Une maison dans les buissons, Akiko Miyakoshi, Syros, 14€90
Quand elle aménage avec ses parents dans une nouvelle maison, Sakko n’a qu’une hâte, rencontrer la fillette de son âge qui habite tout près.
Alors, dès qu’elle en a l’autorisation, elle file jouer dehors. Mais les voisins sont absents. Pour patienter, Sakko coupe à travers champs pour rentrer chez elle. Un chat, qui attire son attention, se faufile sous les buissons. Sans hésiter, Sakko le suit et découvre une petite cabane, manifestement utilisée puisqu’un petit panier avec une dinette l’y attend.
supposant que sa petite voisine vient jouer ici, elle laisse en cadeau des fleurs de pissenlit et de trèfle, avant de rentrer chez elle pour prendre le gouter.
A son retour dans la cabane, la table est dressée, les fleurs ont disparues et une amitié va naitre.
Comme souvent cette autrice met en scène une fillette déterminée, aventurière, qui affiche une belle confiance en elle.
Si certaines images peuvent dégager une atmosphère presque inquiétante, on sent chez Sakko une grande assurance, qui lui permet d’explorer son environnement et d’aller à la rencontre des autres avec bonheur et simplicité.
La finesse des images, le trait léger et touchant du fusain servent merveilleusement cette histoire où le déménagement est le prétexte à la rencontre et dont l’amitié et l’altérité semblent être les thèmes centraux.
La baguette de Nanette, Mo Willems, Kaléidoscope, 13€
Mo Willems a déjà réussi la prouesse de faire un album qui a des allures de polar, un autre qui reprend les codes du cinéma muet, ici il nous propose un petit théâtre de papier. Et, puisqu’il est question de baguette, forcément, on se trouve en France, la France rurale, sur une place de village qui offre une unité de lieu proche de la scène de théâtre et qui nous plonge dans une ambiance à la Pagnol.
Clin d’œil ou cliché, dans ce petit bourg les habitants sont… Des grenouilles, mais rassurez-vous, il n’est pas question de les manger.
Nanette est l’une d’elles. Et c’est son aventure, banale et merveilleuse, qui fera l’objet de l’album. Car aujourd’hui, pour la première fois, la fillette va seule faire une emplette: acheter une baguette chez Juliette.
Le texte, tout en rimes en -ette, se savoure comme une bonne baguette croustillante, c’est bon, on en redemande. Au passage, on peut saluer le travail de la traductrice, Rosalind Elland-Goldsmith, qui a du bien se prendre la tête sur ces formulettes.
Voilà donc notre batracienne seule dans la rue, comme une grande. Elle croise des voisins (le plus jeune étant forcément un têtard), achète son pain et s’apprête à rentrer chez elle, mais sur le chemin du retour, l’attrait du pain frais est trop fort, la mouflette ne résiste pas à son envie d’y gouter.
Certes l’histoire est mignonnette et les enfants apprécient beaucoup la petite Nanette qui passe du plaisir d’être grande, à la culpabilité, avec une once de mauvaise foi et même un brin de colère. Et bien sûr, la fin est heureuse, puisque Mamounette, qui n’est pas la dernière en matière de gourmandise, loin de sermonner sa mouflette, va acheter une nouvelle baguette.
Outre l’humour, tant textuel que visuel, Mo Willems maitrise à la perfection le séquençage des images et La baguette de Nanette impose un rythme de lecture dynamique et à la fin on est bien souvent pressé de recommencer par les jeunes lecteurs.
Harbert avait un bonnet, tout douillet, tout coloré, tricoté par sa grand-mère. Mais voilà, quand il arrive devant les autres, le verdict est sans appel. Ce bonnet est RINGARD.
Alors, Harbert va tenter de suivre la mode. Il va s’efforcer d’avoir, lui aussi, le couvre-chef qui va bien. Avec son style dynamique et coloré, Emily Gravett se moque en image des phénomènes de mode. Les chapeaux adoptés par les autres protagonistes sont tous plus ridicules les uns que les autres. Mais, puisque tous portent peu ou prou le même modèle, c’est qu’il est tendance. Seul le pauvre Harbert a décidément toujours un temps de retard.
Notre pauvre cabot fait pourtant de sacrés efforts, il va jusqu’à se documenter dans le très sérieux journal Haute-forme ou camper devant la boutique Chapeau bas mais en vain. A croire qu’il porte la ringarde-attitude en lui.
Et s’il suffisait de ne plus suivre la mode pour la créer?
Avec son style graphique tonique et efficace et sa plume rythmée sans jamais être bavarde, Emily Gravett égratigne les diktats de la mode et porte un regard tendre sur celui qui est mis à l’écart, victime de ne pas rentrer dans le moule. Un album léger et peu démonstratif, jubilatoire pour tous ceux qui se sont un jour retrouvés dans la situation d’Harbert.
P’tite pousse est née du désir d’enfant d’une vieille dame. Un désir fou, nourrit d’espoir et de patience. Une petite graine déposée dans un pot, avec du terreau et la pluie pour l’arroser a donné vie à cette étrange petite merveille, plus légère qu’une coccinelle, plus petite qu’un pouce.
La vieille dame, dont on ne voit que les mains, possède la fillette et veut la garder « jusqu’à la fin des temps », elle sera son secret.
Mais la fillette, en grandissant, à besoin de liberté.
Elle casse la vitre de la fenêtre et s’en va, sans se retourner, à la découverte du monde.
Étamines au vent, elle file sur le chemin de la liberté.
Elle y rencontre tour à tour une grenouille, un poisson, un écureuil et enfin une taupe. Chacun a quelque chose à lui apprendre, mais sa soif de connaissance n’égale pas sa soif de liberté, elle mène sa route, volontaire, enfin émancipée. Et quand elle décide de poser sa coquille de noix chez taupe, ce n’est que pour y passer l’hiver. Personne ne la retiendra jusqu’à la fin des temps, c’est beaucoup trop long!
C’est finalement librement, de son plein gré, qu’elle reviendra chez la vieille dame, derrière la fenêtre désormais ouverte.
On reconnait ici le point de départ du célèbre conte d’Andersen, la petite Poucette et sa coquille de noix, mais ici c’est avant tout la relation à la mère symbolique qui est mise en avant, le besoin de liberté de la petite, la compréhension de la vieille dame à son retour.
Les images délicates, fraiches et joyeuses donnent une grande légèreté au propos. P’tite pousse affiche une belle confiance en elle qui lui donne des ailes et ravit les bambins qui écoutent cette histoire.
Une bien belle façon de parler de liberté d’agir aux enfants.
Questions idiotes, Philippe Corentin, école des loisirs, 10€
Mais qu’elles sont bêtes les grandes personnes! Franchement, il faut toujours tout leur expliquer.
C’est que les pauvres, elles n’ont pas un grand sens de l’observation. On pourrait devenir rouge écrevisse et tout hurlant avant qu’elles ne comprennent que oui, l’eau de la douche est trop chaude! Rha la la, quels empotés.
Philippe Corentin, lui, il a les yeux en face des trous, il observe les adultes et quand il les représente, il n’hésite pas à les égratigner. Ici il s’amuse de toutes ces questions toutes faites, prononcées sans qu’on y réfléchisse et les illustre avec sa gouaille habituelle. Le résultat est frais, drôle et juste assez irrévérencieux pour qu’on comprenne que, quel que soit son âge, l’auteur se sent plus enfant qu’adulte.
Curieusement, j’étais passée à côté de cet album, qui date pourtant de 1984, (comme j’aurais aimé l’avoir à l’époque, j’étais une mouflette très friande de ce type d’humour). Il était alors publié sous le titre « c’est à quel sujet », et l’image de couverture montrait une des pages les plus savoureuses de l’album (je vous laisse chercher). Quelle idée de l’avoir laissé épuisé si longtemps. Il était temps que l’école des loisirs le remette à son catalogue. Et ce n’est pas une mauvaise chose d’avoir un peu dépoussiéré l’ensemble en privilégiant le fond blanc plutôt que les couleurs de la première édition qui sont en effet un peu datées (à part ça, l’album n’a pas pris une ride)
J’adore la relation de connivence que ce livre instaure entre l’enfant et l’adulte qui le lui lit. Même (surtout) si ça ne fait pas toujours marrer les parents du dit mouflet. J’attends l’été avec impatience pour le tester en bibliothèque de rue, je suis convaincue qu’il y aura un grand succès.
Merle et Roro s’éclatent bien à jouer à la tablette. Mais papa, ce vilain rabat-joie, la confisque sans ménagement. En plus, il leur demande d’aller jouer dehors. Carrément. Dehors, c’est bien connu, on s’y ennuie. Un ennui fort, un ennui palpable, un ennui implacable. On pourrait presque dire que s’ennuyer à ce point c’est un job à plein temps pour les deux petiots. Ils s’ennuient à voix haute, ostensiblement.
Quand papa multiplie les propositions de jeu, Merle et Roro trouvent toujours une bonne raison de refuser, au point qu’il finit par proposer de gonfler la piscine.
La piscine quoi, n’importe quel gamin devrait sauter de joie à cette idée. Ben non. Merle trouve l’eau trop froide et Roro se plaint qu’il n’a pas de bonnet.
Mais heureusement, Pinson passe par là.
Quand j’étais petite, je me souviens de longs après midi où l’ennui précédait le jeu. Maintenant que je suis une grande personne, je ne m’ennuie plus. Et ça me manque. Il y a quelque chose de très spécifique à l’ennui enfantin: Un soupçon de mauvaise foi et une grande complaisance de l’enfant lui même, qui s’en plaint et s’y vautre à la fois.
Claude K. Dubois a parfaitement capté ça. Les petits poussins ne se contentent pas de subir l’ennui, ils le démontrent, ils l’incarnent, ils en font des tonnes. Ils arriveraient même presque à culpabiliser le papa, qui a pourtant autre chose à faire (étendre le linge en l’occurrence). Ils sont attendrissants en diable et agaçant tout plein à la fois. Des gosses, quoi.
Je suis toujours charmée par le coup de crayon de Claude K. Dubois. Les petites bouilles esquissées et expressives de ses personnages sont très évocatrices.
Il est déjà tout équipé, le bambin qui s’apprête à nous entrainer dans son sillage vers la rivière et son impatience est palpable. Le trajet jusqu’à la baignade est déjà une promesse de plaisirs: même si ça grimpe dur en vélo, on sent que la promenade est un plaisir.
Il file, il file et son père peine à le suivre, mais arrivé au bord de l’eau il fait à peine une petite halte, son objectif est un peu en amont.
Alors il remonte le cours d’eau, toujours à vive allure, et ne prend le temps de s’arrêter ni pour ramasser des cailloux avec son ami Také, ni pour construire un barrage avec Yasuko, ni pour la course de bateaux feuille. Ce qu’il cherche à atteindre, c’est la cascade, qui forme un toboggan naturel. Et aujourd’hui, il va descendre tout seul, sans l’aide de son père (ça tombe bien, il a besoin d’une pause le pauvre, après cette folle course)
Les albums de Yuichi Kasano sont toujours très contextualisés dans le Japon moderne et rural, pourtant l’universalité des thèmes sont tels que l’on y retrouve toujours sa propre enfance. Trier les petits cailloux, observer les petits poissons, sont des jeux qui ont traversé les générations. Et surtout, comme le petit Hiro, les enfants aiment se donner des défis et surmonter leur appréhension pour les relever.
La vue en plongée de la cascade nous aide à ressentir la petite montée d’adrénaline qui doit parcourir le jeune héros. Et le gros plan sur sa bouille ravie quand il s’est enfin jeté à l’eau fait plaisir à voir.
Comme toujours avec cet auteur il y a une véritable maitrise graphique, du choix des cadrages et points de vue au séquençage des pages.
Un album idéal pour se replonger dans l’ambiance des vacances et ressentir cette joie et cette légèreté de l’enfance.
Petit pois, Davide Cali, Sebastien Mourrain, Actes Sud junior 13€50
Petit pois est tellement minuscule qu’il peut porter les souliers des poupées, dormir dans une boite d’allumettes et chevaucher une sauterelle.
Ce qui en soi à l’air plutôt chouette. De fait, il mène sa vie de petit bonhomme plutôt agréablement. La maison et son jardin lui offrent un terrain d’exploration sans pareil: une flaque est pour lui un lac, une petite voiture mécanique un bolide et le chat qui gravite autour de lui ne le prend pas pour une souris comme on pourrait le craindre, il est même un compagnon agréable. On sent une grande indépendance chez Petit pois, dont on ne voit d’ailleurs jamais les parents (mais on sait qu’ils sont là: sa mère lui coud des vêtements sur mesure.)
La chose se corse quand il entre à l’école. Tout devient compliqué et il ne trouve pas sa place parmi ses pairs.
Heureusement, l’épisode école passe vite, on saute dans le temps pour retrouver notre petit héros à l’âge adulte, un adulte tout à fait épanouit et qui semble s’être construit un monde à sa mesure.
C’est une chouette façon d’aborder la différence sans trop appuyer le propos. Il y a beaucoup de légèreté dans le texte comme dans les images qui sont pleines de détails sympas et d’humour. Et la fin est très optimiste.
Au lit! Toute une histoire Shoham Smith, Einat Tsarfati, Cambourakis, 14€
Les enfants tyrans, je les adore! Dans les livres, hein, dans la vraie vie, ils sont insupportables.
Ici, on les repère dès la couverture. Ces deux bambins là n’en font manifestement qu’à leur tête et ils vont faire tourner leurs parents en bourrique.
Pourtant, ça part bien, la petite Lili s’est endormie. Dans sa chambre au sol jonché de jouets, avec sa couronne sur la tête, la petite princesse sourit dans son sommeil. Ses parents s’éloignent sur la pointe des pieds en priant pour qu’elle ne les rappelle pas. Prière vaine, dès la page suivante ils sont de retour auprès de la mouflette qui a manifestement réclamé un dernier bisou. On sent bien le sentiment de toute puissance de l’insupportable gamine qui va sortir de la chambre en courant comme un petit démon, réveiller son petit frère et squatter le repas des adultes sans complexe.
A eux deux, ils vont transformer le repas en foire au n’importe quoi.
Les illustrations sont le plus souvent centrées sur les enfants, les parents sont hors champ, et si on entend leurs réprimandes, on comprend bien que Lili les ignore, ils n’ont aucune prise sur elle. Quand, à l’inverse, on voit le couple parental faire une tentative d’autorité (« Je commence à compter, un, deux, trois », énuméré sans le moindre résultat), c’est au contraire la fillette qui n’est plus là. Ce n’est même pas qu’ils ne sont pas assez autoritaires. C’est carrément qu’ils n’existent pas pour elle, elle ne les voit pas, ne les entend pas, c’est comme s’ils évoluaient dans deux univers parallèles.
Quant aux autres adultes, ils sont à la fois victimes consentantes et complices, les gamins semblent les considérer comme des jouets parmi d’autres.
Je trouve qu’il y a quelque chose de jubilatoire à la lecture de cet album. Pour les adultes comme pour les enfants, il y a une distance qui s’instaure tout de suite quand on le lit, on ne s’identifie pas, au contraire, on prend plaisir à se dire que « heureusement, chez moi ce n’est pas comme ça ».
Certains parents à qui j’ai montré cet album m’ont fait remarquer qu’il donnait le mauvais exemple. Alors là, permettez moi d’être morte de rire. Comme si les livres montraient l’exemple! Quelle drôle d’idée de vouloir ainsi déléguer l’éducation des enfants à la littérature. Hé, les gars, j’ai un scoop, l’éducation c’est votre job, la littérature, elle, a pour fonction de raconter des histoires. Si c’est pour raconter aux gamins uniquement des histoires qu’ils vivent ou pourraient vivre, ce n’est pas très intéressant. Ce qu’il y a de chouette c’est justement de voir dans les livres tout ce qu’on n’a pas le droit de faire, ce qu’on est incapable de faire, ce qu’on n’a même pas envie de faire, pourquoi pas.
N’allez pas imaginer que parce qu’on leur montre des enfants qui font des bêtises dans une histoire, vos bambins vont les reproduire. A moins qu’ils n’aient été biberonnés à: « Oh, regarde comme petit ours va bien sur le pot, tu devrais faire pareil » ou encore « tu as vu comme ce pingouin est gentil avec le bébé, prend-en de la graine mon enfant »; mais là, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous même.
Lisons donc plutôt Au lit! Toute une histoire pour ce qu’il est, une histoire un brin subversive qui peut servir d’exutoire pour toutes les bêtises que nos enfants n’oseront jamais commettre.
La journée de Miglou et Le week-end de Miglou, Wiliam Bee, école des loisirs, 14€50 chacun.
Ces deux grands albums nous entraînent dans l’univers riche, coloré et vitaminé de Topville, où vit Miglou, le petit chien.
Un quotidien loufoque et plein de surprise, qui se présente à la fois comme un récit et un livre jeu, sous forme de cherche-et-trouve au fil des pages.
Dans le premier album, nous faisons la connaissance du héros mais aussi de nombreux personnages que l’on retrouvera dans les deux albums. Ils sont présentés sur la première page et donneront un fil conducteur aux albums qui par ailleurs sont conçus comme une succession de tableaux.
Nous suivons Miglou dans divers lieux et situations. Au marché, à l’école, dans la caserne de pompiers et jusqu’à la fête foraine, il promène partout sa queue remuante et sa gourmandise. Partout, il rencontre des amis, donne des coups de mains, et mange à tous les râteliers.
Il est joyeux, sympathique et toujours de bonne humeur.
Au fil des lectures (nombreuses, c’était pendant un temps le livre de chevet de ma cadette), j’ai été frappée par la représentation des diversités dans cet album. Très naturellement on trouve ici des personnages de toutes origines, des femmes dans des métiers d’homme et vice-versa, un personnage en fauteuil roulant, des vieux etc. Et tous ces personnages cohabitent dans la bienveillance, chacun aide les autres,on sent un esprit de solidarité et d’amitié qui est très agréable.
Le deuxième album est la suite logique du premier. On ne peut pas affirmer qu’il renouvelle vraiment le processus, mais il le complète agréablement. Quand, à force de l’explorer, on a fini par épuiser La journée de Miglou (ce qui prend beaucoup de temps, ce sont des livres très riches et généreux), on est heureux de trouver le nouvel opus et de plonger à nouveau dans ce petit monde foisonnant, tendre et surprenant.