Une sieste à l’ombre, Françoise Legendre, Julia Sports, seuil Jeunesse, 12€90
Une fillette est installée sur une couverture à l’ombre d’un pommier. Petit à petit le sommeil la gagne, un rythme lent s’installe.
Chaque page montre un nouveau voyage onirique effectué par l’enfant, toujours accompagnée de sa couverture qui est la complice de ses aventures.
Elle devient tipi, désert, armure et même tempête.
Seulement quelques mots par pages, ce qui laisse les images capter toute l’attention des enfants.
Ils repèrent les couleurs de la couverture, rouge d’un côté, jaune de l’autre, qui font le fil conducteur de l’histoire.
Le voyage fait la part belle à la nature, beaucoup d’animaux sont présents et de nombreuses fleurs.
Mais aussi des objets plus incongrus, un ballon de foot que l’on retrouve à plusieurs reprises, une tasse a bec à la taille variable, un étrange cheval échappé d’un manège de bois.
Quand la sieste est terminée, l’ombre du pommier s’est déplacée, mais tiens, le ballon est toujours là, tout comme la tasse a bec, qui sont passés, avec la fillette et sa couverture de la réalité au monde imaginaire.
Une sieste à l’ombre est un bel album contemplatif, aux images un peu rétros, un peu japonisantes. Oui, je sais, c’est très à la mode au point d’avoir un petit air de déjà-vu. Mais ici c’est vraiment plein de charme alors on ne boude pas son plaisir.
Bonne nuit tout le monde, Komako Sakaï, Chihiro Ishizu, école des loisirs, 7€
Je ne sais pas vous, mais moi je trouve qu’il n’y a pas grand chose de plus apaisant qu’un bébé endormi. A part peut-être un chaton qui dort. On trouve les deux dans ce très joli album. Et quand en plus c’est Komako Sakaï qui leur donne vie avec ses pinceaux, je fonds littéralement.
L’histoire se résume en quelques mots : après avoir vaqué a leurs occupations, le papillon, les chatons, les pommes, le petit train de bois vont s’endormir. Qui sur une feuille, qui dans un panier ou sous un tabouret. Puis c’est au tour de la petite Louise de prendre son doudou et de dire « bonne nuit tout le monde » avant d’aller au lit à son tour
Chacun a sa place, les pommes ont autant d’importance que les chats, comme cela peut être le cas pour le jeune enfant.
On trouve dans le texte la même douceur et la même simplicité que dans les images.
Un joli album qui peut accompagner le rituel du coucher, mais rien n’empêche de le lire a tout moment de la journée.
Il est parfait pour lire aux bébés et séduit aussi les plus grands ou les parents.
Au lit les chats, Barbara Castro Urio, saltimbanque, 13€90
Dès la couverture il y a une ouverture, petite, en bas de page, qui attire le regard. C’est la porte d’une maison, tracée au simple trait gris sur le blanc uni de la page.
Dedans, il n’y a d’abord que le chat rouge. De lui, on ne perçoit que la couleur, à travers une découpe carrée dans la page cartonnée.
Mais on sait qu’il est là, le texte nous l’affirme.
Alors on l’imagine, semblable au chat vert qu’on voit sur la page de droite, petite silhouette unie, aux yeux blancs qui ressortent dans le pelage coloré.
C’est ensuite un chat jaune qui se présente sur la page de droite, celle de gauche se perse alors d’un deuxième carré, vert bien sûr, comme une petite fenêtre dans la maison blanche.
En tout, ce sont douze chats qui vont arriver, chacun avec sa posture et sa couleur, puis s’installer dans la maison pour y dormir, suscitant une nouvelle découpe dans la page.
Douze petits carrés de couleurs égaillent alors la maison dans la quelle on pénètre enfin, pour souhaiter une bonne nuit aux chats, dont les yeux maintenant sont clos.
Comme les images, le texte est épuré, d’ailleurs les phrases ne s’achèvent pas par un point mais par un simple saut de ligne.
L’épaisseur et la très belle qualité du carton utilisé donnent envie de caresser cet album, la découpe nous invite à pénétrer à l’intérieur du livre comme elle invite les chats à rentrer dans la maison.
Bien sûr, cet album se prête parfaitement à la lecture du soir, à ou tout autre moment de la journée. Mais n’en faisons pas un livre « pour faire dormir » les bambins récalcitrants (et ne le résumons pas non plus à un livre pour apprendre les couleurs), d’une part parce que ça ne fonctionne pas, d’autres part parce que ce serait très réducteur. Et une bien piètre façon de voir la littérature enfantine.
Et le matin quand le jour se lève, Anne Crauzas, MeMo
Et le soir quand la nuit tombe, Anne Crauzas, MeMo
Ces deux albums complémentaires explorent les activités des animaux à l’aube et au crépuscule.
Nocturnes ou diurnes, chacun a ses petits rituels à ces deux moments clés de la journée.
Au petit matin, maman chouette ferme un oeil, tandis que ses bébés dorment déjà. Les hérissons vont au lit alors que les oiseaux se mettent à chanter.
Au coucher du soleil, on retrouve les mêmes personnages, dans le même ordre. Des histoires se tissent alors, entre les deux albums. C’est parce qu’ils apprenaient à voler que les bébés chouettes sont si fatigués, les oiseaux sortent d’une nuit de sommeil, les pattes bien accrochées aux branches.
Comme toujours, Anne Crauzas donne une grande élégance à ses images. Elle varie les cadrages (hérissons vus d’en haut, blaireaux montrés dans le terrier, en coupe) utilise les détails avec parcimonie, pour nous offrir des illustrations belles et lisibles.
Chaque album peut être apprécié seul. Avec leurs pages cartonnées aux angles arrondis, ils sont tout à fait adaptés pour être lus à des bébés.
Mais c’est ensemble qu’ils révèlent toutes leurs saveurs et qu’ils se prêtent le plus à la réflexion du jeune lecteur. Les enfants comparent, pages après pages, les activités des différents animaux. Ils écoutent les deux livres dans un ordre, puis dans l’autre et imaginent la journée ou la nuit qui s’est écoulée entre les deux.
Dans cette exploration, entre lecture et jeu, ils apprécient qu’un adulte soit présent pour les écouter, accompagner la découverte. Le moment peut se prolonger longuement avant de s’épuiser.
La complainte de Gecko, Marie Brignone, Elodie Nouhen, Didier jeunesse, 12€50
Après avoir passé la journée à manger des insectes, Gecko cherche le sommeil. En vain. Le Clic-clac incessant de Luciole l’empêche de dormir. Il va en référer à Lion, digne représentant de l’autorité dans la jungle. Renseignement pris, Luciole ne clignote pas sans raison, elle apporte son aide à Pivert qui cherche à annoncer un danger. Interrogé à son tour, il explique que tout ça, c’est de la faute de bousier, qui roule des boules de crottes.
Vous l’aurez compris, nous avons affaire à un conte en randonnée où chacun justifie son acte par celui de l’animal suivant.
A chaque protagoniste est associé une onomatopée, qui contribue à rythmer le récit, en association avec la répétition de la phrase prononcée par le lion: « Quel charivari! Oh, quel charivari! On veut dormir ici! »
De fil en aiguille, on remonte jusqu’à la source du problème, la pluie, qui en tombant crée des trous sur le chemin. Mais elle aussi répond à une nécessité et Gecko comprend qu’ici-bas tout est lié et que chacun doit jouer son rôle pour la survie de tous.
Bien qu’il ne soit pas édité dans la collection « a petit petons » (qui publie exclusivement des textes de conteurs), nous avons bien affaire à un conte de Bali, et nous retrouvons le travail sur l’oralité qui a fait le succès de cet éditeur: un texte qu’on se met facilement en bouche servi par une typographie adaptée.
Les images d’Elodie Nouhen sont magnifiques, les couleurs froides des décors contrastent avec celles, très chaleureuses, du lion qui illumine la page.
Les petits amis de la nuit, Ilya Green, Didier jeunesse, 11€90
Ilya Green excelle dans l’utilisation de la couleur, n’hésitant pas à remplir totalement la page de motifs fleuris comme dans son tout premier album, Bou et les 3 zours, elle a prouvé qu’elle pouvait aussi exploiter le blanc avec brio dans Mon arbre mais là où je la préfère, c’est quand elle ose le fond noir, surtout pour les tout petits.
Ici, c’est le noir de la nuit, qui n’a rien d’inquiétant, au contraire, il met en valeur et sublime les couleurs du petit héros et de ses amis.
Un bambin, garçon ou fille, on ne sait pas, joufflu à souhait comme le sont les bébés de cette illustratrice, est installé sur on oreiller moelleux. Petit à petit, les personnages doudous défilent. Des petites souris, un chat tout gris, canards et tortues traversent la page.
Outre leurs couleurs qui ressortent sur le fond noir, ils sont mis en valeur par le vernis qui les rend brillants, sur le papier mat. Des petites bulles rythment et dynamisent l’image. Le texte est court et poétique.
Les petits amis de la nuit est un album parfait pour des bébés, pour un cadeau de naissance et pour accompagner le sommeil des enfants.
Au lit! Toute une histoire Shoham Smith, Einat Tsarfati, Cambourakis, 14€
Les enfants tyrans, je les adore! Dans les livres, hein, dans la vraie vie, ils sont insupportables.
Ici, on les repère dès la couverture. Ces deux bambins là n’en font manifestement qu’à leur tête et ils vont faire tourner leurs parents en bourrique.
Pourtant, ça part bien, la petite Lili s’est endormie. Dans sa chambre au sol jonché de jouets, avec sa couronne sur la tête, la petite princesse sourit dans son sommeil. Ses parents s’éloignent sur la pointe des pieds en priant pour qu’elle ne les rappelle pas. Prière vaine, dès la page suivante ils sont de retour auprès de la mouflette qui a manifestement réclamé un dernier bisou. On sent bien le sentiment de toute puissance de l’insupportable gamine qui va sortir de la chambre en courant comme un petit démon, réveiller son petit frère et squatter le repas des adultes sans complexe.
A eux deux, ils vont transformer le repas en foire au n’importe quoi.
Les illustrations sont le plus souvent centrées sur les enfants, les parents sont hors champ, et si on entend leurs réprimandes, on comprend bien que Lili les ignore, ils n’ont aucune prise sur elle. Quand, à l’inverse, on voit le couple parental faire une tentative d’autorité (« Je commence à compter, un, deux, trois », énuméré sans le moindre résultat), c’est au contraire la fillette qui n’est plus là. Ce n’est même pas qu’ils ne sont pas assez autoritaires. C’est carrément qu’ils n’existent pas pour elle, elle ne les voit pas, ne les entend pas, c’est comme s’ils évoluaient dans deux univers parallèles.
Quant aux autres adultes, ils sont à la fois victimes consentantes et complices, les gamins semblent les considérer comme des jouets parmi d’autres.
Je trouve qu’il y a quelque chose de jubilatoire à la lecture de cet album. Pour les adultes comme pour les enfants, il y a une distance qui s’instaure tout de suite quand on le lit, on ne s’identifie pas, au contraire, on prend plaisir à se dire que « heureusement, chez moi ce n’est pas comme ça ».
Certains parents à qui j’ai montré cet album m’ont fait remarquer qu’il donnait le mauvais exemple. Alors là, permettez moi d’être morte de rire. Comme si les livres montraient l’exemple! Quelle drôle d’idée de vouloir ainsi déléguer l’éducation des enfants à la littérature. Hé, les gars, j’ai un scoop, l’éducation c’est votre job, la littérature, elle, a pour fonction de raconter des histoires. Si c’est pour raconter aux gamins uniquement des histoires qu’ils vivent ou pourraient vivre, ce n’est pas très intéressant. Ce qu’il y a de chouette c’est justement de voir dans les livres tout ce qu’on n’a pas le droit de faire, ce qu’on est incapable de faire, ce qu’on n’a même pas envie de faire, pourquoi pas.
N’allez pas imaginer que parce qu’on leur montre des enfants qui font des bêtises dans une histoire, vos bambins vont les reproduire. A moins qu’ils n’aient été biberonnés à: « Oh, regarde comme petit ours va bien sur le pot, tu devrais faire pareil » ou encore « tu as vu comme ce pingouin est gentil avec le bébé, prend-en de la graine mon enfant »; mais là, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous même.
Lisons donc plutôt Au lit! Toute une histoire pour ce qu’il est, une histoire un brin subversive qui peut servir d’exutoire pour toutes les bêtises que nos enfants n’oseront jamais commettre.
Fais dodo bébé souris, Jeongwan Park, Didier jeunesse, 13€10
Je ne sais pas vous, mais moi, j’aime dormir. Beaucoup.
Et ce que j’aime vraiment, c’est ce moment, entre veille et sommeil, où je ne sais plus si je suis déjà en train de rêver ou encore en train de penser.
C’est dans cet entre deux délicieux que se déroule cet album.
Trois fillettes en chemise de nuit, doudou à la main, s’installent dans un grand lit. Dehors, la nuit tombe. On devine les paupières lourdes et l’oreiller douillet. Alors que les enfants, comme leurs doudous se sont endormis, la fillette en jaune (qui, dans l’image, est séparée des deux autres par la charnière de la page et qui, justement serre dans ses bras bébé souris) ouvre un œil. Le miaulement d’un chat, une pelote de laine qui tombe, quelque chose l’a tirée de son sommeil, très provisoirement. Bien vite ses petits yeux se referment et elle se laisse emporter par ses rêves.
Le texte qui accompagne les très belles images de Jeongwan Park ne les raconte pas, il les complète.
Entre comptine et poème, il rythme la lecture, incitant à la lenteur.
Avec cet album, j’ai eu beaucoup de succès avec des tout petits bébés, ils regardent les yeux brillants, la tête dodelinant. C’est une lecture douce et apaisante.
Grododo Michaël Escoffier, Kris Di Giacomo, frimousse
Je m’attendais plus ou moins à un livre mignon sur une maman qui couche son bébé le soir. Comme je connais déjà des livres de ces auteurs, je m’attendais aussi à ce que ce ne soit pas que mignon, ça allait forcément être aussi drôle, décalé et peut être même un peu incisif. Mais je ne me doutais pas qu’il n’y avait ni mère ni bébé dans cet album.
J’ai donc été surprise. J’aime être surprise.
Il s’agit donc de César, qui va se coucher. Il a un rituel bien huilé pour se mettre au lit, César. Il installe le verre d’eau sur la table de nuit, bien au centre du petit napperon. Il pose ses pantoufles sur le tapis, bien au milieu. Oui, oui, comme un petit vieux. Puis il vérifie qu’il n’y a pas de monstre caché sous son lit. Oui, oui, comme un enfant.
Est il l’un ou l’autre, ça, je n’en suis pas certaine. Les enfants sont également divisés sur le sujet. Ma mouflette pense que c’est un adulte la preuve, il a l’air de rentrer du travail. Sa frangine rétorque que n’importe quoi, un adulte ne fait pas du patin à roulette avec une glace à la main. Mais que peut être que si en fait, parce que César, il gronde comme un adulte.
Vous êtes un peu perdus? Ce n’est pas grave, on reprend. Donc, nous avons César, un lapin qui rentre chez lui bien fatigué et qui va se coucher. Il pose le verre sur la table de nuit, pose ses pantoufles, vérifie sous le lit, serre son doudou ferme les yeux et s’endort.
TAC TAC TAC TAC, le voilà brutalement réveillé. Il est assez mécontent, César, et il le montre avec une fermeté certaine à l’oiseau qui plantait, tranquille, des clous dans les arbres voisins.
Retour à l’intérieur, César reprend son rituel du début: le verre, la table de nuit, les pantoufles, sous le tapis, le doudou, serré bien fort (tiens, remarque ma mouflette, il n’a plus les gros yeux tout noirs quand il serre son doudou, il a même les oreilles en forme de cœur)et il s’endort, sur ses deux oreilles.
CROUNCH, CROUNCH, Crounch, cette fois c’est un écureuil qui boulotte ses noisettes. Furax, le César. Il sort, il pique une gueulante et il reprend tout à zéro. Le verre d’eau, englouti, le doudou, sur la table de nuit, les monstres, pas sous le tapis… Mais c’est qu’il commence à s’embrouiller le pépère.
Si dés le début, on était dans un univers un peu étrange, à chaque répétition, on fait un petit pas de plus vers l’absurde.
Les enfants se marrent de plus en plus et, au fil des lectures, ils découvrent de plus en plus de détails décalés et improbables dans l’image.
Moi j’aime bien les sentiments ambivalents qui provoque ce lapin, tantôt courroucé tantôt tendre.
Un album bien mené, plein d’humour et que j’ai jusqu’ici toujours du lire plusieurs fois d’affilée avant que les enfants n’en soient rassasiés.
Une histoire à dormir la nuit Uri Shulevitz Kaléidoscope 12€70
isbn:9782877675031
Uri Shulevitz n’a pas son pareil pour créer des univers étranges. Dans chaque album, un monde émerge, étonnant, singulier, parfois un peu absurde mais toujours cohérent.
Une histoire à dormir la nuit pourrait être le récit d’un rêve d’enfant. Ici quand la maison s’endort, ce n’est pas seulement ses habitants qui sommeillent mais la maison elle même, les volets clos comme des yeux, la porte ronflante. Les arbres qui l’entourent, eux aussi, dorment debout.
« Dorment les chaises, dort la table et dorment les portraits sur les murs endormis » Tous les objets de la maison sont ornés de visages et tous sommeillent, paisiblement. Par la fenêtre la lune, endormie elle aussi, diffuse une lumière douce. Le texte, comme une comptine, égraine le temps qui passe. Dans la chambre, un petit garçon dort.
Puis une musique fait irruption dans le calme de la maison. Avec elle arrive la lumière jaune, le mouvement, un rythme nouveau. Tous les protagonistes, un à un, s’éveillent pour participer à la danse qui s’improvise alors. Les regards s’éclairent, les sourires illuminent les visages.
Quand la musique repart comme elle était venue, sans raison ni prétexte, tout le monde reprend sa place. La parenthèse enchantée de la nuit n’a laissé aucune trace. Peut être la chansonnette continue-t-elle son voyage dans une autre maison?
Cet album ne raconte pas tant une histoire qu’une ambiance. On s’installe dans la lecture, on glisse doucement dans une bulle avec l’enfant à qui on le lit. On savoure la douceur des illustrations et on se surprend à bayer aux corneilles. On est presque déjà dans un rêve, nous aussi.