C’est toujours un peu mystérieux pour les enfants, la naissance. La leur, bien sûr, enfin celle des petits humains mais aussi celle des animaux.
Dans ce très joli documentaire les bambins peuvent découvrir des modes de procréation pour le moins étonnants : les bébés hippocampes qui grandissent dans la poche marsupiale de leur père (on rappelle au passage que les hippocampes sont des poissons, ce qui suffit à surprendre le jeune lecteur), les spectaculaires transformations des têtards en grenouilles ou des chenilles en papillons ou l’autonomie des bébés tortues qui doivent se débrouiller seules dès la naissance.
Merveilleuses naissances est un album soigné, le dessin au trait fin sur fond blanc est très joli.
Des pages de papier calque alternent avec le papier classique. Cela donne un petit aspect ludique que les enfants apprécient en général. De mon côté j’avoue que je n’ai pas trouvé qu’elles se justifiaient pleinement, à part peut-être pour renforcer l’idée de lever le voile sur les mystères de la naissance.
La jaquette, également en papier calque, est assez fragile et ne résiste pas très longtemps aux manipulations des petites menottes. C’est dommage parce qu’elle est très attractive pour les enfants.
Concernant le texte, j’apprécie sa précision associée à sa simplicité. Un bien joli premier documentaire.
J’aimerais, Stephanie Demasse-Pottier, Gérard Dubois, éditions l’étagère du bas
Dans son lit, le petit garçon est déjà en pyjama.
Mais il se projette dans mille et une autre situations.
« J’aimerais voler comme une feuille au vent », » j’aimerais parcourir le monde »
Sur l’image, les fantasmes de l’enfant prennent vie, son lit devient bateau ou niche géante, le décor de la chambre se fait presque oublier.
Un catalogue de situation qui parfois prennent tout leur sens grâce aux illustrations.
Quand le texte nous dit par exemple « j’aimerais avoir un don », c’est l’image qui nous dit que c’est l’invisibilité que l’enfant a choisi.
Le jeu pourrait se poursuivre indéfiniment, mais la mère, qui était hors champ jusque là finit par y mettre fin, il est temps de dormir.
On se laisse volontiers porter par les très jolies illustrations de Gérard Dubois, et il n’est pas rare que l’album se prolonge dans les discussions avec les enfants, portés par le livre on partage à notre tour nos envies du moment.
Un renard, un livre à compter haletant, Kate Read, Kaléidoscope
Un renard affamé est à l’affût.
Avec ses deux yeux rusés, il guette trois poules dodues…
Si le texte se présente comme celui d’un habituel livre à compter, l’image, elle, est narrative. L’histoire se tisse, grâce à des illustrations très faciles à interpréter. Un renard prédateur, des poules qui font figure de victimes toute désignées mais aussi une chute inattendue avec un beau retournement de situation.
Si elle n’est pas totalement inédite, cette hybridité entre histoire et livre à compter fonctionne rarement aussi bien qu’ici. Le rythme s’impose à celui qui fait la lecture à voix haute, ça passe presque trop vite, on en redemande!
Les images, qui présentent un certain cousinage avec l’univers graphique d’Eric Carle (collage de papiers peints) sont très maîtrisées. Plans rapprochés, hors champ, pleine pages saturées de couleurs ou fond blanc qui met en valeur le pelage roux du renard servent le récit. Un renard, un livre à compter haletant est rapidement devenu un de mes albums phares dans mes formations.
Article paru dans la revue Le furet petite enfance, écrit avec ma collègue Céline Touchard, paru en juin 2019.
Du féminisme et de la légèreté avec Agnès Rosenstiehl
Les éditions militantes de La ville brûle ont récemment réédité 2 titres iconiques de la créatrice de Mimi Cracra, Agnès Rosenstiehl : Les filles et La naissance.
Parus initialement dans les années 70, par les non moins militantes éditions Des femmes, les deux albums ont connu un succès auprès de plusieurs générations d’enfants. Les éditions Autrement ont d’ailleurs réédité La naissance au cours des années 2000.
Si ces livres nous intéressent aujourd’hui, c’est pour leur thématique principale : qu’est-ce qu’être une fille ? Et un garçon ? Car le premier pas vers l’égalité (des droits, des chances, des sexes…) est bien évidement la meilleure connaissance de soi et des autres.
Nous trouvons dans ces albums la même petite fille, fantasque et pleine de ressources, qui questionne son environnement avec autant de légèreté que de pertinence. Dans Les filles, elle interpelle un garçon et, après avoir comparé leurs différences biologiques, part dans un monologue hilarant dans lequel elle projette tout ce qu’elle fera quand elle sera grande : Architecte, mère et chef d’orchestre le soir. Elle envisage avec gaîté son avenir de fillette, puis de femme libre de ses choix et consciente de ses désirs. Certaines situations jouent de l’antonymie entre émancipation et domesticité du féminin. Cela peut donner lieu, avec les enfants, à de grandes discussions et de grosses rigolades !
Dans La naissance, un petit garçon annonce à sa copine qu’il va bientôt être grand frère. Les deux enfants discutent tour à tour ensemble, puis avec leurs parents respectifs, des « choses de la vie ». Il est question de sexualité, mais aussi d’amour, de complicité, de frivolité. La fraicheur et la simplicité du dessin se retrouvent dans le texte, entièrement dialogué, dans le quel les enfants obtiennent des réponses à la fois justes et adaptées à leur âge. La nudité y est montrée naturellement, sereinement.
Agnès Rosenstiehl montre dans ces deux albums des personnages complémentaires, différents mais surtout égaux. Chacun peut exprimer ses désirs et entendre ceux de l’autre, chacun est libre de bâtir son avenir, son éventuelle parentalité future.
Si la notion d’égalité entre le garçon et la fille, comme entre le père et la mère, n’y est pas explicitée, elle est prégnante et se ressent grâce à l’équité de l’espace qu’ils prennent l’un et l’autre dans les albums, par la symétrie de leur relation, l’équilibre entre leurs paroles.
A noter également, la sortie en simultanée de l’excellent De la coiffure, où la fillette se pare de coiffes imaginaires extravagantes pour se consoler d’une coupe de cheveux un peu décevante. Le sujet, moins futile qu’il n’y parait, est encore le point de départ d’une célébration gourmande de la créativité enfantine. Un bonheur à lire et à regarder, ensemble évidemment.
Chloé Séguret et Céline Touchard
Lectrices-formatrices pour L.I.R.E (le Livre pour l’Insertion et le Refus de l’Exclusion).
Les filles, La naissance, De la coiffure, Agnès Rosenstiehl, Les éditions de La ville brule.
Marions-les, Éric Sanvoisin, Delphine Jacquot, l’étagère du bas, 15€
Cette histoire, dès le début, c’est n’importe quoi. C’est pas moi qui le dis, c’est le ver de terre, qui, avec sa comparse l’araignée, commentent l’histoire en bas de page.
C’est n’importe quoi déjà parce qu’un lapin, ça porte pas de vêtements. Alors un lapin qui assorti un foulard a pois et un pantalon a rayures, hein.
Celui-là en plus lit Romeo et Juliette. Ça doit être à cause de ses lectures, justement, qu’il rêve de se marier.
C’est aussi l’histoire d’une carotte, particulièrement couarde. Elle a peur de tout, même de son ombre. Alors des lapins, avec ou sans pantalon rayé, je vous en parle même pas.
Dès qu’il la rencontre, le lapin tombe fou amoureux d’elle. Elle, c’est dans les pommes qu’elle tombe, rapport aux quenottes de l’animal qui sont quand même pas mal impressionnantes (pour une carotte trouillarde)
Je vous avais prévenu dès le début que c’était n’importe quoi. Les différentes péripéties qui suivront prennent le même chemin loufoque, absurde et drôle.
Nous rencontrerons un dentiste morse, un renard affamé, un papillon qui fait le nœud.
Avec un verbe enlevé, plein de jeux de mots et des images très colorées, gaies et pleines de détails, cet album offre de nouvelles découvertes à chaque lectures.
On apprécie le caractère atypique et légèrement irrévérencieux de cet album pétillant.
Dis Ours, tu m’aimes? Jory John, Benji Davies, little urban, 13€50
Ours et canard sont voisins. Au fil des albums (5 a ce jour), leur personnalité se dessine assez clairement. Ours est solitaire, bourru et très attaché au confort de son intérieur.
Canard est bavard, il a un grand besoin de relations sociales et il est légèrement égocentrique.
Ours et canard sont amis. Surtout Canard.
Ours semble plutôt subir cette envahissante amitié.
Tant est si bien que Canard finit par douter, est-ce que Ours l’aime vraiment ?
Il paraît que l’amour ne se déclare pas, il se prouve.
Canard semble avoir une idée très nette de ce qui est probant en la matière.
Faire des trucs ensemble. Voilà.
Il n’hésite donc pas à pousser notre pauvre ours hors de chez lui, afin qu’il profite de ce beau dimanche matin.
Avec un texte entièrement dialogué et un parallèle dans les images entre les actions des deux protagonistes, l’opposition entre l’un et l’autre saute aux yeux.
Enfin, aux yeux du lecteur, Canard, lui, ne remarque rien. Il est dans l’action en permanence, complètement auto-centré et fait mine de ne pas remarquer à quel point son enthousiasme est pénible pour son pote qui n’aspirait qu’à une matinée de farniente à la maison.
C’est toujours un plaisir de retrouver ces deux comparses aux personnalités contrastées et à la bouille tellement expressive. C’est avec un grand plaisir qu’on retrouve les mêmes ressorts comiques et la même structure narrative dans les différents albums.
Il existe plusieurs albums avec ces deux protagonistes, que vous pouvez retrouver sur le site de l’éditeur.
La petite goutte de trop, Shinsuke Yoshitake, nobi nobi! 12€50
C’est l’histoire d’un petit garçon qui a un problème. Oh, pas un bien gros, juste un de ces petits tracas comme on en a tous.
C’est pas de sa faute, il ne fait vraiment pas exprès, mais voilà, quand il fait pipi, il y a toujours une petite goutte de trop. Et à chaque fois, sa maman se met en pétard.
Alors cette fois, pour échapper au savon, il préfère prendre le large.
Chemin faisant, il se dit que, si ça se trouve, plein de gens partagent son problème. Tiens, cette fillette, là, elle à une façon bien étrange de se tortiller.
Tout comme ce petit garçon qui semble préoccupé, lui aussi.
Mais non, c’est toujours autre chose.
Une chaussette qui tire-bouchonne dans la chaussure, une crotte de nez coincée. Ou pire, une manche qui se carapate sous le pull, qui n’a pas déjà connu ça?
Ainsi notre petit narrateur découvre que si son problème n’est pas aussi universel qu’il l’aurait cru, avoir un problème, en revanche, semble être la norme.
Et après tout, le sien n’est pas pire qu’un autre.
C’était assez audacieux de la part de Shinsuke Yoshikate de partir d’un slip souillé pour aborder plus largement les questions de la différence et de la honte.
Mais ça fonctionne du tonnerre, parce-que l’album est hilarant.
Des situations cocasses, qui frisent l’absurdité et dans lesquelles pourtant on se reconnaît en font le sel.
On retrouve dans le protagoniste le caractère des personnages de cet auteur, décalés, inventifs et toujours surprenants.
Il existe deux autres albums de Shinsuke Yoshikate chez nobi nobi! Que je n’ai pas le plaisir de connaître mais leurs titres ( » c’est pas ma faute » et » c’est pas juste ») me donnent à penser qu’ils sont dans la même veine, à mon avis, ça vaut le coup de les chercher.
Quand les parents partent en bateau faire les courses, en laissant leurs six mouflets seuls sur la petite île, une journée de liberté s’ouvre à eux.
Chamailleries, partie de pêche, excursion et rêveries seront les activités du jour, qui s’enchaîneront librement au gré des idées et des envies de la petite troupe.
Ce qu’il y a de vraiment chouette avec cette île, c’est qu’elle est un espace sécurisant (parce que les enfants y sont seuls, que c’est un espace par nature délimité, mais aussi parce qu’ils semblent la connaitre comme leur poche) tout en offrant un véritable terrain d’exploration et de surprise (non, ce n’est pas paradoxal, vous seriez étonné de toutes les surprises qu’on peut avoir dans ses propres poches, surtout quand on est un enfant).
Ils commencent par se mettre en quête de nourriture. Maxime, qui a revêtu la coiffe de chef indien, prend les choses en main. Les autres lui emboîtent le pas, mais pêcher ne se révèle pas aussi simple que ça. Petit conflit, réconciliation informelle et hop, on passe à autre chose.
La journée se terminera par les retrouvailles avec les parents, devant une belle pile de crêpes (ce qui semble confirmer mon hypothèse selon la quelle cette île est bretonne, je reconnais cette ambiance de joyeuse sérénité).
Les aquarelles de Jean-Luc Englebert ont la même légèreté que son récit, qu’elles se déploient sur la double page à fond perdu ou qu’elles s’organisent en petite vignettes. Les enfants croqués sur le vif ont des allures des peanuts, on voit également un certain cousinage avec Anton. Le texte est court, jamais bavard, et à hauteur d’enfant.
C’est une petite bouffée de vacances et une vraie source de confiance en soi de voir ces bambins qui se débrouillent, se disputent et s’amusent tant et si bien qu’ils en oublient leur faim.
Trois petits animaux, Margaret Wise Brown, Gareth Williams, MeMo, 18€
Ce sont trois petits ours, qui vivent dans leur environnement douillet et chaleureux.
Ils y sont heureux mais ils sont aussi très curieux et le monde des humains, avec son agitation colorée, qu’ils aperçoivent en bas de la colline suscite leur envie.
Alors un jour, l’un d’entre eux décide revêtir un complet veston et de se mélanger aux hommes.
Très vite, un deuxième le suit, paré d’une robe.
Le troisième petit animal, qui ne possède pas de vêtement, attend le retour de ses amis dans leur petite maison d’animaux. En vain.
Il décide de se chausser de bûches et de s’habiller de feuilles d’arbres pour aller lui aussi en ville.
Ses deux amis s’y fondent dans le décors, ils ne se reconnaissent pas mutuellement, peut-être même ne se reconnaissent-ils pas eux-mêmes. De nos jours, on appellerait cette perte d’identité un modèle d’intégration. Dans la foule, ils sont anonymes, comme les autres ils ont la mine grave, et semblent déambuler sans but, ni nonchalance.
Le troisième, avec ses guenilles, suscite des regards plus proches du mépris que de la compassion.
Il faudra finalement une grosse bourrasque de vent, qui dépouillera nos trois petits animaux de leurs attributs humains, pour qu’ils retrouvent enfin leur nature.
Joyeusement, ils courent vers leur petite maison d’animaux, où ils éprouvent de nouveau le bonheur simple d’être ensemble, exactement à la place qui est la leur.
Le texte de Margaret Wise Brown est, comme toujours, d’une grande tendresse et d’une parfaite justesse.
Quant aux images de Garth Wiliams, des crayonnés très délicats, elles s’y associent parfaitement et portent l’histoire.
On ne peut qu’être sensible au regard attachants des ours. On ressent le souffle de liberté quand ils courent comme des petits fous.
Un album qui interroge les notions de sauvagerie et de civilisation, de quête de soi aussi, mais qui est avant tout une adorable histoire, dont les jeunes lecteurs sauront parfaitement se saisir.
Vacances d’été est un album sans texte qui montre, à travers une série de portraits, les activités d’une fillette et de son chat.
Ils sont toujours en pause, face au public, dans une immobilité parfaite, d’une sagesse presque suspecte.
Natation, promenade à vélo, jeux de ballons sur la plage, leurs activités semblent variées.
Mais on ne les voit jamais, on devine qu’elles viennent d’avoir lieu, ou qu’elles vont arriver par les décors, les accessoires, mais les personnages ne sont représentés que figés.
Qu’ont ils donc à cacher, pour arrêter ainsi leurs jeux des qu’on les regarde, ces deux là ?
A vrai dire, j’ai la conviction qu’ils s’en donnent à cœur joie des que le livre est fermé.
Aussi vrai que la lumière qui se rallume dans le frigo quand on a fermé la porte (si, si, j’en suis sûre, je n’ai pas de preuve mais je sais)
Je ne suis dupe ni des yeux ronds du chat, qui feint d’ignorer le canard qu’il a sur la tête, ni du regard franc de la fillette, indifférente a l’eau qui recouvre ses pieds. D’ailleurs, la preuve, on les voit sur un vélo qui roule. Un vélo, quand on ne pédale pas ça tombe, c’est bien connu. Là, il tient droit, comme si il poursuivant sur son élan, alors même que la fillette prend la pause.
J’avoue, je suis assez cliente de cet humour qui cache bien son jeu, et plus je lis cet album, plus je trouve à ses personnages un petit air chafouin qui n’est pas pour me déplaire.
Et puis j’aime beaucoup sa couverture délicatement irisée qui donne envie aux enfants.