ont pas vocation à être un modèle d’éducation, évidemment. Entre gronderie, chantage affectif, jugements hâtifs, on n’a pas très envie de se reconnaître en eux.
Mais je ne vois pas du tout en quoi c’est problématique de montrer dans une histoire des parents qui qui se comportent mal (voire carrément maltraitants, ce qui n’est pas le cas ici).
D’ailleurs, les enfants ne s’y trompent pas, ils savent bien que ce n’est qu’une histoire, et pas la vie (la vraie vie est parfois bien pire). Ce qui les intéresse je pense, c’est surtout les sentiments de Jack. Quel enfant ne s’est jamais senti accusé à tort? Quel bambin ne s’est jamais senti un peu minable après avoir fait une bêtise? Ce sont ces sentiments là qu’ils ont besoin d’éprouver dans la sécurité d’une histoire.
En tout cas, ils se font lire et relire cet album, ce qui me semble confirmer qu’il se passe quelque chose d’important dans leur tête à ce moment-là.
Pour accompagner la construction psychique des enfants, les livres ne peuvent pas raconter uniquement des histoires de gens gentils à qui il arrive des choses plaisantes.
Par contre, s’agissant de jeunes enfants, je pense qu’ils ont besoin d’histoires qui se finissent bien, ce qui est le cas ici, rassurez vous, Jack obtiendra finalement son os et plein de caresses.
Ronds ronds, Betty Bone, éditions courtes et longues, 22€
Il y a d’abord le ventre rond, puis le rond du mamelon. La pupille, le bouton, et dans l’herbe le ballon.
Avec la forme ronde comme fil conducteur, Betty Bone énumère les bonnes choses de la vie. Tout ce qu’on peut aimer quand on est un bébé puis un enfant et même, peut être, un adulte.
L’album est écrit à la première personne et illustré en plan subjectif.
Entre récit de vie et imagier, il déroule une épopée, celle d’un petit garçon, on le comprend quand on voit son visage dans un miroir.
A travers ses yeux, toutes les bonnes choses de la vie sont évoquées, avec une même structure de phrase à chaque page: « J’ai aimé… »
Avec cette formule très positive, les moments plus difficiles sont aussi évoqués, comme le deuil, et l’absence qui en résulte, matérialisée par une page blanche.
C’est très beau, le texte court se prête parfaitement à la lecture à voix haute même à des tout petits. Et avec les bambins plus grands, cet album ouvre de belles discussions, où chacun peut exprimer ses souvenirs et ses appétences.
J’irais voir, Emmanuelle Bastien, l’agrume J’irais voir est un petit album très épuré dans le quel les illustrations sont formées par des pages unies découpées. Elles façonnent des paysages aux lignes pures, des horizons variés.
Une forme ondulante verte est Coline. Au verso la page est blanche, la même forme devient brume.
Au fil de la lecture certaines pages proposent des camaïeux aux couleurs proches et d’autres jouent sur les contrastes entre couleurs franches.
C’est intéressant en le feuilletant de ressentir à quel point une même forme peut raconter deux histoires différentes, en fonction de sa couleur, de ce qu’il y a en face d’elle et aussi du texte qui l’accompagne, aussi minimaliste fut-il.
Comme il y a très peu de texte et aucun détail dans l’image, on laisse fonctionner notre imaginaire à la lecture de ce joli petit livre. On se laisse emporter par les sensations. Je lui trouve quelque chose de très apaisant.
C’est un joli travail artistique, vraisemblablement inspiré de l’œuvre du designer Katsumi Komagata.
Les petits imagiers de Maria Jalibert: Bruits, éditions Didier jeunesse, 9€90
Depuis le très remarqué Bric-à-brac, Maria Jalibert a fait plusieurs albums qui tous mettent en scène des jouets de pacotille. Ils sont pleins d’humour, de rythme, d’inventions, mais aussi très structurés et ils prêtent généralement à la réflexion.
Dans les petits formats, aux pages cartonnées, on trouve Animaux, Couleurs et Bruits, mon préféré.
Ici, le texte se réduit la plupart du temps à des onomatopées et les objets sont réunis en fonction des sons qu’ils émettent.
Quand on le lit à voix haute, ça sonne, ça crisse, ça siffle, et ça claque.
Alors forcément, ça attire l’attention des bambins, même ceux qui sont occupés à jouer un peu plus loin s’approchent pour voir ce qui se passe.
Outre le texte très rythmé, tout en dialogues ou sons, les enfants sont passionnés par les images, qui sont tellement représentatives de leur univers. Ils jouent à comparer les différentes petites voitures, font semblant de se saisir du téléphone, s’interrogent sur certaines images et parfois affirment leur point de vue. Un petit garçon m’a par exemple expliqué que « Le monsieur on lui met un coup de marteau sur la tête parce qu’il est méchant. Voilà ». Ah? Ok.
Je relis souvent cet album plusieurs fois au même enfant et il n’est pas rare qu’un petit groupe se constitue pour écouter ensemble, chacun pointant du doigt ce qui l’intéresse le plus.
Et puis, toutes ces onomatopées, ça convient aussi très bien aux bébés, en plus ça évite la question qu’on me pose trop souvent « mais est-ce qu’il comprend? »
C’est aussi un livre qui se prête parfaitement à la lecture avec des enfants allophones car il abolit la barrière de la langue (oui, je sais que les onomatopées se traduisent et changent selon les langues. N’empêche que quand on fait « bing », pour peu qu’on y mette un peu le ton, tout le monde s’y retrouve.)
Francisco, Perceval Barrier, l’école des loisirs, 12€20
Ne cherchez pas à sympathiser avec Francisco le chat sauvage, c’est peine perdue. Il n’en a pas envie. Hé, ho, c’est pas pour rien qu’il s’est installé dans le désert, faudrait voir à pas trop s’attarder.
D’ailleurs, la plupart des clients de sa station service jouent parfaitement le jeu, ils prennent de l’essence et s’éloignent, c’est comme ça que ça doit fonctionner.
Mais après avoir fait le plein, madame Lapin ne parvient pas à redémarrer. Elle est dépitée, comme sa marmaille à l’arrière d’ailleurs.
Francisco s’impatiente, sans même la regarder il lui lance « C’est le moteur, il est trop chaud ».
Vous la voyez venir l’histoire du solitaire bourru qui va finir par se prendre de sympathie pour la mère de famille esseulée?
Vous avez raison, rien de très nouveau sous le soleil.
Mais j’attire votre attention sur le fait, d’une part, que si vous avez l’impression d’avoir déjà lu cette histoire, ce ne sera pas le cas pour les enfants à qui vous allez la lire. D’autre part sur le talent avec le quel elle est racontée ici.
La bouille très expressive du chat courroucé, la mise en page proche de la bande dessinée, le texte ciselé, tout fonctionne à merveille.
Sans compter les petites excentricités et jolies surprises, comme la maison secrète du chat, mise en valeur par un plan de coupe assez original, ou la bande de loubards du désert.
Bref, un album des plus sympathiques qui est très souvent choisi par les enfants et que je lis et relis avec le même plaisir. Et ça, croyez moi, c’est la preuve qu’un album est réussi, parce que dans mon boulot je suis parfois amenée à lire des dizaines de fois le même livre alors il vaut mieux être sélectif!
Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
Encore un peu petite, Mari Kasai, Chiari Okada, Nobi nobi !
C’est long de grandir, ça se fait tout doucement, trop doucement parfois. Il faut attendre d’être grande pour sortir le chien toute seule, pour porter la robe rouge offerte par grand-mère, si jolie mais trop grande. La fillette le sait, plus tard, elle pourra faire toutes ces choses. Plus tard, mais pas tout de suite. Elle est encore un peu petite.
Et puis quand on est petit, c’est difficile aussi de prêter ses jouets.
Mais quand il s’agit de se réconcilier avec sa copine, là, ça ne peut pas attendre, il faut le faire immédiatement.
Un très joli album dans lequel les scènes de la vie quotidienne soutiennent le propos.
La petite héroïne est à la fois consciente de ses limites et de son potentiel, elle a une belle confiance en l’avenir.
Les crayonnés réalistes et emprunts d’une grande douceur de l’illustratrice accompagnent parfaitement le texte.