C’est une chaude nuit d’été sur la ville de New York. Toutes les fenêtres de l’immeuble sont illuminées. Dans la rue, l’agitation citadine bat son plein: le camion poubelle rugit, le taxi klaxonne, on devine que le glacier italien fait salle comble.
Derrière la façade de brique rouges la vie de famille suit son cours habituel. Une fillette cherche de la compagnie pour partager un jeu de société. Mais sa grande sœur est pendue au téléphone, sa mère est concentrée sur son ordinateur et son père est aux fourneaux. Tout le monde est « trop occupé! »
Mais soudain, les lumières s’éteignent sur la ville une à une.
La coupure d’électricité ouvre soudain une parenthèse dans la routine de chacun. Dans le noir, à la lueur de la bougie, on se parle, on joue et, comme il fait vraiment très chaud, on décide de sortir en famille, prendre l’air sur le toit de l’immeuble.
Dehors, une fête s’improvise, les gens dansent ensemble. En bas aussi ils se rencontrent, les enfants jouent dans le jet d’eau de la borne incendie et le glacier offre ses gellati aux passants. A la faveur de l’obscurité, les liens se créent, l’ambiance devient festive. Quand la lumière revient, chacun reprend (presque) le cours habituel de sa vie.
Entre album et bandes dessinées, ce très beau livre offre des cadrages variés, un découpage de l’image qui rythme le récit et une belle alternance entre les couleurs froides de la nuit et les couleurs chaudes de la fête.
Cet album, qui a obtenu le prix Caldecott en 2012 est une belle invitation à débrancher. Je suis toujours particulièrement touchée par les livres qui me dépaysent, qui m’emportent dans une ambiance, qui me font perdre la notion du temps. C’est le cas de celui là et c’est toujours un grand plaisir de le partager avec un enfant.
Vous vous souvenez de l’album Saute, que j’avais chroniqué avec beaucoup d’enthousiasme? Vous imaginez bien avec quel plaisir j’ai découvert ce nouvel album plein de mouvement du même auteur.
Cette fois, le livre s’ouvre dans son sens habituel, évidemment, une roulade c’est horizontal, contrairement à un saut.
Comme dans le précédent, les animaux sont d’abord présentés sur une double page puis on les voit effectuer leur roulade sur la suivante.
Si le processus est le même, quelques surprises sont tout de même au rendez vous. Nous retrouvons la grenouille du premier album mais aussi des animaux plus insolites, comme le cloporte, qui effectue une roulade parfaite. Ici encore, chacun fait ce qu’il peut, on a le droit de s’extraire de la consigne et il est admis qu’on n’est pas égaux devant la roulade. (Le cloporte roule super bien, mais pour la tortue c’est une autre histoire) Sans être un livre à thème, il fait passer le message: qu’importe la roulade, pourvu qu’on s’amuse.
Comme le précédent, roule s’est rapidement imposé dans mon sac à dos quand je vais lire à des enfants.
Il amuse les bambins, les parents, les professionnels. Il met tout le monde de bonne humeur (c’est toujours bon à prendre). Bref, il permet de passer un bon moment.
A éviter cependant juste avant la sieste (oui, le coup des livres pour le « retour au calme », ça ne marche pas à tout les coup)
Ça doit être un truc d’auteur, d’aimer observer les gens qui passent. Sylvie Serpix, en regardant les promeneurs avec leurs chiens, a constaté que, bien souvent, maîtres et cabot se ressemblent. Peut être que quand on choisit un chien, on en prend, volontairement ou non, un qui nous ressemble? Ou peut être qu’on finit par se ressembler à force de passer du temps ensemble, comme ces vieux couples?
En tout cas de ce constat elle a tiré une galerie de portraits et de cette galerie de portraits un album.
Pour gagner le concours phototoutou, rien de plus simple. Chacun doit présenter un ou plusieurs clichés pris dans le photomaton, où il pose avec son chien.
Chaque portrait est accompagné d’un texte de présentation. Chaque double page ouvre donc une fenêtre sur une histoire singulière, on ne sait pas grand chose de chaque protagoniste mais suffisamment pour s’y attacher.
Les illustrations, à la peinture, sont parfois presque hypnotisantes. On ne sait plus où commence le chien, où se termine l’humain. On admire tant de créativité dans l’espace réduit d’un photomaton. Souvent, les enfants ont besoin de plusieurs lectures pour décrypter certains portraits. Le visage de Louis, à moitié caché par la gueule de son chien Billy les laisse souvent perplexe (« Il est où le chien? », « C’est des moustaches? », « Il a de drôles d’oreilles le monsieur »). Mais il y a un point commun à tous ces portraits: Le regard des personnages. Il est vivant, chaleureux, franc. L’autre jour, je le (re)lisais à ma mouflette de 5 ans. A chaque page elle me disait « moi je vote pour lui! » Il est vrai qu’on se prend de sympathie pour tout le monde. Petite fille ou vieux monsieur, style classique ou rock’n’roll, sage ou loufoque, la diversité des personnages et des attitudes est très plaisante. En fin d’album l’issue du concours reste ouverte (« Maintenant, à vous de jouer! Souriez… Votez! ») Moi je trouve ça chouette, mais l’autre jour, un petit garçon à qui je l’ai lu dans une crèche m’a demandé, avec insistance: « mais,c ‘est qui qui a gagné alors? Hein, dis, c’est qui, en vrai » Comme mes réponses évasives (« je ne sais pas, ce n’est pas dit dans le livre, qu’est ce que tu en penses, toi? ») ne semblaient pas le satisfaire on a fini par organiser un vote à main levée avec les quelques enfants qui écoutaient les livres autour de moi, c’est Lily et Poppy qui ont gagné!
Les deux grenouilles à grande bouche, Pierre Delye, Cécile Hudrisier, Didier jeunesse
Vous connaissez l’histoire de la grenouille à grande bouche? Oui, sans doute, tant cet album connaît dans les crèches et les écoles maternelles un succès au long cours. Et bien figurez vous que Pierre Delyre s’est mis en tête d’en faire une suite, ou plutôt un genre de cross over, enfin bref, il a repris le personnage principal. Projet ambitieux, le premier à tant fait rire les enfants qu’il n’est pas évident d’être à la hauteur. A vous je peux le dire: j’étais sceptique quand j’ai vu la présentation, mais finalement cet album me plaît autant, si ce n’est plus, que le précédent.
On reste dans le registre de la blague de cour de récré, mais cette fois de façon bien plus étoffée, et accompagnée par des comptines. Il faut dire que l’auteur est conteur, qui mieux que lui pouvait explorer ces deux formes d’oralité enfantine?
L’argumentaire de départ est déjà savoureux: Deux grenouilles à grande bouche, qui ne veulent jamais la fermer (la bouche) c’est pénible. Quand en plus, on est tous sur le même bateau, coincés par le déluge, ça peut rapidement devenir insupportable. Mais nos grenouilles ont ce défaut propre à l’enfance: elles ne savent pas s’arrêter. Même quand leurs chants exaspèrent tant les animaux qu’ils songent à les passer par dessus bord, même quand leur blague est allée trop loin, elles gardent l’insouciance joyeuse des imbéciles.
Les illustrations de Cécile Hudrisiersont drôles, pétillantes, expressives. On a plaisir à s’y attarder et elles ont souvent plusieurs niveaux de lecture.
Le texte est clairement destiné à la lecture à voix haute, son rythme nous emporte, les comptines qui le ponctuent s’y insèrent parfaitement. On se laisse porter et on relève au passage les petits clins d’œil, les jeux de mots, les références qui lui donnent un charme supplémentaire.
Un album qui m’a mise de bien bonne humeur et qui est souvent réclamé par les enfants au boulot, à mon avis un futur incontournable.
C’est d’ailleurs aussi l’avis de Pépita et il a plût aussi aux lutines.
Les tourterelles Karine Guiton, Maurèen Poignonec, La palissade
C’est l’histoire d’une fillette qui a pour terrain de jeu la nature qui entoure sa maison.
On devine les longues journées d’été, qui s’étirent et se multiplient presque à l’infini pour l’enfant qui n’a pas encore la notion du temps. Lola ne s’ennuie pas. Elle organise des courses d’escargots (les bougres ne vont jamais dans la nonne direction), elle observe les insectes, cueille des fleurs. Dans sa chambre il y a le désordre d’un enfant créatif: crayons de couleurs, livres ouverts, plein de fleurs coupées, une soucoupe volante et plein de peluches. Un petit univers douillet.
Dès la page de garde on est plongés dans un univers d’enfance joyeuse. Qui se passe très bien de la présence des parents: on ne les voit jamais, mais on sait qu’ils sont là alors on ne s’inquiète pas.
Un jour, justement, son père offre à Lola un couple de tourterelles. Lola aime les regarder et les caresser à travers les barreaux de la cage, mais elle a quand même bien l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche.
Ce petit vent de liberté qu’on sent depuis le début de l’album s’accommode mal d’une cage.
Lola, qui court librement dans un jardin sans clôture, qui aime regarder les écureuils tout là haut dans l’arbre et qui semble apprécier d’être si peu surveillée ne supportera pas longtemps la captivité des oiseaux. Et c’est très naturellement qu’elle les libère.
Le charme infini des images de Maurèen Poignonec font la grâce de cet album. Les taches de rousseur et les mèches folles de Lola, les p’tits insectes qui se promènent un peu partout, le sourire des escargots, les lunettes qui traînent sur la bibliothèque, tous ces détails que l’on prend plaisir à découvrir au fil des lectures.
Un bien bel album, tout doux, tout joli, d’une grande fraîcheur.
Attention attention, aujourd’hui est un grand jour, Grobull, splendeur des pâturages, taureau-tyran craint et respecté marie son fils unique! Le paternel roule des mécaniques, il sent la testostérone à plein nez, et pour l’événement, il n’a pas fait les choses à moitié. C’est bien simple, toutes les vaches de la région sont invitées à se présenter au prince qui fera son choix.
Jean-Georges, le fiston, lui, s’apparente plus au petit veau qu’au taureau redoutable. Qu’importe, accompagné de ses deux meilleurs amis, Ginette la poulette et Hubert le bélier, il se prête à la cérémonie. Le premier ministre, un âne obéissant (ceci est une fiction, bien entendu) dirige les opérations.
Les images de bric et de broc de Christian Voltz sont toujours aussi drôles, pleines de mouvements, loufoques. On y voit un Jean-Georges de plus en plus piteux, le pauvre veut bien y mettre de la bonne volonté mais aucune des vaches ne fait battre son cœur. Mais attention, Grobull est un dictateur moderne, il ne veut que le bonheur de son fils, après tout, c’est ce qui compte. Le petit sera Heu-reux nom de nom! Il est prêt à sacrifier la tradition s’il doit en être ainsi. Aucune vache ne lui convient? Soyons fous, il peut choisir une truie. Ou même une jument, une brebis, pire, une CHÈVRE! Moderne j’vous dis! Heureux qu’il va être le fiston!
Avec un texte enjoué qui prendrait presque par moments des allures de conte traditionnel, un sens du rythme délicieux qui se retrouve à la fois dans l’image et dans les mots, l’auteur nous entraîne dans ce qui est avant tout une histoire, de qualité qui plus est. Le message, qu’on pourrait résumer par la phrase « aimez qui vous voulez » vient ensuite, avec une saine évidence.
Un album salutaire que je ne saurais trop recommander.
Il y a une chose qui est à la fois très nécessaire et très difficile pour les jeunes enfants, c’est D’anticiper sur la suite des événements.
Tout ce qui leur permet de se projeter dans l’avenir les rassure et les structure.
Par la permanence du texte écrit, les livres aident toujours les enfants à se repérer dans le temps, à comprendre l’enchaînement des éléments d’une histoire.
Ici, pas vraiment d’histoires, mais une succession de petites scènes qui forment un tout, avec la reproduction du même schéma: L’image montre ce qui existe maintenant et le texte nous invite à imaginer ce qui va suivre: « Bientôt, c’est sûr, le bateau repartira en mer »
A ces pages qui affirment, avec une certitude appuyée, connaître l’avenir, succèdent toujours l’annonce d’une incertitude: « Il s’en ira si loin qu’on ne le verra plus. Que sera-t-il devenu? »
Et c’est dans cet interstice entre le certain et le probable que l’enfant à qui on lit cet album peut déployer toutes ses capacités imaginatives.
Rapidement, l’enfant comprend la structure de l’album. Il sait qu’il y aura « Bientôt, c’est sûr… » répété toutes les deux pages et parfois même, il le prononcera avant l’adulte. Dans cette répétition il y a l’ellipse. Dans cette ellipse, on peut mettre tout ce qu’on veut.
La lecture peut alors s’étirer, chaque double page donne l’occasion d’inventer une petite histoire, de faire des suppositions. « Tiens, c’est les trois petits cochons » m’a dit un enfant. Un autre l’a corrigé: « Non, les trois petits cochons ils ont pas de maman… » Puis, plus tard, pointant un papillon « C’est celui là! C’est celui là qui vient de la chenille! Regarde, c’est ses couleurs ». Et nous, adultes, on accueille la parole de l’enfant, on s’émerveille, encore, de les voir si pertinents. On savoure le texte qui est agréable à lire et la beauté des illustrations. C’est généralement à la relecture qu’on remarque que certaines pages incitent à tourner l’album, à le regarder à l’envers.
C’est une histoire en spirale, un livre qu’on relit pour bien comprendre cette répétition permanente qu’est le temps. La nuit puis le jour, mais aussi l’alternance des saisons, le cycle de la vie et toutes les petites surprises qu’elle nous réserve. Un album qui peut être lu à des tout petits, qui seront sensibles à la musicalité du texte, et à des grands à qui il va donner du grain à moudre.
Poka et Mine, un cadeau pour Grand-Mère, Kitty Crowther, pastel
Comment est-il donc possible, je n’ai encore jamais évoqué ici cette formidable série de l’incontournable Kitty Crowther? Pourtant, je suis très attachée à ces étonnants personnages. Car oui, on peut se prendre de tendresse pour des insectes, surtout quand ils sont aussi sympathiques que ces deux là.
Poka et Mine vivent ensemble. Poka prend soin de Mine. Il l’accompagne chez le docteur quand elle à cassé une de ses ailes. Il la console quand le match de foot s’est mal passé. On ne sait pas exactement quelle est la nature du lien qui les unit, est il le père? Est elle la petite sœur? On a surtout l’impression qu’ils se sont adaptés mutuellement, un peu comme cet autre duo incontournable que sont Ernest et Célestine (Quoi, eux non plus je n’en ai jamais parlé? Mea culpa, je me rattraperais très prochainement).
Ici, donc, Mine trouve un joli coquillage au fond de l’eau. Il est précieux, comme peuvent l’être pour les enfants un joli caillou qui brille ou un bâton tordu. Elle décide d’en faire cadeau à Grand-Mère Dorée. Poka est d’accord, il le posteront donc demain, mais pour l’instant, il est temps d’aller se coucher.
Mais dans la nuit, Bercarte sort sa tête du coquillage. Et, au fond de la mer, ses frères ses frères se mettent silencieusement en route. Berni, Brunnar, Bernardo, Berro, Bernard et Bernart sortent de l’eau, ils cherchent celui qui manque à l’appel. Étrange procession qui chemine vers la maison de Poka et Mine.
Ils trouvent Mine et Bercarde en pleine partie de cartes. Poka arrive à son tour et tous ensemble, ils prennent un thé aux algues. Après cette étrange rencontre où le merveilleux, l’insolite et le légèrement effrayant se côtoient, Grand-Mère dorée recevra finalement un cadeau aussi plaisant qu’inattendue.
Kitty Crowther offre toujours à ses lecteurs des histoires toutes en nuance, des histoires qui intriguent, portées par des illustrations pleines de poésie et de délicatesse.
Un très bel album que vous pouvez découvrir en vidéo sur la chaîne youtube de l’école des loisirs.
On n’est pas des poupées Delphine Beauvois, Claire Cantais, La ville brûle
On n’est pas des super-héros Delphine Beauvois, Claire Cantais, La ville brûle
On n’est pas si différents Delphine Beauvois, Claire Cantais, La ville brûle
Ces trois albums explorent différentes facettes d’un même sujet: L’affirmation de soi comme individu unique, pas nécessairement conforme à l’image stéréotypée que les autres peuvent avoir d’une personne. Les deux premiers titres essayent de lutter contre l’image très normée de ce que devraient être une fille ou un garçon. Le 3eme est une gallerie de portrait de ces enfants que l’on dit « différents » et qui, finalement, sont par bien des points semblables aux autres.
La collection annonce la couleur: « Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour lutter contre les
stéréotypes, la collection «Jamais trop tôt» propose des albums qui ne
tournent pas autour du pot. » Voilà qui est dit. Et en effet, on est loin de la métaphore ou du symbolique, les choses sont dites avec l’évidence et la simplicité des mots d’enfants.
L’illustratrice utilise un mélange de dessins, de collage, de photos pour accompagner les textes d’images joyeuses, dynamiques et colorées.
Les textes, courts, interpellent le lecteur: « Je parle fort parce que j’ai des choses à dire… Devoir être sage comme une image… Et puis quoi encore? »
Voilà des albums qui me mettent dans une position professionnelle inconfortable. Qui me mettent face à mes contradictions.
Des albums que j’apprécie, que j’ai envie de lire à mes filles, que
j’offre aux enfants des amis et pourtant, je ne les utilise pas dans mon
travail. Pourquoi? Au fond, je ne pense pas qu’il y ait des sujets à éviter en littérature jeunesse, au contraire, on peut tout aborder. Alors?
J’avoue que je vais plus facilement vers des albums qui utilisent la métaphore, la poésie, des albums qui incitent l’enfant à penser les choses plutôt que des livres qui affirment.
Ici, l’affirmation est très forte. A la hauteur des injonctions qu’elle entend combattre sans doute. Peu de place aux doutes, peu de place à la contradiction quand on les lit. Du coup, même si à titre personnel j’adhère totalement à chaque mot écrit dans ces albums, j’ai du mal à les proposer dans le cadre de mon travail, qui prône la lecture plaisir, sans objectif d’apprentissage ni didactique.
Pourtant, l’autre jour, un échange entre ma cadette (de 5 ans, donc) et une de ses copines m’a convaincue, une fois de plus, de la nécessité de ces albums.
Elles étaient toutes les deux à la maison, ma fille sort « on n’est pas des poupées » et commence à le raconter, de mémoire, en montrant les images à sa copine. Et voilà que certaines phrases font un débat entre elles. Alors comme ça, on peut trouver que le rose c’est moche? Ou décider de ne pas avoir d’enfant plus tard? Se sauver soi même plutôt que d’attendre un improbable prince? Terrasser des dragons?
Ce livre qui me semblait peut être un peu trop enfermant s’est révélé être un formidable support d’échange entre elles. Je ne suis pas intervenue, je les écoutait en buvant mon café, elles avaient des discussions très riches, argumentées, elles s’appuyaient sur les magnifiques illustrations pour étayer leur propos (bon, comme peuvent le faire des enfants de 5 ans, hein: « Mais si, regarde, le rose saucisse, c’est moche! » « ah mais là, regarde, elle porte un short rose et c’est joli quand même »etc).
Des livres qui donnent à penser donc. C’est quand même un de mes premiers critères pour choisir des albums. Tout cela ne m’aide pas à résoudre mes contradictions, je continuerais donc d’offrir ces livres à mes amis sans pour autant travailler avec, mais je serais curieuse d’avoir vos retours, en tant que parents ou que professionnels, sur ces albums.
Une histoire qui… Gilles Bachelet, seuil jeunesse, 13€90
Les albums de Gilles Bachelet, vous le savez, je les adore. Cet auteur à un sens du rapport entre le texte et l’image qui provoque à la fois rire et perplexité chez les enfants. Or oui, j’aime bien que les enfants soient perplexes, et eux aussi aiment ça: ça leur donne du grain à moudre, ils réfléchissent, font des hypothèses, argumentent, changent parfois d’avis, bref, ils sont actifs dans la lecture.
C’est aussi un régal de montrer ses albums à des adultes: d’abord parce qu’on s’amuse, ensuite parce que ça donne lieu à des discussions sur « Les enfants vont-ils comprendre? », qui me permet de basculer sur « Le doivent-il? Et vous, êtes vous certain d’avoir tout compris? Et si ce n’est pas le cas, est ce un problème? » et qu’on peut facilement faire une heure de formation à décortiquer ces problèmes.
Le seul bémol c’est que je travaille essentiellement avec des moins de 3 ans et mes formations s’adressent généralement à des professionnels de la petite enfance. Donc, je n’ai pas assez d’occasions à mon goût de lire par exemple les aventures de Mon chat (le sien, pas le mien, mais il s’appelle Mon chat, c’est comme ça).
Mais heureusement, Gilles Bachelet vient enfin de publier un album destiné aux tout petits.
Pour ce faire, il utilise les ressorts qui ont déjà fait leurs preuves avec les minus: Répétitions, musicalité du texte, indices qui permettent d’anticiper sur la suite du récit, quelques références à leur univers et une touche d’humour et de loufoquerie juste bien dosée.
Les ingrédients sont là, et comme Gilles Bachelet a aussi du talent, l’alchimie fonctionne à merveille.
La structure est la même sur chaque double page: Un adulte lit à un enfant et à son doudou. Pas n’importe quelle histoire, une histoire qui fait échos aux protagonistes (Uns histoire qui fait fondre pour les phoques, une histoire qui voyage pour les cigognes etc). Comme pour souligner que chaque parent sait exactement ce dont son petit à besoin.
Quand on tourne la page, nouveau tableau, le doudou de la page précédente est devenu l’enfant qui écoute l’histoire. Ainsi, à la façon d’un jeu de domino, chaque page annonce la suivante.
Sur l’image, on remarque aussi à chaque page un jouet, jamais mentionné par le texte. Bien sûr, chaque jouet à lui aussi des caractéristiques en lien avec les personnages.
La position des mots, la mise en scène du livre sur la page de gauche, les petits plus dans l’image principale, tout est pensé et tout fait sens pour l’enfant même très jeune. Ils trouvent très rapidement des repères dans cet album qui peut vite devenir un véritable doudou pour eux.
Les pages de garde permettent de récapituler tout l’album d’ailleurs j’ai vu un petit garçon le réciter par cœur en s’aidant uniquement des vignettes des pages de garde pour se remémorer l’ordre des tableaux.