Par une belle prouesse graphique, Jennifer Kerkes arrive avec talent à représenter l’absent, à montrer l’invisible.
C’est l’histoire d’un oiseau tout blanc. Tellement blanc que la plupart du temps on ne voit de lui que le bec orange et les pattes violettes.
Invisible, moqué dès qu’on le voit, le drôle d’oiseau décide de partir. En chemin, il découvre un monde vaste et beau, dont il collectionne les petits riens: brindilles, fleurs tombées et plumes égarées.
Avec sa collection sous l’aile, il attire l’attention ce qui le rend tout fier. Mais ainsi révélé, il devient surtout visible aux yeux des prédateurs. Après une grosse frayeur, il va finir par trouver le bon équilibre entre timidité en confiance en soi.
Et bien sûr, de sa particularité il aura fait une qualité, qui permet même de se faire des amis.
J’aime beaucoup cette idée qu’on n’existe pas totalement si on est seul au monde, que ce n’est que dans un environnement qu’on se révèle, que la vie prend tout son sens dans la relation avec les autres, comme l’oiseau qui n’apparaît que sur un décor.
Je n’ai pas fait mes devoirs parce que… D. Cali B. Chaud Hélium 12,50€
isbn: 2330023715
Le principe est simple. C’est une accumulation de toute les excuses les plus loufoques, improbables, absurdes et drôles qu’un gamin peut invoquer quand sa maîtresse qui demande pourquoi il n’a pas fait ses devoirs. Mais le talent et l’humour dont font preuve Benjamin Chaud et David Cali est sans égal et on se régale à la lecture de cet album.
Dans l’illustration foisonnante on peut repérer un teckel, le nez pointu et les oreilles pendouillantes qui se ballade de pages en page. Il semble être le lien de son jeune maître avec la réalité. On attends un peu l’excuse éculée: « je n’ai pas fait mes devoirs parce que mon chien à mangé mon livre » mais elle ne vient pas, heureusement. Dans l’ensemble, le cabot est plutôt paisible, il porte sur les mensonges de l’enfant un regard placide. Autour d’eux, pourtant, c’est le cahot total. Les reptiles géants, les extraterrestres, des centaines de singes, tous semblent se lier contre les devoirs. On reconnaît à la fois des personnages et objets issus du milieu scolaire et d’autres sortis d’on ne sait où (les fan de B. Chaud auront reconnu le lapin chaussette). Un ensemble plein d’humour qui nous ravit, petits ou grands. Et une pirouette à la fin du livre qui plonge le lecteur dans un paradoxe littéraire savoureux.
Si vos enfants ont aussi une imagination fertile quand il s’agit de pratiquer la procrastination scolaire, mettez leur flemme à profit, proposez leur de participer au concours ici.
Dans un paysage tout blanc de neige, quelques traces de pas dirigent notre regard jusqu’à une silhouette intrigante. Enfant? Animal? On ne sait d’abord pas qui parle. On sait juste qu’il fait très froid et que la neige qui recouvre tout n’est pas seulement belle, elle est aussi hostile, et le narrateur s’y sent bien seul.
Au loin, une tâche rouge. Les lecteurs qui ont été bercés de contes merveilleux y verront peut-être tout de suite une référence au petit chaperon rouge. Moi j’ai surtout trouvé une ressemblance avec des dessins de Sara dans cette irruption du rouge dans une page presque monochrome.
Une tâche rouge, floue, au loin, comme du sang. La couleur se rapproche. Est-ce le terrible loup rouge? Dans le doute, le narrateur, dont on ne sait toujours rien, ne bouge pas d’un poil.
La tension monte, le froid est mordant et la silhouette de plus en plus proche. Et d’un seul coup, on bascule dans le plus grand des émerveillements. C’est une fillette, une enfant magnifique, qui virevolte sur ses patins à glace qui s’approche. La neige d’un seul coup redevient belle et poétique, le narrateur n’a plus peur, et s’il reste immobile, c’est qu’il est sous le charme de l’enfant de rouge vêtue. Elle est toute en couleur: le vert de ses yeux, le rose de ses joues. Elle réchauffe l’atmosphère, on se sent déjà mieux.
Au blanc de la neige va succéder les couleurs chaudes d’un foyer. Et ce n’est qu’aux dernières pages du livre qu’on découvre enfin à quel animal on s’est identifié pendant tout le récit.
L’artiste Rop Van Mierlo renouvelle le genre du bestiaire avec talent. On découvre sur chaque double page un animal sauvage, grand, majestueux et… tout doux. On a envie de passer la main sur le papier pour éprouver cette douceur, on espère sentir le duvet du poussin, la fourrure du tigre, la crinière de l’âne. Comme toujours chez cet éditeur, le papier est épais, de qualité et le format est à la hauteur.
Au début, je pensais que l’artiste avait soufflé la peinture ou un truc comme ça. En fait, il a tout simplement appliqué l’encre sur du papier humide. Une technique sans doute bien connue des enseignants de maternelles. Mais, qui pourrait imaginer que, pleinement maîtrisée, elle donnerait un tel résultat?
Au premier regard, on a l’impression qu’on identifie l’animal dans un dessin abstrait, comme si on décryptait un teste de Rorchach, ou comme quand on se laisse aller à imaginer des formes dans les volutes de la goutte de lait dans le café (quoi, vous ne faites pas ça le matin vous?).
Mais les images s’imposent, évidentes et la table des matières en début du livre devient inutile, on reconnaît immédiatement les animaux sauvages. Un flou apparent qui cache un contrôle total du trait.
Dans l’album, mon coup de cœur va à l’écureuil. Et dans les autres œuvres de l’artiste, je craque sur le petit ver que vous pouvez voir sur son site.
Voir le jour E. Guiliani Ed les grandes personnes 12,50€
isbn:978-2-36193-258-9
J’aime bien les livres atypiques. Ceux dont un se demande on peu si ils sont des albums pour enfant, des œuvres d’art, des beaux livres pour adultes, des poèmes ou des sculptures. Ceux qui ne rentrent pas tout à fait dans les cases. Ceux que je vais pouvoir lire à la fois à des bébés de quelque mois, des grands enfants déjà scolarisé et leur parents, en suscitant à chaque fois le même sourire émerveillé.
Voir le jour est de ceux là.
C’est un livre pop up qui s’ouvre en accordéon. En bas de page, comme une
frise, le texte déroule le fil de la vie : « Voir le jour, dans un vaste univers. Vivre grâce à la chaleur d’un autre, et donner aussi ».
L’image qui accompagne le texte est d’abord en noir et blanc. Seule une petite coccinelle apporte sur chaque page une touche de couleur. Mais à chaque rabat que l’on ouvre, à chaque pop up que l’on déplie, la couleur surgit, vive, éclatante, joyeuse.
Bien sûr, quand on suit le fil de la vie, on sait où ça mène. Mais cet album se termine sur une note positive, un mot qui donne de la force, une petite coccinelle bien cachée et bien vivante.
Comme toujours chez cet éditeur, l’objet est beau, le papier épais, les découpes soignées. Un bel album à offrir ou à s’offrir.
L’ogre qui n’avait peur de rien
S. Beau Soufie ed. les p’tits Braques 6, 90€
ISBN : 978-2-918911-41-8
La p’tite mouflette est toute de rouge
vêtue, comme le petit chaperon. Mais elle n’est pas du genre à se laisser impressionner par un prédateur.
Quand l’ogre surgit devant elle, qu’il la complimente sur ses mollets ravissants et ses bras potelés, elle remercie poliment et passe son chemin.
L’ogre, quant à lui, est grand, très grand. Tellement grand qu’il ne rentre pas tout entier dans la page.
Mais le voilà un peu déstabilisé par cette fillette qui n’a pas
peur de lui. Elle ose même lui demander si il a peur d’elle,
l’impertinente. M’enfin ?!? Il est un ogre quand même, faudrait
voir à le prendre un peu plus au sérieux ! Évidemment il n’a
pas peur d’un enfant, d’ailleurs, il n’a peur de rien.
Mais la fillette remet les choses au point : « tu n’as pas peur du noir, des loups, des
horribles grimaces ? Ben moi non plus » (et toc)
Et voilà le redoutable prédateur réduit à presque rien par la certitude de la fillette, il devient aussi petit qu’elle. Il essaye bien encore de se montrer effrayant, mais c’est peine perdue.
La situation va même se retourner au point que c’est lui qui va finir par partir en criant… Comme une fillette ! Si vous voulez savoir comment une petite fille peut terrifier un ogre, allez donc voir l’album.
Toc!toc! Qui es là? S. Grindley A. Browne Kaléidoscope 12,20 € (ou lutin poche 5,60€)
isbn: 9782877674584
Encore un album signé Sally grindley pour le texte qui est devenu un incontournable. Il faut dire que les images d’Anthony Browne racontent admirablement tout ce que le texte tait. Une alchimie très réussie en somme.
Une fillette est couchée dans son lit, avec son ours blottit dans ses bras, elle semble attendre le bisou du soir. Sur la table, une lampe diffuse une lumière douce et chaleureuse. La housse de couette est décorée de dessins enfantins. Elle sourit.
Quand soudain, on frappe. Toc, toc, qui es là? Autour de la porte, le papier peint s’orne de bananes. Des doigts velus tentent d’ouvrir la porte. « c’est moi, l’énorme gorille aux gros bras poilus et aux grandes dents blanches. Quand tu me feras entrer, je te serrerais si fort que tu en perdras le souffle ». « Alors, tu n’entreras pas! » répond fermement la fillette. Mais aussitôt, on frappe de nouveau.
Cette fois ce sont des chats noirs qui apparaissent sur le papier peint et un chapeau pointu dépasse de l’encadrement de la porte.
La sorcière, à son tour, est éconduite, alors que sur la housse de couette les dessins s’animent: la poupée semble crier, le cochon s’inquiète, la lune à l’air bizarre.
Derrière la porte vont se succéder le fantôme, le géant, le géant. Toujours, le papier peint donne des indices sur la créature qui va apparaître Sur la couette, les personnages réagissent de plus en plus.
Mais qui peut donc s’amuser à tourmenter ainsi une fillette au moment du coucher? D’ailleurs, si tout ça n’était qu’un jeu? Le jeune lecteur attentif aura découvert la supercherie depuis le début, pour les autres (les enfants les plus distraits ou les adultes qui ont tendance à regarder le texte plutôt que les images) les auteurs ont la délicatesse de nous donner en fin d’album la clef du mystère.
Les enfants se contentent rarement d’une seule lecture de cet album, attendez vous à le lire et le relire de nombreuses fois, il faut bien ça pour saisir toute la richesse des illustrations.
Anton et les rabat-joie O. Koennecke école des loisirs 12€20
isbn: 9782211212274
C’est un peu toujours la même problématique qui est explorée dans les albums d’Anton: Comment exister comme petit individu unique et indépendant au sein de la communauté des autres enfants? Toujours, Anton trouve des stratégies pour faire sa place.
Dans Anton et les rabat-joie il débarque avec dans son chariot gâteaux et jus de fruit. Mais Greta, Nina et Lukas sont occupés, ils ont à peine un regard pour lui. Ça alors, quelle injustice! Puisque c’est comme ça, Anton s’en va, et puis d’abord, il ne reviendra pas, parce qu’il sera mort!
Il s’allonge et il est parfaitement mort, même quand une feuille lui tombe sur le visage et qu’il doit souffler dessus pour s’en débarrasser. Il est parfaitement mort aussi quand il doit expliquer à Lukas ce qu’il fait par terre. D’ailleurs, Lukas trouve ça épatant qu’il soit mort, comme ça, on va pouvoir l’enterrer.
Mais Nina ne veut pas prêter sa pelle. Alors du coup, Lukas aussi est mort, parce que si c’est comme ça, hein, bon. Et quand Greta prétend que la pelle est la sienne, c’est au tour de Nina de s’allonger à coté des deux garçons, même que tant pis pour eux, elle est morte pour toujours.
Et quand tout le monde est mort? Il devient difficile de tenir le jeu longtemps.
Aucun doute, Ole Koennecke doit très bien se souvenir de sa propre enfance. Chacun peut reconnaître ses propre jeux dans cette histoire.
Je me régale toujours à lire ses albums, qui nous donnent à voir les enfants en train de grandir. Dans la sécurité de leur jeux, ils expérimentent, se mesurent les uns aux autres, jouent avec des notions qui les dépassent pour mieux les apprivoiser.
Anton et les filles O. Konnecke école des loisirs 12,20€
isbn: 978-2211078436
Anton a tout ce qu’il faut pour susciter l’intérêt des filles. Il est formidable. Il a un seau. Il a une pelle. Pourtant, occupées à construire un château de sable, Nina et Greta n’ont pas un regard pour lui, malgré ses prouesses acrobatiques. Mais pourquoi les filles se pâmeraient elle devant une démonstration de force? C’est dans un moment de faiblesse qu’il va finalement attirer leur attention.
J’aime beaucoup toute cette série où Anton et sa bande évoluent dans un monde familier et sécurisant, un espace de rencontre où ils découvrent, d’un album à l’autre, comment être ensemble. Le square, lieux de socialisation des bambins par excellence, devient le théâtre de leurs aventures, ils y forment une petite communauté où on s’aime, se chamaille, se découvre, où on grandit ensemble. Un univers dont les adultes sont étrangement absents, un univers à leur échelle.
Le trait proche de la BD et l’humour de ces albums m’évoquent les aventures des peanuts, au côté de Snoopy.
Depuis sa parution en 1991, le succès de cet album ne s’est jamais démenti. Dans les crèches, les écoles maternelles, il s’est imposé comme un incontournable.
L’histoire commence dès la page de garde. On s’approche d’un château menaçant, dont la porte ressemble à une bouche aux longues dents acérées . D’immenses traces de pas nous montrent le chemin.
Le personnage principal du livre est le lecteur lui même. Accompagné du narrateur qui lui fait visiter les lieux, il s’immisce dans un château où il n’a pas été invité.
A l’intérieur, tout est démesuré. On navigue entre les pieds de la table imposante, au milieu des reliefs d’un repas gargantuesque: vieux trognons, ossements et « miettes » démesurées.
Mais le géant ne vit pas seul et pour se promener impunément dans son domaine il faut prendre bien garde de ne pas réveiller la souris au ventre énorme, la chatte velue, la poule qui couve.
A chaque fois qu’on quitte une pièce, on s’assure par un jeu de caches à soulever qu’on laisse bien tout le monde endormi. Jusqu’à ce qu’on arrive dans la chambre du géant lui même. Saurons nous rester suffisamment discrets?
Rare sont les albums qui arrivent à inclure le lecteur avec une telle efficacité.
Les enfants trouvent un plaisir incroyable à jouer au chat et à la souris avec cet ogre menaçant. Ouvrir et fermer le livre, réveiller le géant, lui fermer la page au nez, y revenir, quelle jubilation!
Personnellement je trouve que le début du texte gagnerait à être un peu moins long, il est un peu bavard. Mais il faut dire que je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai lu. D’autant qu’une lecture suffit rarement. Le livre à peine refermé, le dernier mot à peine prononcé (l’histoire se poursuit jusqu’à la quatrième de couverture) l’enfant en redemande déjà: « encore, encore » et le jeu peut se poursuivre indéfiniment, les enfants se lassent en général bien après les adultes.
A noter que Chhht fait parfois très peur aux enfants, au point que certains ne veulent même pas l’ouvrir. C’est le type de livre qui impliquent que l’adulte lecteur soit très attentif aux réactions (y compris non verbales) des enfants. Pour en savoir plus sur la médiatisation des albums qui font peur vous pouvez lire cet article.