C’est mon élastique, Shinsuke Yoshitake, kaléidoscope, 2020, 13€
Un élastique trouvé par terre, ça peut être un formidable trésor. Si d’abord. Il suffit de le décider.
Déjà, ce qui compte dans un trésor, c’est de le posséder. Pas besoin de le partager, pas besoin de demander la permission de l’emprunter.
La petite narratrice est super contente d’avoir un truc rien qu’à elle, pas hérité de son grand frère, pour une fois. Avec, elle fera de grandes choses.
Comme dans « Oh, hé, ma tête », l’auteur nous donne à voir les projections d’un enfant, qui ne manque pas d’imagination.
Son élastique l’accompagnera tout au long de sa vie et ça sera drôlement bien.
Avec, elle fera des choses incroyables, comme attraper tous les méchants de la terre, ou encore sauver le monde. Oui. Rien que ça.
Cette plongée dans l’imaginaire enfantin que nous offre Shinsuke Yoshitake au fil des albums est toujours une réussite. Souvent absurde, résolument drôle, chaque histoire a ses spécificités mais on retrouve de nombreux points communs, qui donnent une unité à l’ensemble.
Les enfants reconnaissent le trait et apprécient de retrouver le même type d’histoire.
Et ici en plus, on retrouve un personnage secondaire déjà croisé dans « Une petite goutte de trop », qu’ils ont un grand plaisir à retrouver.
C’est mon élastique est un vrai petit régal d’album.
Kaleidoscope
Arlo le lion qui n’arrivait pas à dormir
Arlo le lion qui n’arrivait pas à dormir, Catherine Rayer, Kaléidoscope, 2020, 13€50
Arlo se traine dans la savane. Il a l’air totalement dépité. Le pauvre n’arrive pas à fermer l’œil, ni le jour, ni la nuit. Trop chaud, trop froid, trop de bruit ou pas assez, rien ne va. Même blottit contre la lionne et les lionceaux, son insomnie le poursuit. Le regard baissé, les traits tirés, il est irrésistiblement attachant. Pauvre Arlo.
Alors qu’il se lamente il rencontre une chouette. La nuit tombe, pour elle c’est le moment du réveil. Devant le désarrois du lion elle décide de l’aider à s’endormir en lui chantant une berceuse:
« D’abord je m’étire autant que je peux,
je frétille tout doux, je ferme les yeux.
Je respire lentement et je me détends,
je me laisse flotter comme une feuille au vent.
Je pense aux endroits où je rêve d’aller,
je m’y vois déjà en train d’explorer…
Et je suis si bien que, sans le savoir,
Cinq minutes plus tard, je dors comme un loir. »
Au fond, un magnifique ciel de soleil couchant accompagne les protagonistes. Arlo, le lion qui n’arrivait pas à dormir, ferme les yeux et s’endort comme un bienheureux.
Plus tard, il chantera à son tour la berceuse à la lionne et ses petits.
J’aime beaucoup les histoires dans lesquelles s’invite une chanson (bien sûr, il faut absolument chanter le refrain, sinon l’album perd une grande partie de son charme, perso j’ai bidouillé un air inspiré de la comptine « Le chien de ma tante » en plus doux, ça fonctionne très bien).
Cela créé la surprise pour les enfants et ça leur permet de s’approprier le texte facilement.
L’histoire est simple mais efficace, le thème du sommeil est souvent traité en littérature enfantine mais généralement il s’agit plus d’un problème pour les parents, ici c’est la détresse de l’insomniaque qui est prise en compte, ce que je trouve intéressant.
Et puis, ces images! Magnifiques, tendres et touchantes, les personnages inspirent la plus grande des sympathie!
Le grand mouton
Le grand mouton, Andrée Prigent, Kaléidoscope, 13€, 2020
Comme je le disais récemment (en vrai j’aurais pu écrire »comme je le dis très souvent », ça fait partie de mes thèmes de prédilection), les loups effrayants se font rares en littérature enfantine.
Ici nous avons affaire à un album pour les petits donc, logiquement, le loup ne fait pas trop peur.
En plus, il est myro. Et apparemment, pas très fut-fut.
Aussi, quand il se pointe sur la colline où vivent quatre moutons, on ne s’en fait pas trop.
Le premier qui l’aperçoit crie « TAS », bien fort, comme ça. Les moutons se mettent en tas puis au cri de « MOUMOUTE » ils dissimulent les têtes et pattes surnuméraires pour passer pour un seul mouton gigantesque. Ce qui impressionne beaucoup le loup. Fastoche.
Un jour, ils vont même jusqu’à lui donner conseil pour s’en débarrasser plus durablement: Si tu veux devenir aussi énorme que nous, va brouter de l’herbe, là-bas, sur la colline au loin. Seront-ils définitivement libérés de leur prédateur?
Andrée Prigent nous offre toujours un très beau travail graphique. Des images épurées et dynamiques, des personnages expressifs. Dans cet album en particulier, j’aime beaucoup les couleurs elles sont lumineuses et se détachent bien sur le blanc de la page.
L’histoire est sympathique et tient bien la route. Aucun doute, cet album plaira aux enfants de crèches et de maternelles.
Le grand mouton a été lu aussi sur l’île au trésor.
Lottie et Walter
Lottie et Walter, Anna Walker, Kaléidoscope, 13€50
Tous les samedis, quand elle va à la piscine en famille, Lottie reste sur le bord du bassin. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas l’eau. Ni qu’elle ne sache pas nager, comme je l’avais d’abord supposé. C’est juste qu’elle seule a repéré le requin qui rôde. Oh, elle n’est pas inquiète pour les autres enfants qui barbotent tranquillement. Elle sait qu’il ne veut croquer qu’elle.
Mais quand sa mère lui annonce que la semaine prochaine aura lieu la fête de la piscine, ça sera difficile de ne pas se tremper sans se faire remarquer.
C’est alors que Walter apparait. Il est le parfait pendant positif du requin du basson. Il est rassurant au possible, amusant, bienveillant.
Toute la semaine, il tient compagnie à Lottie. Et, grâce à lui, le samedi, pour la première fois la fillette se jette à l’eau.
Une charmante histoire dans laquelle le réel et l’imaginaire s’entremêlent naturellement, tout comme dans la tête des enfants. Lottie et Walter forment un joli duo amical. Ce qu’il y a de chouette avec les amis imaginaires, c’est qu’ils peuvent à la fois servir de doudou, de garde du corps, de partenaire de jeu. Walter, qui avec ses formes tout en rondeur envahit le blanc de la page est très rassurant. La métaphore de la piscine pour exprimer toutes les peurs enfantines fonctionne bien, les enfants puiseront sans doute dans cet album les ressources nécessaires pour surmonter leurs inquiétudes, quelles qu’elles soient.
Perdu dans la ville
Perdu dans la ville, Sydney Smith, kaléidoscope,13€
Les premières pages, sans texte, instaurent immédiatement un climat inquiétant. Des plans rapprochés, sombres, une silhouette de dos. On est dans un bus, le personnage est un enfant.
Puis arrive le texte et on se demande si l’enfant est le narrateur ou celui à qui le texte est adressé. « Je sais ce que c’est de se sentir perdu dans une grande ville ».
En effet, l’enfant est seul, il semble qu’il fait froid. L’illustration en petites vignettes, morcelée, au cadre tremblant n’est guère rassurante. « Personne ne te voit, il y a de gros bruits qui font peur ».
Petit à petit on s’aperçoit que le narrateur connait parfaitement l’environnement, il donne des conseils. Ici tu peux te réchauffer, là écouter de la musique ou obtenir quelque chose à manger.
L’ambiguïté subsiste, l’enfant est-il à la rue? S’adresse-t-il à une personne perdue?
C’est l’image seule qui nous donne finalement la réponse, on comprend enfin à qui il s’adressait jusqu’ici.
Si la fin conserve son ambigüité, elle est tout de même rassurante, et on est soulagés de voir l’enfant enfin dans les bras de sa mère.
Cet album provoque un certain malaise à la première lecture, il dérange voire il bouleverse, en tout cas, il ne laisse pas indifférent. Avec les enfants, il nécessite je pense un accompagnement. Au moins la disponibilité d’un adulte pour pouvoir en discuter.
Personnellement, j’apprécie que la littérature enfantine puisse créer un trouble, j’aime être touchée par les histoires, si ce n’est perturbée.
Je pense que les enfants ont aussi besoin de ce type de récit, qui pousse à s’interroger, à sortir de notre zone de confort. « Perdu dans la ville » est de ces albums auxquels on repense longtemps après la lecture, ce qui à mon avis est une bonne chose.
A noter: Sydney Smith est aussi l’illustrateur du très bel album sans texte « Les fleurs de la ville », dans lequel il exploite aussi des ressorts cinématographiques (variations de cadrages, de plans, effets de zoom etc)
Un tigre s’est échappé!
Un tigre s’est échappé! François Soutif, Kaléidoscope, 13€
Tout le monde le sait, nul ne peut l’ignorer, aujourd’hui un tigre, un vrai, s’est échappé!
La ville tremble à l’idée de se faire dévorer, nul n’est à l’abri, nulle part.
Bon, à bien y regarder, l’ado scotché sur son smartphone n’a pas l’air de se sentir spécialement concerné. Mais les autres, tous les autres, sont sur le qui-vive, et si la bête affamée attaquait?
Autant vous le dire tout de suite, je ne sais pas résister aux images de François Soutif. Je trouve chez lui un humour graphique terriblement efficace. Il emprunte aux codes de la bande dessinée, du dessin de presse, des dessins animés et il raconte en quelques traits des histoires pleines de nuances. Souvent d’ailleurs, il se passe très bien de texte (comme dans l’album Hou là là, que je ne saurais trop vous conseiller).
La chute est racontée quasi exclusivement par la dernière image, qui d’ailleurs expose à elle seule tout un tas de petites histoires.
Un renard, un livre à compter haletant,
Un renard, un livre à compter haletant, Kate Read, Kaléidoscope
Un renard affamé est à l’affût.
Avec ses deux yeux rusés, il guette trois poules dodues…
Si le texte se présente comme celui d’un habituel livre à compter, l’image, elle, est narrative. L’histoire se tisse, grâce à des illustrations très faciles à interpréter. Un renard prédateur, des poules qui font figure de victimes toute désignées mais aussi une chute inattendue avec un beau retournement de situation.
Si elle n’est pas totalement inédite, cette hybridité entre histoire et livre à compter fonctionne rarement aussi bien qu’ici. Le rythme s’impose à celui qui fait la lecture à voix haute, ça passe presque trop vite, on en redemande!
Les images, qui présentent un certain cousinage avec l’univers graphique d’Eric Carle (collage de papiers peints) sont très maîtrisées. Plans rapprochés, hors champ, pleine pages saturées de couleurs ou fond blanc qui met en valeur le pelage roux du renard servent le récit. Un renard, un livre à compter haletant est rapidement devenu un de mes albums phares dans mes formations.
Fais attention Alexandre
Fais attention Alexandre, Pamela Allen, Kaléidoscope 13€
En compagnie d’Alexandre, ses quatre frères et sœurs et sa mère, nous visitons Sydney, ou en tout cas les environs d’un de ses parcs, avec l’Opéra a l’horizon.
Seulement voilà, Alexandre n’est pas un caneton très sage, bien que sa mère lui répète sans cesse de faire attention, il est toujours à la traîne, tête en l’air.
Ses frères et sœurs, beaucoup plus raisonnables, marchent dans les pas de la cane, cancanant à qui mieux mieux.
A force de traîner, voilà qu’Alexandre a tout bonnement disparu.
C’est la panique pour la famille canard, mais soudain on entend son faible « coin! », ouf, il n’est pas loin.
Il est tombé dans un trou, le désobéissant caneton. Un trou sacrément profond, étroit et sombre, montré dans un plan en coupe avec le pauvre Alexandre au fond, désespéré qui cancane faiblement.
Heureusement, la solidarité se met en place rapidement. Les passants, les pique-niqueurs du parc, un policier, tous tentent de venir en aide au petit palmipède. Avec une certaine maladresse parfois, le policier en particulier qui, persuadé d’avoir la solution, assomme Alexandre avec son sifflet, raté.
Une issue ingénieuse finit par être trouvée, qui nécessitera l’aide de chacun.
Et la famille canard rentre au parc, Alexandre toujours à la traîne.
J’aime beaucoup l’idée qu’il ne se fait jamais gronder, ni culpabiliser, que le texte n’appuie pas du tout sur le fait que rien de tout cela ne serait arrivé s’il était plus obéissant.
Il est comme ça, Alexandre, voilà. Cet album raconte une histoire, il ne fait pas la morale. Tant mieux, les enfants aiment les histoires, pas qu’on leur montre en permanence un exemple de « bon comportement ».
La clémence dont bénéficie Alexandre contraste avec l’aspect désuet des images, ce qui créé une surprise bienvenue.
Ajoutons à cela des personnages expressifs, une petite pointe d’humour légèrement absurde et une narration rythmée dans le texte comme dans les images, voilà qui fait un album tout à fait agréable.
Une belle journée
Une belle journée, Kevin Henkes, Kaléidoscope, (2008)
Il y a des jours comme ça, où tout va mal. Ça commence généralement par un micro événement, un petit grain de sable, qui instaure une mauvaise humeur tenace.
Pour petit oiseau jaune, c’est la perte de sa plume préférée. Petit chien blanc, quant à lui, a enroulé sa laisse autour de son piquet. Petit renard a perdu sa maman, et petit écureuil son gland.
Chaque animal est montré sur la page de droite, la mine dépitée. Gros plan sur le protagoniste, trait épais, l’image est très lisible et l’émotion du personnage facilement identifiable. Généralement, le petit lecteur se prend d’ailleurs d’empathie pour l’animal (il n’est pas rare qu’un bambin essaye de consoler le personnage)
Puis une double page annonce la rupture. A gauche, des rayures de couleurs et à droite ce simple texte: « Mais ensuite… »
Ah, comme ils sont prometteurs ces points de suspensions. L’enfant tourne généralement la page avec une petite impatience.
Alors, un à un, chaque problème est résolu et chaque personnage retrouve le sourire. I y aura même un tout petit truc en plus qui fera vraiment de ce jour, une belle journée!
J’ai souvent constaté que les enfants avaient cette capacité (que je leur envie) de passer du chagrin réel au sourire joyeux en quelques minutes. J’aime la simplicité avec la quelle cet album montre ces variations d’humeur et j’adore la façon dont le visage des enfants reflète ces émotions. Leur regard qui s’éclaire, signe de leur profonde empathie pour les personnages est révélateur.
Le bondivore géant
Le bondivore géant, Julia Donaldson, Helen Oxenbury, Kaléidoscope, 13€
D’abord, sur la page de titre, il y a Lapin qui bondit. Il se dirige vers son terrier et, ma foi, la prairie à l’air plutôt tranquille et paisible, c’est même le genre de paysage dans le quel on irait volontiers faire une promenade.
Mais de son terrier sort une grosse et impressionnante voix: « C’est moi, le bondivore géant, aussi horrible que méchant »
Voilà le lapin bien penaud qui va chercher Minette à la rescousse. Elle se propose de s’approcher discrètement du terrier et de sauter sur l’intrus.
« C’est moi, le BONDIVORE GEANT et je t’écraserai comme un taon! » V’là la Minette bien moins courageuse, elle se carapate à son tour et va chercher l’aide de l’ours.
Vous l’aurez compris, nous sommes dans une histoire en randonnée où chaque nouvel animal va devoir demander l’aide d’un plus grand.
Si l’histoire en elle-même n’est pas très originale et la chute assez attendue, l’humour est au rendez-vous et l’album fonctionne très bien avec les bambins (qui, eux, n’en ont pas déjà lu plein sur la même structure).
Mais c’est surtout les illustrations d’Helen Oxenbury qui font mouche. Les animaux sont toujours hyper expressifs. Leur assurance première contraste fortement avec leur couardise quand ils se sont frottés au bondivore.
La solidarité dont font preuve les animaux jusqu’au bout de l’histoire (ils sont beaux joueurs même quand ils découvrent avoir été bernés) est joyeuse et plaisante.
Les bambins apprécient cette histoire et la demandent en boucle, jusqu’à la connaitre par cœur.
Un album apprécié aussi par Pépita.