J’aime les imagiers quand ils sont créatifs, stimulants pour l’imaginaire, surprenants.
Ici, on est loin des images figées de l’imagier classique, dans lesquels la plupart du temps ce sont les objets du quotidien qui sont représentés.
Véronique Joffre n’illustre pas ici des noms mais des verbes. Qui sont incarnés par des animaux sauvages ou familiers, représentés en plein mouvement.
Sur chaque double page, les actions se complètent ou entrent en opposition. A chaque fois, une petite touche de vernis met en valeur l’animal ou son déplacement. Le petit doigt de l’enfant peut ainsi suivre le chemin parcouru par l’escargot ou caresser le pelage de l’ours.
Les images sont à la fois travaillées et épurées, le choix du vocabulaire, exigeant, fait le plaisir des bambins qui entrent dans le langage.
Comme à la lecture de Saute, il n’est pas rare de voir les enfants se mettre en mouvement quand ils écoutent ce livre, ils veulent expérimenter les différentes positions, vivre le livre dans leur corps. Ce n’est donc pas le livre idéal pour le « retour au calme » avec un groupe d’enfants, mais dans une pratique plus souple il peut donner lieu à de très bons moments. (En même temps, « passer un bon moment » est un bien meilleur objectif aux temps de lecture que « retour au calme », j’dis ça, j’dis rien)
Format rectangle proche de celui d’un roman, coins arrondis, pages cartonnées et verni sur certains éléments de la couverture, on commence à identifier cette série d’albums chez Thierry Magnier, dans la-quelle les titres Panda et Pomme pomme pomme avaient déjà retenu mon attention.
Dans l’imagier mouillé aussi il y a peu de texte, un graphisme impeccable et un livre qui peut être lu dès le plus jeune âge.
A l’intérieur, comme sur la couverture, des images très lisibles et contrastées que les bébés auront plaisir à toucher, gratter, lécher même, pour peu qu’on les laisse faire.
Comme le litre l’indique, il s’agit d’un imagier thématique: un mot par page, une représentation de ce mot, emballé c’est pesé. Mais heureusement, les auteurs ont bien compris que même dans un imagier on peut toujours raconter des histoires aux enfants, on peut toujours leur donner à voir des images qui racontent plus qu’elles n’illustrent.
Ainsi, autour du thème de l’eau nous avons ici la goutte, présentée toute petite en haut de la page, au-dessus d’un escargot sur une salade, puis la rosée, multitude de gouttelettes sur une toile d’araignée etc.
Autant que les images elles-même, c’est parfois leur succession qui se fait narratrice, quand par exemple on voit un pingouin faire du toboggan sur un iceberg pour illustrer les mots « Glisser » puis « éclabousser ».
Ici, l’image et le texte se répondent, comme à la page où « Lac » fait face à « flaque ». Faisant échos à l’allitération du texte, la même forme se retrouve représentant les deux étendues d’eau, la différence de perception tenant à l’échelle à la-quelle la forme est représentée.
Voilà donc un album à la fois très accessible garce à son apparente simplicité et dont la richesse peut faire cogiter les bambins qui, comme chacun sait, ne demandent qu’à réfléchir.
Avant après, Anne-Margot Ramstein, Matthias Aregui, Albin Michel jeunesse
J’aime infiniment me laisser surprendre par les enfants. Les écouter et être épatée par leur sens de l’a-propos ou au contraire rester perplexe devant l’absurdité apparente de leur raisonnement.
Les albums sans texte sont particulièrement propices à cela. Ils donnent la parole aux mouflets (qui s’en emparent ou non). Nous, adultes, devons alors accepter de passer au second plan, de lâcher prise, ce n’est plus nous qui menons la lecture. On a parfois du mal d’ailleurs.
Avec l’album « Avant après » les enfants ont souvent plein de choses à dire. Parce qu’il n’y a pas de texte mais aussi parce que chaque succession d’image raconte une histoire, invite à la réflexion, étonne ou amuse.
Cet imagier montre successivement deux états d’une même chose (objet, lieux, animal) à deux moments différents. Le gland devenu chêne, le glaçon devenu flaque. A chacun d’imaginer ce qui a pu se passer, d’évaluer le temps, très variable, qui sépare les deux images.
Si l’action se déroule généralement dans l’intervalle entre deux pages certaines séquences nous prennent par surprise, nous incitent à revenir en arrière dans le livre pour faire le lien: Cet arbre qu’on voit en été puis en automne est bel et bien le chêne qu’on a vu naître d’un gland en début de livre.
On repère aussi quelques références aux contes qui ne laissent pas les enfants indifférents (les trois petits cochons, cendrillon) et les auteurs s’amusent parfois à nous mettre dans une boucle temporelle (l’œuf et la poule, évidemment).
Certains enfants, particulièrement bavards, nous offrent un accès privilégié à leur pensée, on peut alors s’émerveiller de ce qu’ils ont à dire.
D’autres ont besoin d’être guidés avec les livres sans texte, je leur donne alors quelques clefs de lecture dont ils sont libres de se saisir ou non.
C’est toujours un exercice d’équilibre périlleux que d’essayer de leur ouvrir des portes de compréhension sans leur imposer notre propre interprétation. Mais en étant très attentif à l’enfant auquel on lit l’album, en se laissant guider, en évitant d’être trop interventionniste, on peut passer des moments extra.
Que s’est il passé? Nicolette Humbert, la joie de lire, 10 e
isbn:9782889082186
Avec ses photos, Nicolette Humbert propose aux enfants de deviner ce qui a pu se passer entre la page de droite et celle de gauche.
Ainsi sur la première page (la 2eme de couverture en fait, on entre dans le jeu dès qu’on ouvre l’album) on voit un château de sable, élégamment décoré de coquillages. Un sceau et une pelle, abandonnés là, donnent déjà au lecteur l’occasion d’imaginer ce qui n’est pas montré. On peut deviner jusqu’aux gestes de l’enfant qui a construit le château aux traces de ses doigts dans le sable.
Sur la page suivante, il ne reste plus du château qu’un monticule de sable. Le seau à roulé plus loin, au premier plan, une algue attire notre regard. En l’absence du château, c’est la mer qui devient le sujet principal de l’image.
Bien sûr chacune de ces deux pages peuvent suffire à raconter quelque chose (une image raconte toujours quelque chose). Mais c’est leur juxtaposition qui va véritablement mettre l’intelligence de l’enfant en mouvement.
J’ai toujours pensé que dans un album l’histoire ne se raconte ni dans l’image ni dans le texte mais entre les deux. De la même façon c’est dans la succession des images qu’elle se construit, dans l’intervalle de la reliure, dans ce qui n’est pas montré et qu’il appartient à l’enfant de s’imaginer.
C’est un plaisir de voir les enfants regarder ces photos. De les voir comparer les images, chercher des indices, faire des hypothèses. C’est qu’ils ne ménagent pas leur peine, ils cogitent sacrément.
Si certaines doubles pages sont facilement lisibles, d’autres exigent qu’on y revienne, que l’on scrute avec attention chaque détail pour « lire » la séquence. Certains enfants alors demandent de l’aide. D’autres se contentent de passer rapidement sur cette page… Jusqu’à une prochaine fois où, peut être, ils s’y attarderont au contraire longuement, jusqu’à la comprendre.
Évidemment, il est important de respecter le rythme et plus encore les envies de chaque enfant pour que tous puissent s’approprier cet album dans le plaisir.
J’ai d’ailleurs vu des enfants, parmi les plus jeunes, passer complètement à coté du jeu et se contenter de pointer un escargot ici, un ballon là ou encore le lapin à la fin du livre.
Il n’est pas absolument nécessaire de saisir le sens du livre dans son ensemble, moi même je n’ai compris que la première et la quatrième de couverture se répondaient qu’au bout de plusieurs lectures, ça ne m’empêchait pas d’aimer déjà ce livre avant.
Fruits, fleurs, légumes et petites bêtes… François Delebecque, les grandes personnes 15€
Isbn: 978-2-36193-222-0
Après les animaux et les moyens de transport, François Delebecque photographie le potager. Quand j’ai vu la couverture sur le catalogue je me suis dit « oui, la couverture est belle (avoir un album des grandes personnes entre les mains c’est toujours avoir un travail d’éditeur soigné), oui, la thématique est sympa mais bon, j’ai déjà tous les autres de ce photographe, est-il bien nécessaire d’avoir celui là aussi »
Et puis j’ai vu l’album dans ma librairie et la réponse s’est imposée. Il me le fallait. D’urgence. François Delebecque a la capacité de se renouveler dans chacun de ses albums alors même qu’il décline le même mécanisme à chaque fois.
On découvre dans les pages de ce livre les fruits dans un contexte inhabituel. On s’amuse à essayer de deviner comment les enfants vont recevoir les images: « tu l’auras reconnue, toi, la silhouette des pommes de terres, si tu n’avais pas su lire? » « Tiens, j’ignorais que les kiwis poussaient comme ça ». Et quand on soulève les caches, quelles surprises dans chaque photo! Ah, comme elles brillent ces cerises (« il les a essuyées, c’est pas possible! »), comme elles semblent douces ces pêches. Et puis quelle bonne idée d’avoir mis aussi les petites bêtes. Belles, touchantes ou, brrr, un peu dégueu, les enfants hésitent alors à toucher la photo. Et la surprise encore quand une double page présente les outils de jardin, ce que le titre avait omis (oui, l’image de couverture l’annonçait, mais non, je ne m’y attendais pas pour autant, j’ai encore des progrès à faire en lecture de l’image…)
Bref, encore un album qui ravit les enfants comme les adultes, qu’on aime regarder ensemble et qui donne envie d’aller voir dans le jardin comment ça se passe.
Plus d’images sur le site de l’auteur.
Eté et Printemps Marc Pouyet Petite plume de carotte 9€90
isbn: 978-2-36154-048-7
et:
978-2-36154-047-0
La collection p’tit land art propose un support adapté aux plus jeunes, pour leur faire découvrir l’art de mettre en scène les éléments de la nature.
Présentés d’abord seuls sur un fond blanc, sur la page de gauche, chaque objet est ensuite disposé, organisé, associé à d’autres pour créer une œuvre éphémère.
Les marguerites soigneusement alignées, dépouillées d’une partie de leurs pétales, forment un carré parfait. Les fraises, qu’on devine juteuses, croquantes et appétissantes sont disposées en rectangle sur un rocher. Contraste des matières, les fruits semblent d’autant plus doux et lisses que la pierre est rugueuse.
Dans été des galets noirs, brillants et mouillés dessinent des petites traces de pattes sur le sable humide. Nul doute que cette photo évoquera des souvenirs de vacances aux plus jeunes et d’enfance à leurs parents. Quel bambin n’a jamais collectionné les petits cailloux?
Ces livres mettent ainsi en lumière le lien qui unit les artistes et les enfants: le plaisir de manipuler la matière, de mettre en scène, de collectionner, transformer les petites bricoles. Les feuilles de laurier deviennent un moulin, les bâtons tordus un arc-en-ciel. On s’émerveille de la ronde des feuilles dans l’eau, on s’étonne des spirales de cailloux. On a presque l’impression, à tourner les pages de ces albums de prendre un bain de nature.
Aux quatre albums sur les saisons ont succédé des ouvrages thématiques: Jardin, noir, rouge, jaune. Tous ceux que j’ai eu entre les mains ont le même charme, de véritables petits objets d’art, beaux et accessibles, qui font la joie des bébés et des plus grands.
Pourquoi dans toute la série, j’ai choisi de parler du printemps et de l’été? Parce que tout les moyens sont bons pour sortir la tête de l’hiver, voyons! Et que les livres sont encore le moyen le plus simple de s’évader du quotidien quand il ne nous convient pas.
Au premier regard c’est un joyeux méli-mélo de jouets de pacotille que Maria Jalibert a photographié.
En les mettant en valeur dans un livre, elle nous propose déjà de poser sur ces bricoles qui encombrent les chambres d’enfant un regard neuf.
Mais bien sûr, ce n’est pas tout. L’essence même du photographe c’est de mettre en scène, d’organiser, d’orienter le regard.
La position de chaque jouet, sa mise en relation avec les autres, l’ordre des pages, jusqu’à la place du texte dans la page, tout est soigneusement pensé.
A une ronde de personnage succède une sélection d’objets ronds, puis des jouets choisis pour leur couleur « rouge tomate » mais présentés en rond. Puisque la transition vers un classement par couleur est opéré, on passe au jaune puis au rose. Mais la photographe introduit alors une nouvelle notion « Rose désordre », qui s’oppose à « orange rangé ». Pour souligner cette opposition, le texte passe de la page de gauche à celle de droite.
Je pourrais continuer à explorer ainsi l’album page à page, chacune d’elles révèle une nouvelle trouvaille, une surprise. Je vous laisse découvrir l’album vous même.
Soulignons la page « Pif! Paf! Aïe! », qui montre soldats de plomb, cow-boys et autres indiens, rappelant que les jeux d’enfants peuvent s’avérer belliqueux et celle, vers la fin de l’album, dans laquelle l’auteure interpelle le lecteur « Attendez! J’allais oublier le violet » ouvrant le dialogue à travers son œuvre avec le lecteur qu’elle ne rencontre pourtant jamais.
Chaque enfant à qui j’ai lu cet album a eu sa façon d’entrer dedans. Il y a celui qui s’est arrêté longuement sur les pages « embouteillage vertical » puis « embouteillage horizontal » pour comparer, se demandant si c’était la même photo montrée dans deux sens différents (ce n’est pas le cas, il a bien remarqué qu’il y a 3 motos sur la 2eme et seulement une sur l’autre!), celle qui est allée chercher dans les bacs de jouets ceux qui pouvaient s’associer aux photos, celui encore qui cherchait dans l’album le robot de la couverture (et qui, avant de le trouver, a cru identifier power-ranger dans une des figurines)
Un album qui s’imposera je l’espère comme un incontournable dans les crèches comme dans les écoles maternelles. Il a été lu et apprécié aussi chez Kik et Méli-melo de livres
Maria Jalibert à poursuivi ce travail autour des jouets de pacotilles dans plusieurs albums.
Mon imagier après la tempête Eric Veillé Actes sud junior 12€50
isbn: 978-2-330-03470-2
Sur les pages de gauche, nous avons affaire à un imagier thématique tout ce qu’il y a de plus classique. Une page sur la nourriture avec du pain, une pomme, un fromage etc, une autre sur la plage, avec un sceau un parasol, un toboggan et ainsi de suite.
Mais la page de droite montre le même imagier après qu’il ait été bouleversé par un événement. Après la tempête, le sceau est devenu une flaque, le toboggan est renversé et le parasol est envolé.
Mais Eric Veillé ne s’est pas contenté de répéter le même mécanisme à chaque page, il introduit des petites surprises, des clins d’œil, des décalages savoureux (et parfois un peu subversifs) à chaque page. C’est ainsi que le bateau à voiles devient bateau à poil quand le vent à emporté la serviette à fleurs qui recouvrait la nudité du personnage, en même temps que la voile.
Après la cantine le pain est devenu miettes, la pomme trognon mais la purée d’épinard n’a pas bougé.
Le récit se fait donc quand on passe d’une page à l’autre. C’est dans ce furtif mouvement de l’œil qu’on comprend l’histoire, qu’on construit le sens des images. Et cette histoire, chaque enfant qui écoute l’album la construit comme il l’entend. Par exemple, sur cette double page où l’on voit d’abord un une maman (dont le texte ne précise pas qu’elle est enceinte, c’est la lecture de l’image qui nous le dit), un papa et un enfant alors que sur la page d’en face, après la naissance, on peut voir une accumulation d’objets destinés aux bébés et en bas de page l’enfant devenu grand frère. Chacun peut tout de suite imaginer le grand bouleversement que représente l’arrivée d’un bébé dans la famille. Mais certains pointeront tout de suite le bébé, au centre de la page, alors que d’autres vont plutôt s’attarder sur le grand frère. D’autre encore seront frappés par ce qui n’est pas montré: les parents ont disparu de l’image.
Ce qu’il y a de bien, quand les livres ne donnent pas toute les réponses, c’est qu’ils laissent la place à l’imaginaire et à l’intelligence de l’enfant. Comme il est bon de bousculer les codes et de tout miser sur l’amusement, plutôt que sur la pédagogie comme c’est trop souvent le cas dans les imagiers.
Le seul reproche que je peux adresser à cet album c’est qu’il est un peu long… Pour les adultes surtout.
Un imagier pour jouer, Pascale Estellon, les grandes personnes. 12€50
isbn: 978-2-36193-224-4
Le titre annonce la couleur, cet album qui se déplie comme un paravent est un intermédiaire entre le jeu et le livre. On peut le poser sur un tapis, près d’un bébé. On pourra alors voir le bébé ramper vers le livre, essayer de l’attraper, le toucher, le gratter, le mettre à la bouche aussi sans doute. Le regarder dans un sens puis dans l’autre, à l’envers même. Le bébé découvre l’objet avec tous ses sens, avant de rentrer dans le contenu.
Pascale Estellon a pris la peine de paginer son album, indiquant ainsi aux parents un sens de lecteur. On commence donc avec la page du miroir. Permettre aux bébés de partir d’eux même pour s’aventurer ensuite vers l’inconnu est une très belle idée.
Après avoir observé son propre visage, le bébé découvre sur les deux pages suivantes deux visages stylisés, l’un qui sourit, l’autre qui fait la tête. Cette version très graphique de Jean qui rit/Jean qui pleure est facilement identifiable pour un tout petit, on sait que dès la naissance un bébé est capable de reconnaître une représentation de visage.
On note au passage que, pour une fois, ce n’est pas le visage blanc qui sourit mais le noir, je suis contente que la couleur noire ne soit pas (plus?) systématiquement associée à un aspect négatif.
Viennent ensuite les mains, sur lesquelles les enfants peuvent spontanément poser les leurs.Ils se mesurent, ils comparent: cette main est plus grande que la mienne mais plus petite que la tienne. Les plus jeunes grattent l’image qui est en relief.
Plus tard dans l’album, c’est un cheminement qui est proposé au bambin. On suit la route (un ruban de carton collé sur la page donc une fois encore en relief) et ses boucles, dans un geste qui préfigure déjà celui du tracé de l’écriture.
Succède un jeu de coucou et l’exploration des premières peurs puisque quand le mouton se cache, le loup apparaît et vice versa. Les bambins peuvent passer un temps infini à tourner la page dans un sens puis dans l’autre, à mettre le doigt ou à glisser un coup d’œil dans le trou pour voir sans se faire voir ce qu’il se passe de l’autre côté.
Enfin, l’album se termine sur une image plus complexe, celle d’un petit bateau qui tangue sur les vagues. Plaisir suprême on peut le faire bouger. Alors, entraîné par le rythme du balancement, on se surprend à chanter « bateau, sur l’eau, la rivière la rivière… » et l’enfant, joyeux, accompagne notre chant d’un bercement.
La fin de la chanson, quand le bateau chavire et que les enfants tombent dans l’eau clôt en beauté l’album.
Mais on peut aussi le continuer puisque sa forme invite à revenir à la première page pour recommencer le cheminement du début.
Un joli travail d’artiste et un ouvrage très adapté aux plus jeunes des enfants, solide en plus (pour une fois la charnière est en tissus, on peut le plier dans tout les sens sans l’abîmer) en font un album qui devrait trouver sa place dans toute les sections de bébés de crèches.
Et si on posait sur le monde le regard d’un enfant? C’est le pari très réussit de cet album.
« je l’ai vu par la fenêtre du matin courir drôlement par le chemin. Je t’aime chien noir. »
Une fillette est montrée de trois quart dos, le lecteur est invité à suivre son regard. Pourtant, il n’y a pas de chien noir à l’horizon. Seulement une ombre vague, au loin, jaune, comme une simple aspérité sur le papier. On se surprend à la scruter, avec la fillette dans le livre et l’enfant à qui on le lit. Ensemble, on regarde ce chien invisible, nommé mais pas montré, ce chien qu’il faut imaginer.
Et puis, à bien y penser, ce chien absent, il nous semble qu’on l’a vu, non? Généralement, c’est l’enfant qui le signale, il est plus attentif aux images que l’adulte qui, lui, pose surtout ses yeux sur le texte. L’enfant, qui s’autorise à tourner les pages à l’envers, il remonte le temps, revient à la page de titre. Le voilà le grand chien qui court. Il est… Jaune. Ça n’a pas empêché un enfant à qui j’ai lu cet album de me dire « il est là le chien noir » en pointant l’image. Je lui ai dit qu’il avait raison, que le chien était bien là. Parce que regarder une image c’est déjà l’interpréter, que représenter un chien, c’est déjà le montrer différent de sa réalité alors pourquoi pas une image jaune pour un chien noir?
Page suivante, la fillette s’est éclipsée, nous voyons désormais par ses yeux. « Je l’ai vu sur le rebord du jardin, à la pointe du sapin, je t’aime petit merle. » Toujours cette structure de texte qui attise la curiosité, on ne sait de quoi on parle qu’à la fin de la phrase, on garde le plaisir de faire des suppositions pendant tout le début. L’image, une fois de plus en léger décalage, montre l’ombre du merle. C’est dans ce petit décalage que l’intelligence de l’enfant à qui on lit le livre peut se mettre en mouvement. Dans ce petit espace de liberté qui lui permet de s’interroger, d’interpréter de penser.
L’album se poursuit, comme un poème, une ode aux petites merveilles du quotidien qui entourent l’enfant. Le chat, dont on ne voit que le corps le lapin, qu’on ne reconnaît vraiment que si on éloigne le livre. Prendre du recul pour mieux comprendre, voilà une expérience fondatrice pour les enfants. Et le caillou, tout aussi attachant pour l’enfant que les animaux, forcément.
Et puis ce « je », ce sujet qui aime tout ce qui l’entoure et dont on ne voit pas grand chose. Ici une sandale rouge, là une menotte qui tient une poupée. Et puis, surprise, la voilà qui nous livre son prénom. Elle l’a écrit sur le mur de sa maison. L’image se fait narratrice, Rose nous est présentée. Tiens, on l’a déjà aperçue dans cet autre album de Rascal cette petite Rose, non?
Ainsi présentée, elle nous dévoile enfin son visage, si beau, si doux, pour dire son amour le plus évident, celui qu’elle a vu dans son cœur.
Cet album est une véritable merveille graphique et poétique, qui traite le jeune lecteur avec tout le respect qu’il mérite: en faisant une confiance absolue à son intelligence.