Des albums de littérature enfantine à proposer aux bébés dès 2 ans, parce qu’ils aiment déjà les histoires, chansons, imagiers. Il n’est jamais trop tôt pour leur proposer un éveil au livre.
Vous avez remarqué comment certains enfants sont réticents, le soir, à raconter leur journée? Dans ce petit album tout cartonné, le papa a trouvé la parade. Il pose la question directement aux petons du bambin (qui, d’ailleurs, peut aussi bien être une fille qu’un garçon).
L’enfant a posé ses chaussettes, il a les orteils qui frétillent. Niché dans les bras de son père (tendrement enveloppant le père), il se remémore sa journée.
« Nous avons tambouriné, nous nous sommes faufilés en catimini… ». Les pieds racontent. Le texte est court mais il offre tout de même quelque mots savoureux et l’image, au trait sur fond blanc, enrichit l’histoire de petits détails qui l’ancrent dans un quotidien réaliste (le livre laissé ouvert par terre à coté du lit parental, la casquette qui traîne au pied du porte manteau, le parcours d’équilibre fait d’un banc retourné etc).
Pas de maman dans cet album, cette fois c’est la relation au père qui est mise en valeur. Mais il existe aussi « petit nez », sur le même principe, où l’enfant est montré avec sa mère, ainsi que « petit ventre ». Toute la série est vraiment sympa, avec des dessins assez atypiques qui traduisent parfaitement la vie et le mouvement des mouflets. C’est dynamique et rafraîchissant.
Les prélivres Bruno Munari corraini (diffusion les trois ourses)130€
Ce sont 12 petits livres, présentés dans un coffret qui évoque à la fois un grand livre et une petite bibliothèque. 12 livres qui ont exactement le même format, un carré de dix centimètres sur dix. Le même titre ou presque, sur chaque couverture: Livre 1, Livre 2 etc. La matière de chaque livre, la reliure change. A l’intérieur, très peu de formes figuratives. Un bonhomme stylisé pour le livre X, des fourmis pour le livre Y, un chat…
Quand on a le coffret entre les mains, on explore chaque livre avec tout ses sens. La douceur du livre rose, le bruit que fait le livre en bois quand on le claque. Le vent qu’on peut faire en feuilletant le livre transparent. On est parfois un peu surpris, nous, les adultes. On tourne et retourne ces étranges objets. On trouve ça beau. On a envie de découvrir l’intérieur. Et pour les enfants? C’est pareil: Ils tournent et retournent les livres, les feuillettent, découvrent avec bonheur les surprises cachées dans chaque volume. Avant même de savoir lire, avant qu’on leur ait donné le mode d’emplois, ils comprennent comment appréhender ces objets. Ça tombe bien, c’était exactement le projet de Bruno Munari quand il a créé ces prélivres. Donner aux enfants à la fois une vrai petite bibliothèque et un mode d’emplois des livres.
Bruno Munari est un artiste italien, né à Milan en 1907. Il était à la fois sculpteur, designer, graphiste, peintre. C’est à la naissance de son fils qu’il a commencé à créer des livres pour enfants.
Il entame alors une vaste réflexion sur l’objet livre: Qu’est-ce qu’un livre et quelle est son utilité? C’est en réponse à ces questions qu’il commence (en 1949) la série des « livres illisibles », qui se passent à la fois d’images et de mots. La création de livres-objets se poursuit en direction des enfants et les prélivres sont un aboutissement de cette réflexion. Ils sont l’essence du livre: un ensemble de feuilles reliées entre elles, qui cachent une surprise et suscitent curiosité et émotions. En l’absence de mots écrits, le lecteur est invité à inventer et à interpréter, il est acteur de la lecture. En saisissant les prélivres l’enfant expérimente, il est mis dans la position du savant qui teste les différentes possibilités de la matière, il tâtonne pour découvrir par lui même les propriétés de l’objet: la transparence, les découpes, les formes cachées.
Quand j’amène les prélivres aux enfants, je m’abstiens d’être dirigiste avec eux. J’ouvre le coffret, le pose à portée de main et je les laisse venir voir, si ils en ont envie. Il faut alors en général rassurer les adultes. Oui il peut toucher. Non, il ne va pas l’abîmer. Oui, vous pouvez le laisser le mettre dans la bouche se frotter la joue avec, glisser ses doigts dans les trous. Oui, il gratte la page, il se demande si cette tâche noire, là, c’est un rond dessiné ou au contraire un trou. Munari a été farceur, il a joué sur l’ambiguïté. Ces deux rond, en apparence identiques, sont ils en réalité des opposés? Le plein, le vide, l’objet et sa représentation, l’enfant expérimente tout ça. Il cogite. Il s’étonne. Il s’émerveille.
Quand les adultes sont rassurés, ils s’émerveillent à leur tour. Ils touchent eux aussi. Ils n’osent pas mettre les livres dans leur bouche mais ils hument, caressent, écoutent. Pendant que leurs enfants grandissent au contact de ces livres, eux retombent en enfance. Et les voilà réunis autour de cet objet singulier, étonnant, un livre qui n’en est pas vraiment un, une bibliothèque insolite.
Lièvre et Ours vont à la pêche Emily Gravett, kaléidoscope
Ours ADORE la pêche. D’ailleurs, c’est lui qui ouvre la marche, canne sur l’épaule, il semble impatient. Lièvre, lui, suit en portant tout le matériel. Il n’a pas l’ai d’être à la fête, il regarde même les asticots avec un air franchement sceptique.
Qu’importe, Ours se régale, même si sa première prise est… Le chapeau de Lièvre. Il ne se décourage pas et repart à l’assaut de la rivière, cette fois armé d’une épuisette. Avec la quelle il pêche une grenouille qui, paf, saute en plein sur la tête de Lièvre.
Le texte est très court et sobre, mais le dessin extrêmement expressif.
Alors que Lièvre se consacre au pique-nique, Ours redouble de malchance puisque cette fois, c’est un roller qu’il sort de l’eau. Au fil des pages, l’humeur s’inverse, Ours commence à se lasser de cette pêche infructueuse alors qu’à ses cotés, Lièvre vaque tranquillement à ses occupations champêtres. Et c’est finalement lui qui va pêcher, malgré lui, un énorme poisson alors qu’Ours s’est endormi.
C’est un grand plaisir de voir Emily Gravett revenir à des albums pour les tout petits et de constater qu’une fois de plus, elle leur fait confiance pour lire les images et n’appuie pas ses propos de mots inutiles.
Elle a toujours ce talent pour croquer en quelques coups de crayons des personnages expressifs. Ici on perçoit l’amitié, la complicité, la douceur de la relation improbable entre un gros ours et un lapin.
Le papier très épais et le grain mat des pages ajoute au plaisir de manipuler cet album (et à sa solidité, ce qui est appréciable quand on le confie à de toutes petites mains).
Et le trou dans la couverture, qui encadre les personnages comme un médaillon et incite à ouvrir le livre pour ouvrir le champ de l’image, fait la joie des bambins qui se régalent à y glisser leurs mains.
Cet album est semble-t-il le premier d’une série, je suis impatiente de retrouver ces personnages dans d’autres aventures.
La pomme rouge Kazuo Iwamura, école des loisirs 12€ ou 5€50 en poche.
Avec les aventures de la famille souris, Kazuo Iwamura nous avait habitués à des illustrations fourmillants de détails, dans les quelles il ne subsistait pas un centimètre carré du blanc de la page. Et j’en étais fort satisfaite: chercher chaque personnage dans la double page, découvrir la forêt à l’échelle des souris, c’est toujours un plaisir.
Cette fois il tranche complètement avec son style graphique habituel, puisque les illustrations de cet album sont minimalistes, en gris sur fond blanc, et que seul le rouge de la pomme s’y détache. Mais, cette fois encore, la réussite est totale.
Natchan monte en haut de la colline pour y savourer sa belle pomme rouge. Mais la pomme lui échappe et roule, roule, roule.
Le lapin puis l’écureuil tentent en vain de l’arrêter.
Tous ont une petite bouillette irrésistible, tendre et attachante.
C’est finalement l’ours qui va mettre fin aux roulades des personnages. La rencontre a lieu et l’amitié est immédiatement au rendez-vous avec tout ce que ça sous-entend de simplicité, de générosité et de partage.
Il y a des albums, comme ça, qu’on lit et relit avec toujours le même plaisir, parce qu’ils sont bons comme des bonbons, et doux comme des doudous. Je ne m’en lasse pas et les enfants l’apprécient généralement autant que moi.
Quand on ouvre l’album (dans le sens de la hauteur), la grenouille, posée sur la page du bas nous adresse un sourire franc. On pourrait se croire dans un classique bestiaire, le texte se contentant de nommer le batracien. Mais il y a ces points de suspensions qui indiquent qu’il va se passer autre chose.
Quand on tourne la page, voilà notre grenouille propulsée sur la page du haut, ses pattes tendues.
A sa suite, c’est au tour du chaton d’être présenté puis de sauter. Toutes pattes écartées, il a alors l’air un peu foufou et il m’évoque le tigre qui tourne sur sa queue le film panda petit panda de Miyazaki. Chaque animal sera ainsi présenté sur une page avant de s’élancer dans les airs dans un saut plus ou moins maîtrisé. Et chaque page réserve au lecteur une petite surprise.
La sauterelle qui en sautant déploie ses ailes, l’escargot qui évidemment, est en difficulté, la poule qui, en bonne mère poule ne se sépare pas de son poussin pour sauter, le poisson dont on se demande ce que ça va donner.
Un album tout en mouvement qui dynamise les enfants (oui, bon, je sais certains n’ont pas besoin d’être dynamisés, pour ceux là ça peut canaliser leur énergie).
Les traits des animaux sont à la fois pleins d’humour et très précis, Tatsuhide Matsuoka est un habitué des illustrations de traités de sciences naturelles et ça se sent.
J’ai rencontré, avec cet album un grand succès auprès des enfants les plus jeunes (je n’hésite pas à le lire à des bébés de quelque mois ils sont sensibles au rythme, à la répétition du mot « saute » et à l’expression des animaux) mais aussi des plus grands, jusqu’aux adultes qui s’en amusent volontiers.
En voilà un que j’ai désormais toujours dans mon sac.
A noter l’album Roule, sur le même schéma, et tout aussi réussi.
Une histoire à dormir la nuit Uri Shulevitz Kaléidoscope 12€70
isbn:9782877675031
Uri Shulevitz n’a pas son pareil pour créer des univers étranges. Dans chaque album, un monde émerge, étonnant, singulier, parfois un peu absurde mais toujours cohérent.
Une histoire à dormir la nuit pourrait être le récit d’un rêve d’enfant. Ici quand la maison s’endort, ce n’est pas seulement ses habitants qui sommeillent mais la maison elle même, les volets clos comme des yeux, la porte ronflante. Les arbres qui l’entourent, eux aussi, dorment debout.
« Dorment les chaises, dort la table et dorment les portraits sur les murs endormis » Tous les objets de la maison sont ornés de visages et tous sommeillent, paisiblement. Par la fenêtre la lune, endormie elle aussi, diffuse une lumière douce. Le texte, comme une comptine, égraine le temps qui passe. Dans la chambre, un petit garçon dort.
Puis une musique fait irruption dans le calme de la maison. Avec elle arrive la lumière jaune, le mouvement, un rythme nouveau. Tous les protagonistes, un à un, s’éveillent pour participer à la danse qui s’improvise alors. Les regards s’éclairent, les sourires illuminent les visages.
Quand la musique repart comme elle était venue, sans raison ni prétexte, tout le monde reprend sa place. La parenthèse enchantée de la nuit n’a laissé aucune trace. Peut être la chansonnette continue-t-elle son voyage dans une autre maison?
Cet album ne raconte pas tant une histoire qu’une ambiance. On s’installe dans la lecture, on glisse doucement dans une bulle avec l’enfant à qui on le lit. On savoure la douceur des illustrations et on se surprend à bayer aux corneilles. On est presque déjà dans un rêve, nous aussi.
Le goût de la vanille Bob Graham, Didier jeunesse 13€90
isbn: 9782278078042
Quelque part en Inde, des enfants jouent à la marelle sur le sol en terre battue, devant une cahute de bois et de tôle ondulée.
Les samosas sont en train de cuire. La table de bistro attend le chaland. Et les moineaux picorent. Il y a, dans ces premières pages, une atmosphère de jeu et de douceur. Un camion, chargé de sacs de riz, attend. L’image raconte une tranche de vie autour de la cahute (un client arrive, commande un plat, s’installe…) alors que le texte se centre sur un des moineaux.
Il est libre et gourmand, ce petit moineau. Et, par gourmandise, il rentre dans un des sacs de riz au moment même où le camion démarre. Le voilà parti pour un très long voyage, raconté essentiellement par les images.
De l’autre coté de la mer, il découvre le café Botanica, bien différent de la cahute indienne. Et le goût de la vanille dans tout ça? Il arrive en fin d’album, de façon à la fois très logique et totalement inattendue.
Bob Graham déroule le fil de l’histoire en misant autant sur l’image que sur le texte. Les variations de mise en page (qui alterne des vignettes proches de la bande dessinée et des images pleine page), de cadrage, de palettes chromatiques contribuent à la cohérence du récit.
Un album en apparence plutôt simple mais qui révèle sa richesse au fil des lectures.
Elle me fait penser à fifi brindacier, avec sa malice et ses cheveux orange. Dans tout l’album, quelques touches de orange dans des images en noir et blanc mettent en valeur certains détails, donnent une lisibilité à l’image, l’éclairent. C’est le fil rouge de l’illustration et ça sera, en fin d’album, la clef pour ne pas passer à côté de ce que l’image raconte.
Louison parle à son chiot, mais elle n’est pas certaine qu’il l’entende, de là où il est. C’est que le chiot n’est pas encore né. Oh, ça ne saurait tarder, sa mère, la chienne de papé, s’est cachée au fond de la forêt. Papé n’est pas inquiet, il sait qu’elle reviendra avec sa portée. Il parle à ses légumes pour tuer le temps en attendant son retour. Mais Louison, elle, passe ses journées à fouiller la forêt. Elle aimerait tant voir son petit chien naître. Et, pendant sa quête, le fil de ses pensées se déroule.
Louison pense à ce lieu secret, là où il fait encore nuit, cet avant la vie. « Avant la vie, c’est déjà la vie mais en plus petit. Aujourd’hui, tu n’es pas plus gros qu’un cornichon ». Elle pense aux tomates qui rougissent quand papé leur dit des gros mots, aux oiseaux qui, de là haut, pourraient trouver la chienne.
On dit parfois que l’important n’est pas la destination mais le voyage. Dans cet album, l’important c’est pas qu’elle trouve la chienne mais ce qui se passe pendant la quette. Tant mieux d’ailleurs, parce qu’elle n’aura pas encore trouvé la chienne à la fin de l’album. Mais l’enfant à qui on lit le livre, lui, l’aura trouvé et il sera généralement très content de connaître ce secret.
Tu nous emmènes? Yuichi Kasano, école des loisirs 11€50
isbn: 9782211088602
Il se dégage de chaque album de Yuichi Kasano une clarté, une évidence, une limpidité qui n’a pas son pareil.
Dans ce nouvel album, il nous emmène, effectivement, dans l’histoire. Et on le suit volontiers. Sur la page de titre, l’histoire commence. On y voit un petit garçon et son papa, marteau à la main, qui construisent un biplan: « tap tap tap tap! »
Suit une pleine page qui nous le montre de face, maintenant peint en rouge, et le sourire du père en dit long sur la satisfaction du travail accomplit. « Ça y est! L’avion est terminé. »
Une place à l’avant pour papa une autre à l’arrière pour l’enfant, chouette, on va pouvoir survoler les champs. Mais le chien voudrait bien en être, lui aussi. Aussitôt dit, aussitôt fait, avec quelques planches, papa cloue la niche sur l’aile de l’avion.
Cette fois c’est le départ. Ah non, mince, maintenant c’est la famille cochon qui intervient: « Tu nous emmènes? »
Vous l’aurez compris, tous les animaux veulent participer au voyage. Et ça tombe bien, en s’adaptant un peu, on peut faire de la place pour tous!
Les pages à l’extérieur sur le fond vert tendre de l’herbe où les animaux se présentent tour à tour pour monter dans l’avion alternent avec des pages de bricolage, dans les quelles des onomatopées se mêlent au dialogue entre l’homme et les animaux.
Il ne manque pas d’ingéniosité ni d’imagination pour faire de son avion une construction bringuebalante mais accueillante.
Les coloris francs, la clarté du trait, la simplicité de l’histoire, font de cet album un vrai bijou. La magie opère, comme dans l’histoire, quand l’improbable avion tout de guingois finit par décoller et retrouver un équilibre serin au milieu des oiseaux. Même la poule, qui se cachait déjà dans le hangar à la première page trouvera sa place dans l’avion.
La couverture, déjà, intrigue. Quelque formes grises qui évoquent tout autant des cailloux que des nuages. Le bleu pâle, peut être celui de l’eau, à moins que ce ne soit le ciel. Alors, on l’ouvre et on pénètre immédiatement dans l’histoire. Pas de page de titre, pas de page de garde, juste un personnage de trois-quart dos qui s’apprête à passer à travers la page. Il s’aventure dans une grotte, un passage, un trou. L’image n’est pas sombre ni vraiment inquiétante, je dirais plutôt intrigante. Alors on le suit, de l’autre coté de la page.
L’épais carton des pages est découpé de formes arrondies, comme des flaques, des poches, des boyaux, on ne sait toujours pas vers quoi on se dirige.
Mais on y va, avec ce personnage, caché sous son chapeau, dont on ne peut qu’imaginer le visage. La traversée devient périlleuse, il faut faire des acrobaties, se faufiler, mais à travers les découpes on perçoit toujours une issue. Et soudain, dans tout ce gris, une tâche de bleu. On va passer de l’autre coté. On a, ensemble, traversé l’étrange. Hourra, nous voilà ailleurs.
Sans texte et avec une palette chromatique réduite, Juliette Binet partage avec les lecteurs un voyage initiatique, un moment charnière, une transition. Parce qu’elle se passe (presque) de mots, parce qu’elle n’impose aucune réponse, elle permet au lecteur d’investir ce récit avec sa propre histoire, d’y mettre ce qui résonne en lui, librement. Certains y verront une épreuve, d’autres une exploration. Moi, ce que je vois surtout, c’est qu’après un passage difficile, on se sent tout léger. Ça aide à entreprendre le prochain voyage.