Des albums de littérature enfantine, sélectionnés pour leurs qualités, qu’on peut lire aux enfants à partir de 8 ans et qu’ils peuvent aussi lire seuls, ans sans limite d’âge supérieure
L’anniversaire, Pierre Mornet, l’étagère du bas, 16€50
D’abord publié par autrement jeunesse en 2013, l’anniversaire est aujourd’hui réédité par les éditions l’étagère du bas, avec une couverture inédite.
C’est un très bel album onirique et complètement atypique.
Devenue adulte, une jeune femme se souvient d’un anniversaire de son enfance.
Suite à une partie de cache-cache, elle s’égare dans la forêt où elle rencontre une autre fillette, aussi blonde qu’elle est brune. Elle est son double négatif, son reflet, peut-être la part lumineuse d’elle-même. Les deux enfants se lient immédiatement d’amitié.
Mais la reine de la nuit en a décidé autrement. La narratrice veut sauver son amitié et offre en échange tous ses rêves à la terrible reine.
Dès le début le texte, qui nous situe entre veille et rêve, instaure un univers étrange. L’image accentue cet aspect, faisant des références multiples, qui vont d’Alice aux pays des merveilles aux peintres surréalistes, en passant par la flute enchantée.
L’histoire garde ses secrets, ses ellipses. L’auteur s’offre même le luxe d’une double page entièrement noire, d’un noir très profond, alors que l’héroïne ferme les yeux.
Cette vue subjective met le lecteur en attente, autant qu’elle impose le recours à son propre imaginaire.
Avec certains enfants, cet album touche au cœur des émotions. Entre nostalgie (si, si, même les enfants peuvent ressentir de la nostalgie) et plaisir, entre inquiétude et tranquillité, toute l’ambivalence des sentiments trouvent échos dans ces pages.
D’autres seront indifférents, c’est là le propre de l’art, il touche différemment chaque individu.
Rien n’arrête Sophie, Cheryl Bardoe, Barbara McClintock, éditions des éléphants, 14€
C’est vrai qu’il y a quelque chose de très rassurant dans les mathématiques. Les chiffres, c’est fiable, c’est stable, on peut compter dessus (sans mauvais jeu de mot).
La petite Sophie aime les mathématiques, ce qui n’a rien d’habituel pour une fillette de son époque. Alors que dehors gronde la révolution française, les formules et les calculs sont son refuge. Dans son appartement parisien (que l’image nous montre plutôt bourgeois) elle étudie constamment.
Au grand dam de ses parents: une fille qui se pique d’être mathématicienne, on n’a jamais vu ça! Ils font tout pour la décourager, la privant de bougie ou de vêtements chauds pour qu’elle reste enfin dans son lit la nuit au lieu d’étudier.
Mais, rien n’arrête Sophie!
A l’âge de 19 ans, elle se débrouille pour suivre des cours à distance, signant ses travaux « Monsieur Leblanc ». Travaux qui sont tellement brillants qu’elle finit par être repérée par un des professeurs, qui cachera à peine sa déception en apprenant qu’une femme se cache derrière le pseudo.
Il lui faudra une détermination sans failles et une persévérance constante pour obtenir enfin la reconnaissance de la très prestigieuse académie des sciences.
Je ne connaissais pas l’histoire de Sophie Germain et j’ai apprécié de la découvrir dans cet album, il est vrai qu’elle est inspirante!
De la fillette à la mathématicienne reconnue, on la voit grandir au fil des pages mais il semble qu’elle reste la même, toujours plongée dans un monde de chiffres (ils sont d’ailleurs en permanence très présents dans l’image, comme pour dire à quel point ils ordonnent son univers psychique).
Sophie Germain à révolutionné les mathématiques et elle l’aurait sans doute fait plus encore si la maladie ne l’avait pas emportée prématurément.
L’album offre une biographie adaptée aux enfants, très joliment illustrée, et une vision documentée de l’époque.
Rouge dans la ville, Marie Voigt, kaléidoscope, 13€
Une fillette, chaperon rouge sur le dos, doit traverser un milieu hostile pour apporter un gâteau à sa grand-mère.
L’histoire est connue, on attend déjà la confrontation avec le prédateur.
Mais ici, ni forêt ni loup.
Le lieu de tous les dangers, c’est la ville, que la petite, prénommée Rouge, doit traverser pour la première fois. Elle n’est pas seule, son chien Woody l’accompagne. Elle ne peut pas se perdre, il suffit de suivre le chemin de fleurs rouges, en forme de coeur. Mais les périls sont là, plus insidieux qu’une bête féroce, plus discrets qu’un monstre affamé, mais tout aussi dangereux.
Car ici, c’est la ville elle-même qui pourrait bien avaler l’enfant, l’engloutir, la digérer.
Et, à travers la ville, c’est la société de consommation qui est montrée comme prédatrice, qui entrave la liberté et prive Rouge de sa capacité de penser.
Le récit se tisse beaucoup par les images. Ce sont elles qui racontent la froideur de l’environnement, l’indifférence coupable des passants, la force hypnotique du marketing.
Le pelage, la queue ou le regard du loup y sont omniprésents, en échos aux images publicitaires.
On ressent très vite de malaise de Rouge, sa perte de repère. Et on partage son soulagement quand, aidé par son chien, elle finit par dépasser cette épreuve et que sa grand-mère lui démontre que la ville peut aussi être un espace d’épanouissement.
Big Bang Pop! Claire Cantais, l’atelier du poisson soluble, 21€
Tout a commencé par un grand bruit, BANG ou peut-être pop. Et, du presque rien, on est passé au grand tout. Une expansion, du mouvement, quelque chose qui prend forme. Et puis une planète, secouée par les éléments, sur la quelle apparaît, petit à petit une chose nouvelle que l’on appelle aujourd’hui la vie.
Dans l’eau puis sur terre, les dinosaures, les animaux, les humains, puis leurs inventions, machines et technologies récentes, tout cela se succède à grande vitesse.
Et puis, stop. On s’arrête, on prend du temps.
Et on découvre un couple, debout, de dos face à la mer. Ils ne sont représentés que par leurs silhouettes, chacun peut leur donner les traits qu’il veut. Ils incarnent tous les couples du monde.
Et c’est là que tout commence, par un grand chambardement. Du presque rien va naître le grand tout, une fois encore. Une expansion qui va prendre forme. Un bébé, celui précisément auquel s’adresse l’album, va grandir dans le ventre de sa mère, puis venir au monde. Ça tombe bien, il ne manquait plus que lui, que la fête commence!
En faisant ce parallèle, Claire Cantais met le lecteur dans un double mouvement. Il se sent d’abord tout petit, un minuscule point dans l’univers, un bref instant dans l’histoire. Puis il en est le point central, à l’échelle d’une famille l’enfant est le protagoniste.
Les images en papier découpé, rehaussé de traits de posca, sont d’une grande beauté. Elles sont très construites, dans le mouvement ou statiques, toujours extrêmement lisibles, maîtrisées.
Rue des quatre-vents, au fil des migrations, Jessie Magana, Magali Attiogbé, Les éléphants, 16€50
En 1890, rue des quatre-vents, vivaient Marcel, l’auvergnat qui tenait le troquet, Marco, l’italien joueur d’accordéon et aussi le petit Stephaan, venu de Begique avec sa famille, parce qu’il y avait du travail à la briquetterie.
Sur les murs de la rue des quatre-vents, on trouve une publicité pour les bouillons kub, hé oui, déjà. Sur la route pavée passent des chevaux et des carrioles. Un chantier commence, qui éventre la rue, il durera des années.
L’histoire se raconte autant dans l’image, au long format italien, que dans le texte, qui se trouve sur un rabat à droite, comme pour ne pas altérer le paysage.
On identifie facilement une rue typiquement parisienne, avec ses immeubles aux toits en zinc. L’école publique y est divisée en deux parties, garçons et filles (tiens, côté filles il y a des rideaux aux fenêtres). Les hommes portent des moustaches et les femmes des robes longues, les petits garçons des culottes courtes.
Sous le rabat, comme à l’écart, invisible au premier regard, le quartier le plus pauvre de la rue. Ici, dans les baraques instables, les habitants sont en guenilles.
Le décor est planté, nous le retrouverons à chaque page et, à travers cette rue, ses bâtiments et ses habitants, un peu plus d’un siècle d’histoire va se tisser.
Les générations se succèdent, le déterminisme social fait rage et toujours, dans la partie de droite, sous le rabat, les familles les plus pauvres, comme chassées du centre de la page, du bidonville au camp de migrants.
Cet album très réaliste, proche du documentaire, donne à voir toute la difficulté de vivre dans ce monde là.
Mais il montre aussi la solidarité, les liens qui se créent, les gens, les vrais, qui arrivent à vivre ensemble, plutôt bien.
Finalement l’album n’est pas triste, il est réaliste et porteur d’espoir. Et, oh combien nécessaire!
Ruby tête haute, Irène Cohen-Janca, Marc Daniau, éditions des éléphants, 15€
Il y a des histoires qui font l’Histoire et il est important de les
raconter, de les transmettre, de les faire exister pour surtout,
surtout, ne jamais les oublier. L’histoire de la petite Ruby est de celles là.
Dans la Lousianne des années 60, les noirs et les blancs ne se mélangent pas. Ruby, comme tous ses camarades, va donc à l’école qui leur est réservée. Rien de plus normal pour cet enfant de 6 ans
qui a toujours connu la ségrégation. Avec sa famille, ses amis, elle
vit dans un monde uniquement peuplé de noirs, à l’école comme pendant
les vacances.
Mais un jour, des militants de l’égalité viennent frapper chez eux et convainquent sa mère d’inscrire Ruby à l’école des blancs (sous réserve d’un examen particulièrement difficile).
Personne ne demande son avis à la fillette. Personne ne lui explique les enjeux de sa réussite. Et, quand elle rentre à l’école des blancs, c’est sous les menaces de la foule haineuse, entourée de quatre policiers chargés de sa protection.
Ruby semble presque protégée par sa naïveté, elle ne comprend pas pourquoi devant l’école des manifestations sont organisées quotidiennement, ni pourquoi elle est la seule élève de sa classe. Elle va même jusqu’à reprendre les comptines racistes entendues dans la bouche des enfants blancs, sans les comprendre.
Tous les jours, c’est avec calme et en étant posée qu’elle traverse la foule des haineux.
L’histoire débute par une mise en perspective. Dans une classe, des enfants découvrent le tableau The problem we all live with, peint par Norman Rockwell et qui est ici réinterprété par Marc Daniau, montrant la véritable Ruby Bridges, encadrée par des policiers, se rendant pour la première fois à l’école. Les enfants d’aujourd’hui ont du mal à interpréter cette image, ils font des hypothèses, sont assez loin de la vérité, ils n’ont pas les codes pour la décrypter, ils ne savent rien de la ségrégation, ou si peu.
Puis on rentre dans le récit proprement dit, Irène Cohen-Janca donne la parole à la petite Ruby, et c’est à travers ses yeux que l’on découvre la rancœur et la fureur des uns, le soutien des autres. Et ses besoins d’enfants, qui voudrait juste jouer avec des copains. Pourtant, elle n’est jamais aigrie, jamais en colère, elle fait toujours preuve d’une grande dignité, du haut de ses six petites années.
Et, grâce à elle, les choses changent. L’année suivante, Ruby pourra se rendre à l’école sans escorte et y fréquenter à la fois des enfants blancs et d’autres enfants noirs qui, comme elle, ont désormais le droit de fréquenter l’école du quartier.
Les peintures de Marc Daniau sont aussi émouvantes que le texte. Et, grâce au grand format elles sont particulièrement immersives. On est en empathie totale avec cette fillette qui reste sereine face aux visages, déformés par la haine, des manifestants. On a envie de marcher à ses côtés.
Généralement Ruby tête haute, qui relève plus du texte illustré que de l’album, est proposé à partir de 9 ans.
Moi je l’ai lu à des enfants de 7 ans, en les accompagnant dans la lecture. Ils ne sont pas trop jeunes pour s’identifier à Ruby, ni pour comprendre la haine dont elle a été l’objet.
Je pense qu’il doit aussi très bien se prêter à des lectures en classe, où il doit susciter des discussions nécessaires.
La peinture d’Uchiki, Isabelle Wlodarczyk, Xavière Brincard, à pas de loup, 16€
Uchiki est issue d’une lignée de peintre et lui même, quotidiennement, s’installe face à la montagne bleue pour s’adonner à son art. Et, chaque soir, il enroule soigneusement sa toile pour la ranger, sans oser la regarder. Il n’a pas confiance en son talent.
Uchiki est un solitaire, qui vit éloigné du village. Mais il accueille volontiers le vieux sage Fuùbun, venu faire une halte alors qu’il se rend sur la montagne. Le vieux est lourdement chargé, il va chez Tetsuchine porter des peintures. Dans sa générosité, le jeune peintre propose de faire le chemin à sa place, et en route, il cède à la tentation de regarder les peintures, dont l’une est tellement belle qu’immédiatement, la jalousie le ronge.
Au point qu’il va détruire l’œuvre, en y mettant le feu.
Ici il s’agit d’envie autant que de manque de confiance en soi.
Les sentiments des enfants à qui j’ai lu La peinture d’Uchiki sont très partagés quand ils voient Uchiki commettre son méfait. On sent qu’ils ressentent le tiraillement du personnage. Ils savent que ce n’est pas bien, qu’il ne faut pas faire ça. Certains se désolidarisent même du personnage et l’expriment fort: « ce n’est pas bien », « il n’a pas le droit! ». Et, dans le même temps, je les vois ravis de se sentir moins seul, quel gamin n’a jamais eu envie de faire un croche pied à celui qui va gagner la course? Qui n’a jamais eu envie de faire disparaître la preuve de la supériorité d’un autre? Comme il est jouissif parfois de voir qu’on n’est pas le seul à posséder ce type d’instinct.
J’aime beaucoup que les livres qui donnent aux enfants l’occasion de réfléchir à ce qui est bien et ce qui est mal, plutôt que de leur prescrire un supposé bon comportement.
Bien sûr, la suite de l’histoire montrera qu’Uchiki a eu tort de brûler la toile et d’une certaine façon, il en subira les conséquences. Mais il n’en sera pas puni, il n’est pas question ici de faire la morale.
Outre les qualités du texte, les images sont extrêmement poétiques, elles se déploient sur un grand format qui permet d’admirer leur élégance.
Comment fabriquer son grand frère un livre d’anatomie et de bricolage, Anaïs Vaugelade, école des loisirs 19€80
Il y a plusieurs années, j’ai eu la chance de rencontrer Anaïs Vaugelade sur un salon. Elle a dédicacé Le matelas magique à ma mouflette et on a échangé quelques mots. Ma mouflette lui a dit qu’elle attendait avec impatience un nouvel album de Zuza, « son personnage le plus préféré du monde entier ». A l’époque, Anaïs nous avait répondu qu’il n’y en aurait probablement pas d’autre. Grosse déception, mais heureusement, il y avait les Quichons pour nous consoler.
Alors vous imaginez ma joie quand j’ai vu un nouvel album avec pour héroïne l’impertinente fillette au catalogue de l’école des loisirs. J’ai immédiatement montré ça à ma mouflette. Les yeux gourmands, elle a regardé le catalogue « chouette, enfin ». Si, du haut de ses dix ans, elle s’attarde moins aujourd’hui sur les albums que sur les romans, elle était tout de même bien contente de retrouver cette petite madeleine de sa petite enfance.
Elle s’attendait certainement à retrouver les ingrédients qui ont fait le succès de ce personnage auprès des enfants: Des histoires à la fois loufoques et très proches de la pensée des enfants, une héroïne au caractère bien trempé, indépendante au possible, qui mène ses aventures joyeusement entourée de ses jouets.
Et, effectivement, je crois qu’Anaïs à mis tous ces ingrédients dans sa tambouille. Mais je crois que quand elle cuisine une histoire, elle ne suit pas de recette. Ce qui fait que ça à toujours un goût différent.
Zuza, donc, se demande comment fabriquer son grand frère. Parce que voyez-vous, une petite sœur, c’est nul. Et que Zuza, quand elle veut un truc, ben elle le fait, c’est quand même plus chouette que d’attendre que quelqu’un d’autre lui donne.
Son crocodile, je me suis toujours demandé si c’était un doudou ou une manifestation de sa conscience. Ma fille m’a expliqué que j’avais tout faux, ce n’est certainement pas une peluche, encore moins un ami imaginaire, c’est juste son crocodile qui l’aide et la conseille (et lui souffle la réponse en classe quand elle est interrogée par la maîtresse)
En tout cas, dans cet album, il apporte les précisions techniques grâce à l’encyclopédie Crocodilis, sorte de manuel du castor junior en plus mieux encore.
Voilà donc toute la bande occupée à couper du bois pour faire les os, des élastiques pour les muscles, des câbles pour les nerfs. Il faudra encore fabriquer une langue, des oreilles, de la peau etc.
Ce n’est ni vraiment une histoire ni un documentaire, nous avons affaire à un genre nouveau, hybride, qui mêle des explications justes et précises et une histoire improbable à laquelle on adhère pourtant totalement.
Il parait qu’il a fallu deux ans à Anaïs Vaugelade pour faire ce livre. Ça n’est guère étonnant. Il faut aussi beaucoup de temps pour le lire dans le détail et plus encore pour l’assimiler. Ma mouflette s’y est régalée pendant plusieurs heures. Ma cadette l’a écouté par morceaux, ce qu’elle préfère c’est picorer dedans. On ne lit que le texte en bas de page pour voir Zuza fabriquer son grand frère. Ou uniquement les vignettes, façon BD, du crocodile qui fait des expériences scientifiques avec les jouets dans la pièce d’à côté.
Et bien sûr, elle est très sensible à la fin de l’histoire, qui réhabilite Marianna, la « vraie » petite sœur de Zuza, en faisant d’elle l’élément magique qui donne vie au grand frère.
Cet album est une fête. Un feu d’artifice de bonne humeur et de connaissances.
Terminus, Matt De La Pena, Christian Robinson, éditions des éléphants 13€50
Tous les dimanches, après la messe, Tom et sa grand-mère prennent le bus, jusqu’à son terminus.
Le trajet est, pour le petit garçon, l’occasion d’échanger avec sa grand-mère sur son environnement.
On ne sait pas trop quel âge il a, à vue de nez je dirais entre 6 et8 ans. En tout cas il a le franc parler de l’enfance: il ne s’embarrasse pas de politesse ou de pudeur pour interroger sa grand-mère sur ce qu’il voit.
Pourquoi doivent-ils attendre le bus sous la pluie alors que l’ami de Tom, lui, est raccompagné en voiture? Pourquoi le monsieur ne voit-il pas? Et pourquoi arrivés place du marché, tout est si sale dans les rues, si triste, si moche?
Les inégalités sociales sont mises en évidence par le regard du petit garçon. Mais sa grand-mère porte un regard joyeux et optimiste sur le monde qui l’entoure. Elle répond à son petit fils avec poésie et un brin de fantaisie (Il pleut parce que les arbres ont soif, d’ailleurs il y en a un qui boit à la paille, on prend le bus pour profiter des tours de
magie de Denis, le chauffeur, la saleté des rues met en valeur la beauté du ciel). Et elle ne rate pas une occasion de ponctuer ses réponses d’un éclat de rire, dont la fraîcheur est communicative.
On comprend que le bus s’éloigne des quartiers chics du centre-ville pour desservir les quartiers populaires de la périphérie. Et finalement Tom et sa grand mère se rendent à « leur » soupe populaire, et la dernière image nous montre qu’ils y sont bénévoles et non bénéficiaires. Il y a un cousinage évident entre le travail du grand EzraJeak Keats et ce très bel album, joyeux comme un air de gospel.
L’arbre généreux S. Silverstein L’école des loisirs 9,70€
isbn: 978-2-211-09415-3
« Il était une fois un arbre qui aimait un petit garçon. » L’arbre est tout pour l’enfant qui joue dans ses branches, se nourrit de ses pommes, dort dans son ombre. Un amour fusionnel qui n’est pas sans rappeler celui qui unit une mère à son nourrisson (d’ailleurs dans la version originale, c’est le pronom « her » qui est utilisé à son propos, l’arbre est donc féminin) . Un amour inscrit dans le corps même de l’arbre, par ce cœur, gravé sur son tronc.
Puis l’enfant grandit. Il aime quelqu’un d’autre, dans l’ombre de l’arbre. Un nouveau cœur est gravé, au dessus du précédent. Et ses désirs changent. Il ne veut plus grimper aux arbres, il veut de l’argent, pour s’acheter des choses. L’arbre n’a pas d’argent. Mais il est heureux de donner ses pommes au garçon, qui pourra les vendre au marché.
Au fil du temps, l’enfant grandit et ses désirs grandissent avec lui. L’arbre généreux , toujours, essaye de le satisfaire au mieux. Il lui donne ses branches pour faire une maison, son tronc pour faire un bateau. Il se donne totalement.
C’est un album qu’on ne peut qu’interpréter. On nourrit chaque lecture avec notre propre histoire, nos émotions. Il résonne en nous, fait échos à nos sentiments. On peut y voir un sacrifice, un don de soi, une allégorie du rapport entre l’homme et la nature ou de la religion. C’est sans doute pour cette raison qu’il touche particulièrement la sensibilité des adulte. Les enfants, eux, se posent beaucoup moins de questions quand ils écoutent cette histoire. Ils n’y sont pas aussi sensibles que nous. Mais ils ne l’oublient pas. J’ai l’impression qu’ils savent. Ils savent que ce livre raconte plus de choses qu’il n’y parait. Qu’un jour, ils le comprendront différemment. Et moi je suis convaincue que ce type de lecture nourrit durablement leur intelligence, qu’ils pourront y puiser des éléments de réponse aux questions qui surviendront plus tard.
En bonus une vidéo de l’arbre généreux animé et lu par l’auteur.