Jim, Marion Bataille, les grandes personnes, 2024, 20€
Sincèrement, je crois que c’est la première fois que j’apprécie un cours de sport! Non, sérieusement, faire le chien tête en bas ou la posture de l’enfant, ça m’a jamais éclatée. Mais regarder le petit bonhomme de papier de Marion Bataille faire ses exercices, ça m’enchante! Alors bien sûr, on peut essayer de le suivre (j’ai vu des enfants tenter de reproduire les postures de chaque pages et ça m’a bien fait marrer) mais on peut aussi se contenter de l’admirer, ça marche aussi (pas pour le gainage mais pour passer un bon moment). J’aime beaucoup la précision avec laquelle l’illustratrice créé le mouvement, la page où Jim bouge ses jambes alternativement quand on plie plus ou moins l’album est une petite merveille. Une mécanique parfaitement huilée se met en place. La lecture est rapide, elle invite au mouvement (pour vraiment apprécier l’album il faut le bouger dans tous les sens selon les pages), on s’amuse et hop, c’est déjà terminé. Encore! s’écriront les mouflets avant de nous le prendre des mains pour le manipuler eux-même (accompagnez-les tout de même s’ils sont encore un peu patauds, c’est fragile un pop-up)
L’art en jouets, Maria Jalibert, palette, 2024, 14€95 On a peut-être trop tendance à penser que l’art (celui des musées, auquel on met volontiers une majuscule, l’art légitime quoi) est une chose à prendre au sérieux. Que les enfants doivent y être éduqués, de préférence avec déférence. Maria Jalibert prend le contre-pied de cette idée, elle désacralise les œuvres majeures, s’en amuse sans s’en moquer et les rends accessibles à tous. Nul besoin du moindre préalable culturel ni de quelque connaissance pour apprécier les tableaux représentés ici, la mise en regard avec leur version plastique suffit à les rendre amusants. Les enfants s’étonnent, s’amusent, s’émerveillent et surtout ils scrutent chaque page avec attention.
J’ai eu la surprise de voir que certains se demandent quelle des deux images était « la vraie » et même qu’au terme de leurs discussions ils en déduisent parfois que la version jouets de pacotilles est la plus crédible. J’ai ainsi pu engager une discussion avec un petit groupe d’enfant (des « grands » d’au moins 6-8 ans) sur les notions de « vrai », d’image, de représentation et de représentation de la représentation, qui les a fait cogiter un moment.
Tous ne rentrent pas aussi profondément dans le propos de l’autrice mais en général l’art en jouets incite vraiment les enfants à regarder les œuvres avec attention et ils sont sensible à l’humour de certaines mises en scène.
J’ajoute que c’est un livre qui attire souvent les regards et que les enfants le choisissent fréquemment. Bref, un album qui s’est vite imposé dans mon fonds comme un indispensable.
Un sari vert et bleu, Deleau, Laurent Simon, Gallimard jeunesse, 2024, 14€50
Avec sa peau toute blanche et ses cheveux cuivrés Julie ne passe pas inaperçue dans les rues de la ville de bord de mer où elle grandit. Elle y suscite des regards plus étonnés que malveillants et elle apprécie plutôt d’être chouchoutée par les adultes qui voient en elle un porte bonheur. Dans cette région du sud de l’Inde on parle le Tamoul, et elle maitrise parfaitement cette langue. Tout comme elle est familière des plats et des épices que l’on y trouve et de l’ambiance vivante et colorée qui règne dans les rues.
Elle s’y promène aux côtés de Muthu, sa nounou, joyeuse et confiante. C’est là qu’est sa vie, depuis toujours semble-t-il.
Alors quand ses parents annoncent le retour prochain en France, c’est un coup dur pour la fillette.
Julie est confrontée à un dépaysement total « Les chaussures fermées, l’hiver au doigts gelés, manger assis à une table avec des couverts faire du vélo avec un casque ». Tout est différent, et l’adaptation n’est pas immédiate.
Et puis un jour à l’école arrive une fillette du même âge, prénommée Pünnagaï. Elle vient du Sri Lanka et elle parle le tamoul. Les deux petites se lient d’amitié.
J’ai d’abord apprécié de trouver dans un album jeunesse des références à l’Inde et au Sri Lanka, qui sont peu présents dans la littérature enfantine.
Mais à la lecture de l’album c’est surtout le ton très juste, jamais caricatural et encore moins misérabiliste qui m’a plu. La petite Julie porte un regard enfantin mais pas naïf sur la situation, les auteurs ne cherchent pas à atténuer sa situation privilégiée (il est mentionné que ses parents ont le choix de partir, ce qui n’est pas le cas de tout le monde). Son amitié avec Pünnagaï est basée sur une symétrie de leurs rapports, il ne s’agit pas de montrer en Julie une sauveuse.
Ce sont juste deux petites filles qui ont beaucoup en commun et qui ensembles découvrent les joies et les peines de la vie dans un pays nouveau. Une histoire tendre que j’aurai beaucoup de plaisir a transmettre aux enfants dans le cadre de mon travail.
Chonchon le fée cochon, Stéphane Servant, Laetitia Le Saux, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Je vous le disais il n’y a pas si longtemps, Laetitia Le Saux et Stéphane Servant sont passés maîtres pour égratigner les stéréotypes de genre avec humour, tout en offrant aux mouflets des histoires savoureuses et aux adultes des récits forts plaisant à lire à voix haute. Ils en font une fois encore la preuve ici.
Depuis qu’il est un petit porcelet, Chonchon le sait, un jour, il sera fée. Qu’importe si dans la famille Cochon on est tous des maçons. Qu’importe aussi qu’on lui affirme depuis toujours que fée, c’est un poste pour les filles. Il garde son idée même quand il subit les quolibets des autres dans la cour de récré. Il est doué et motivé et quand il passe le concours d’entrée pour l’école des fées, c’est un succès. Le voilà diplômé, mais à présent, qui le fera travailler ? Personne ne veut se lancer, le voilà bien attrapé.
Jusqu’au jour où… Le plus improbable des clients frappe à sa porte, un peu par malentendu d’ailleurs. Abracadagrouik, la chute, vous ne pouvez pas l’imaginer, mais croyez moi, elle est sympa.
Le ton vif et enlevé du texte est merveilleusement porté par les images où le rose cochon le dispute au rose fluo. Ça fuse, ça décoiffe et ça fait rire autant que réfléchir. Plus largement que le genre, c’est l’identité et l’affirmation de soi qui sont interrogées ici. Quelques références aux contes traditionnels viennent pimenter le tout, sous un jour résolument moderne et farfelu.
On s’attache si bien à ce petit Chonchon qu’on verrai bien une suite à ses aventures.
Un ours un vrai, Stéphane Servant, Laetitia Le Saux, Didier jeunesse, 2024, 13€90
Revoilà la famille Ours déjà rencontrée sous la plume de ce duo auteur illustrateurs dans le génial album Boucle d’Ours. Et, si Petit Ours a probablement grandi depuis, Papa Ours, lui, n’a pas tellement changé. Inquiet peut-être quant à la virilité de son rejeton, il est très occupé à expliquer à lui expliquer ce que c’est d’être un ours, un vrai. Exemple à l’appui.
Maman Ours, quant à elle est très occupée à porter tout le matos dont la famille a besoin pour leur promenade en forêt.
Et Petit Ours? Bah, il fait sa vie, manifestement plus enclin à lire tranquillement qu’à faire sans cesse la preuve de son courage ou de sa force.
On repère très vite que Papa Ours égraine sans même s’en rendre compte à peu près tous les clichés sur la masculinité, et que Petit Ours n’est pas dans les canons habituels des stéréotypes de genre.
On devine aussi assez bien que le père n’est pas aussi puissant qu’il le raconte et que les anecdotes sur ses prétendus exploits sont sujet à caution. C’est sans doute ce qui nous permet d’avoir tout de même de la sympathie pour lui, ça et l’amour manifeste qui existe entre lui et Petit Ours.
Il va sans dire que la valeureux papa va, en fin d’album, perdre un peu de sa superbe et ne devra son salut qu’à Maman Ours. Nous voilà rassurés, son personnage ne sert pas uniquement à porter sur son mari un regard mi indifférent mi amusé.
Mais c’est Petit Ours qui a le mot de la fin et permet de définitivement déconstruire les stéréotypes de genre par l’humour.
C’est vraiment chouette d’avoir des albums qui portent ce type de message avec tant de fraîcheur et de fantaisie. Et c’est un vrai régal à lire à voix haute grâce au rythme enlevé du texte et aux images pleines de pep’s.
L’album met en scène une bande d’animaux sauvages qui tour à tour se repentent de leur choix. Il faut avouer qu’ils se sont mis dans de drôles de situations, mais qu’à t-il bien pu se passer?
Pour le savoir les jeunes lecteurs vont devoir faire des hypothèses et se fier à leur capacité de lecture de l’image. Quand ils voient par exemple un petit lapin blanc, l’air renfrogné, qui dit « Si j’avais su, je n’aurais pas été aussi mignon » certains peuvent deviner ce qui va suivre. La page suivante confirme alors leur intuition, on y voit une fillette couverte de boutons câliner l’animal.
L’énigme est parfois plus difficile à percer, et la réponse en image n’est pas toujours compréhensible immédiatement. Les enfants réfléchissent, s’ils sont plusieurs ils confrontent leurs points de vue et aiment faire marcher leurs méninges.
Les situations sont parfois improbables, souvent loufoques, toujours drôles.
Les bouilles très expressives des personnages sont un petit récit à elles seules, on a beaucoup de tendresse pour ces bestioles, aussi inconséquentes fussent-elles.
Je ne crois pas d’ailleurs que les enfants s’arrêtent beaucoup sur la question centrale de l’album à savoir qu’il est préférable de réfléchir avant d’agir. Ce qui les intéresse c’est plutôt de comprendre ce qui a bien pu se passer. Et de s’amuser des situations!
Est-ce que vous aussi, à peine rentrés de vacances vous ressentez un profond manque de nature? Si c’est le cas, ne vous désespérez pas, il nous reste toujours la littérature!
Et la littérature enfantine est particulièrement propice à nous ramener en vacances le temps d’une lecture, puisque l’image porte l’histoire tout autant que le texte.
Dans mère nature nous suivons une petite troupe qui n’a pas besoin de grand chose. Sans argent, ne faisant pas preuve d’une intelligence particulière ni de force inhabituelle, ils savent comment se divertir. Pour cela ils s’éloignent des hauts immeubles, le plus petit en tête, se glissent sous un grillage et atteignent un endroit où ils peuvent faire des ricochets, grimper aux arbres, cueillir des fleurs ou des fruits, faire des châteaux de sable.
C’est avec beaucoup de plaisir qu’on les suit dans leurs jeux les plus intemporels, faire la planche ou souffler sur un pissenlit.
L’ambiance entre eux semble sereine et amicale. On ne sait pas s’il s’agit d’une fratrie ou d’une bande de potes, peu importe d’ailleurs, mais on voit bien qu’ils passent du bon temps, en toute simplicité.
C’est un album rafraichissant et vraiment réconfortant, on est avec eux, on partage leur détente. Le tout avec très peu de mots mais de grandes illustrations colorées et très immersives.
Animonstres, Henri Galeron, les grandes personnes, 2024, 14€50 Les bestiaires ont toujours beaucoup de succès auprès des mouflets, mais les chimères et autres créatures imaginaires ont une dimension ludique supplémentaire qui les ravit plus encore.
Dans cet album pêle-mêle l’illustrateur s’amuse à créer des bestioles étranges et loufoques que l’on peut mélanger entre elles, façon cadavre exquis, pour multiplier les possibilités.
Tête et pattes avant sur le livret de gauche, fesses et pattes arrière sur celui de droite, avec quelques variations quand même. Des yeux du mauvais côté, une queue qui a des allures de gueule toute dentue, des nageoires ou des ailes qui côtoient des mains à l’apparence très humaine, tout est hors norme, étonnant et presque parfois dérangeant.
Pour rendre les choses plus divertissantes, Henri Galeron ajoute un texte qui reprend les improbables juxtapositions du dessin, avec une forme rimée chère aux enfants.
De nombreux animaux un peu plus… heu, conventionnels dirons nous, sont également présents sur l’illustration, passant parfois d’un côté du livre à l’autre. Ils sont représentés de façon réaliste et leur étrangeté naît des postures invraisemblables ou de leur environnement tellement inhabituel. J’ai eu l’occasion de tester cet album cet été lors de bibliothèques de rue et j’ai adoré travailler avec. Il est à la fois très amusant et très artistiques, plaît aussi bien aux parents qui y reconnaissent un cousinage avec Queneau et ses cent mille milliards de poèmes qu’à ceux qui ignorent tout du mouvement surréaliste. Les enfants se régalent à le manipuler (en plus, il est solide, ce qui est rare pour un pêle-mêle) et s’amusent particulièrement quand ils peuvent le regarder en petit groupe. Ils soulignent alors l’aspect pustuleux/poilu/gluant de certains animonstres tout en soulignant qu’ils sont « mignons quand même » pour certains. Bref, un beau mélange d’artistique et de ludique tout comme j’aime.
Grande, Aurore petit, les fourmis rouges, 2024, 15€90
Vous vous souvenez de la naissance de cette petite sœur qui prenait décidément beaucoup de place dans la famille au point que son ainé la comparait à un diplodocus?
Hé bien, elle a grandi et à présent c’est elle qui se présente à nous. Avec sa force de caractère, son sens de l’humour et sa vision des choses qui est parfois en léger décalage avec la réalité, en témoigne certaines illustrations.
Elle est vive et pétillante, comme les images du livre. Mais surtout, elle est grande. C’est à dire grande comme une mouflette de deux ans, qui n’est certes plus un bébé mais qui doit encore lutter un peu pour faire entendre ce nouveau statut. Alors elle s’affirme, revendique SA place, assume ses choix et valorise ses compétences (c’est le fameux âge « moi tout seuuuullll » bien connu des parents, qui précède généralement de peu celui, tout aussi éprouvant des pourquoi)
J’aime cette série parce qu’elle respire le vécu, Aurore Petit porte un regard tendre et réaliste sur la vie quotidienne en famille, et nous la montre à hauteur d’enfant. Les parents sont suffisamment présents pour qu’il se dégage une impression de sécurité de l’album mais ils restent au second plan, qu’on ne s’y trompe pas, c’est vraiment l’enfant qui est au centre, pour la plus grande joie des petits lecteurs.
Un album survitaminé, comme les mouflets de cet âge là, qui plaira autant aux parents qu’aux enfants (et très agréable à lire à voix haute, pour les gens comme moi qui ne jouent dans aucune de ces deux catégories mais qui lisent des albums quand-même)
Mon ballon, Mario Ramos, Pastel, l’école des loisirs, 2012
Pour une intervention que je prépare dans le cadre de la journée Mario Ramos (dont vous trouverez le programme ici), je me plonge ces derniers temps avec bonheur dans l’œuvre de cet auteur.
J’ai un grand plaisir à partager ses albums avec les enfants sur le terrain, ils sont souvent choisis et toujours appréciés. Comme souvent dans mon ballon, il emprunte son personnage principal à un conte traditionnel, ici le petit chaperon rouge.
Elle n’est pas chargée d’apporter à sa grand-mère un petit pot de beurre et une galette, mais de lui montrer le joli ballon rouge que lui a offert sa mère. Mère dont on ne voit que la silhouette quand elle lui fait signe avec insouciance en la laissant se diriger vers la forêt.
De la fillette on ne voit pas grand-chose non plus. Une petite bouille ronde en début d’album qui disparait rapidement hors-champ, pour ne plus laisser à l’image que le ballon qui se fraye un chemin entre les arbres. Notre petit chaperon s’éloigne en chantant « promenons nous dans les bois » mais rapidement son regard (que nous ne voyons pas, donc) s’arrête sur un personnage, que nous ne voyons pas plus. « Qui se promène aussi par là? Un renard? Un autobus? une locomotive? ».
A ce stade il n’est pas rare que le bambin qui écoute l’histoire lève un sourcil interrogateur? Quel peut donc être ce personnage si difficile à identifier? Pour le savoir il tourne la page et découvre… Un lion pressé chaussé de baskets.
Ah?
Oui.
Inlassablement le petit chaperon va reprendre sa chanson et n’aura le temps d’y ajouter qu’un vers à chaque fois avant qu’un nouveau personnage n’apparaisse, toujours aussi improbable.
Les albums de Mario Ramos reposent sur la complicité qu’il établit avec le petit lecteur. Il lui donne des indices et le laisse tirer les conclusions. Ainsi quand la chanson touche à sa fin l’enfant se doute que la rencontre fatidique va avoir lieux. Mais il nous ménage encore quelques surprises pour donner plus de sel à son histoire, avant même d’en arriver à la chute (elle aussi très savoureuse et inattendue).
Les jeux de hors-champ, de non dit, d’allusions et de références sont toujours très habilement menées dans l’œuvre de cet auteur, parfaitement accessibles aux enfants mais juste assez résistants pour qu’ils aient le plaisir de s’exclamer « ah, j’ai compris! »
Car il est tout de même plus satisfaisant pour les enfants (pour nous aussi d’ailleurs) de comprendre un sens caché plutôt qu’une chose qui nous est donnée immédiatement. C’est là le signe d’une belle littérature enfantine.