Jamais jamais, Marc Solal, Pierre Pratt, Motus, 2022,
L’ennuie est souvent source de créativité. Le jeune narrateur regarde les différents membres de sa famille, tous forts occupés, et il ne sait pas quoi faire. Sans interrompre sa conversation téléphonique, sa mère lui conseille de faire un dessin. Mais, bof… Finalement, il trouve lui-même une idée. Faire la liste de tout ce qu’il ne voudrait pas devenir plus tard. Et, pour le coup, il sait exactement. De page en page, il ajoute de nouveaux éléments. Il ne veut pas: avoir des lunettes, du poil au nez, un gros ventre… Finalement c’est un peu tous les marqueurs de la vieillesse qu’il énumère. Et au fur et à mesure qu’il en fait la liste, l’image le montre affublé de ces disgracieux accessoires.
Nous voilà donc avec un enfant cravaté, lunetté, ridé, les dents baignant dans un verre d’eau, à ses côtés. Il en est là de ses pensées quand arrive son bien aimé papi Gilbert.
Qui porte une cravate, arbore fièrement un gros ventre, a les oreilles poilues… Pas besoin de long discours pour montrer l’amour qui unit ces deux-là. Il suffit de les voir endormis devant la télé allumée.
Et finalement, c’est une image plutôt positive de la vieillesse qui se dégage de cet album. Car oui, on peut poser un regard plein de tendresse sur un visage plein de rides.
Bienvenue au monde, Julia Donaldson, Helen Oxenbury, kaleidoscope, 2023, 13€50
Ce nouvel album, dont le texte est signé Julia Donaldson (l’autrice entre autre du gruffalo, mais aussi du très tendre bondivore géant ou du très émouvant Guirlande de poupées) semble faire échos à celui qu’Helen Oxenbury a illustré en 2011, sur un texte de Nem Fox, Deux petites mains, deux petits pieds. On y reconnaît les bébés aux joues dodues, caractéristiques de cette grande illustratrice et la justesse du trait qui les croque si admirablement.
On y trouve aussi un texte qui se lit comme une comptine, très agréable en bouche, belle performance de la traductrice Rose-Marie Vassalo. Il saura attirer l’attention des tout petits, avant même qu’ils n’en comprennent le sens. Pages après pages, l’album nous montre les différentes découvertes que font les bébés: Le jour et la nuit, les visages des autres, puis le monde extérieur, le goût des aliments, les sensations variées. Les bébés sont toujours joyeux, souvent en interaction entre eux ou avec des adultes, et ils grandissent au fil des pages, prennent leur autonomie en multipliant les expériences.
Le texte s’adresse à un bébé, celui auquel on lit l’album, mais l’illustration montre des bambins différents à chaque page, renforçant l’idée d’une universalité de l’enfance et prouvant que le lecteur peut s’identifier sans distinction à un personnage d’un autre âge, d’un autre genre et d’une autre couleur de peau que lui-même.
Tous se retrouvent dans ce message égrainé au fil de l’album: le bonheur des parents à accueillir un tout petit dans leur monde.
Bienvenue au monde est donc un album idéal pour un cadeau de naissance et aurait sa place dans le top 20 qui leur est consacré (et qu’il faudrait que je mette à jour, j’en conviens)
Un loup pas comme les autres, Clémentine Michel, Plumapi, minedition, 2022, 14€90
C’est vrai qu’ils sont impressionnants, ces loups dont la silhouette noire se détache sur le blanc de la page neigeuse. Du haut de la colline, ils dominent.
Les moutons qui se pressent les uns contre les autres dans la vallée restent prudemment à distance.
Tout comme les petits animaux des environs, écureuil, lapins, oiseaux et même poissons, qui ne sont pas mentionnés par le texte mais que l’image montre fuyant devant les prédateurs.
Pourtant un jour, un petit animal se pointe tranquillement dans leur territoire. Certes les loups ce jour là sont rassasiés mais tout de même, quelle imprudence! Ils n’en reviennent pas!
Leur surprise est telle qu’ils se cachent derrière un rocher pour observer cet agneau qui ne semble pas inquiet pour deux sous. La posture des loups, qui sont perplexes, ne leur donne plus du tout l’air terrifiant, ils ont même un petit air juvénile assez charmant. Quant à l’agneau, on se demande à e stade là s’il est naïf ou stupide, mais il marche dignement, sur deux pattes, la tête haute. Quand les loups lui demandent ce qu’i fait là, il répond avec simplicité qu’il est parmi eux parce qu’il est… Un loup. Il provoque leur hilarité mais ne démord pas de son idée, il est un loup comme eux, point.
Mais qui a bien pu lui donner cette impression saugrenue ?
Nous l’apprendrons dans la chute de l’album, totalement inattendue et toute douce et tendre. Elle conforte l’agneau dans l’idée qu’il n’a rien à craindre des loups au point que sa simple présence semble mettre à l’abri tous les petits animaux de la colline.
Le texte est court, à peine quelques phrase par page et les illustrations sont magnifiques, elles parviennent à montrer toute l’ambiguïté des loups qui sont tantôt menaçants tantôt attachants et enfantins.
L’amour, Georgette, Didier jeunesse, 2022, 11€90 Après le très réussi Familles, Georgette revient pour répondre à cette vaste question, qu’est ce que l’amour ? Et bien entendu, la réponse est multiple, selon la place de laquelle on parle. Chaque interlocuteur donne donc sa propre définition, toujours tendre et touchante. Il y a l’amour des couples, celui des copains, celui de la maman qui sent son ventre grandir et qui fait une petite boule de joie à l’intérieur. L’amour d’un père pour son fils et réciproquement. Et les montagnes russes de l’amour de deux jeunes garçons. A la lecture de cet album chacun peut se sentir proche des personnages, s’y reconnaître, même s’ils ne nous ressemblent pas toujours. Moi je me reconnais assez bien dans la mamie pour qui c’est « quand papi me fait un massage de pied à la fin de la journée » (et pourtant, j’ai pas encore l’âge d’être une mamie, hein!) Les personnages aux bouilles rondes, comme des gommettes, ont des caractéristiques différentes (couleur de peau, coiffures, vêtements) mais tous affichent le même sourire.
Le propos est simple, il est porté avec une sorte d’évidence et légitime toutes les sortes d’amour, à hauteur d’enfant. Tout comme Familles je pense que cet album va s’imposer dans les structures d’accueil de la petite enfance comme un incontournable, tant il me semble important de porter ce message.
Jabari est un enfant plein d’idées et Alors quand il décide de fabriquer un engin volant, il y met les moyens. Énergie, créativité et ténacité sont au rendez-vous. Et surtout, il veut le faire tout seul.
Vis, plan et outils envahissent la table du jardin. Pendant ce temps papa vaque à ses occupations. Nina, la petite sœur de Jabari, aimerait bien participer, elle ne cesse de solliciter l’attention de son frère « moi, moi! » Dit elle.
Il finit par l’associer à la Jabari, mais là c’est la colère qui s’installe, fichu engin qui ne veut pas voler!
Rassurez-vous,
Il y a vraiment beaucoup de choses intéressantes dans cet album, dont la trame narrative est par ailleurs assez simple.
Le texte n’est pas bavard et il sonne juste, à hauteur d’enfant. Les changements d’humeur des protagonistes sont amenés avec naturel, on n’a pas le sentiment d’être face à un livre « pour parler des émotions », mais il permet bien évidemment de les comprendre.
J’aime aussi la façon dont il montre la fratrie, avec un brin de
Le père accompagne Jabari s’inspire de grands chercheurs ou ingénieurs tels que Lewis Howard Latimer, Roy Alleta ou encore Flossie Wong-Staal, qui sont cités dans l’et je trouve important qu’un album contribue à leur donner la célébrité qu’ils méritent.
Vas-y Jabari fait suite à Jabari plonge, sorti en France en 2021.
Le bon lit douillet, Florence Desnouveaux, Marion Piffaretti, Didier jeunesse, à petits petons, 2022, 13€10 La mer au loin, des animaux souriants plein le jardin, une grand-mère accueillante, dès la première page cette histoire fleure bon les vacances à la campagne, on imagine déjà les cache-caches sous le saule pleureur et les bouquets de fleurs d’hortensias.
Peut-être que maman est repartie travailler, en tout cas c’est Grand-mère qui couche petite fille dans le bon lit douillet. Elle éteint la lampe de chevet (clic) et tire la porte (iiii). Mais Bououououhhh, Petite Fille pleure, elle à peur. Grand-mère, pleine de douceur, rallume la lumière (clic), va chercher la chatte, et la dépose sur le lit de Petite Fille pour lui tenir compagnie, avant de refermer la porte (iiii)
Mais Miaououou, la chatte miaule, bouououhh, Petite Fille pleure, elles ont peur. Sont alors appelés à la rescousse le chien, la chèvre et même le poney, avec tout ce monde dans le lit, plus de raison d’avoir peur. Mais cette fois, c’est un grand crac qui se fait entendre, le lit, tout douillet qu’il est, n’est pas fait pour recevoir tant de monde. Heureusement, Grand-mère à plus d’un tour dans son sac et dans sa boite a outils!
Avec une belle palette de tons bleutés pour la nuit et des tonalités plus chaudes pour les personnages, l’image instaure une ambiance paisible et douce, et j’avoue que je craque pour les cheveux roses de la grand-mère, qui lui accentuent la douceur de son visage.
Les bambins adorent cette histoire en randonnée rythmée par de nombreuses onomatopées, qu’ils reproduisent dans une joyeuse cacophonie. Comme il est d’usage dans la collection à petits petons, le texte est pensé pour être lu à voix haute et chatouiller agréablement les oreilles des petits, qui peuvent donc apprécier cette histoire avant même de la comprendre. La thématique de la peur y est survolée avec beaucoup de douceur, l’humour et le rire prennent le dessus.
La petite sœur est un diplodocus, Aurore Petit, Les fourmis rouges, 2022, 15€50
Ce nouvel album d’Aurore Petit est le dernier opus de ce qui semble être une saga familiale et intimiste.
Après Une maman c’est comme une maison, centré sur la relation mère fils puis Bébé ventre, dont le narrateur était l’enfant à naître, nous avons ici le point de vue de l’aîné quand le nouveau bébé arrive dans la famille.
Et nous retrouvons les éléments qui ont fait le succès des deux premiers albums: une histoire intime, racontée avec délicatesse et une économie de mots, des illustrations agréables et très toniques, avec beaucoup de tons fluos.
Le grand frère est le narrateur, pourtant le texte ne détaille pas ses pensées, il est au contraire assez factuel et parfois même l’histoire se passe totalement de texte pendant plusieurs pages. Je trouve cela tout à fait approprié, les jeunes enfants n’étant généralement pas capable de verbaliser les émotions qu’ils ressentent. Ici on peut comprendre ce que le petit garçon éprouve à travers des images très parlantes, c’est suffisant (je ne suis pas fan de cette habitude de vouloir absolument mettre des mots sur tout, tout le temps). Quand il a exprimé son désaccord, il n’est pas non plus noyé de mots par les parents, il est juste câliné, ce qui ma foi semble assez efficace.
Et il s’il peut affirmer que la petite sœur est un diplodocus, c’est que manifestement elle prend beaucoup de place, pour une si petite personne!
Dépêche toi Alphonse Aubert, Gunilla Bergström, l’étagère du bas, 2022, 12€ Oh joie, oh bonheur, un nouvel opus de cette réjouissante série est sorti cette année!
Nous y retrouvons le petit garçon à tête ronde et son flegmatique papa, qui, cette fois, risque bien de perdre patience!
Parce que voilà, c’est le matin, il faut se préparer pour l’école, mais le petit garnement d’en fait qu’à sa tête et a toujours une activité plus urgente. Alors que son père insiste avec ses « Dépêche toi, Alphonse! », lui enfile un pull à sa poupée, répare une petite voiture cassée, lit un livre sur les reptiles. Que d’occupations absolument nécessaires avant de partir pour la maternelle, vous en conviendrez!
Dans la cuisine, le ton commence à monter, papa n’en peut plus d’attendre son fils et il se crispe à chaque fois qu’il entend une réponse qui commence par « Il faut juste que je… »
Évidemment, le temps passe, l’horloge représentée sur les pages de texte est implacable, alors que l’histoire a commencée à 6 heures il est presque une heure de plus quand Alphonse entame son petit déjeuner. Mais il a une surprise pour papa, et bientôt la situation va s’inverser.
Quelle fripouille cet Alphonse!
Le trait tremblant, les images décalées, l’humour et surtout la situation, tellement proche de la réalité, me plaisent toujours beaucoup dans les albums de cette série.
Celui-ci peut être un prétexte pour parler de l’école, de la routine matinale ou même pour apprendre à lire l’heure (on retrouve l’horloge et ses aiguilles presque à chaque page), si vous voulez vraiment rentabiliser chaque lecture.
Mais je vous invite plutôt à le lire juste pour passer un bon moment, ce qui est tout de même la fonction première de la littérature
3,2,1, Mari Kanstad Johnsen, Cambourakis, 2021, 18€
C’est l’été, les vacances sont là. Les camarades d’Anna ont tous de super projets. Mais elle, c’est chez sa grand-mère qu’elle passera le mois. Et même pas moyen de payer un billet d’entrée au zoo, manifestement Grand-mère est fauchée.
Dans une boutique, la fillette repère une peluche de lapin super chouette. Mais il coûte 5 euros. Alors Grand-mère fait une proposition à Anna. Pour se l’offrir, elle devra s’occuper des maisons vides pour les vacances. 5 maisons, à raison d’un euro pour chacune d’elles, le compte y est. Dans la première, il faut prendre soin d’un serpent, dans la suivante de deux lapins, de trois oiseaux, quatre tomates et enfin cinq poissons. Fastoche, Anna est enthousiaste. Elle se voit déjà à la rentrée montrant fièrement sa peluche durement gagnée (on comprend qu’elle y trouve un certain réconfort et même qu’elle espère que son lapin éclipsera les récits trop idylliques des vacances des autres mouflets, et franchement, on la comprend un peu).
Mais, ce n’est pas si simple quand on est encore petit d’assumer toutes ces responsabilités. Anna fait de son mieux mais enchaîne les bourdes, qui finalement risquent de lui coûter beaucoup plus cher que son maigre salaire…
Perso je trouve la grand-mère super badasse avec sa silhouette massive, son béret sur la tête et sa propension à vouloir juste bouquiner tranquillement dans le jardin. Elle regarde Anna se planter sans faire de commentaire, il faut bien apprendre. Mais quand elle annonce à la mouflette que son salaire sera en négatif, j’avoue avoir pensé un instant qu’elle poussait la pédagogie un peu loin. Ce qui semble aussi être l’avis de sa petite fille, qui se roule par terre de frustration à l’idée qu’elle ne rendra pas ses camarades jaloux. À moins que?… L’histoire se termine bien pour la fillette, mais à bien y regarder on peut se demander si elle a vraiment retenu la leçon…
Je trouve cet album très drôle, léger et plaisant, j’apprécie en particulier qu’il n’ait pas de visée pédagogique trop appuyée, tout en étant un livre à compter. Il a un petit côté subversif que l’on retrouve souvent chez les auteurs suédois qui n’est pas pour me déplaire.
C’est un catalogue qui se veut inclusif (à défaut d’être exhaustif, ce qui semble compliqué sur ce sujet) des différents schémas familiaux possibles.
Ainsi nous y trouvons des familles de deux personnes et d’autres très nombreuses, parfois recomposées.
Celles avec deux papas ou deux mamans sont aussi présentes. Mais encore d’autres, plus inattendues. Les petits personnages ont tous la bouille ronde, ce qui me fait penser à certains jouets en plastiques de mon enfance. Mais ils ont différentes couleurs de peau, des caractéristiques variées. Le texte est poétique et minimaliste, il met l’accent sur la chaleur des sentiments et montre la famille dans ses aspects les plus positifs: un espace de sécurité et de tendresse. L’autrice joue parfois avec les possibilités offertes par la double page pour montrer tantôt deux familles différentes en vis-à-vis, tantôt une seule matérialisée par une rencontre au niveau du pli du livre.
Les enfants sortent toujours de cette lecture rassurés et heureux. Je l’utilise depuis quelques mois dans le cadre de mon travail pour l’association LIRE et il est très apprécié, à la fois par les parents, les enfants et les professionnels de la petite enfance. Il me semble que c’est exactement le type d’album à avoir dans un fonds professionnel, parce qu’il contribue à rendre visible une réalité, qui est la diversité des familles réelles.