Les feuilles d’automne recouvrent la page. Elles forment un dégradé de rouge-orange dans un très beau jeu de transparence. Le petit lapin blanc se détache très nettement dans l’image, dès la page de garde.
Quelques petits points blancs, tout ronds, tombent du ciel. Sautillant toujours de page en page, le lapin croise l’écureuil juste avant qu’il ne parte se blottir dans son lit.
Les flocons virevoltent (ah, comme les enfants ont plaisir à écouter et prononcer ce mot) et le lapin poursuit sa route. C’est au tour des grenouilles de se mettre à l’abri.
Progressivement, les flocons se font de plus en plus nombreux. Au « Il neige doux » du début succède un simple « Il neige ».
Alors que nous assistons au coucher de tous les animaux qui hibernent, nous voyons aussi le petit lapin de moins en moins serein. Le blanc de la neige envahit la page et il semble bien vulnérable, avec ses oreilles tombantes.
Cet album offre aux enfants une petite parenthèse dans la quelle le temps s’égrène lentement. Quand le froid est installé et a pris la place de l’automne sécurisant, l’inquiétude ne dure pas. Très vite, maman lapin rejoint son petit.
Une histoire toute simple, qui repose sur un texte court et poétique et surtout sur des illustrations grandes, simples et belles.
Il y a dans la littérature enfantine plein de mamies, de petites vieilles, de mémés malicieuses et sympathiques. Lulu est l’une d’elle. Elle n’est peut être pas si vieille que ça d’ailleurs, malgré ses cheveux gris et sa demeure au mobilier désuet, en tout cas, elle à la patate et se déplace en mobylette.
Elle est sympa Lulu. Elle tricote une écharpe à la girafe et elle partage bien spontanément ses victuailles. Le genre à donner son dernier bol de soupe à un migrant de Calais, et par les temps qui courent, ça fait du bien de lire des livres dont le héros à cette bonté simple et naturelle. Bref, Lulu est une dame fort attachante et lire son histoire est un délice.
C’est donc l’histoire d’une dame qui n’a pas vu le temps passer alors qu’elle tricotait et qui s’aperçoit que son frigo est vide. Elle se rend donc au marché pour, doum di doum, y chercher un goûter. Mais sur le chemin du retour, elle croise plusieurs animaux et tous ont le ventre vide. C’est que les temps sont durs. A chacun elle donne un petit quelque chose: les fraises pour l’oiseau, les bananes pour le cochon, le pain aux chiens…
De retour chez elle, le panier de lulu est presque vide. Sera-t-elle victime de sa propre générosité?
Bien entendu elle sera récompensée par la chaleur de l’amitié et un repas de fête partagé jusqu’au bout de la nuit.
L’histoire en randonnée est très plaisante à lire et les illustrations irrésistibles. C’est un album qui donne le sourire, un album qui met de bonne humeur, un album dont on a bien besoin en ce moment.
La pomme est rouge et brillante, comme une pomme d’amour. Accrochée en haut de la page, elle capte immanquablement l’œil des bébés.
L’image très contrastée et d’une grande lisibilité attire aussi les petites mains: On caresse, on tape, on gratte.
Pomme.
Pomme pomme pomme.
Comme une ritournelle, le texte minimaliste s’égraine, aussi épuré que les images. La pomme tombe du pommier. Par on ne sait qui, elle est croquée. Sur la terre un pépin est resté, qui sera arrosé pour devenir à son tour un pommier et la boucle est bouclée.
C’est vraiment un bien joli album, aux pages cartonnées, aux angles arrondis, qui convient bien aux mains des bébés.
Sur chaque page, le vernis de la pomme contraste avec le papier mat du reste de l’image. Les enfants s’amusent à voir la lumière s’y refléter ou à y passer les doigts.
Dans sa grande simplicité, cet album réserve pourtant quelque surprises au lecteur: changement de rythme dans le texte, fond noir dans l’image qui succède aux pages toutes blanches. Et une quatrième de couverture qui incite à recommencer la lecture pour reprendre du début le cycle de la vie.
Une petite comptine se glisse au milieu, ce qui contribue à attirer l’attention des bébés.
Un album coup de cœur pour Pépita et intégré au (magnifique) tapis à histoire sur le potager de Bouma.
Pourquoi ça n’avance pas? Tomoko Ohmura, école des loisirs, 12€20
Il y a manifestement un problème. Les véhicules sont à touche touche sur le chemin, y’a pas à dire, ça n’avance pas d’un pouce.
Ça commence doucement, avec des engins qui n’en sont pas vraiment: patins à roulette, trottinette, monocycle se rangent dans la queue. Pas de décor, mais on devine un milieu plutôt champêtre qu’urbain à l’herbe à l’avant plan.
Les gens se parlent, certains s’agacent, chacun se demande ce qu’il se passe.
Le policier est aussi étonné que les autres. Il va remonter la file pour essayer de comprendre d’où vient le problème, tout en donnant quelques consignes aux gens. Il est donc le fil conducteur de l’histoire.
Quand on leur lit cet album pour la première fois, les enfants sont autant dans le plaisir de la découverte de chaque engin que dans la curiosité pour la chute. Ils pointent, nomment, nous demandent de quoi il s’agit parfois (on peut répondre fastoche, le nom de chacun d’eux est inscrit sous l’image).
On avance dans la file et les véhicules sont de plus en plus gros. Des petites saynètes se déroulent sous nos yeux. Les improbables petits cochons se sont échappés -pas de chance- juste à coté des lions, des enfants sont sortis pour faire un tour dans le bibliobus qui profite de cette pause pour prêter des livres, les pompiers s’interrogent. Mais que se passe-t-il donc?
La surprise fonctionne vraiment, on ne pouvait se douter de ce qui bloquait ainsi tout le monde. Elle est mise en valeur par une double page qui s’ouvre en paravent pour découvrir… Ben non, je vous le dirais pas, puisque c’est une surprise, enfin.
Comme dans l’album Faites la queue, chaque personnage est numéroté, on attend donc avec impatience le n° 1 pour savoir enfin ce qui se passe. La simplicité apparente de cet album peut masquer sa grande richesse, que l’on découvre au fil des lectures.
Un album de littérature enfantine apprécié aussi par Bouma.
Mon amour Astrid Desbordes, Pauline Martin, Albin Michel, 9€90
Vous avez remarqué, c’est toujours au moment de se coucher que les bambins ont une question de la plus haute importance, une question qui exige qu’on prenne vraiment le temps pour y répondre. En tout cas, chez moi, c’est comme ça.
Chez Archibal aussi apparemment. Et ce soir, la question est « Maman, est ce que tu m’aimeras toute la vie? »
La maman d’Archibal, c’est un peu la maman que je rêve d’être. Celle qui a la patience et qui trouve les mots justes. C’est à dire que là où moi j’aurais probablement répondu « Mais-oui-mon-chéri-allez-dort-bien-demain-y’a-école », elle, elle prend le temps nécessaire pour détailler les multiples facettes de son amour maternel.
Les mots qu’elle utilise sont simples et justes et prennent tout leur sens grâce aux illustrations. on peut imaginer que chaque phrase prononcées par la mère se réfère à un souvenir commun qui inscrit Archibald dans l’histoire familiale.
« Je t’aime quand tu le vois, et aussi quand tu ne le vois pas ». En vis-à-vis, une image de la mère qui offre une barbe-à-papa à son fils et une autre qui la montre, ramassant les morceaux d’un vase cassé alors qu’à l’avant plan, Archibald affiche un air coupable. Cette très rassurante affirmation sera répétée à chaque page: dans la complicité, dans les jeux, dans le conflit, dans les rêveries ou dans la réalité, une chose demeure, immuable, l’amour maternel. Cet amour qui est offert, évident et qui ne demande aucune contre-partie.
Dans Mon amour, les images n’illustrent pas, elles racontent. A chaque page, elles permettent à l’enfant de comprendre le texte. Leur grande douceur fait échos à la bienveillance sans faille de la mère. Avec une palette de couleurs restreinte et le blanc qui domine, elles montrent avec une grande évidence ce que le texte peinerait à décrire. Il y a plusieurs façons d’être contre sa mère, et aucune d’elles n’entame l’amour. Quel joli message à offrir à un enfant. Je ne doute pas que le petit Archibald dorme bien après une telle déclaration, en tout cas, cet album a apporté une grande sérénité aux enfants aux-quels je l’ai lu.
A noter que plusieurs autre albums avec le même personnage sont sortis depuis, dont Un amour de petite sœur.
Le livre sans images, J.B. Novak, école des loisirs
C’est LE livre événement de l’école des loisirs en ce moment, lancé à grand renfort de marketing, avec un joli dossier pédagogique et une vidéo de présentation. Il vient d’être traduit (par Geneviève Brisac, tout de même) et semble promis à un succès aussi important que celui qu’il a connu outre-Atlantique.
Le dossier pédagogique a pour but d’expliquer aux adultes comment se dépatouiller avec cet album qui se veut hors du commun. A vrai dire, je n’ai pas trouvé qu’il était nécessaire, l’album est suffisamment affordant pour s’en passer.
C’est donc un livre sans image, mais il est pourtant soigneusement mis en page. Quand on le lit à un enfant, il faut lui montrer les pages, comme on le fait pour n’importe quel album. La typographie, si elle est ici essentielle pour guider l’adulte dans sa pratique de lecture (on ne lit évidemment pas de la même façon un mot écrit en énorme, en rouge, au milieu de la page qu’un mot écrit en minuscule en bas d’une page par ailleurs totalement vierge) est aussi destinée à être vue par l’enfant, elle lui raconte aussi quelque chose. L’éditeur précise qu’il est destiné aux enfants à partir de 7 ans, on peut donc supposer qu’ils sont invités à suivre le texte en même temps qu’ils se le font lire.
Mais il faut absolument la médiation d’un adulte qui lit, puisque tout l’album repose sur la mise en scène de cet adulte qui va peu à peu se ridiculiser, provoquant le rire des enfants qui écoutent. En effet, le livre va se faire le complice de l’enfant auditeur pour obliger l’adulte à prononcer des choses qu’il ne veut pas dire.
J’ai toujours pensé que les enfants savaient lire les images même les plus symboliques, je suis convaincue que la typographie raconte, y compris à l’enfant non lecteur, autant que la mise en page ou la qualité du papier. Donc, en soi, montrer aux enfants des pages qui ne montrent aucune image ne me pose aucun problème (je lis d’ailleurs avec plaisir le livre On dirait qu’il neigede Rémy Charlip, qui pour le coup est complètement blanc). Par contre, mon expérience m’a appris à peu théâtraliser mes lectures. Généralement je lis des livres dont le texte est suffisamment fort pour intéresser les enfants sans que je n’aie besoin d’un faire trop.
Ici, pas vraiment le choix, il faut jouer et même sur-jouer le texte, puisque tout le comique va naître de notre implication et de notre sens de l’auto dérision.
Je me suis donc lancée d’abord avec mes mouflettes. J’ai fait les voix, j’ai pris le rythme, bref j’ai joué le jeu. L’album est d’ailleurs assez réussit de ce point de vue là, il n’est pas nécessaire de s’exercer ni de se poser trop de questions, il suffit de se laisser guider par la typo qui fonctionne très bien (c’est l’affordance dont je parlais tout à l’heure, pour ceux qui se posaient la question).
La première lecture les a laissées perplexes plus que mortes de rire. A la lecture suivante, comme elles comprenaient le principe, elles ont plus accroché.
J’ai ensuite testé cet album dans le cadre de mon travail. Et là, clairement, il m’a mise en difficulté. Je pratique habituellement la lecture individuelle, la lecture intime. Je fais plus de la lecture à voix basse qu’à voix haute finalement. Ce livre ne se prête pas du tout à cette pratique. J’étais mal à l’aise, les enfants ne comprenaient pas où je voulais en venir. J’ai même eu un petit moment de solitude, avec un enfant qui ne réagissait pas beaucoup à cette lecture, son père, qui était présent, a essayé de lui expliquer pourquoi c’était drôle. Flop total, j’ai même abandonné avant la fin ( je lui ai ensuite lu Oh non Georges, ce qui l’a beaucoup fait rire, ouf)
Quand l’été viendra, j’emmènerais le livre sans images en bibliothèque de rue où, à mon avis, il aura un grand succès. Je l’imagine assez bien aussi en lecture collective, avec un petit groupe de bambins, comme ce qu’on peut voir dans la vidéo de présentation. L’effet de groupe, le plaisir d’entendre ensemble, et dans la bouche d’un adulte, des mots transgressifs, tout cela doit contribuer au succès du livre.
Il est de rares circonstances dans les quelles mon travail me conduit à faire des lectures collectives, je crois que je vais réserver cet album à ces moments là.
Je crois qu’Adrien Albert se joue de nous. Il nous emmène dans un univers très réaliste et d’un seul coup, paf, sans qu’on s’en soit rendu compte, on a basculé dans un autre monde. En tout cas, il se joue des codes. Il utilise ceux de la bandes dessinées dans un album, ça prouve.
Et puis, il se moque de nous, il fait dire à l’un de ses personnages « tout est pour de faux » il montre à ce moment là l’artifice, bien visible, du machiniste du train fantôme, et c’est juste à la page suivante qu’on perd de vue la réalité. Ce qui m’a conduit à ce dialogue improbable avec ma cadette:
« Non mais, c’est vrai ou c’est pas vrai?
-Heu, ben, c’est une histoire, c’est dans un livre (déjà, quand je commence une phrase par « heu… Ben, en général c’est que la naine m’a mise en difficulté)
-Oui mais dans le livre, c’est vrai ou c’est pas vrai? » Ma presque-cinq-ans me parle comme si j’étais légèrement débile.
Et nous voilà aux prises avec des problèmes d’histoires vraies et de vraies histoires, avec des questions sur ce qu’il faudrait croire et ce qu’on voudrait croire. C’est à ce moment là que, lâchement, je me suis dérobée « bon, on lit la suite ou bien?! »
On a donc lu la suite.
Avec Lulu, le narrateur de l’histoire, et sa grande sœur, on a visité une fois de plus la fête foraine. On a noté au passage que tel ou tel manège on le connaît, on l’a vu en vrai, le même exactement. On irait presque jusqu’à reconnaître un des gamins dessus. On est montés dans le train fantôme, manège choisit soigneusement par Lulu. On a regardé l’employé du train appuyer sur la pédale pour faire partir le wagon parce que, bien sûr, ça part pas tout seul, c’est pas magique non plus, forcément, il faut bien un bouton pour que ça marche, et de l’électricité et tout et tout. Et on est passé de l’autre côté du miroir. A pleine vitesse dans le train, là où l’imagination s’emballe et où le rail semble être le seul fil conducteur qui nous relie à la réalité. Perdu dans des images pleines pages, les personnages sont sans dessus dessous, entre peur et jubilation, on ne se pose plus la question c’est magique, d’ailleurs, ça fait peur mais on en redemande.
Parce qu’on est doublement en sécurité. Non seulement, le manège, c’est pour de faux mais en plus nous, on est bien tranquilles en train de lire un livre alors, on n’a même pas tremblé. Sauf ma cadette, qui tremblait de la tête aux pieds à la première lecture mais « c’est pour de faux maman, j’ai pas si peur ».
Alors, puisqu’on vous le dit.
Cinq minutes et des sablés Stéphane Servant, Irène Bonacina, Didier jeunesse
Pour la petite vieille, l’expression s’ennuyer à mourir prend tout son sens. Dans le silence de sa cuisine, troublée seulement par le tic-tac de la pendule, elle attend. Et, comme elle pense que la vie n’a plus rien à lui offrir, elle attend la mort.
La grande dame noire justement passe par là dans sa belle voiture rouge. Elle arrive dans la cuisine presque comme on rend un service. La petite vieille sait recevoir. Elle a préparé un bon thé de Chine. Et pour aller avec, pourquoi pas des sablés au gingembres? Après tout, « Cinq minutes de plus ou cinq minutes de moins, quelle importance? »
Cette petite phrase, mise en valeur par la typographie, sera la ritournelle qui va rythmer l’album.
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les albums en randonnée, rythmés, ceux qui ont un refrain ont pour point commun d’être faciles à mémoriser pour les enfants mais aussi d’être très rassurants. Ils permettent d’anticiper sur le récit donc de le maîtriser. C’est ainsi que les auteurs peuvent aborder des sujets angoissants pour les enfants tout en leur offrants les moyens de surmonter cette angoisse (citons par exemple l’excellent Bébés chouettes)
Ici, la ritournelle participe au tourbillon de vie qui va investir la cuisine de la petite vieille. A voir madame la mort et la petite vieille attablées, occupées à déguster les sablés, on pense à l’expression « bon vivant ». Voilà.
L’odeur des sablés attire le chat des voisins. La petite vieille va prendre cinq minutes de plus pour le faire jouer avec une pelote de laine. Puis c’est au tour de Kenza, la fillette qui habite à coté, de faire irruption dans la cuisine. Pour elle, on dessine une marelle (Oui, ce jeu où on fait des allers retours entre ciel et terre, à mon avis ce n’est pas un hasard). Vient ensuite le très élégant Monsieur Igor avec son violon.
En faisant de madame la mort un personnage principal de cet album, Stéphane Servant nous offre un livre sur la vie.
Les jeux, les rires, la relation aux autres et la bonne chère en sont ici le sel. La vieille en oublie son âge, la mort la raison de sa venue.
De cinq minutes en cinq minutes, quand minuit finit par sonner, madame la mort, qu’on fréquente depuis le début de l’album, fait figure d’amie plus que de menace. Accomplira-t-elle sa besogne? Si sur certaines pages son ombre peut sembler légèrement inquiétante, son sourire et son regard malicieux compensent cette impression.
D’ailleurs, les illustrations d’Irène Bonacina sont pleines de gaieté et de mouvement. Et la recette des sablés qui est donnée sur la troisième de couverture nous ramène définitivement aux plaisirs de la vie.
Comme il est agréable de voir le thème de la mort traité avec légèreté et humour.
Une journée parfaite Danny Parker, Freya Blackwood, grasset jeunesse
Trois enfants, un chat, et l’insouciance des vacances. Au rythme de leur imaginaire, les jeux s’enchaînent dans la douceur.
Le fil conducteur semble être la très grande liberté qui leur est laissée. Pas uniquement parce qu’il n’y a pas d’adulte dans les parages, mais parce qu’il y a du temps, de l’espace, pas de contrainte ni d’inquiétude. Tous les ingrédients d’une journée parfaite.
L’espace de jeu des enfants s’étend de la maison jusqu’à la mer. Ils y
sont partout chez eux, en sécurité. En l’absence de parents, ils se
prennent en main tout naturellement et sans conflit. Un texte court, qui
a la simplicité de l’évidence accompagne les images. Mais ce sont elles surtout qui donnent à cet album ce charme irrésistible.
Des images à fond perdu, bien sûr, qui font échos à l’absence de limite rencontrée par les enfants. Les cadrages varient, de la plongée au plan fixe, ils mettent en valeur tantôt l’immensité du paysage tantôt la course joyeuse des enfants. Dans certaines pages, les enfants sont montrés plusieurs fois, le mouvement est alors mis en avant. Dans d’autres, où on les voit immobiles, le temps semble suspendu. Face à la mer à perte de vue, on se surprend à regarder avec eux la ligne d’horizon et à sentir presque l’odeur de l’air iodé.
Cet album à une grande force évocatrice qui touche généralement beaucoup les adultes. A sa lecture, on pense inévitablement à l’album « Nos petits enterrements« , qui a le même charme désuet. Les enfants, quant à eux, m’ont surprise: plusieurs ont montré une vraie nostalgie en l’écoutant. Une fillette l’a regardé longuement, en caressant les pages, les yeux dans le vague, avant de me raconter ses propres vacances au bord de la mer. C’est un album qui incite à la douce rêverie.
Plusieurs adultes à qui je l’ai montré ont tiqué sur la page où le petit garçon cuisine accroupi sur la table de la cuisine. C’est pourtant une bien charmante et petite transgression qu’il s’autorise là! Et puis, n’oublions pas qu’un livre n’est pas un mode d’emplois de la vie et qu’on n’est pas automatiquement autorisé à faire tout ce que font les personnages. Rassurez vous, ce n’est pas parce qu’un enfant lit cet album qu’il va exiger le droit de monter sur la table chez vous.
Mon oiseau Christian Demilly, Marlène Astrie, Grasset jeunesse
En faisant le portrait de « son » oiseau, le narrateur montre surtout la relation d’amitié qui les unit. Les illustrations, belles et délicates, sont centrées sur l’oiseau montré dans son environnement. Mais il se définit en partie par son rapport à l’autre: « Parfois, mon oiseau est triste, mais ce n’est jamais pour longtemps, parce qu’il sait que ça me rendrait triste et ça, mon oiseau n’aime pas ».
L’oiseau a été recueillit alors qu’il s’était blessé. Le narrateur (un enfant probablement, mais le doute subsiste) a pris soin de lui. Mais il n’a jamais été question d’une cage ni d’être son maître. « Je ne sais pas s’il avait besoin de moi ou de manger, mais ce n’est pas tellement important, c’est pareil ».
La relation se construit et évolue, entre dépendance et liberté. De l’animal blessé à celui qui, un jour sans doute, prendra son envol.
Elle peut se lire de plusieurs façons. Au premier degrés c’est un enfant et son animal. Mais dans l’attention respectueuse du narrateur on peut aussi voir une figure parentale. Après tout, il a adopté et vu grandir l’oiseau. Il l’a soigné et nourrit.
Il est frappant de constater que le personnage humain n’apparaît presque pas dans les images.
Des petits pieds et des mains qui dépassent d’un livre à une page, sa silhouette, de dos, sur une autre. Il s’efface et met l’autre en valeur.
C’est d’ailleurs quand on le voit que la relation s’inverse: on entrevoit qu’il ne s’agit pas uniquement pour l’oiseau d’être protégé et cajolé, il peut aussi être celui qui écoute et donne des repères. L’oiseau est considéré comme un véritable sujet, dont la volonté est prise en compte. Il existe une saine symétrie dans leur amitié, puisque des sentiments attribués à l’oiseau sont ensuite repris à son compte par le narrateur. Une bien jolie façon d’être ensemble dans un album qui incite à la réflexion.