Professionnelle de la lecture d'album, j'ai eu envie de créer ce blog pour faire connaitre la richesse de la production jeunesse aux parents et aux professionnels de l'enfance. Vous y trouverez des chroniques d'albums (livres de fonds ou nouveautés) mais aussi quelques éléments de pratique de lecture à voix haute et mon actu de formatrice en littérature jeunesse.
Vous avez remarqué comment certains enfants sont réticents, le soir, à raconter leur journée? Dans ce petit album tout cartonné, le papa a trouvé la parade. Il pose la question directement aux petons du bambin (qui, d’ailleurs, peut aussi bien être une fille qu’un garçon).
L’enfant a posé ses chaussettes, il a les orteils qui frétillent. Niché dans les bras de son père (tendrement enveloppant le père), il se remémore sa journée.
« Nous avons tambouriné, nous nous sommes faufilés en catimini… ». Les pieds racontent. Le texte est court mais il offre tout de même quelque mots savoureux et l’image, au trait sur fond blanc, enrichit l’histoire de petits détails qui l’ancrent dans un quotidien réaliste (le livre laissé ouvert par terre à coté du lit parental, la casquette qui traîne au pied du porte manteau, le parcours d’équilibre fait d’un banc retourné etc).
Pas de maman dans cet album, cette fois c’est la relation au père qui est mise en valeur. Mais il existe aussi « petit nez », sur le même principe, où l’enfant est montré avec sa mère, ainsi que « petit ventre ». Toute la série est vraiment sympa, avec des dessins assez atypiques qui traduisent parfaitement la vie et le mouvement des mouflets. C’est dynamique et rafraîchissant.
Heure Bleue Isabelle Simler éditions courtes et longues
Une fois de plus, Isabelle Simler nous émerveille avec ses images envoutantes. Ici, elle explore la palette de bleu, sa richesse, ses nuances, à travers la faune et la flore du monde entier. Près de nous ou plus loin, plumes, fourrure et écailles bleues sont bien plus nombreuses que je ne l’aurais cru.
On découvre ainsi le passerin indigo, le chat bleu russe, la grenouille azurée. Avec des plans éloignés qui montrent tout un paysage bleuté ou des gros plans qui donnent la part belle aux détails, chaque double page est un tableau dans le quel on plonge avec délice. De façon presque imperceptible on glisse en douceur du jour à la nuit, c’est l’heure bleu, montrée dans toute sa poésie et sa beauté.
On monte dans les airs, on plonge dans les océans, on vole à la surface de la terre, et on découvre d’improbables espèces.
Avec d’aussi belles images, on pourrait presque se passer de texte. Il s’insère discrètement dans les pages et offre aux oreilles des enfants de très jolis mots à découvrir. Certains sont même difficiles à prononcer pour les bambins, qui se régalent alors à les faire rouler sur leur langue. Ah, les mésanges qui zinzinulent, les morphos bleus qui étincellent sur les ipomées, que de sonorités nouvelles.
C’est un album très apaisant, qui enveloppe les enfants dans des mots doux et des images belles. une de mes collègue a endormi un bébé de deux mois en lui lisant!
Quant à moi, j’ai longuement scruté chaque page pour essayer de découvrir quelles techniques d’illustration étaient utilisées. J’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agissait de peinture grattée avec quelque coups de stylo ou de crayons et probablement un travail à l’ordinateur ensuite. Mais si ça se trouve, je suis complètement à coté de la plaque, ces images gardent bien leurs mystères!
Et puis, après avoir cherché à analyser, j’ai de nouveau regardé les images dans leur ensemble et je me suis dit « qu’importe, c’est beau! »
Edit: Renseignement pris, j’étais effectivement complètement à côté de la plaque, Heure bleue, comme tous les albums d’Isabelle Simler, est entièrement illustré à la tablette graphique. Un travail de minutie très réussi.
Jenny la cow-boy Jean Gourounas, atelier du poisson soluble,15€
isbn:978-2-35871-055-8
Jenny, ben, comme son nom l’indique, c’est une cow-boy. Autant dire qu’elle ne se laisse pas marcher sur les pieds et qu’elle n’a pas froid aux yeux. Et attention, pas question de toucher à son canasson. Alors quand elle le découvre décoré d’une tâche suspecte, son sang ne fait qu’un tour. Gros plan sur le visage courroucé de notre héroïne, aïe aïe, aïe, ça va saigner. A la recherche du coupable, elle accuse tour à tour putois, lynx, coyote. Elle les invective avec hardiesse, en matière d’insulte, son imagination est sans limite (et quel régal pour les enfants de les répéter)
Malgré son air furax, les bestiaux ne semblent pas impressionnés et chacun démontre tour à tour son innocence, en souillant à nouveau le poney au passage mais Jenny ne s’en soucie guerre, rien en peut la distraire de sa quête.
La chute, je ne vous la révèle pas, mais faites moi confiance, elle est aussi inattendue qu’hilarante.
Un album très réussit aussi par la relation entre le fond et la forme. Ici, aucun doute, on est dans un vrai western. Travelings, gros plans, bande son, tout est là, jusqu’au générique de fin.
Étrangement, Jenny est représentée uniquement par ses attributs de cow-boy/shérif (les éperons, l’étoile, et, bien entendu, le colt) et par son visage. Autant de charisme dans un personnage pourtant désincarné, il fallait s’appeler Jean Gourounas pour y penser et encore plus pour réussir ce pari.
Les prélivres Bruno Munari corraini (diffusion les trois ourses)130€
Ce sont 12 petits livres, présentés dans un coffret qui évoque à la fois un grand livre et une petite bibliothèque. 12 livres qui ont exactement le même format, un carré de dix centimètres sur dix. Le même titre ou presque, sur chaque couverture: Livre 1, Livre 2 etc. La matière de chaque livre, la reliure change. A l’intérieur, très peu de formes figuratives. Un bonhomme stylisé pour le livre X, des fourmis pour le livre Y, un chat…
Quand on a le coffret entre les mains, on explore chaque livre avec tout ses sens. La douceur du livre rose, le bruit que fait le livre en bois quand on le claque. Le vent qu’on peut faire en feuilletant le livre transparent. On est parfois un peu surpris, nous, les adultes. On tourne et retourne ces étranges objets. On trouve ça beau. On a envie de découvrir l’intérieur. Et pour les enfants? C’est pareil: Ils tournent et retournent les livres, les feuillettent, découvrent avec bonheur les surprises cachées dans chaque volume. Avant même de savoir lire, avant qu’on leur ait donné le mode d’emplois, ils comprennent comment appréhender ces objets. Ça tombe bien, c’était exactement le projet de Bruno Munari quand il a créé ces prélivres. Donner aux enfants à la fois une vrai petite bibliothèque et un mode d’emplois des livres.
Bruno Munari est un artiste italien, né à Milan en 1907. Il était à la fois sculpteur, designer, graphiste, peintre. C’est à la naissance de son fils qu’il a commencé à créer des livres pour enfants.
Il entame alors une vaste réflexion sur l’objet livre: Qu’est-ce qu’un livre et quelle est son utilité? C’est en réponse à ces questions qu’il commence (en 1949) la série des « livres illisibles », qui se passent à la fois d’images et de mots. La création de livres-objets se poursuit en direction des enfants et les prélivres sont un aboutissement de cette réflexion. Ils sont l’essence du livre: un ensemble de feuilles reliées entre elles, qui cachent une surprise et suscitent curiosité et émotions. En l’absence de mots écrits, le lecteur est invité à inventer et à interpréter, il est acteur de la lecture. En saisissant les prélivres l’enfant expérimente, il est mis dans la position du savant qui teste les différentes possibilités de la matière, il tâtonne pour découvrir par lui même les propriétés de l’objet: la transparence, les découpes, les formes cachées.
Quand j’amène les prélivres aux enfants, je m’abstiens d’être dirigiste avec eux. J’ouvre le coffret, le pose à portée de main et je les laisse venir voir, si ils en ont envie. Il faut alors en général rassurer les adultes. Oui il peut toucher. Non, il ne va pas l’abîmer. Oui, vous pouvez le laisser le mettre dans la bouche se frotter la joue avec, glisser ses doigts dans les trous. Oui, il gratte la page, il se demande si cette tâche noire, là, c’est un rond dessiné ou au contraire un trou. Munari a été farceur, il a joué sur l’ambiguïté. Ces deux rond, en apparence identiques, sont ils en réalité des opposés? Le plein, le vide, l’objet et sa représentation, l’enfant expérimente tout ça. Il cogite. Il s’étonne. Il s’émerveille.
Quand les adultes sont rassurés, ils s’émerveillent à leur tour. Ils touchent eux aussi. Ils n’osent pas mettre les livres dans leur bouche mais ils hument, caressent, écoutent. Pendant que leurs enfants grandissent au contact de ces livres, eux retombent en enfance. Et les voilà réunis autour de cet objet singulier, étonnant, un livre qui n’en est pas vraiment un, une bibliothèque insolite.
Le pigeon à besoin d’un bon bain Mo Willems, Kaléidoscope
Le Pigeon est de retour. Et il est égal à lui même: C’est l’incarnation de la mauvaise foi. Et aujourd’hui, en plus, il schlingue. Aucun doute, le pigeon DOIT se laver.
Mais, évidemment, il ne va pas se laisser faire. Il préfère déployer toute l’ingéniosité dont il est capable pour essayer de se dérober.
Tour à tour menteur (« Tu sais, dans certaines régions, il est impoli de se baigner »), accusateur (« Peut être que TU as besoin d’un bain! ») ou charmeur (« la vie est si courte, pourquoi la gaspiller avec des trucs sans intérêt? »), il égraine ses arguments. En vain.
L’insistance muette de son interlocuteur aura raison de son entêtement. OK, il accepte de prendre un bain. Sur le principe. En pratique, il faut d’abord trouver la température idéale, la bonne profondeur de l’eau, la juste quantité de jouets, tout ça quoi.
Comme souvent dans les albums de Mo Willems, la grande réussite tien dans les personnages. Ici, nul besoin de narrateur, ce pigeon est tellement expressif qu’on adopte spontanément le ton juste pour lire ses répliques. Quand à son interlocuteur, on ne l’aperçoit qu’au tout début de l’album. Il est hors champ dans toute la suite. Ses répliques, l’enfant les devine, il y a fort à parier qu’il les a entendues lui même un certain nombre de fois. Pour le reste, on est amené à l’imaginer. J’ai surpris ma cadette en train de regarder seule cet album. Elle avait son petit index tendu vers l’image et disait « ça suffit maintenant, allez, hop, au bain » avant de tourner les pages jusqu’à voir le pigeon dans l’eau et là elle à ajouté « j’aime mieux ça monsieur! » d’un air sévère. Étonnante identification, qui ne se produit pas là où on l’attendait, mais qui prouve, si c’était nécessaire, que les enfants perçoivent parfaitement le personnage absent. J’ai tendance d’ailleurs à penser qu’il est beaucoup plus intéressant de leur donner à voir que de leur montrer les choses.
Lièvre et Ours vont à la pêche Emily Gravett, kaléidoscope
Ours ADORE la pêche. D’ailleurs, c’est lui qui ouvre la marche, canne sur l’épaule, il semble impatient. Lièvre, lui, suit en portant tout le matériel. Il n’a pas l’ai d’être à la fête, il regarde même les asticots avec un air franchement sceptique.
Qu’importe, Ours se régale, même si sa première prise est… Le chapeau de Lièvre. Il ne se décourage pas et repart à l’assaut de la rivière, cette fois armé d’une épuisette. Avec la quelle il pêche une grenouille qui, paf, saute en plein sur la tête de Lièvre.
Le texte est très court et sobre, mais le dessin extrêmement expressif.
Alors que Lièvre se consacre au pique-nique, Ours redouble de malchance puisque cette fois, c’est un roller qu’il sort de l’eau. Au fil des pages, l’humeur s’inverse, Ours commence à se lasser de cette pêche infructueuse alors qu’à ses cotés, Lièvre vaque tranquillement à ses occupations champêtres. Et c’est finalement lui qui va pêcher, malgré lui, un énorme poisson alors qu’Ours s’est endormi.
C’est un grand plaisir de voir Emily Gravett revenir à des albums pour les tout petits et de constater qu’une fois de plus, elle leur fait confiance pour lire les images et n’appuie pas ses propos de mots inutiles.
Elle a toujours ce talent pour croquer en quelques coups de crayons des personnages expressifs. Ici on perçoit l’amitié, la complicité, la douceur de la relation improbable entre un gros ours et un lapin.
Le papier très épais et le grain mat des pages ajoute au plaisir de manipuler cet album (et à sa solidité, ce qui est appréciable quand on le confie à de toutes petites mains).
Et le trou dans la couverture, qui encadre les personnages comme un médaillon et incite à ouvrir le livre pour ouvrir le champ de l’image, fait la joie des bambins qui se régalent à y glisser leurs mains.
Cet album est semble-t-il le premier d’une série, je suis impatiente de retrouver ces personnages dans d’autres aventures.
Les farfelus, Miguel Tanco, les fourmis rouges 13€80
isbn: 9782369020400
Qu’est ce que c’est, au juste, un farfelu au cœur tendre? Ce sont ces gens là, vous savez, ceux qui embrassent les arbres, qui dansent quand ils en ont envie, ceux qui choisissent toujours l’autre chemin. Ils ont en commun leur singularité.
Parfois, le farfelu est un enfant, parfois c’est un gros monsieur aux bras tatoués, ou encore une femme qui applaudit même quand c’est l’équipe adverse qui a gagné.
Sur l’image au trait délicat en dominante jaune et ocre, chaque farfelu se détache par une touche de bleu profond.
De cette série de portrait, on tire quelques conclusions sur ce que sont les farfelus. Ce sont les gens qui ont gardé un peu d’enfance en eux, tous ceux qui s’épanouissent dans la fantaisie, ceux qui ne craignent pas d’être à la marge, décalés, différents.
Au fond, c’est peut être juste ceux qui ont gardé de leur enfance une indifférence pour le jugement des autres. Ou cette belle confiance en soi qui permet de se faire plaisir, simplement, par des petits instants de joie, sans se poser de question.
Je pense (j’espère) qu’il y a un farfelu dans chacun de nous. Parfois, il est là, tout proche, à fleur de peau, d’autres fois il est un peu plus enfoui, il faut alors le chercher un peu mais il peut réapparaître brusquement, par surprise, à la faveur d’une histoire racontée par exemple.
Un album délicat, dans le quel chaque image apporte sa touche d’humour. Un album qui réunit enfants et adultes dans un même plaisir.
Ouh là là! est le 3eme volet d’une série d’albums tout en images qui explorent et revisitent l’univers des contes traditionnels, après Bouh! et Tralalère.
Ici, nous rencontrons d’abord l’ogre et le loup, à l’air boudeur. Mais le loup à une idée et entraîne son ami vers une fenêtre jaune qui se découpe sur la page verte. L’ogre, soudain, à l’air benêt, on sent très vite que ce sont pas des flèches ces deux là.
De l’autre coté de la page, dans la lumière d’une pièce jaune, trois petits cochons et un enfant aux cheveux blonds jouent au cartes.
Nos deux compères semblent farceurs plus que gourmands, pour tromper leur ennuie, ils font des grimaces aux joueurs.
L’album instaure très vite un jeu de surprise qui s’inscrit dans l’alternance entre pages jaunes et vertes, entre l’intérieur et l’extérieur. La découpe de la fenêtre, vers la quelle convergent naturellement les regards, permet un changement de point de vue à chaque page. La charnière du livre découpe l’espace. Dans cette mise en scène très travaillée, l’ogre et le loup jouent à « coucou me voilà » suscitant la terreur chez les petits cochons et des éclats de rire chez les enfants à qui j’ai montré cet album.
Et puis brusquement, plus de découpe. Le loup et l’ogre obstruent totalement la fenêtre, ils essayent de passer de l’autre coté. Les cochons s’enfuient par une nouvelle ouverture, sur la page de droite. On remarque au passage que l’enfant blond ne porte pas de chaussures. C’est peut être un détail pour vous, mais pour l’ogre qui va se faire piquer ses bottes, ça veut dire beaucoup. Justement, les rôles s’inversent. L’ogre et le loup, coincés dans l’encadrement de la fenêtre sont vulnérables, les quatre autres sont passés de l’autre coté. Dans une dernière péripétie l’enfant déchausse l’ogre pour lui chatouiller le pied. Tiens tiens, un enfant, des bottes trop grandes, ce n’est probablement pas boucle d’or, comme on pouvait le croire au début.
Cette trilogie (peut être y aura-t-il d’autre titres? Je le souhaite en tout cas) a le très grand mérite d’amuser les petits comme leur parents: En nourrissant son récit par de nombreuses références aux contes, François Soutif permet à chacun de faire des liens et des hypothèses, on s’amuse et on réfléchit. J’aime beaucoup regarder les visages des enfants quand on leur montre, cette étincelle dans le regard au moment ou, paf, ils percutent quelque chose. La lumière se fait, ils ont construit leur vision du récit. Pour bien faire, il faudrait pouvoir montrer les 3 albums de la série, ce qui permettrait aux enfants de suivre les personnages, de voir les retournements de situation, chaque album s’enrichissant de la lecture des deux autres.
Si vous êtes un peu perdu dans l’utilisation des albums sans texte, je donne quelques pistes ici.
Lettre à mon cher petit frère qui n’est pas encore né Frédéric Kessler, Alain Pilon, Grasset jeunesse
13€90
Contrairement à ce qu’indique le titre, c’est d’abord le petit frère qui créé le lien. Il envoie une missive à son aîné, rédigée avec toute la déférence que doit un petit être naïf et qui n’a encore rien vécu face à un grand frère qui connaît déjà la vie.
La réponse est… Plutôt froide. A l’opposé de la douce vie que connaît le bébé dans le ventre de la mère, le grand se plaint du froid et surtout de ne pas avoir le droit de manger quand il veut. L’image pourtant semble démentir ses propos, puisqu’en le voyant juché sur une chaise pour se faire une tartine, on se doute qu’il n’a pas vraiment demandé l’autorisation.
L’échange se poursuit, une lettre sur chaque page de gauche, à droite alternent des images sur fond noir, qui montrent le petit frère nu et fragile et des images sur fond pastel de l’aîné dans son environnement.
D’emblée le cadet se montre aimant et admiratif pour son grand frère. Saura-t-il l’amadouer?
C’est par la mise en valeur de ce qui les différencie qu’ils vont progressivement se rapprocher.
Monsieur mon frère,
Ne vous énervez pas trop contre moi, je suis si petit et sans défense et vous devez être si fort. Au fait, je ne sais même pas votre âge?
Impatient de vous connaître,
Le tout petit.
Mon petit frère de rien du tout,
J’ai bientôt trois ans et je sais faire des choses dont vous n’avez même pas idée. Figurez vous que je sais parler, jouer, dessiner, marcher et courir, et pendant que maman vous donnera le sein, moi je mangerais à table avec papa des morceaux de viande qu’il faut mâcher avec les dents «
Petit à petit, ils se découvrent, s’apprivoisent, se confient l’un à l’autre.
Et, à la dernière page, quand le texte et l’image sont finalement réunis la rencontre peut avoir lieu.
Avec humour et justesse, le texte traduit l’inquiétude qui est la leur. Les questions qu’un enfant se pose probablement à l’annonce d’un petit frère sont abordées avec une telle subtilité qu’on a à peine conscience que les réponses sont données. C’est tout naturellement que l’enfant à qui on lit cet album découvre que le bébé à naître ne saura pas faire grand chose, que son rôle d’aîné peut être protecteur, que le bébé sera plein d’admiration pour lui.
Un pommier dans le ventre. Simon Boulerice, Gérard Dubois, Grasset jeunesse
Quand j’ai lu cet album pour la première fois, je suis retombée en enfance. Pas à cause des garçons en culottes courtes ou des images so vintages qui évoquent les bons points et autres images de prix d’excellence. Non, tout cela n’évoque pas mon enfance mais plutôt celles de mes parents.
Non, ce qui m’a ainsi transporté dans ma prime jeunesse, ce sont les différents sentiments que le jeune héros de cet album, Raphaël, éprouve. Il passe de l’insouciance à la terreur réelle, elle qui est intériorisée et qui paralyse au point qu’on n’ose pas l’aborder avec les adultes. Ce genre de peurs enfantines qu’on garde pour soi et dont on n’arrive pas à se débarrasser justement parce qu’on les tait.
Le héros, donc, est en proie aux plus grandes angoisses parce que son ami lui a dit qu’en mangeant les pommes avec les pépins il risquait d’avoir un pommier qui pousse dans son ventre. Une peur irrationnelle et totalement enfantine s’empare alors de lui. Il n’ose ouvrir la bouche, de peur de faire entrer le soleil dans son ventre ce qui, chacun le sait, favorise la croissance des pommiers. Le voilà donc isolé avec son inquiétude, de cette sorte d’inquiétude qui donne aux enfants des crampes d’estomac.
Le fantasme se nourrit de ses idées noires, il est convaincu de voir des bosses sur son ventre, entend un son d’arbre creux quand il frappe sa poitrine et imagine ses cheveux se transformer en brindilles.
Dans une image qui n’est pas sans rappeler celles de Pierre l’ébouriffé, il se voit déjà affublé de branches pour mains, d’écorce pour peau. L’enfance, disais-je, avec tout ce qu’elle a d’excessif. Il suffira de quelques mots de sa mères et surtout de cette capacité incroyable qu’ont les enfants à passer à autre chose (le temps doit se dérouler autrement quand on a 6 ans, je ne vois que ça comme explication) pour que la situation soit dénouée… Au moins pour quelque temps.
Je travaille avec cet album depuis quelques semaines seulement et je constate que les enfants le choisissent rarement spontanément. Heureusement, les parents, eux, ont tout de suite l’œil attiré par la beauté de l’objet (les images, bien sûr, mais aussi le papier épais, la mise en page soignée, la typographie travaillée) et quand ils le partagent avec leurs enfants tout le monde en est ravit.