Le petit camion de papa, Mori, HongFei, 2021, 14€90
De la petite narratrice, on ne voit d’abord que les souliers. Dans un plan subjectif, on découvre aussi l’habitacle, les mains grandes et rassurantes de papa, le paysage à travers le pare-brise.
La cabine du camion semble être un espace contenant, plein de petits détails amusants pour l’enfant: souris qui dépasse de la boite à gants, petite pieuvre en décoration.
Pendant que son papa conduit, la fillette chante.
Et, sous son regard, le panorama devient quelque peu étrange.
Une journée dans le camion de papa, c’est du travail pour lui et du plaisir pour elle.
Elle oscille entre réalité et fantasme, imagine des paysages farfelus, proches des jeux d’enfant. Le camion devient jouet qui se déplace sur une table, un chat géant semble vouloir en faire un jouet. Il n’est pas très menaçant cependant, d’ailleurs, ne serait-ce pas celui qui orne le tee shirt de la petite?
la route devient girafe, puis singe.
Le texte est toujours le monologue de l’enfant, qui semble s’adresser au lecteur ou à elle même autant qu’à son père.
Le camion traverse tous ces endroits sans encombres jusqu’à ce que, kling, klang, tuef, teuf, c’est la panne. En pleine forêt!
Mais avec papa, il n’y a pas à s’inquiéter, en un tournemain c’est réparé. Même le chat à l’air confiant. Et la fillette peut se remettre à chanter.
C’est un album qui instaure une ambiance, joyeuse et rassurante.
On a d’abord l’impression que c’est un livre assez simple, mais il s’y passe bien des choses qui nous échappent à la première lecture.
Et, comme dans l’album Vacances d’été, du même auteur, les images sont gaies et douces, incitant à la rêverie.
Vous pouvez vous faire votre propre avis avec cette vidéo:
Avec toi, Delphine Grenier, Didier jeunesse, 2021, 12€90
D’abord, il y a la douceur de la couverture.
Celle de l’image bien sûr mais aussi celle du carton même, recouvert d’une fine pellicule au toucher velouté. Les ours qui y sont représentés ont le regard mutin, ils sont touchants. A l’intérieur, tout est à l’avenant: doux et touchant.
Le texte de cet album s’égraine comme un poème d’amour, rythmé comme une petite comptine.
Avec toi je m’éveille
Avec toi je me sens bien
Avec toi je me régale
L’amour qui est représenté ici est celui des parents pour leurs enfants, et il est montré à travers une série d’animaux qui prennent soin de leurs petits.
Grands ou petits, à poils ou à plumes, ils se ressemblent tous par l’évidence de l’amour qu’ils portent à leurs jeunes.
Tous les moments clé d’une journée sont montrés (réveil, promenade, repas etc) puis vient la nuit, et le moment de s’endormir. L’album se termine sur la promesse d’un nouveau matin, avec une famille de lapins qui sombre doucement dans le sommeil.
C’est un livre à lire blottit l’un contre l’autre, pour être ensemble puis se dire bonne nuit, une histoire qui réunit et permet une séparation douce.
Les illustrations sont réalisées en gravures, ce qui leur donne cette belle netteté et cette grande stabilité. Elles sont colorées à la gouache, et les couleurs profondes donnent leur relief aux animaux et aux paysages.
Tout comme « Déjà » et « Un arbre merveilleux », cet album est une lecture parfaite pour les tout petits, propice aux moments de tendresse. Les petites bouilles émouvantes des animaux plaisent cependant aussi aux enfants plus grands, qui le choisissent souvent. Il faut dire que personne ne peut rester insensible aux petits yeux rieurs de l’ourson, au regard franc des renardeaux, à l’attitude câline des chats.
7 milliards de cochons et Gloria Quichon, Anaïs Vaugelade, l’école des loisirs, 2020, 8€50
Dans la cour de récré, chacun court après chacune, pour jouer mais surtout parce que les uns sont un peu amoureux des autres. Secrètement. Mais généralement pas du bon. Ainsi, Dalla Groin court après Omer Manne et Liam Warda court après Dalla Groin. Oui, une cour de récré, c’est du Tchekhov à hauteur d’enfant.
Gloria Quichon aussi court parfois mais au fond, elle trouve que ce jeu est bête.
« Hi hi a fait Dalla, c’est vrai qu’il est bête » En rougissant, comme ça, et en se tortillant, comme ça.
Ce qui intrigue Gloria Quichon, ce sont les probabilités. 7 milliards de cochons dans le monde, comment en choisir un et espérer que celui-ci la choisisse aussi? C’est pas scientifique tout ça. Pourtant, certains trouvent certaines. Tiens, Maman Quichon à bien trouvé Papa Quichon. D’ailleurs, quand elle en parle, elle rougit, comme ça, hi hi.
Comme souvent, Anaïs Vaugelade aborde les grandes questions par le prisme de la petite histoire.
L’histoire de Gloria Quichon est unique. Mais ses interrogations sont universelles.
On peut donc s’interroger avec elle, et à tout âge, sur les mystères de l’amour. Par quelle magie peut-on trouver chaussure à son pied dans tout ce monde?
Sans nous dire comment ça marche, l’histoire nous enseigne juste que souvent ça marche, et c’est déjà pas mal.
A la maison, c’est toujours un peu une fête quand un nouvel opus de la série des Quichon sort. Cette fois ci il est arrivé en librairie en même temps qu’une réédition: La vie rêvée de Papa Quichon, qui était épuisé depuis trop longtemps.
J’aime aussi beaucoup cette histoire, dans laquelle Papa Quichon prend le temps d’évaluer ses choix de vie en fumant une cigarette, et laisse l’occasion à ses 73 enfants d’en faire autant (sans fumer de cigarette).
L’attente, Stéphanie Demasse-Pottier, Eunjin Oh, éditions des éléphants,
Habituellement, Léa va pêcher avec Karl. Mais cette fois, il a dû partir seul pour faire la réserve de poisson pour l’hiver. Elle, pendant ce temps, bricole, cuisine, rentre le bois et tricote. Un tout petit pull pour le bébé qui arrondit déjà bien son ventre.
Karl lui manque et elle manque à Karl. Mais il sera de retour à temps, elle en est certaine.
Le temps s’étire, il passe en douceur. Léa attend, sereine.
Elle prépare le foyer, un nid douillet, accueillant, où le tout petit se sentira bien.
Les illustrations aux couleurs automnales sont douces, apaisantes. On ressent la confiance tranquille de Léa, ainsi que la force du lien qui l’unit à Karl et qui l’unira, sans aucun doute à leur bébé.
Il est peu montré cet avant, dans la littérature enfantine. Les parents sont généralement représentés dans la relation avec leur enfant. Ici, malgré la distance, l’amour qu’éprouvent Karl et Léa est central. Il est le terreau parfait pour accueillir un bébé.
Quand l’attente prendra fin, tout sera prêt. Il y aura du bois, de la nourriture en abondance. Et, sans doute, Karl sera de retour.
J’ai toujours pensé que les moments qui précèdent la naissance d’un bébé sont un chapitre important du roman familial. Les parents aiment le raconter et les enfants adorent l’entendre. Cet album le met en mots et en image avec énormément de douceur et de justesse.
Si l’hiver arrive, dis lui que je ne suis pas là, Simona Ciraolo, pastel, 2020, 13€
Le petit garçon qui est le narrateur de l’histoire adore l’été. Ben oui, c’est trop chouette, nager, manger des glaces… Mais sa sœur le préviens, avec peu être un brin de de sadisme, ha ha, profites en bien parce-que c’est bientôt fini et après arrive l’automne puis l’hiver et ça, c’est horrible. Adieu maillot de bain, place à la pluie incessante, aux jours qui raccourcissent. Ça à l’air franchement affreux, au point que l’enfant se dit qsi l’hivers ue ce n’est même pas vrai.
Mais si: les parents confirment. Argh.
Et puis finalement, ça se produit et en réalité ce n’est pas si mal que ça. Quand sa sœur lui disait que l’hiver on ne décolle pas du canapé il se voyait solitaire, perdu et frigorifié. Mais quand ça arrive, il est blottit aux côté de ses parents, dans la chaleur d’un plaid, tout souriant. Sous la pluie on le voit gambader gaîment. Et la neige, quel plaisir ! Il faut en profiter, l’hiver non plus ne durera pas… Une jolie histoire sur l’alternance des saisons et le fait de grandir.
Il y a beaucoup de pages dans lesquelles l’image porte une partie du récit, elle donne de la nuance au propos ou une touche d’humour.
C’est aussi elle qui met en valeur la relation de la fratrie, faite à la fois de conflits et de complicité, le rôle des parents (peu mentionnés dans le texte) et qui montre que l’enfant a avantageusement troqué la glace pour un chocolat chaud.
Un album sympathique qui montre que chaque saison à ses avantages.
Un très beau jour, Marie-france Painset, Judith Gueyfier, Didier jeunesse, 2020, 14€90
Avant même qu’un bébé vienne au monde, ses parents ont beaucoup de choses à lui dire.
C’est ce monologue parental qui est mis en mots sous forme poétique par Marie-France Painset et en images par Judith Gueyfier.
Il alterne des paroles d’invitation à naître et la célébration du monde que le bébé va découvrir.
Les illustrations montrent des bébés paisibles, serins, souvent endormis. Il se dégage toujours une impression de grande sécurité dans leurs postures.
En alternance, des images de la nature luxuriante, accueillante, chaleureuse et pleine de vie. Des fleurs, des animaux, des paysages magnifiques prêts à s’offrir à la vue du bébé. Des animaux esquissés au crayon s’intègrent dans les illustration peintes, c’est très joli et touchant. Et, comme un refrain, ces mots qui rythment le récit :
« Viens petit, viens, le monde est beau »
Un très beau jour est un cadeau de naissance idéal qui met en valeur l’universalité de l’amour parental avec poésie et douceur.
Notre fille, Anthony Browne, kaleidoscope, 2020, 13€
« Elle est merveilleuse notre fille. C’est une super gardienne de but, et une nageuse hors pair. Ses dessins sont magnifiques. Et ses déguisements toujours fabuleux. Elle est merveilleuse, notre fille. »
Anthony Browne poursuit ici la série de portraits de famille entamée en 2000 avec le remarquable album « Mon papa ».
Le premier opus n’était pas pensé comme le début d’une série et ce n’est que 5 ans plus tard qu’est sorti le suivant, « Ma maman », à la demande de l’éditeur américain de l’auteur. Puis en 2007 « Mon frère ». Celui-là, j’avoue, je n’ai pas très bien compris à la demande de qui il avait été écrit (il me semble qu’il résulte d’un atelier avec des enfants dans une école) mais il est clairement moins bons que les autres.
Avec « Notre fille » il y a un changement de point de vue, le narrateur n’est plus un enfant mais, semble-t-il le couple parental. Ce sont eux qui portent sur la protagoniste un regard plein d’amour et d’admiration. C’est déjà un joli retournement de situation, qui montre une certaine symétrie dans la relation parent/enfant que je trouve intéressante.
Et l’album se présente en effet comme le pendant des précédents, il en reprend la structure narrative et leur fait des clins d’œil graphiques.
La fillette montrée dans cet album est parfois intrépide, colérique, joueuse, timide, créative, travailleuse ou paresseuse.
Autant de qualité généralement identifiées comme masculines que comme féminines.
C’est avec un grand naturel qu’elle est montrée jouant au foot ou au docteur. Quand le texte mentionne qu’elle a l’élégance d’une grande dame, l’image la montre plus enfantine que féminine.
Si le style d’Anthony Browne est plus épuré que dans ses ouvrages plus anciens, on trouve tout de même des détails qui font la richesse de l’album. Les motifs de la robe de l’enfant qui changent selon ce qu’elle vit (rappelant le papier-peint dans « Toc-toc qui est là? »), les références à d’autres histoires (les chaussures de « Marcel le champion », l’arrière plan de « Mon papa ») par exemple.
Je pense que cet album va rapidement s’imposer comme un classique. Avec son texte court, et ses images lisibles, il est très facile d’accès y compris pour les enfants les plus éloignés des livres.
La page où la fillette se met en colère plaira beaucoup aux professionnels de l’enfance avide d’albums sur les émotions.
Les enfants s’identifieront volontiers à ce personnage au caractère nuancé. Et les médiateurs du livre, dont je fais partie, apprécieront qu’il soit suffisamment riche pour être relu à de multiples reprise sans nous lasser.
Pokko et le tambour, Matthew Forsythe, little urban, 14€50, 2020
On fait tous des erreurs. Les parents de la petite Pokko ne font pas exception. Et ils le savent. La pire d’entre elle, c’est clairement d’avoir acheté un tambour à leur mouflette. Oui, pire que l’achat du lance pierre. Ou du lama.
C’est que la joyeuse petite Pokko s’en donne à cœur joie en tapant sur son instrument.
Bon, allez, ça suffit, ouste, dehors: les parents n’en peuvent plus, qu’elle aille jouer dans les bois.
Un peu timidement d’abord, la grenouille se met à tapoter son tambour. Rapidement un raton laveur se joint à elle, jouant du banjo. Petit à petit, elle monte le son et des animaux de plus en plus nombreux lui emboitent le pas, formant un orchestre disparate qui déambule joyeusement dans la forêt en dansant, chantant ou jouant d’un instrument.
On fait tous des erreurs. Le loup en fait une (très) grosse, mais Pokko le recadre fermement et il semble vraiment désolé alors ça va.
On fait tous des erreurs. Les parents de Pokko ont peut-être jugé un peu vite les talents de musicienne de leur petite rainette.
La jeune grenouille est un personnage que j’ai trouvé inspirant, volontaire et pleine d’astuce, elle mène son bonhomme de chemin et fait au passage de belles rencontres. Les parents, qui resteraient bien dans le confort que leur offre leur petite maison champignon vont d’ailleurs se laisser entrainer, avec une passivité certaine, dans la ronde des animaux.
Le texte est ciselé. Les images, toujours chatoyantes, contribuent à rythmer le récit, en alternant des gros plans sur fond blanc, qui mettent l’accent sur les émotions des personnages, et des plans éloignés foisonnants.
« Pokko et le tambour » est un album plein d’humour et un régal à lire à voix haute.
Pour en voir plus, la petite vidéo de présentation faite par l’éditeur, très sympa.
Au fond de la sombre forêt brillent les fenêtres d’une maison. Dès qu’on
ouvre l’album, on découvre ses habitants, à travers des découpes dans la
page. Ce sont des genres de petites boules de poils colorées, qui
tremblent de frayeur. Dehors, un énorme œil les guette.
Dans le décors, esquissé d’un trait gris, d’une confortable maison, ils prennent la fuite, en ordre dispersés, au cri de « ouh,làlà,ouh là là là là, courez, courez » bientôt suivi d’un enfantin « purée! » Ils ont beau fuir sur leurs petites papattes, la bête les dévore un à un.
On s’interroge peut être un peu en voyant les petits se précipiter sur la langue de leur prédateur. Prédateur qui est quelque peu trahit par son sourire jovial sur la page suivante. Chaque page cartonnée est découpée de fenêtre ou porte, on passe ainsi de pièce en pièce, dans un intérieur plutôt douillet. Mais, un long bras par ci, une trompe par là, le monstre, qui semble disproportionné, apparaît toujours, morcelé, dans l’image.
Jusqu’à ce que, purée d’purée, le dernier des petits, le rouge, n’y tenant plus, lui mord le derrière!
Non, ce n’est pas là la chute, elle vient immédiatement après et elle est encore bien plus rassurante.
Alors, les enfants, qui ont eu drôlement peur pendant la lecture éclatent de rire et en redemandent. Car il est si bon de rire de ses peurs.
Avec très peu de mots, cet album parle aux enfants de leur angoisse de dévoration, de la morsure, du jeu et de ses règles, de la famille, de la sécurité affective. Et c’est finalement après la première lecture que l’on comprend le pluriel dans le titre. Car enfin, qui sont donc les ogres?
En décembre, la revue Le furet a consacré son numéro aux enfants qui nous mettent au défit.
Avec ma collègue Céline Touchard, j’y signe un article sur les enfants terribles de John Burningham, que je vous propose de découvrir ici.
Dans la littérature enfantine, soumise à une tension entre prescription et fantaisie, sont très vite apparus de drôle de trublions, aussi déconcertants pour les parents que réjouissants pour leurs enfants…
Enfants difficiles ou, simplement, qui ne correspondent pas aux normes ?
Dans l’album jeunesse, où l‘image a une fonction capitale, les bêtises sont devenues un thème récurrent, voire un genre à part entier… Nous souhaitons mettre ici à l’honneur John Burningham, l’un des plus grands auteurs britanniques pour enfants.
Ses petits héros sont sans doute terribles pour leurs parents, les injonctions qu’ils subissent sans cesse en témoignent. Mais dans le conflit générationnel, l’auteur, ancien élève de Summerhill, se place
résolument du côté des enfants et ses albums plaident pour leur
émancipation. Et s’ils ne se montraient difficiles qu’en réaction à une éducation trop stricte ?
En 1977 et 1978, deux albums ont pour héroïne Marcelle, Ne te mouille pas les
pieds Marcelle et Veux tu sortir du bain Marcelle (Père castor Flammarion).
Le recours récurent de cette enfant au jeu symbolique lui permet de résister face à une mère prosaïque et à l’injonction facile…
En 2006, paraît Edouardo le terrible (Gallimard jeunesse)dans lequel le petit garçon subit le regard prescripteur des adultes au point d’y perdre sa personnalité.
À trente ans d’écart, ces trois albums sont liés par leur thématique et la manière dont ils dépeignent les relations adultes/enfants. Marcelle comme Édouardo semblent captifs des fortes attentes des adultes à leur égard. Marcelle ne doit son salut qu’à sa fuite dans l’imaginaire alors Édouardo ne sera finalement « réhabilité » que suite à une série de malentendus.
Il est intéressant de souligner qu’aucun des deux n’a la parole, ils sont réduits à l’état d’objets par les adultes.
Marcelle
Les deux albums de Marcelle sont construits de manière similaire : page de gauche, le monde réel, l’espace des adultes, et page de droite, le monde imaginé par la fillette, sans écriture. Le texte est constitué d’un long monologue maternel, ponctué d’ordres et de
complaintes. L’image de droite s’oppose au texte et vient soutenir l’enfant, réduite au silence, en rendant « vraies » ses aventures, jusque dans les pages de garde.
Le premier opus décrit une sortie familiale et le second la toilette de Marcelle.
Dans les deux, l’image représentant la réalité est cerclée d’un trait brun (pour empêcher l’enfant de sortir du cadre ?) et semble bien terne avec son fond blanc et vide. Pourtant Marcelle est
déjà partie…
Sur la page de droite elle s’aventure dans un monde coloré et fantasmagorique où le crayonné fait place à une peinture fastueuse. Affrontant des pirates à l’aide d’un chien errant dans Ne te mouille pas les pieds… , elle rejoue son roman familial dans Veux-tu sortir du bain.. , en s’inventant des parents royaux et… Bienveillants!
Édouardo
Édouardo est « un garçon normal » mais chaque fois qu’il agit de façon
impulsive, il se fait stigmatiser par un adulte. De la page de
droite, tous le pointent du doigt : « Tu es désordonné »,
« tu es sale », « tu es méchant ». Au fil
des mois, il se conforme à l’image que l’on se fait de lui, allant
même jusqu’à se transformer physiquement : l’image le montre
de plus en plus sale, débraillé, hirsute.
L’apothéose est atteinte au centre de l’album quand Édouardo fait face, seul sur le fond blanc de la page de gauche, à un groupe d’adultes, la bouche ouverte dans un cri commun : « Édouardo, tu es vraiment le garçon le plus terrible de toute la terre ».
Mais, alors qu’il ne montre aucune volonté particulière de modifier son comportement, le regard des adultes se met à changer … Il jette toutes ses affaires par la fenêtre ? On le félicite d’avoir si bien rangé. Il arrose un chien ? On le remercie pour la toilette de l’animal. Et voilà notre Édouardo encouragé et montré en exemple !
Il est désormais « le garçon le plus adorable de toute la terre »…
Excessif ? Sans doute, puisque l’auteur nuance les propos en précisant qu’il reste « parfois » un peu sale, violent, désordonné, méchant.
Mais la fin du livre le montre porté en triomphe par les adultes : les voilà enfin réunis sur la même page, le conflit semble surmonté.
Au-delà de stéréotypes de genre…
Dans ces albums, ce sont les adultes qui occupent l’espace du texte. Les enfants subissent des réprimandes très violentes et cherchent à se défendre, par la rêverie chez la fille, par l’action chez le
garçon. En cela, on pourrait dire qu’ils se conforment aux stéréotypes de genre (Charol-Gagne,
2011, Filles d’albums : Les représentations du féminin
dans l’album, L’atelier du poisson soluble.)
Mais, bien qu’elle semble sans réaction, Marcelle oppose une vraie résistance à sa mère en choisissant, par sa créativité, d’aller vivre des aventures loin du foyer et des contraintes de la vie réelle.
Édouardo à l’inverse est uniquement dans l’agir. Souvent représenté en dehors de sa maison, il est montré comme agissant. Pourtant, il n’a aucune maîtrise sur lui-même, et sa personnalité se modifie en fonction de ce que les adultes disent de lui. Stigmatisé ou encensé, il est le jouet du regard des adultes.
Si Édouardo nous semble être une victime, Marcelle apparaît comme l’héritière
d’un autre enfant terrible de la littérature jeunesse : son opposition à sa mère et sa fuite vers un imaginaire sauvage évoquent Max qui part au Pays des Maximonstres pour échapper à la
punition. Si, dans Max et les maximonstres (publié en 1963), Maurice Sendak laisse l’image envahir la page jusqu’à réduire le texte au silence, John Burningham choisit les couleurs vives de la
peinture, en digne représentant de toute une tradition picturale anglaise, pour représenter le monde psychique d’une enfant délicieusement frondeuse.