Dolto en héritage, Tout comprendre, pas tout permettre
Auteur: Edwige Antier
Collection :
« Réponses »
Editions : Robert
Laffont
Prix : 19 .50€
Pages : 283
« Laissons l’enfant
aussi libre que possible, sans lui imposer des règles sans intérêt.
Laissons-lui seulement le cadre des règles indispensables à sa sécurité… ».
Depuis quelques années déjà, j’avoue être agacée par la
déformation ambiante des propos de Françoise Dolto. Il est facile de se déculpabiliser
en accusant un mouvement pédagogique… Et encore pire, elle est même aujourd’hui
accusée d’être à l’origine des enfants « tyrans » tellement à la mode…
Françoise Dolo était une pionnière et visionnaire, pressentant ce
qu’il se jouait dans le développement de l’enfant sans avoir les éléments
scientifiques (confirmant ses dires) que l’on connait de nos jours.
CF Petite enfance et neuroscience (re)construire les pratiques et Pour une enfance heureuse
Il ne s’agit pas d’être en accord avec toutes ses idées mais de
prendre du recul sur tout ce qui a été apporté lors des émissions de France Inter
« Lorsque l’enfant paraît » à partir de 1977.
Rousseau nous avait amené son côté philosophique sur l’enfant,
F.Dolto l’a enrichi de son œil de psychanalyste, tout en s’appuyant sur « le
bébé est une personne » de D.W. Winnicott . Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel tout cela s’inscrit,
Mai 68 et sa mouvance de liberté était passée par là.
Edwige Antier fait le point sur la « parole Dolto », ce
qui peut encore s’appliquer aujourd’hui et ce qui est devenu désuet suite à l’évolution
sociétale.
Françoise Dolto était, elle-aussi, prise entre les deux
tiraillements que nous connaissons : le bien-être du bébé et la liberté de
la femme croissant (CF Badinter, Beauvoir etc…). La femme ne se réalisant plus
uniquement à travers son rôle de mère mais aussi par sa vie professionnelle,
des modifications au sein des pratiques ont été inévitables. Ce dilemme était
et est encore source de culpabilité…
E. Antier résume les dérives autour de la parole Dolo en une
phrase clef « TOUT COMPRENDRE N’EST PAS TOUT PERMETTRE ». Nous
assistons à un envahissement du vocabulaire psychologique, les salles d’attente
des psychologues sont pleines. Remplies de parents démunis, qui, perdus dans le
flot de ce qu’« il faut faire », ne savent plus sur quel pied danser
et ont oublié leur spontanéité.
La déformation principale que nous retrouvons est de penser qu’il
faut TOUT DIRE aux enfants. F.Dolo insistait sur le fait de seulement dire les
vérités qui concernent l’enfant, la relation à sa mère, les choses
ESSENTIELLES. Tout en respectant l’intimité de l’enfant (toute la famille n’a
pas besoin de savoir que le petit garçon a un problème de testicule !).
Toutes les confidences ne sont pas utiles (en consultation il est vu des
enfants au courant des relations extraconjugales des parents, des déboires
judiciaires etc…). Il s’agit juste de ne pas tricher avec les vérités
fondatrices de la vie de l’enfant. Les enfants sentent le climat émotionnel du
foyer, surtout quand les parents se réunissent entre eux pour parler de ce qu’ils
vont ensuite leur annoncer. L’enfant peut être en capacité de garder un secret
si sa relation avec ses parents est claire. Nous avons déjà vu des enfants
muets car ils s’interdisaient de parler, ayant deviné un secret.
Des expériences ont prouvé que dès la naissance, le nourrisson
comprend les émotions de sa mère (évaluer dans trois situations : mère
apaisée, confuse, inquiète, comparé au rythme cardiaque du bébé), et nous
savons également que durant la première année c’est l’hémisphère droit du
cerveau (captation des émotions) qui se développe le plus, d’où l’importance de
ce qui est dit au-dessus de la tête de l’enfant dès la naissance !
Dans la tête de de l’enfant, avant 6 ans tout peut exister,
E.Antier prend l’exemple d’une maîtresse d’école devenant homme, sur les mots à
poser dessus, si l’enfant est en demande. Mais il ne sera pas choqué par cette
transformation car il n’y a rien d’anormal pour lui. À l’enfant qui dit ne pas
avoir voulu naître, il peut lui être répondu qu’il s’est malgré tout « accroché »
à la vie lors de sa conception, au petit garçon qui sait que sa maman voulait
une fille, il peut lui être expliqué qu’il y avait cette préférence mais que grâce
à lui, elle est réconciliée avec les petits garçons.
E. Antier aborde également les sujets du mensonge, en rappelant qu’un
enfant de moins de 8 ans ne ment jamais (sauf enfant précoce qui le peut plus
tôt ou exigences parentales tellement élevées que l’enfant développe une
stratégie de protection), que pour eux il y a « le vrai pour de vrai »
et « le vrai pour de rire » et qu’il faut différencier affabulation
et mensonge.
Ce livre traite aussi du baiser sur la bouche de l’enfant,
que l’on voit régulièrement réapparaître dans les débats et de la question de
la nudité. Le « petit humain sait tout dès qu’il est né » s’est
transformé en il peut tout voir et on peut tout faire devant lui. Or, dans son
développement l’enfant traverse différentes phases, dont celles de « latence »
où tout ce qui est sexuel est comme enfoui dans une mémoire archaïque car il se
concentre sur d’autres choses : les apprentissages sociaux et scolaires.
Cette phase n’est donc pas propice à être exposée à des éléments sexuels.
Pour Dolto, dans notre culture le baiser sur la bouche est associé
à un acte qui se pratique entre amoureux (ce qui est différent dans d’autres
pays). L’enfant connaît ces codes sociaux, il n’est donc pas utile de flirter
avec cette frontière correspond à une zone érogène, alors qu’un baiser sur le
front peut être bien plus symbolique et puissant.
La nudité ne doit pas être tabou, mais elle différencie le fait de
surprendre son parent en sortant de la douche et de se balader nu dans la
maison. Cet équilibre est essentiel pour l’image corporelle en devenir, qui
doit trouver sa place entre exhibitionnisme et pudeur exagérée.
E.Antier évoque également le grand « le pauvre il attend un
petit frère ». On ne peut le nier, il existe une forme de « bébôlatrie »
pour les parents, mais ce n’est pas le cas pour l’aîné. Il est possible de lui
dire, qu’en effet, le nourrisson n’est pas intéressant pour lui, qu’il l’est
pour une maman parce que c’est son métier de mère. Que ce bébé a tout à
apprendre par rapport à lui qui sait déjà faire tant de choses. La jalousie n’est
pas forcément mauvaise, c’est « une fantastique étape dans la maturité de
l’être humain ». Il n’y aura de toute façon pas de justice pour l’enfant,
qui considère les choses injustes s’il n’a pas tout.
La « démission » parfois observée des parents, les mères
tyrannisées, les enfants souffre-douleurs, agressifs (quand on ne s’aime pas c’est
difficile de trouver les autres toujours mieux et de ne pas les taper), la fessée,
les problèmes de violence à l’école avec les sous-effectifs que l’on connaît
sont également abordés.
La place du papa, parfois compliquée à trouver entre tendresse et
autorité, qui a beaucoup évolué dans notre société est parfois désarmante. Etre
la figure d’autorité ? Une mère bis ? L’équilibre entre s’occuper de
l’enfant sans oublier sa compagne…L’importance de la complicité, la question de
l’homoparentalité, de l’absence d’une figure paternelle (déstructurant) est
évoquée par E. Antier.
Enfin, la garde alternée (comment, à quel âge, quelle répartition,
l’âge de « discernement »…), la place des grands-mères (courant
médical et psychanalytique qui les a éloignées, l’évolution du foyer, l’émancipation
de la mère, la place des beaux-parents, le «c’était mieux avant ») et la
stigmatisation des enfants précoces( différence avec surdoué, autonomie l’intelligence
rationnelle/émotionnelle, test du QI, curiosité sans fin, l’envie de faire des
génies…) sont aussi des sujets traités dans cet ouvrage.
Vous l’aurez compris, ce livre est riche d’enseignements sur des
questions diverses, nous rappellent des fondamentaux, et surtout, remet la
parole de Dolto à sa juste et précieuse place.
Le Docteur Edwige
Antier est pédiatre, diplômée de psychopathologie, elle exerce en cabinet
libéral à Paris et a suivi deux générations de patients. Elle est membre du
Conseil d’administration de l’APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) de
2001 à 2008, membre de la commission des affaires sociales à l’Assemblée
nationale de 2009 à 2012, Vice-Présidente du groupe d’études sur les
vaccinations en 2012.
Pour aller plus loin :
Du même auteur :
http://www.edwigeantier.org/
« Sois poli, dis merci.L’éducation
à la française : tout un art »
« Il est où mon papa ?
L’enfant, le couple et la séparation »
« Elever mon enfant aujourd’hui »
« Eloge des mères »
Françoise Dolto Lorsque l’enfant parait
Françoise Dolto : « lorsque
l’enfant paraît Tome 2 »
Françoise Dolto : « lorsque
l’enfant paraît Tome 3 »
Françoise Dolto : « la cause
des enfants »
Françoise Dolto : « destins
d’enfants »
Jean-Luc Aubert : « les sept
piliers de l’éducation- Quels repères donner à nos enfants ? »
Corinne Morel : « ABC de la
psychologie de l’enfant »