En cette fin d’été, brutalement, le soleil vient à manquer. Alors je suis ravie de le retrouver sous la forme de ce chouette album aux pages cartonnées, destiné aux tout petits mais avec un texte qui n’a rien à envier à la poésie des adultes.
Après un livre célébrant la neige puis un autre sur les orages, l’autrice Anaïs Brunet nous propose un ciel plus clément dans un ouvrage aux couleurs éclatantes.
Beaucoup de jaune bien sûr, mais aussi du rose fluo, du bleu, du vert, qui se mêlent dans un feu d’artifice pétillant. Un peu de noir aussi pour le contraste et des touches de vernis pour le brillant. Les bambins vont en avoir plein des mirettes! Chacun s’attardera sur les éléments de l’image qui les intéresse le plus, les animaux pour les uns, les enfants qui jouent pour les autres, ou encore le détail des motifs.
Le texte est un poème en six strophes, dont chaque vers a cinq syllabes. Son rythme fluide s’impose très naturellement lorsqu’on le lit à voix haute.
Les jeunes enfants y découvriront probablement des mots encore jamais entendus. Ce sont souvent ceux-là qu’ils trouvent les plus savoureux. Et comme les petits aiment la répétition, je ne doute pas que rapidement, ils connaîtront l’album par cœur.
Ses imagiers où des caches en noir et blanc recouvrent une photo ont toujours un succès fou auprès des enfants.
Il a déjà exploré plusieurs thématiques, les engins d’abord, puis les animaux, et les objets.
Les formats aussi ont variés, aux albums format moyen du début ont succédé des petits cartonnés.
Mais la patte de l’auteur est toujours là, et les enfants reconnaissent sans peine la série.
Dans Imagier des outils, il y a des instruments très connus et d’autres un peu moins. Une petite phrase explique la fonction de chacun.
Je ne sais pas si tous les enfants retiendront que la grelinette sert à aérer la terre, mais je suis convaincue qu’il seront, comme moi, séduit par le mot lui-même.
Pour les tout-petits, il y a le plaisir du contraste et du noir et blanc, pour ceux qui maîtrisent tout juste leurs mains le jeu de soulever les caches, pour les plus grands le plaisir de connaitre la fonction de chaque objet. Et les adultes apprécieront la qualité des photos.
Moi j’ai bien aimé y voir une fillette qui répare son vélo.
Bref, chacun y trouvera ce qu’il cherche et tout le monde appréciera ce petit album.
Une journée extraordinaire, Philip Waechter, Didier jeunesse, 2023, 13€50
En littérature enfantine, l’ennuie est souvent le point de départ de jolies aventures, ou source de créativité.
Pour Raton laveur, c’est ainsi que l’histoire commence. Se trouvant désœuvré, il décide de faire un gâteau aux pommes.
Comme il n’a pas d’œuf, il va en demander à son amie renarde. Celle-ci, occupée à réparer sa gouttière à grand besoin d’une échelle. Blaireau en aura sûrement une à leur prêter. Mais celui-ci a besoin d’aide à son tour pour faire ses mots croisés, les voilà donc tous en route vers la maison d’ours.
Depuis Les bons amis, de très nombreux albums mettent en scène des chaînes de solidarités entre animaux. La structure peut donc sembler attendue pour les adultes habitués aux albums. Mais les enfants, eux, posent un œil neuf sur ce type d’histoire, et ils apprécient d’autant plus les valeurs qu’ils y trouvent.
Ici, l’histoire dévie du cours attendue en milieu d’album.
Laissant un temps les quêtes de chacun de côté, les animaux se baignent dans la rivière tous ensemble, dans une petite parenthèse hors du temps.
Quand le soleil commence à décliner, il n’est pas trop tard pour se mettre à l’ouvrage et chaque problème est résolu avant la fin de journée.
Enfin, les amis peuvent partager le fameux gâteau aux pommes, dans la lumière d’un coucher de soleil, mettant fin à une journée extraordinaire, faite de solidarité, de jeu, de spontanéité, de plaisirs… Et de travail accompli, sans sentiment d’effort.
La soupe est prête, Susanne Straßer, tourbillon, 2023, 12€50
Décidément, j’ai un faible pour les histoires drôles et tendres de cette autrice.
Comme souvent, c’est une histoire en randonnée (dans laquelle une phrase est répétée régulièrement comme un refrain) et ici une randonnée a accumulation (on ajoute des éléments au fur et à mesure).
Ça commence par un enfant qui prépare la soupe. À sa droite, la table est dressée pour six convives.
Le cheval arrive, il estime qu’une bonne soupe a besoin de betteraves. Snipp snipp snipp, dans la marmite. Puis il prend place à table. Arrive ensuite l’oie. Une bonne soupe a besoin de betteraves et d’herbe verte, rip, rap, dans la marmite.
Puis la chèvre: Une bonne soupe a besoin de betteraves, d’herbes vertes et de tendres rameaux, cric, crac, dans la marmite.
Structure simple, toujours très efficace, surtout quand elle est rehaussée d’onomatopées comme ici. Au-delà de la fantaisie des ingrédients utilisés, on s’amuse des bouillettes des personnages qui s’accumulent, eux aussi, sur la page de droite. On sait, au nombre de places vides, combien d’invités sont attendus.
Et l’œil attentif des enfants remarquera qu’un des convives n’a pas attendu que la soupe soit servie pour se mettre quelque chose sous la dent…
Et quand la soupe est prête, l’album se termine par une double chute, certes un peu attendue pour nous adultes, mais qui fonctionne très bien avec les bambins.
Et puis on est séduit par les expressions cocasses des personnages.
Le trésor de Georges, Anne-sophie Plat, Barroux, littleurban
En bord de mer, deux maisons. L’une est petite, modeste, avec son potager et son jardinet, elle a des volets bleus qui s’ouvrent sur sa façade blanche, c’est une maisonnette toute simple, sans prétention.
À ses côtés, une demeure à la façade jaune, aux balustrades ornées et aux étages nombreux. Pas de potager ici, mais devant le portail, une longue voiture affiche ostensiblement le niveau de richesse de ses habitants.
Elle est occupée par monsieur et madame Florimont, que l’on peut voir au balcon du premier étage. Ils semblent s’y être installés pour être vus plus que pour admirer le paysage.
Georges, leur voisin, les salue de sa petite fenêtre.
Si les Florimont sont toujours aimables avec leur voisin, ce n’est pas par amitié à son égard. Ils cherchent à l’amadouer. Ils aimeraient tellement que Georges vende sa bicoque pour agrandir leur domaine.
Pour le faire céder, ils offrent à Georges des cadeaux dispendieux. Tableau d’un artiste mondialement connu, marbre rare, plantes exotiques. Mais rien de tout cela n’intéresse leur voisin. Il est occupé à bouquiner en compagnie de son chat, à arroser ses plantes ou à recevoir ses amis et répond toujours qu’il n’a besoin de rien.
Si bien que les Florimont soupçonnent que la maison de Georges cache un quelconque trésor qui expliquerait son attachement à sa maisonnette.
Bien entendu, nous, lecteurs adultes, comprenons assez rapidement que le trésor de Georges est bien moins matériel que tous les biens que les Florimont entassent sans en retirer grande satisfaction. On peut même se douter assez rapidement de quoi précisément il s’agit.
Les enfants le découvriront en même temps que le couple de voisins dans une double page qui s’ouvre en panorama, montrant l’immensité de la vue sur la mer. « C’est tout ce qu’il me faut », dit Georges.
Certes, l’histoire est un peu attendue, mais il est toujours appréciable de montrer aux enfants la richesse de la nature et sa supériorité face aux biens matériels.
Personnellement, j’adhère au propos et je le trouve bien amené.
Le secret des sables, Levi Pinfold, Kléidoscope, 2023, 13€50
Est-ce que la littérature doit être confortable? Est-ce qu’on doit se sentir bien à la lecture d’un livre?
Je n’en suis pas convaincue et parmi les œuvres artistiques qui m’ont le plus marquée nombreuses sont celles qui créent pourtant le malaise.
Des films, des tableaux, des livres m’ont subjuguée et même attirée tout en me dérangeant. Ce sont souvent ceux-là qui restent en mémoire, ceux qui nourrissent le plus ma pensée et ma compréhension du mode. Même quand ils sont mystérieux. Surtout quand ils sont mystérieux.
Dès les premières pages on est happés par les incroyables dessins de cet album. Très vite il s’en dégage une étrangeté qui fascine. Malgré l’inquiétude qui s’installe rapidement on est avide d’en savoir plus.
La narratrice est une fillette. Avec ses frères elle traverse le désert en voiture en chantant une comptine de leur enfance, qui n’a rien d’enfantin ni de rassurant. Il y est question d’oracle, de mort, de prison.
Quand ils s’arrêtent pour cueillir des fleurs, elle sent le danger mais n’est pas écoutée. Manifestement, ils ne sont pas arrivés là par hasard. Quelle force les y a conduit?
La fillette sera alors actrice d’une aventure presque onirique, dont ses frères sont de simples figurants.
Les images aux couleurs de sable et de poussière figent des scènes extraordinaires peuplées de créatures étranges et inquiétantes. Pour compenser l’insouciance de ses frères, qui semblent hypnotisés par la magie du lieu, la jeune fille doit montrer sa persévérance et affronter un oracle inquiétant.
Des références bibliques côtoient des allusions aux contes (il y a une influence certaine de la belle et la bête), des renvois visuels vers des tableaux célèbres, liés dans un monde fantastique cohérent et très cinématographique. On sort de cette lecture émerveillés et décontenancés et on en redemande.
Au deuxième étage, JonArno Lawson, Qin Leng, éditions d’eux, 2023,
Une des spécificités des albums sans texte, c’est qu’ils gardent parfois une part de leur mystère.
On est obligé de faire des suppositions, nos hypothèses se fondent sur notre propre histoire et nos représentations, l’histoire peut être comprise différemment selon chaque lecteur.
C’est particulièrement le cas avec Au deuxième étage, qui, si j’en crois les quelques critiques que j’ai lu à son propos, donne lieu à des interprétations variées.
Je vous en livre donc ma lecture personnelle, mais je vous invite vivement à vous faire votre propre idée.
Tout commence avec une fillette plutôt solaire, toujours en mouvement, grand sourire aux lèvres et l’adulte qui l’accompagne, plutôt acariâtre.
On y voit plutôt une personne âgée, mais difficile de dire s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Nous dirons donc qu’il s’agit de son aïeul, histoire de désigner facilement cette personne.
Ils habitent manifestement ensemble, un logement au-dessus de leur petit commerce, dans un immeuble plutôt délabré dans lequel il y a un appartement vaquant.
Plusieurs personnes se présentent pour le louer mais renoncent devant l’ampleur des travaux.
Jusqu’à ce que la situation s’inverse. Un couple se présente mais manifestement l’aïeul ne veut pas leur louer. Pourquoi? C’est là que les interprétations divergent le plus. J’ai lu qu’il s’agissait d’un couple de femmes. C’est bien possible, mais vraiment pas frappant, si tel était le propos des auteurs il serait vraiment caché. Difficile en effet d’affirmer que cette personne aux cheveux courts, portant jean et chemise ample est une femme.
Ce que l’on remarque par contre sans le moindre doute, c’est que le couple est composé d’une personne blanche et d’une personne noire.
On comprend donc que ce couple est victime de discrimination, et au fond peu importe qu’il s’agisse de racisme ou d’homophobie, le propos est le même.
Quoi qu’il en soit, la fillette, beaucoup plus ouverte que son aïeul, insiste pour que l’appartement leur soit loué et petit à petit va faire en sorte que tout le monde sympathise dans l’appartement désormais rénové par le jeune coupe.
Et même le (la?) vieux réac finit par se mettre à sourire, enfin débarrassé de ses préjugés.
Quelle que soit l’interprétation que l’on en fait il s’agit donc de prôner l’ouverture aux autres, la rencontre et le vivre ensemble face à la peur de l’inconnu.
La démonstration est faite en finesse et met en avant la personnalité de la fillette qui est très active dans la résolution du problème.
J’adhère donc sans la moindre réserve à ce joli album tout en image. (si vous cherchez des pistes d’utilisation des livres sans texte, rendez-vous ici)
Frères, Marie Le Cuziat, Hua Ling Xu, l’étagère du bas, 15€, 2023 Il existe beaucoup d’albums sur la fratrie et c’est un thème qui m’est régulièrement demandé.
Mais le plus souvent, c’est le prisme de la rivalité qui intéresse les adultes. Ils proposent ces livres en réponse à un problème (réel ou supposé) de conflit entre frères et sœurs.
Et si l’on parlait plutôt de fraternité? (ça marche aussi avec la sororité, je vous rassure).
Arùn et Rey sont deux frères qui ne se ressemblent en rien. L’un grand et brun, l’autre petit et blond, leur caractère est également opposé.
Au point que parfois les gens ont du mal à croire qu’ils sont de la même famille.
Mais eux savent bien que par certain côté ils ne font qu’un.
L’image les montre d’abord en opposition, chacun d’un côté de la double page, se livrant à des activités différentes, leurs regards ne se croisent pas. Puis ils se font face, se réunissent, se chamaillent aussi parfois, avant de retourner chacun à ses préoccupations.
Parfois proches, parfois lointains, frères toujours.
Les illustrations sont très travaillées, elles donnent vie à la complicité d’Arùn et Rey. Le texte, court, va à l’essentiel et laisse l’image porter une grande part du récit.
Papa, Quentin Gréban, Hélène Delforge, Mijade, 25€, 2023 Le duo Hélène Delforge et Quentin Gréban nous avait déjà attendris avec leur magnifique album Maman, ils nous avaient émerveillés avec Amoureux, c’est donc naturellement avec une grande impatience que j’attendais la sortie de Papa.
Sur le terrain d’ailleurs, quand je propose la lecture d’extraits de Maman à des familles, on me demande presque toujours s’il existe le pendant masculin.
Alors disons le tout de suite, avec un tel horizon d’attente, le pari était difficile à relever.
A la première lecture, je n’ai pas retrouvé l’émotion qu’avait suscité en moi l’album Maman. Sans doute en partie parce que l’identification ne fonctionne pas autant bien sûr.
A la deuxième lecture, je mesure à quel point Hélène Delforge a du se plier à un exercice d’équilibre difficile.
Faire un livre aussi sincère que le premier, sans qu’il n’en soit le miroir. Donner une représentation des pères qui ne soit pas caricaturale, ni trop stéréotypée, sans tomber dans l’angélisme pour autant.
Ne pas représenter que des situations idéales mais ne pas tomber dans le pathos.
Et finalement, elle fait le boulot, avec sa délicatesse habituelle. On devine que chaque mot a dû être pesé, que le fil de chaque histoire a dû être tissé avec attention. Il y a le papa aimant, le papa inquiet, celui d’un week-end sur deux, le papa d’une fille alors qu’il voulait un garçon, celui qui est aussi un fils, et l’homme qui ne sera jamais papa.
Cela forme une galerie de portraits (non exhaustive bien entendu) nuancée, qui correspond à une réalité multiple.
Aux images, Quentin Gréban est toujours aussi impeccable, ses illustrations (peintures pleines pages et petits crayonnés sur la page de texte) accompagnent parfaitement le texte.
Elle fait le printemps, Praline Gay-Para, Lauranne Quentric, Didier jeunesse, 13€50, 2023
Sur les traces de Prévert, Praline Gay-Para décline au féminin les phrases usuelles qui concernent la météo.
L’image met en scène une fillette, si bien qu’on ne sait plus si c’est le temps derrière la fenêtre ou l’enfant qui gronde, fait grand vent, fait soleil ou orage.
J’aime beaucoup les personnages de petites filles tempétueuses, et celle-là est joyeuse, vivante, tour à tour posée et contemplative ou dynamique et créative.
Il y a une grande sobriété dans le texte et l’image lui fait brillamment échos.
L’enfant est montrée dans son quotidien, au fil de la journée. On la voit en compagnie de sa mère à deux reprises, mais notre protagoniste fait visiblement preuve d’une grande autonomie!
Un chat, parfois, l’accompagne de sa discrète présence. Il a le bon sens de s’enfuir quand la petite fille revêt un costume tout droit issu de Max et les Maximonstre (celui-là même qui poursuit le chat avec une fourchette). L’ensemble fonctionne parfaitement, la féminisation du climat donne une touche délicatement féministe à cet album qui montre aussi toute la palette des émotions enfantines.